1Syntoniseur "Aile Noire" + 2 monstres non-Syntoniseur ou plus Lorsque cette carte est Invoquée par Synchronisation, vous pouvez sélectionner et détruire jusqu'à 2 monstres face recto sur le Terrain avec une DEF inférieure à l'ATK de cette carte. Vous ne pouvez pas mener votre Battle Phase le tour où vous activez cet effet. Qui est Victor Hugo ?Victor Hugo, né le 26 février 1802 et mort le 22 mai 1885, est un poète, dramaturge et romancier français. Considéré comme l’un des plus grands écrivains de la langue française, il est également une personnalité politique ainsi qu’un intellectuel engagé. Chef de file du romantisme, il occupe une place majeure dans l’histoire des lettres françaises au XIXe est l’auteur de grands succès populaires avec des recueils comme Odes et Ballades 1826, Les Feuilles d'automne 1831 ou Les Contemplations 1856. Comme romancier, il écrit notamment Notre-Dame de Paris 1831 et Les Misérables 1862. Son œuvre comprend également des récits de voyage, des écrits politiques et des commentaires littéraires. Enfin, il voue une passion toute particulière pour le dessin, la décoration intérieure et la d’être grand-père, un testament poétiqueSuite à la mort de son épouse Adèle Foucher en 1868 puis de son fils Charles Hugo en 1871, Victor Hugo élève ses deux petits-enfants Jeanne et Georges. C’est ainsi au cours de cette période qu’il écrit ce recueil de poèmes évoquant l’innocence et le comportement de ses texte completVoici ci-dessous une version complète du recueil de poèmes L'art d'être grand-père de Victor Hugo L'EXILÉ SATISFAITSolitude! silence! oh! le désert me tente. L'âme s'apaise là, sévèrement contente; Là d'on ne sait quelle ombre on se sent l'éclaireur. Je vais dans les forêts chercher la vague horreur; La sauvage épaisseur des branches me procure Une sorte de joie et d'épouvante obscure; Et j'y trouve un oubli presque égal au tombeau. Mais je ne m'éteins pas; on peut rester flambeau Dans l'ombre, et, sous le ciel, sous la crypte sacrée, Seul, frissonner au vent profond de l'empyrée. Rien n'est diminué dans l'homme pour avoir Jeté la sonde au fond ténébreux du devoir. Qui voit de haut, voit bien; qui voit de loin, voit juste. La conscience sait qu'une croissance auguste Est possible pour elle, et va sur les hauts lieux Rayonner et grandir, loin du monde oublieux. Donc je vais au désert, mais sans quitter le qu'un songeur vient, dans la forêt profonde Ou sur l'escarpement des falaises, s'asseoir Tranquille et méditant l'immensité du soir, Il ne s'isole point de la terre où nous sommes. Ne sentez-vous donc pas qu'ayant vu beaucoup d'hommes On a besoin de fuir sous les arbres épais, Et que toutes les soifs de vérité, de paix, D'équité, de raison et de lumière, augmentent Au fond d'une âme, après tant de choses qui mentent ?Mes frères ont toujours tout mon coeur, et, lointain Mais présent, je regarde et juge le destin; Je tiens, pour compléter l'âme humaine ébauchée, L'urne de la pitié sur les peuples penchée, Je la vide sans cesse et je l'emplis toujours. Mais je prends pour abri l'ombre des grands bois j'ai vu de si près les foules misérables,Les cris, les chocs, l'affront aux têtes vénérables, Tant de lâches grandis par les troubles civils, Des juges qu'on eût dû juger, des prêtres vils Servant et souillant Dieu, prêchant pour, prouvant contre, J'ai tant vu la laideur que notre beauté montre, Dans notre bien le mal, dans notre vrai le faux, Et le néant passant sous nos arcs triomphaux, J'ai tant vu ce qui mord, ce qui fuit, ce qui ploie Que, vieux, faible et vaincu, j'ai désormais pour joie De rêver immobile en quelque sombre lieu; Là, saignant, je médite; et, lors même qu'un dieu M'offrirait pour rentrer dans les villes la gloire, La jeunesse, l'amour, la force, la victoire, Je trouve bon d'avoir un trou dans les forêts, Car je ne sais pas trop si je QUE CETTE TERRE ? UNE TEMPÊTE D'ÂME...Qu'est-ce que cette terre ? Une tempête d'âmes. Dans cette ombre, où, nochers errants, nous n'abordâmes Jamais qu'à des écueils, les prenant pour des ports; Dans l'orage des cris, des désirs, des transports, Des amours, des douleurs, des veux, tas de nuées; Dans les fuyants baisers de ces prostituées Que nous nommons fortune, ambition, succès; Devant Job qui, souffrant, dit Qu'est-ce que je sais? Et Pascal qui, tremblant, dit Qu'est-ce que je pense ? Dans cette monstrueuse et féroce dépense De papes, de césars, de rois, que fait Satan; En présence du sort tournant son cabestan Par qui toujours-de là l'effroi des philosophes- Sortent des mêmes flots les mêmes catastrophes; Dans ce néant qui mord, dans ce chaos qui ment, Ce que l'homme finit par voir distinctement, C'est, par-dessus nos deuils, nos chutes, nos descentes, La souveraineté des choses innocentes. Étant donnés le coeur humain, l'esprit humain, Notre hier ténébreux, notre obscur lendemain, Toutes les guerres, tous les chocs, toutes les haines, Notre progrès coupé d'un traînement de chaînes, Partout quelque remords, même chez les meilleurs, Et par les vents soufflant du fond des cieux en pleurs La foule des vivants sans fin bouleversée, Certe, il est salutaire et bon pour la pensée, Sous l'entre-croisement de tant de noirs rameaux, De contempler parfois, à travers tous nos maux Qui sont entre le ciel et nous comme des voiles, Une profonde paix toute faite d'étoiles; C'est à cela que Dieu songeait quand il a mis Les poètes auprès des berceaux FAIT SON ENTRÉEJeanne parle; elle dit des choses qu'elle ignore; Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore, A la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament, A l'immense nature un doux gazouillement, Tout un discours, profond peut-être, qu'elle achève Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve, Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé, Dieu, le bon vieux grand-père, écoute SED VICTUSJe suis, dans notre temps de chocs et de fureurs, Belluaire, et j'ai fait la guerre aux empereurs; J'ai combattu la foule immonde des Sodomes, Des millions de flots et des millions d'hommes Ont rugi contre moi sans me faire céder; Tout le gouffre est venu m'attaquer et gronder, Et j'ai livré bataille aux vagues écumantes, Et sous l'énorme assaut de l'ombre et des tourmentes Je n'ai pas plus courbé la tête qu'un écueil; Je ne suis pas de ceux qu'effraie un ciel en deuil, Et qui, n'osant sonder les styx et les avernes, Tremblent devant la bouche obscure des cavernes; Quand les tyrans lançaient sur nous, du haut des airs, Leur noir tonnerre ayant des crimes pour éclairs, J'ai jeté mon vers sombre à ces passants sinistres; J'ai traîné tous les rois avec tous leurs ministres, Tous les faux dieux avec tous les principes faux, Tous les trônes liés à tous les échafauds, L'erreur, le glaive infâme et le sceptre sublime, J'ai traîné tout cela pêle-mêle à l'abîme; J'ai devant les césars, les princes, les géants De la force debout sur l'amas des néants, Devant tous ceux que l'homme adore, exècre, encense, Devant les Jupiters de la toute-puissance, Été quarante ans fier, indompté, triomphant; Et me voilà vaincu par un petit mon George. Ah! les fils de nos fils nous enchantent, Ce sont de jeunes voix matinales qui chantent. Ils sont dans nos logis lugubres le retour Des roses, du printemps, de la vie et du jour! Leur rire nous attire une larme aux paupières Et de notre vieux seuil fait tressaillir les pierres; De la tombe entr'ouverte et des ans lourds et froids Leur regard radieux dissipe les effrois; Ils ramènent notre âme aux premières années; Ils font rouvrir en nous toutes nos fleurs fanées; Nous nous retrouvons doux, naïfs, heureux de rien; Le coeur serein s'emplit d'un vague aérien; En les voyant on croit se voir soi-même éclore; Oui, devenir aïeul, c'est rentrer dans l'aurore. Le vieillard gai se mêle aux marmots triomphants. Nous nous rapetissons dans les petits enfants. Et, calmés, nous voyons s'envoler dans les branches Notre âme sombre avec toutes ces âmes ET JEANNEMoi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide, J'en ai deux; George et Jeanne; et je prends l'un pour guide Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix, Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois. Leurs essais d'exister sont divinement gauches; On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches, Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit; Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit, Moi dont le destin pâle et froid se décolore, J'ai l'attendrissement de dire Ils sont l'aurore. Leur dialogue obscur m'ouvre des horizons; Ils s'entendent entr'eux, se donnent leurs raisons. Jugez comme cela disperse mes pensées. En moi, désirs, projets, les choses insensées, Les choses sages, tout, à leur tendre lueur, Tombe, et je ne suis plus qu'un bonhomme rêveur. Je ne sens plus la trouble et secrète secousse Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse. Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. Je les regarde, et puis je les écoute, et puis Je suis bon, et mon coeur s'apaise en leur présence; J'accepte les conseils sacrés de l'innocence, Je fus toute ma vie ainsi; je n'ai jamais Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets, De plus doux que l'oubli qui nous envahit l'âme Devant les êtres purs d'où monte une humble flamme; Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis, Ce point du jour qui sort des berceaux et des soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes. Je distingue ébloui l'ombre que font les palmes Et comme une clarté d'étoile à son lever, Et je me dis À quoi peuvent-ils donc rêver ? Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges, Au chien, au coq, au chat; et Jeanne pense aux anges. Puis, au réveil, leurs yeux s'ouvrent, pleins de arrivent, hélas! à l'heure où nous jasent. Parlent-ils ? Oui, comme la fleur parle A la source des bois; comme leur père Charle, Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé; Comme je vous parlais, de soleil inondé, mes frères, au temps où mon père, jeune homme, Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome, A cheval sur sa grande épée, et tout petits. Jeanne qui dans les yeux a le myosotis, Et qui, pour saisir l'ombre entr'ouvrant ses doigts frêles, N'a presque pas de bras ayant encor des ailes, Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot, Georges beau comme un dieu qui serait un marmot. Ce n'est pas la parole, ô ciel bleu, c'est le verbe; C'est la langue infinie, innocente et superbe Que soupirent les vents, les forêts et les flots; Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos Entendaient la sirène avec cette voix douce Murmurer l'hymne obscur que l'eau profonde émousse; C'est la musique éparse au fond du mois de mai Qui fait que l'un dit J'aime, et l'autre, hélas J'aimai; C'est le langage vague et lumineux des êtres Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres, Et qui, devant avril, éperdus, hésitants, Bourdonnent à la vitre immense du printemps. Ces mots mystérieux que Jeanne dit à George, C'est l'idylle du cygne avec le rouge-gorge, Ce sont les questions que les abeilles font, Et que le lys naïf pose au moineau profond; C'est ce dessous divin de la vaste harmonie, Le chuchotement, l'ombre ineffable et bénie Jasant, balbutiant des bruits de vision, Et peut-être donnant une explication; Car les petits enfants étaient hier encore Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore. Jeanne! Georges! voix dont j'ai le coeur saisi ! Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi. Leur front tourné vers nous nous éclaire et nous dore. Oh ! d'où venez-vous donc, inconnus qu'on adore ? Jeanne a l'air étonné; Georges a les yeux hardis. Ils trébuchent, encore ivres du JE ME SENS PRIS D’HORREURParfois, je me sens pris d'horreur pour cette terre; Mon vers semble la bouche ouverte d'un cratère; J'ai le farouche émoi Que donne l'ouragan monstrueux au grand arbre; Mon coeur prend feu; je sens tout ce que j'ai de marbre Devenir lave en moi;Quoi! rien de vrai ! le scribe a pour appui le reître; Toutes les robes, juge et vierge, femme et prêtre, Mentent ou mentiront; Le dogme boit du sang, l'autel bénit le crime; Toutes les vérités, groupe triste et sublime, Ont la rougeur au front;La sinistre lueur des rois est sur nos têtes; Le temple est plein d'enfer; la clarté de nos fêtes Obscurcit le ciel bleu; L'âme a le penchement d'un navire qui sombre; Et les religions, à tâtons, ont dans l'ombre Pris le démon pour Dieu!Oh ! qui me donnera des paroles terribles ? Oh! je déchirerai ces chartes et ces bibles, Ces codes, ces korans! Je pousserai le cri profond des catastrophes; Et je vous saisirai, sophistes, dans mes strophes, Dans mes ongles, frémissant, pâle, indigné, je bouillonne; On ne sait quel essaim d'aigles noirs tourbillonne Dans mon ciel embrasé; Deuil! guerre ! une euménide en mon âme est éclose ! Quoi! le mal est partout! Je regarde une rose Et je suis RERUMTout est pris d'un frisson subit. L'hiver s'enfuit et se dérobe. L'année ôte son vieil habit; La terre met sa belle est nouveau, tout est debout; L'adolescence est dans les plaines; La beauté du diable, partout, Rayonne et se mire aux est coquet; parmi les fleurs C'est à qui sera la plus belle; Toutes étalent leurs couleurs, Et les plus laides ont du bouquet jaillit du rocher; L'air baise les feuilles légères; Juin rit de voir s'endimancher Le petit peuple des une fête en vérité, Fête où vient le chardon, ce rustre; Dans le grand palais de l'été Les astres allument le fait les foins. Bientôt les blés. Le faucheur dort sous la cépée; Et tous les souffles sont mêlés D'une senteur d'herbe chante là ? Le rossignol. Les chrysalides sont parties. Le ver de terre a pris son vol Et jeté le froc aux orties;L'aragne sur l'eau fait des ronds; ciel bleu! l'ombre est sous la treille; Le jonc tremble, et les moucherons Viennent vous parler à l'oreille;On voit rôder l'abeille à jeun, La guêpe court, le frelon guette; A tous ces buveurs de parfum Le printemps ouvre sa bourdon, aux excès enclin Entre en chiffonnant sa chemise; Un oeillet est un verre plein Un lys est une nappe mouche boit le vermillon Et l'or dans les fleurs demi-closes, Et l'ivrogne est le papillon, Et les cabarets sont les joie et d'extase on s'emplit, L'ivresse, c'est la délivrance; Sur aucune fleur on ne lit Société de faste providentiel Partout brille, éclate et s'épanche Et l'unique livre, le ciel, Est par l'aube doré sur dans vos yeux éclatants Je crois voir l'empyrée éclore; Vous riez comme le printemps Et vous pleurez comme l' PRENDRAI PAR LA MAIN LES DEUX PETITS ENFANTSJe prendrai par la main les deux petits enfants; J'aime les bois où sont les chevreuils et les faons, Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches Et se dressent dans l'ombre effrayés par les branches; Car les fauves sont pleins d'une telle vapeur Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur. Les arbres ont cela de profond qu'ils vous montrent Que l'éden seul est vrai, que les coeurs s'y rencontrent, Et que, hors les amours et les nids, tout est vain; Théocrite souvent dans le hallier divin Crut entendre marcher doucement la ménade. C'est là que je ferai ma lente promenade Avec les deux marmots. J'entendrai tour à tour Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour, Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche Que mènent les enfants, je réglerai ma marche Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas, Et sur la petitesse aimable de leurs pas. Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres. vaste apaisement des forêts! ô murmures! Avril vient calmer tout, venant tout embaumer. Je n'ai point d'autre affaire ici-bas que d' rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux; Les oiseaux semblent d'air et de lumière fous; L'âme dans l'infini croit voir un grand sourire. À quoi bon exiler, rois ? à quoi bon proscrire ? Proscrivez-vous l'été ? m'exilez-vous des fleurs ? Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs, Les clartés, d'être là, sans joug, sans fin, sans nombre, Et de me faire fête, à moi banni, dans l'ombre ? Pouvez-vous m'amoindrir les grands flots haletants, L'océan, la joyeuse écume, le printemps Jetant les parfums comme un prodigue en démence, Et m'ôter un rayon de ce soleil immense ? Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez, Et tâchez d'être rois longtemps, si vous pouvez. Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille, Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille, Et je l'emporte, ayant pour conquête une fleur. Quand, au-dessus de moi, dans l'arbre, un querelleur, Un mâle, cherche noise à sa douce femelle, Ce n'est pas mon affaire et pourtant je m'en mêle, Je dis Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois ! Je les réconcilie avec ma grosse voix; Un peu de peur qu'on fait aux amants les rapproche. Je n'ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche; Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer, Mon bassin n'est pas grand, mais il n'est pas amer. Ce coin de terre est humble et me plaît; car l'espace Est sur ma tête, et l'astre y brille, et l'aigle y passe, Et le vaste Borée y plane éperdument. Ce parterre modeste et ce haut firmament Sont à moi; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe M'aiment, et je sens croître en moi l'oubli superbe. Je voudrais bien savoir comment je m'y prendrais Pour me souvenir, moi l'hôte de ces forêts Qu'il est quelqu'un, là-bas, au loin, sur cette terre, Qui s'amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre, Puisque je suis là seul devant l'immensité, Et puisqu'ayant sur moi le profond ciel d'été Où le vent souffle avec la douceur d'une lyre, J'entends dans le jardin les petits enfants OUVERTESLe matin - En dormantJ'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière. Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre . Cris des baigneurs. Plus près! plus loin ! non, par ici ! Non, par là! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi. Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle. Grincement d'une faux qui coupe le gazon. Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison. Bruits du port. Sifflement des machines chauffées. Musique militaire arrivant par bouffées. Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci. Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge. Vacarme de marteaux lointains dans une forge. L'eau clapote. On entend haleter un steamer. Une mouche entre. Souffle immense de la MANQUEPourquoi donc s'en est-il allé, le doux amour ? Ils viennent un moment nous faire un peu de jour, Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres, Sont à quelqu'un qui n'est pas nous. Mais les deux autres, Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois, Tous les deux. Ils sont deux, ils pourraient être trois. Voici l'heure d'aller se promener dans l'ombre Des grands bois, pleins d'oiseaux dont Dieu seul sait le nombre Et qui s'envoleront aussi dans l'inconnu. Il a son chapeau blanc, elle montre un pied nu, Tous deux sont côte à côte; on marche à l'aventure, Et le ciel brille, et moi je pousse la voiture. Toute la plaine en fleur a l'air d'un paradis; Le lézard court au pied des vieux saules, tandis Qu'au bout des branches vient chanter le rouge-gorge. Mademoiselle Jeanne a quinze mois, et George En a trente; il la garde; il est l'homme complet; Des filles comme ça font son bonheur; il est Dans l'admiration de ces jolis doigts roses, Leur compare, en disant toutes sortes de choses, Ses grosses mains à lui qui vont avoir trois ans, Et rit; il montre Jeanne en route aux paysans. Ah dame ! il marche, lui; cette mioche se traîne; Et Jeanne rit de voir Georges rire; une reine Sur un trône, c'est là Jeanne dans son panier; Elle est belle; et le chêne en parle au marronnier, Et l'orme la salue et la montre à l'érable, Tant sous le ciel profond l'enfance est vénérable. George a le sentiment de sa grandeur; il rit Mais il protège, et Jeanne a foi dans son esprit; Georges surveille avec un air assez farouche Cette enfant qui parfois met un doigt dans sa bouche; Les sentiers sont confus et nous nous embrouillons. Comme tout le bois sombre est plein de papillons, Courons, dit Georges. Il veut descendre. Jeanne est gaie. Avec eux je chancelle, avec eux je bégaie. Oh! l'adorable joie, et comme ils sont charmants! Quel hymne auguste au fond de leurs gazouillements! Jeanne voudrait avoir tous les oiseaux qui passent; Georges vide un pantin dont les ressorts se cassent, Et médite; et tous deux jasent; leurs cris joyeux Semblent faire partout dans l'ombre ouvrir des yeux; Georges, tout en mangeant des nèfles et des pommes, M'apporte son jouet; moi qui connais les hommes Mieux que Georges, et qui sait les secrets du destin, Je raccommode avec un fil son vieux pantin. Mon Georges, ne va pas dans l'herbe; elle est trempée. Et le vent berce l'arbre, et Jeanne sa poupée. On sent Dieu dans ce bois pensif dont la douceur Se mêle à la gaîté du frère et de la soeur; Nous obéissons, Jeanne et moi, Georges commande; La nourrice leur chante une chanson normande, De celles qu'on entend le soir sur les chemins, Et Georges bat du pied, et Jeanne bat des mains. Et je m'épanouis à leurs divins vacarmes, Je ris; mais vous voyez sous mon rire mes larmes, Vieux arbres, n'est-ce pas ? et vous n'avez pas cru Que j'oublierai jamais le petit SIESTEElle fait au milieu du jour son petit somme; Car l'enfant a besoin du rêve plus que l'homme, Cette terre est si laide alors qu'on vient du ciel ! L'enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel, Ses camarades, Puck, Titania, les fées, Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées. Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions, Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons, Ces paradis ouverts dans l'ombre, et ces passages D'étoiles qui font signe aux enfants d'être sages, Ces apparitions, ces éblouissements ! Donc, à l'heure où les feux du soleil sont calmants, Quand toute la nature écoute et se recueille, Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille La plus tremblante oublie un instant de frémir, Jeanne a cette habitude aimable de dormir; Et la mère un moment respire et se repose, Car on se lasse, même à servir une rose. Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr Dorment; et son berceau, qu'entoure un vague azur Ainsi qu'une auréole entoure une immortelle, Semble un nuage fait avec de la dentelle; On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là, Voir une lueur rose au fond d'un falbala; On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse, Et c'est un astre, ayant de plus la petitesse; L'ombre, amoureuse d'elle, a l'air de l'adorer; Le vent retient son souffle et n'ose respirer. Soudain, dans l'humble et chaste alcôve maternelle, Versant tout le matin qu'elle a dans sa prunelle, Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant, Agite un pied, puis l'autre, et, si divinement Que des fronts dans l'azur se penchent pour l'entendre, Elle gazouille...-Alors, de sa voix la plus tendre, Couvrant des yeux l'enfant que Dieu fait rayonner, Cherchant le plus doux nom qu'elle puisse donner À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère -Te voilà réveillée, horreur! lui dit sa LUNEJeanne songeait, sur l'herbe assise, grave et rose; Je m'approchai-Dis-moi si tu veux quelque chose, Jeanne ?-car j'obéis à ces charmants amours, Je les guette, et je cherche à comprendre toujours Tout ce qui peut passer par ces divines têtes. Jeanne m'a répondu-Je voudrais voir des bêtes. Alors je lui montrai dans l'herbe une fourmi. -Vois! Mais Jeanne ne fut contente qu'à demi. -Non, les bêtes, c'est gros, me rêve, C'est le grand. L'Océan les attire à sa grève, Les berçant de son chant rauque, et les captivant Par l'ombre, et par la fuite effrayante du vent; Ils aiment l'épouvante, il leur faut le prodige. -Je n'ai pas d'éléphant sous la main, répondis-je. Veux-tu quelque autre chose ? ô Jeanne, on te le doit ! Jeanne au ciel leva son petit doigt. -Ça, l'heure où le soir commence. Je vis à l'horizon surgir la lune DU SOIRLe brouillard est froid, la bruyère est grise; Les troupeaux de boeufs vont aux abreuvoirs; La lune, sortant des nuages noirs, Semble une clarté qui vient par ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son voyageur marche et la lande est brune; Une ombre est derrière, une ombre est devant; Blancheur au couchant, lueur au levant; Ici crépuscule, et là clair de ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son sorcière assise allonge sa lippe; L'araignée accroche au toit son filet; Le lutin reluit dans le feu follet Comme un pistil d'or dans une ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son voit sur la mer des chasse-marées; Le naufrage guette un mât frissonnant; Le vent dit demain! l'eau dit maintenant! Les voix qu'on entend sont ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son coche qui va d'Avranche à Fougère Fait claquer son fouet comme un vif éclair; Voici le moment où flottent dans l'air Tous ces bruits confus que l'ombre ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son les bois profonds brillent des flambées; Un vieux cimetière est sur un sommet; Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu'il met Dans les coeurs brisés et les nuits tombées ?Je ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son flaques d'argent tremblent sur les sables; L'orfraie est au bord des talus crayeux; Le pâtre, à travers le vent, suit des yeux Le vol monstrueux et vague des ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son panache gris sort des cheminées; Le bûcheron passe avec son fardeau; On entend, parmi le bruit des cours d'eau, Des frémissements de branches ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son faim fait rêver les grands loups moroses; La rivière court, le nuage fuit; Derrière la vitre où la lampe luit, Les petits enfants ont des têtes ne sais plus quand, je ne sais plus où, Maître Yvon soufflait dans son ! VOUS VOULEZ LA LUNEAh ! vous voulez la lune ? Où ? dans le fond du puits ? Non; dans le ciel. Eh bien, essayons. Je ne puis. Et c'est ainsi toujours. Chers petits, il vous passe Par l'esprit de vouloir la lune, et dans l'espace J'étends mes mains, tâchant de prendre au vol Phoebé. L'adorable hasard d'être aïeul est tombé Sur ma tête, et m'a fait une douce fêlure. Je sens en vous voyant que le sort put m'exclure Du bonheur, sans m'avoir tout à fait abattu. Mais causons. Voyez-vous, vois-tu, Georges, vois-tu, Jeanne ? Dieu nous connaît, et sait ce qu'ose faire Un aïeul, car il est lui-même un peu grand-père; Le bon Dieu, qui toujours contre nous se défend, Craint ceci le vieillard qui veut plaire à l'enfant; Il sait que c'est ma loi qui sort de votre bouche, Et que j'obéirais; il ne veut pas qu'on touche Aux étoiles, et c'est pour en être bien sûr Qu'il les accroche aux clous les plus hauts de l' ! COMME ILS SONT GOULUS-Oh! comme ils sont goulus! dit la mère parfois. Il faut leur donner tout, les cerises des bois, Les pommes du verger, les gâteaux de la table; S'ils entendent la voix des vaches dans l'étable Du lait! vite! et leurs cris sont comme une forêt De Bondy quand un sac de bonbons apparaît. Les voilà maintenant qui réclament la lune!Pourquoi pas ? Le néant des géants m'importune; Moi j'admire, ébloui, la grandeur des petits. Ah! l'âme des enfants a de forts appétits, Certes, et je suis pensif devant cette gourmande Qui voit un univers dans l'ombre, et le demande. La lune! Pourquoi pas? vous dis-je. Eh bien, après? Pardieu! si je l'avais, je la leur vrai, sans trop savoir ce qu'ils en pourraient faire, Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphère, Ton ciel, d'où Swedenborg n'est jamais revenu, Ton énigme, ton puits sans fond, ton inconnu! Oui, je leur donnerais, en disant Soyez sages! Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages, Tes cratères tordus par de noirs aquilons, Tes solitudes d'ombre et d'oubli, tes vallons, Peut-être heureux, peut-être affreux, édens ou bagnes, Lune, et la vision de tes pâles montagnes. Oui, je crois qu'après tout, des enfants à genoux Sauraient mieux se servir de la lune que nous; Ils y mettraient leurs voeux, leur espoir, leur prière; Ils laisseraient mener par cette aventurière Leurs petits coeurs pensifs vers le grand Dieu profond. La nuit, quand l'enfant dort, quand ses rêves s'en vont, Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nôtres. Je crois aux enfants comme on croyait aux apôtres; Et quand je vois ces chers petits êtres sans fiel Et sans peur, désirer quelque chose du ciel, Je le leur donnerais, si je l'avais. La sphère Que l'enfant veut, doit être à lui, s'il la préfère. D'ailleurs, n'avez-vous rien au delà de vos droits? Oh! je voudrais bien voir, par exemple, les rois S'étonner que des nains puissent avoir un monde! Oui, je vous donnerais, anges à tête blonde, Si je pouvais, à vous qui régnez par l'amour, Ces univers baignés d'un mystérieux jour, Conduits par des esprits que l'ombre a pour ministres, Et l'énorme rondeur des planètes sinistres. Pourquoi pas ? Je me fie à vous, car je vous vois, Et jamais vous n'avez fait de mal. Oui, parfois, En songeant à quel point c'est grand, l'âme innocente, Quand ma pensée au fond de l'infini s'absente, Je me dis, dans l'extase et dans l'effroi sacré, Que peut-être, là-haut, il est, dans l'Ignoré, Un dieu supérieur aux dieux que nous rêvâmes, Capable de donner des astres à des POÈME DU JARDIN DES PLANTESILe comte de Buffon fut bonhomme, il créa Ce jardin imité d'Évandre et de Rhéa Et plein d'ours plus savants que ceux de la Sorbonne, Afin que Jeanne y puisse aller avec sa bonne; Buffon avait prévu Jeanne, et je lui sais gré De s'être dit qu'un jour Paris un peu tigré, Complétant ses bourgeois par une variante, La bête, enchanterait cette âme souriante; Les enfants ont des yeux si profonds, que parfois Ils cherchent vaguement la vision des bois; Et Buffon paternel, c'est ainsi qu'il rachète Sa phrase sur laquelle a traîné sa manchette, Pour les marmots, de qui les anges sont jaloux, A fait ce paradis suave, orné de ce Buffon. Les enfants, purs visages, Regardent l'invisible, et songent, et les sages Tâchent toujours de plaire à quelqu'un de dans ce jardin montre de la ferveur; C'est un éden où juin rayonne, où les fleurs luisent, Où l'ours bougonne, et Jeanne et Georges m'y conduisent. C'est du vaste univers un raccourci complet. Je vais dans ce jardin parce que cela plaît À Jeanne, et que je suis contre elle sans défense. J'y vais étudier deux gouffres, Dieu, l'enfance, Le tremblant nouveau-né, le créateur flagrant, L'infiniment charmant et l'infiniment grand, La même chose au fond; car c'est la même flamme Qui sort de l'astre immense et de la petite contemple, au milieu des arbres de Buffon, Le bison trop bourru, le babouin trop bouffon, Des bosses, des laideurs, des formes peu choisies, Et j'apprends à passer à Dieu ses fantaisies. Dieu, n'en déplaise au prêtre, au bonze, au caloyer, Est capable de tout, lui qui fait balayer Le bon goût, ce ruisseau, par Nisard, ce concierge, Livre au singe excessif la forêt, cette vierge, Et permet à Dupin de ressembler aux chiens. Pauvres chiens!-Selon l'Inde et les manichéens, Dieu doublé du démon expliquerait l'énigme; Le paradis ayant l'enfer pour borborygme, La Providence un peu servante d'Anankè, L'infini mal rempli par l'univers manqué, Le mal faisant toujours au bien quelque rature, Telle serait la loi de l'aveugle nature; De là les contresens de la création. Dieu, certe, a des écarts d'imagination; Il ne sait pas garder la mesure; il abuse De son esprit jusqu'à faire l'oie et la buse; Il ignore, auteur fauve et sans frein ni cordeau, Ce point juste où Laharpe arrête Colardeau; Il se croit tout permis. Malheur à qui l'imite! Il n'a pas de frontière, il n'a pas de limite; Et fait pousser l'ivraie au beau milieu du blé, Sous prétexte qu'il est l'immense et l'étoilé; Il a d'affreux vautours qui nous tombent des nues; Il nous impose un tas d'inventions cornues, Le bouc, l'auroch, l'isard et le colimaçon; Il blesse le bon sens, il choque la raison; Il nous raille; il nous fait avaler la couleuvre! Au moment où, contents, examinant son oeuvre, Rendant pleine justice à tant de qualités, Nous admirons l'oeil d'or des tigres tachetés, Le cygne, l'antilope à la prunelle bleue, La constellation qu'un paon a dans sa queue, D'une cage insensée il tire le verrou, Et voilà qu'il nous jette au nez le kangourou! Dieu défait et refait, ride, éborgne, essorille, Exagère le nègre, hélas, jusqu'au gorille, Fait des taupes et fait des lynx, se contredit, Mêle dans les halliers l'histrion au bandit, Le mandrille au jaguar, le perroquet à l'aigle, Lie à la parodie insolente et sans règle L'épopée, et les laisse errer toutes les deux Sous l'âpre clair-obscur des branchages hideux; Si bien qu'on ne sait plus s'il faut trembler ou rire, Et qu'on croit voir rôder, dans l'ombre que déchire Tantôt le rayon d'or, tantôt l'éclair d'acier, Un spectre qui parfois avorte en grimacier. Moi, je n'exige pas que Dieu toujours s'observe, Il faut bien tolérer quelques excès de verve Chez un si grand poète, et ne point se fâcher Si celui qui nuance une fleur de pêcher Et courbe l'arc-en-ciel sur l'Océan qu'il dompte, Après un colibri nous donne un mastodonte! C'est son humeur à lui d'être de mauvais goût, D'ajouter l'hydre au gouffre et le ver à l'égout, D'avoir en toute chose une stature étrange, Et d'être un Rabelais d'où sort un Michel-Ange. C'est Dieu; moi je l' quant aux nouveau-nés, De même. Les enfants ne nous sont pas donnés Pour avoir en naissant les façons du grand monde; Les petits en maillot, chez qui la sève abonde, Poussent l'impolitesse assez loin quelquefois; J'en conviens. Et parmi les cris, les pas, les voix, Les ours et leurs cornacs, les marmots et leurs mères, Dans ces réalités semblables aux chimères, Ébahi par le monstre et le mioche, assourdi Comme par la rumeur d'une ruche à midi, Sentant qu'à force d'être aïeul on est apôtre, Questionné par l'un, escaladé par l'autre, Pardonnant aux bambins le bruit, la fiente aux nids, Et le rugissement aux bêtes, je finis Par ne plus être, au fond du grand jardin sonore, Qu'un bonhomme attendri par l'enfance et l'aurore, Aimant ce double feu, s'y plaisant, s'y chauffant, Et pas moins indulgent pour Dieu que pour l' bêtes, cela parle; et Dupont de Nemours Les comprend, chants et cris, gaîté, colère, amours. C'est dans Perrault un fait, dans Homère un prodige; Phèdre prend leur parole au vol et la rédige; La Fontaine, dans l'herbe épaisse et le genêt Rôdait, guettant, rêvant, et les espionnait; Ésope, ce songeur bossu comme le Pinde, Les entendait en Grèce, et Pilpaï dans l'Inde; Les clairs étangs le soir offraient leurs noirs jargons A monsieur Florian, officier de dragons; Et l'âpre Ézéchiel, l'affreux prophète chauve, Homme fauve, écoutait parler la bête fauve. Les animaux naïfs dialoguent entr'eux. Et toujours, que ce soit le hibou ténébreux, L'ours qu'on entend gronder, l'âne qu'on entend braire, Ou l'oie apostrophant le dindon, son grand frère, Ou la guêpe insultant l'abeille sur l'Hybla, Leur bêtise à l'esprit de l'homme QUE DIT LE PUBLICCINQ ANS Les lions, c'est des ANSC'est très méchant, les ANS ANS Les petits oiseaux ce sont des malhonnêtes; Ils sont des ANS ANS, regardant les serpents. Les serpents...CINQ ANS, les examinant. C'est en ANS Prends garde au singe; il va te prendre ton ANS, regardant le tigre. Encore un loup !SIX ANS Viens voir l'ours avant qu'on le ANS, regardant l'ours. Joli !SIX ANS Ça ANS, regardant l'éléphant. Il a des cornes dans la ANS Moi, j'aime l'éléphant, c'est ANS, survenant et les arrachant à la contemplation de l'éléphant. Allons! venez! Vous voyez bien qu'il va vous battre avec son GEORGESMon doux Georges, viens voir une ménagerie Quelconque, chez Buffon, au cirque, n'importe où; Sans sortir de Lutèce allons en Assyrie, Et sans quitter Paris partons pour voir les léopards de Tyr, les gypaètes, L'ours grondant, le boa formidable sans bruit, Le zèbre, le chacal, l'once, et ces deux poètes, L'aigle ivre de soleil, le vautour plein de contempler le lynx sagace, l'amphisbène À qui Job comparait son faux ami Sepher, Et l'obscur tigre noir, dont le masque d'ébène A deux trous flamboyants par où l'on voit l' de près l'oiseau fauve et le frisson des ailes, C'est charmant; nous aurons, sous de très sûrs abris, Le spectacle des loups, des jaguars, des gazelles, Et l'éblouissement divin des du bruit humain. Viens au jardin des plantes. Penchons-nous, à travers l'ombre où nous étouffons Sur les douleurs d'en bas, vaguement appelantes, Et sur les pas confus des inconnus c'est de l'ombre errant dans les ténèbres; On ne sait s'il écoute, on ne sait s'il entend; Il a des cris hagards, il a des yeux funèbres; Une affirmation sublime en sort qui régnons, combien de choses inutiles Nous disons, sans savoir le mal que nous faisons ! Quand la vérité vient, nous lui sommes hostiles, Et contre la raison nous avons des à la tribune et Frayssinous en chaire Sont fort inférieurs à la bête des bois; L'âme dans la forêt songe et se laisse faire; Je doute dans un temple, et sur un mont je par les voix de l'ombre obscurément se nomme; Nul Quirinal ne vaut le fauve Pélion; Il est bon, quand on vient d'entendre parler l'homme, D'aller entendre un peu rugir le grand DIEU, MAIS AVEC DES RESTRICTIONSQuel beau lieu ! Là le cèdre avec l'orme chuchote, L'âne est Iyrique et semble avoir vu Don Quichotte, Le tigre en cage a l'air d'un roi dans son palais, Les pachydermes sont effroyablement laids; Et puis c'est littéraire, on rêve à des idylles De Viennet en voyant bâiller les crocodiles. Là, pendant qu'au babouin la singesse se vend, Pendant que le baudet contemple le savant, Et que le vautour fait au hibou bon visage, Certes, c'est un emploi du temps digne d'un sage De s'en aller songer dans cette ombre, parmi Ces arbres pleins de nids, où tout semble endormi Et veille, où le refus consent, où l'amour lutte, Et d'écouter le vent, ce doux joueur de laissons faire, aimons, les cieux sont grands; Et devenons savants, et restons ignorants. Soyons sous l'infini des auditeurs honnêtes; Rien n'est muet ni sourd; voyons le plus de bêtes Que nous pouvons; tirons partie de leurs lec,ons. Parce qu'autour de nous tout rêve, nous pensons. L'ignorance est un peu semblable à la prière; L'homme est grand par devant et petit par derrière; C'est, d'Euclide à Newton, de Job à Réaumur, Un indiscret qui veut voir par-dessus le mur, Et la nature, au fond très moqueuse, paraphe Notre science avec le cou de la girafe. Tâchez de voir, c'est bien. Épiez. Notre esprit Pousse notre science à guetter; Dieu sourit, Vieux l'ai dit, Dieu prête à la critique. Il n'est pas sobre. Il est débordant, frénétique, Inconvenant; ici le nain, là le géant, Tout à la fois; énorme; il manque de néant. Il abuse du gouffre, il abuse du prisme. Tout, c'est trop. Son soleil va jusqu'au gongorisme; Lumière outrée. Oui, Dieu vraiment est inégal; Ici la Sibérie, et là le Sénégal; Et partout l'antithèse I il faut qu'on s'y résigne; S'il fait noir le corbeau, c'est qu'il fit blanc le cygne; Aujourd'hui Dieu nous gèle, hier il nous chauffait. Comme à l'académie on lui dirait son fait ! Que nous veut la comète ? À quoi sert le bolide ? Quand on est un pédant sérieux et solide, Plus on est ébloui, moins on est satisfait; La férule à Batteux, le sabre à Galifet Ne tolèrent pas Dieu sans quelque impatience; Dieu trouble l'ordre; il met sur les dents la science; À peine a-t-on fini qu'il faut recommencer; Il semble que l'on sent dans la main vous glisser On ne sait quel serpent tout écaillé d'aurore. Dès que vous avez dit assez! il dit encore !Ce démagogue donne au pauvre autant de fleurs Qu'au riche; il ne sait pas se borner; ses couleurs, Ses rayons, ses éclairs, c'est plus qu'on ne souhaite. Ah! tout cela fait mal aux yeux ! dit la chouette. Et la chouette, c'est la est sûr Que Dieu taille à son gré le monde en plein azur; Il mêle l'ironie à son tonnerre épique; Si l'on plane il foudroie et si l'on broute il pique. Je ne m'étonne pas que Planche eût l'air piqué. Le vent, voix sans raison, sorte de bruit manqué, Sans jamais s'expliquer et sans jamais conclure, Rabâche, et l'océan n'est pas exempt d'enflure. Quant à moi, je serais, j'en fais ici l'aveu, Curieux de savoir ce que diraient de Dieu, Du monde qu'il régit, du ciel qu'il exagère, De l'infini, sinistre et confuse étagère, De tout ce que ce Dieu prodigue, des amas D'étoiles de tout genre et de tous les formats, De sa facon d'emplir d'astres le télescope, Nonotte et Baculard dans le café JEANNEJe ne te cache pas que j'aime aussi les bêtes; Cela t'amuse. et moi cela m'instruit; je sens Que ce n'est pas pour rien qu'en oes farouches têtes Dieu met le clair-obscur des grands bois suis le curieux qui, né pour croire et plaindre, Sonde, en voyant l'aspic sous des roses rampant, Les sombres lois qui font que la femme doit craindre Le démon, quand la fleur n'a pas peur du que nous donnons des ordres à la terre, Rois copiant le singe et par lui copiés, Doutant s'il est notre oeuvre ou s'il est notre pére, Tout en bas, dans l'horreur fatale, sous nos pieds,On ne sait quel noir monde étonné nous regarde Et songe, et sous un joug, trop souvent odieux, Nous courbons l'humble monstre et la brute hagarde Qui, nous voyant démons, nous prennent pour des ! que d'étranges lois! quel tragique mélange ! Voit-on le dernier fait, sait-on le dernier mot, Quel spectre peut sortir de Vénus, et quel ange Peut naître dans le ventre affreux de Béhémoth ?Transfiguration ! mystère ! gouffre et cime! L'âme rejettera le corps, sombre haillon; La créature abjecte un jour sera sublime, L'être qu'on hait chenille on l'aime LES BAS ÂGES SONT ÉPARSTous les bas âges sont épars sous ces grands arbres. Certes, l'alignement des vases et des marbres, Ce parterre au cordeau, ce cèdre résigné, Ce chêne que monsieur Despréaux eut signé, Ces barreaux noirs croisés sur la fleur odorante, Font honneur à Buffon qui fut l'un des Quarante Et mêla, de façon à combler tous nos voeux, Le peigne de Lenôtre aux effrayants cheveux De Pan, dieu des halliers, des rochers et des plaines; Cela n'empêche pas les roses d'être pleines De parfums, de désirs, d'amour et de clarté; Cela n'empêche pas l'été d'être l'été; Cela n'ôte à la vie aucune confiance; Cela n'empêche pas l'aurore en conscience D'apparaitre au zénith qui semble s'élargir, Les enfants de jouer, les monstres de bon effroi joyeux emplit ces douces têtes. Écoutez-moi ces cris charmants. - Viens voir les bêtes! Ils courent. Quelle extase! On s'arrête devant Des cages où l'on voit des oiseaux bleus rêvant Comme s'ils attendaient le mois où l'on émigre. -Regarde ce gros gros chat c'est le tigre. Les grands font aux petits vénérer les guenons, Les pythons, les chacals, et nomment par leurs noms Les vieux ours qui, dit-on, poussent l'humeur maligne Jusqu'à manger parfois des soldats de la monstrueux! Les gueules, les regards De dragon, lueur fauve au fond des bois hagards, Les écailles, les dards, la griffe qui s'allonge, Une apparition d'abîme, l'affreux songe Réel que l'oeil troublé des prophètes amers Voit sous la transparence effroyable des mers Et qui se traîne épars dans l'horreur inouïe, L'énorme bâillement du gouffre qui s'ennuie, Les mâchoires de l'hydre ouvertes tristement, On ne sait quel chaos blême, obscur, inclément, Un essai d'exister, une ébauche de vie D'où sort le bégaiement furieux de l'envie. C'est cela l'animal; et c'est ce que l'enfant Regarde, admire et craint, vaguement triomphant; C'est de la nuit qu'il vient contempler, lui l'aurore. Ce noir fourmillement mugit, hurle, dévore; On est un chérubin rose, frêle et tremblant; On va voir celui-ci que l'hiver fait tout blanc, Cet autre dont l'oeil jette un éclair du tropique; Tout cela gronde, hait, menace, siffle, pique, Mord; mais par sa nourrice on se sent protéger; Comme c'est amusant d'avoir peur sans danger! Ce que l'homme contemple, il croit qu'il le découvre. Voir un roi dans son antre, un tigre dans son Louvre, Cela plaît à l' est joliment laid! Viens voir!-Étrange instinct! Grâce à qui l'horreur plaît! On vient chercher surtout ceux qu'il faut qu'on évite. -Par ici !-Non, par là !-Tiens, regarde !-Viens vite! -Jette-leur ton toujours. -Moi, j'aime bien les j'aime mieux les ours. Et les fronts sont riants, et le soleil les dore, Et ceux qui, nés d'hier, ne parlent pas encore Pendant ces brouhahas sous les branchages verts, Sont là, mystérieux, les yeux tout grands ouverts, Et aux plis infranchissables, gouffre d'horizons sinistres, mer des sables, Sahara, Dahomey, lac Nagain, Darfour, Toi, l'Amérique, et toi, l'Inde, âpre carrefour Où Zoroastre fait la rencontre d'Homère, Paysages de lune où rôde la chimère, Où l'orang-outang marche un bâton à la main, Où la nature est folle et n'a plus rien d'humain, Jungles par les sommeils de la fièvre rêvées, Plaines où brusquement on voit des arrivées De fleuves tout à coup grossis et déchaînés, Où l'on entend rugir les lions étonnés Que l'eau montante enferme en des îles subites, Déserts dont les gavials sont les noirs cénobites, Où le boa, sans souffle et sans tressaillement, Semble un tronc d'arbre à terre et dort affreusement, Terre des baobabs, des bambous, des lianes, Songez que nous avons des Georges et des Jeannes, Créez des monstres; lacs, forêts, avec vos monts Vos noirceurs et vos bruits, composez des mammons; Abîmes, condensez en eux toutes vos gloires, Donnez-leur vos rochers pour dents et pour mâchoires, Pour voix votre ouragan, pour regard votre horreur; Donnez-leur des aspects de pape et d'empereur, Et faites, par-dessus les halliers, leur étable Et leur palais, bondir leur joie épouvantable. Certes, le casoar est un bon sénateur, L'oie a l'air d'un évêque et plaît par sa hauteur, Dieu quand il fit le singe a rêvé Scaramouche, Le colibri m'enchante et j'aime l'oiseau-mouche; Mais ce que de ta verve, ô nature, j'attends Ce sont les Béhémoths et les Léviathans. Le nouveau-né qui sort de l'ombre et du mystère Ne serait pas content de ne rien voir sur terre; Un immense besoin d'étonnement, voilà Toute l'enfance, et c'est en songeant à cela Que j'applaudis, nature, aux géants que tu formes; L'oeil bleu des innocents veut des bêtes énormes; Travaillez, dieux affreux! Soyez illimités Et féconds, nous tenons à vos difformités Autant qu'à vos parfums, autant qu'à vos dictames, déserts, attendu que les hippopotames, Que les rhinocéros et que les éléphants Sont évidemment faits pour les petits UNE ÉMOTION ÉTRANGEC'est une émotion étrange pour mon âme De voir l'enfant, encor dans les bras de la femme, Fleur ignorant l'hiver, ange ignorant Satan, Secouant un hochet devant Léviathan, Approcher doucement la nature terrible. Les beaux séraphins bleus qui passent dans la bible, Envolés d'on ne sait quel ciel mystérieux, N'ont pas une plus pure aurore dans les yeux Et n'ont pas sur le front une plus sainte flamme Que l'enfant innocent riant au monstre infâme. Ciel noir! Quel vaste cri que le rugissement! Quand la bête, âme aveugle et visage écumant, Lance au loin, n'importe où, dans l'étendue hostile Sa voix lugubre, ainsi qu'un sombre projectile, C'est tout le gouffre affreux des forces sans clarté Qui hurle; c'est l'obscène et sauvage Astarté, C'est la nature abjecte et maudite qui gronde; C'est Némée, et Stymphale, et l'Afrique profonde C'est le féroce Atlas, c'est l'Athos plus hanté Par les foudres qu'un lac par les mouches d'été; C'est Lerne, Pélion, Ossa, c'est Érymanthe, C'est Calydon funeste et noir, qui se lamente.*L'enfant regarde l'ombre où sont les lions roux. La bête grince; à qui s'adresse ce courroux ? L'enfant jase; sait-on qui les enfants appellent ? Les deux voix, la tragique et la douce se mêlent L'enfant est l'espérance et la bête est la faim; Et tous deux sont l'attente; il gazouille sans fin Et chante, et l'animal écume sans relâche; Ils ont chacun en eux un mystère qui tâche De dire ce qu'il sait et d'avoir ce qu'il veut Leur langue est prise et cherche à dénouer le noeud. Se parlent-ils ? Chacun fait son essai, l'un triste L'autre charmant; l'enfant joyeusement existe; Quoique devant lui l'Être effrayant soit debout Il a sa mère, il a sa nourrice, il a tout; Il rit.*De quelle nuit sortent ces deux ébauches ? L'une sort de l'azur; l'autre de ces débauches, De ces accouplements du nain et du géant, De ce hideux baiser de l'abîme au néant Qu'un nomme le cette cave immonde, Dont le soupirail blême apparaît sous le monde, Le chaos, ces chocs noirs, ces danses d'ouragans, Les éléments gâtés et devenus brigands Et changés en fléaux dans le cloaque immense, Le rut universel épousant la démence, La fécondation de Tout produisant Rien, Cet engloutissement du vrai, du beau, du bien, Qu'Orphée appelle Hadès, qu'Homère appelle Érèbe, Et qui rend fixe l'oeil fatal des sphinx de Thèbe, C'est cela, c'est la folle et mauvaise action Qu'en faisant le chaos fit la création, C'est l'attaque de l'ombre au soleil vénérable, C'est la convulsion du gouffre misérable Essayant d'opposer l'informe à l'idéal, C'est Tisiphone offrant son ventre à Bélial, C'est cet ensemble obscur de forces échappées Où les éclairs font rage et tirent leurs épées, Où périrent Janus, l'âge d'or et Rhéa, Qui, si nous en croyons les mages, procréa L'animal; et la bête affreuse fut rugie Et vomie au milieu des nuits par cette de là que nous vient le monstre lui, pur songeur rassurant et content, Est l'autre énigme; il sort de l'obscurité bleue. Tous les petits oiseaux, mésange, hochequeue, Fauvette, passereau, bavards aux fraîches voix, Sont ses frères, tandis que ces marmots des bois Sentent pousser leur aile, il sent croître son âme Des azurs embaumés de myrrhe et de cinname, Des entre-croisements de fleurs et de rayons, Ces éblouissements sacrés que nous voyons Dans nos profonds sommeils quand nous sommes des justes, Un pêle-mêle obscur de branchages augustes Dont les anges au vol divin sont les oiseaux, Une lueur pareille au clair reflet des eaux Quand, le soir, dans l'étang les arbres se renversent, Des lys vivants, un ciel qui rit, des chants qui bercent, Voilà ce que l'enfant, rose, a derrière lui. Il s'éveille ici-bas, vaguement ébloui; Il vient de voir l'éden et Dieu; rien ne l'effraie, Il ne croit pas au mal; ni le loup, ni l'orfraie, Ni le tigre, démon taché, ni ce trompeur, Le renard, ne le font trembler; il n'a pas peur, Il chante; et quoi de plus touchant pour la pensée Que cette confiance au paradis, poussée Jusqu'à venir tout près sourire au sombre enfer! Quel ange que l'enfant! Tout, le mal, sombre mer, Les hydres qu'en leurs flots roulent les vils avernes, Les griffes, ces forêts, les gueules, ces cavernes, Les cris, les hurlements, les râles, les abois, Les rauques visions, la fauve horreur des bois, Tout, Satan, et sa morne et féroce puissance, S'évanouit au fond du bleu de l'innocence! C'est beau. Voir Caliban et rester Ariel! Avoir dans son humble âme un si merveilleux ciel Que l'apparition indignée et sauvage Des êtres de la nuit n'y fasse aucun ravage, Et se sentir si plein de lumière et si doux Que leur souffle n'éteigne aucune étoile en vous!*Et je rêve. Et je crois entendre un dialogue Entre la tragédie effroyable et l'églogue; D'un côté l'épouvante, et de l'autre l'amour; Dans l'une ni dans l'autre il ne fait encor jour; L'enfant semble vouloir expliquer quelque chose; La bête gronde, et, monstre incliné sur la rose, Écoute...-Et qui pourrait comprendre, ô firmament, Ce que le bégaiement dit au rugissement ?Quel que soit le secret, tout se dresse et médite, La fleur bénie ainsi que l'épine maudite; Tout devient attentif; tout tressaille; un frisson Agite l'air, le flot, la branche, le buisson, Et dans les clairs-obscurs et dans les crépuscules, Dans cette ombre où jadis combattaient les Hercules, Où les Bellérophons s'envolaient, où planait L'immense Amos criant Un nouveau monde naît! On sent on ne sait quelle émotion sacrée, Et c'est, pour la nature où l'éternel Dieu crée, C'est pour tout le mystère un attendrissement Comme si l'on voyait l'aube au rayon calmant S'ébaucher par-dessus d'informes promontoires, Quand l'âme blanche vient parler aux âmes FACE DE LA BÊTE EST TERRIBLELa face de la bête est terrible; on y sent L'Ignoré, l'éternel problème éblouissant Et ténébreux, que l'homme appelle la Nature; On a devant soi l'ombre informe, l'aventure Et le joug, l'esclavage et la rébellion, Quand on voit le visage effrayant du lion; Le monstre orageux, rauque, effréné, n'est pas libre, stupeur! et quel est cet étrange équilibre Composé de splendeur et d'horreur, l'univers, Où règne un Jéhovah dont Satan est l'envers; Où les astres, essaim lumineux et livide, Semblent pris dans un bagne, et fuyant dans le vide, Et jetés au hasard comme on jette les dés, Et toujours à la chaîne et toujours évadés ? Quelle est cette merveille effroyable et divine Où, dans l'éden qu'on voit, c'est l'enfer qu'on devine, Où s'éclipse, ô terreur, espoirs évanouis, L'infini des soleils sous l'infini des nuits, Où, dans la brute, Dieu disparaît et s'efface ? Quand ils ont devant eux le monstre face à face, Les mages, les songeurs vertigineux des bois, Les prophètes blêmis à qui parlent des voix, Sentent on ne sait quoi d'énorme dans la bête; Pour eux l'amer rictus de cette obscure tête, C'est l'abîme, inquiet d'être trop regardé, C'est l'éternel secret qui veut être gardé Et qui ne laisse pas entrer dans ses mystères La curiosité des pâles solitaires; Et ces hommes, à qui l'ombre fait des aveux, Sentent qu'ici le sphinx s'irrite, et leurs cheveux Se dressent, et leur sang dans leurs veines se fige Devant le froncement de sourcil du SORTES D'ENFANTSToutes sortes d'enfants, blonds, lumineux, vermeils, Dont le bleu paradis visite les sommeils Quand leurs yeux sont fermés la nuit dans les alcôves, Sont là, groupés devant la cage aux bêtes fauves; Ils ont sous les yeux l'élément, Le gouffre, le serpent tordu comme un tourment, L'affreux dragon, l'onagre inepte, la panthère, Le chacal abhorré des spectres, qu'il déterre, Le gorille, fantôme et tigre, et ces bandits, Les loups, et les grands lynx qui tutoyaient jadis Les prophètes sacrés accoudés sur des bibles; Et, pendant que ce tas de prisonniers terribles Gronde, l'un vil forçat, l'autre arrogant proscrit, Que fait le groupe rose et charmant ? Il est là qui gronde et les enfants admirent. Les voix épouvantables crient Tandis que cet essaim de fronts pleins de rayons, Presque ailé, nous émeut comme si nous voyions L'aube s'épanouir dans une géorgique, Tandis que ces enfants chantent, un bruit tragique Va, chargé de colère et de rébellions Du cachot des vautours au bagne des le sourire frais des enfants cette douceur suprême, humble, ingénue, Obstinée, on s'étonne, et l'esprit stupéfait Songe, comme aux vieux temps d'Orphée et de Japhet, Et l'on se sent glisser dans la spirale obscure Du vertige, où tombaient Job, Thalès, Épicure, Où l'on cherche à tâtons quelqu'un, ténébreux puits Où l'âme dit Réponds! où Dieu dit Je ne puis !Oh! si la conjecture antique était fondée, Si le rêve inquiet des mages de Chaldée, L'hypothèse qu'Hermès et Pythagore font, Si ce songe farouche était le vrai profond; La bête parmi nous, si c'était là Tantale! Si la réalité redoutable et fatale C'était ceci les loups, les boas, les mammons Masques sombres, cachant d'invisibles démons! Oh! ces êtres affreux dont l'ombre est le repaire, Ces crânes aplatis de tigre et de vipère, Ces vils fronts écrasés par le talon divin, L'ours, rêveur noir, le singe, effroyable sylvain, Ces rictus convulsifs, ces faces insensées, Ces stupides instincts menaçant nos pensées, Ceux-ci pleins de l'horreur nocturne des forêts, Ceux-là, fuyants aspects, flottants, confus, secrets, Sur qui la mer répand ses moires et ses nacres, Ces larves, ces passants des bois, ces simulacres, Ces vivants dans la tombe animale engloutis, Ces fantômes ayant pour loi les appétits, Ciel bleu! s'il était vrai que c'est là ce qu'on nomme Les damnés, expiant d'anciens crimes chez l'homme, Qui, sortis d'une vie antérieure, ayant Dans les yeux la terreur d'un passé foudroyant, Viennent, balbutiant d'épouvante et de haine, Dire au milieu de nous les mots de la géhenne, Et qui tâchent en vain d'exprimer leur tourment A notre verbe avec le sourd rugissement; Tas de forçats qui grince et gronde, aboie et beugle; Muets hurlants qu'éclaire un flamboiement aveugle; Oh! s'ils étaient là. nus sous le destin de fer, Méditant vaguement sur l'éternel enfer; Si ces mornes vaincus de la nature immense Se croyaient à jamais bannis de la clémence; S'ils voyaient les soleils s'éteindre par degrés, Et s'ils n'étaient plus rien que des désespérés; Oh! dans l'accablement sans fond, quand tout se brise, Quand tout s'en va, refuse et fuit, quelle surprise, Pour ces êtres méchants et tremblants à la fois, D'entendre tout à coup venir ces jeunes voix! Quelqu'un est là! Qui donc? On parle! ô noir problème! Une blancheur paraît sur la muraille blême Où chancelle l'obscure et morne vision. Le léviathan voit accourir l'alcyon! Quoi ! le déluge voit arriver la colombe! La clarté des berceaux filtre à travers la tombe Et pénètre d'un jour clément les condamnés! Les spectres ne sont point haïs des nouveau-nés! Quoi! l'araignée immense ouvre ses sombres toiles! Quel rayon qu'un regard d'enfant, saintes étoiles! Mais puisqu'on peut entrer, on peut donc s'en aller! Tout n'est donc pas fini ! L'azur vient nous parler! Le ciel est plus céleste en ces douces prunelles! C'est quand Dieu, pour venir des voûtes éternelles Jusqu'à la terre, triste et funeste milieu, Passe à travers l'enfant qu'il est tout à fait Dieu! Quoi ! le plafond difforme aurait une fenêtre! On verrait l'impossible espérance renaître ! Quoi! l'on pourrait ne plus mordre, ne plus grincer! Nous représentons-nous ce qui peut se passer Dans les craintifs cerveaux des bêtes formidables ? De la lumière au bas des gouffres insondables! Une intervention de visages divins! La torsion du mal dans les brûlants ravins De l'enfer misérable est soudain apaisée Par d'innocents regards purs comme la rosée! Quoi! l'on voit des yeux luire et l'on entend des pas! Est-ce que nous savons s'ils ne se mettent pas, Ces monstres, à songer, sitôt la nuit venue, S'appelant, stupéfaits de cette aube inconnue Qui se lève sur l'âpre et sévère horizon ? Du pardon vénérable ils ont le saint frisson; Il leur semble sentir que les chaînes les quittent; Les échevèlements des crinières méditent; L'enfer, cette ruine, est moins trouble et moins noir; Et l'oeil presque attendri de ces captifs croit voir Dans un pur demi-jour qu'un ciel lointain azure Grandir l'ombre d'un temple au seuil de la masure. Quoi! l'enfer finirait! l'ombre entendrait raison! clémence! ô lueur dans l'énorme prison! On ne sait quelle attente émeut ces coeurs promesse au fond du sourire des anges !JEANNE ENDORMIEElle dort; ses beaux yeux se rouvriront demain; Et mon doigt qu'elle tient dans l'ombre emplit sa main; Moi, je lis, ayant soin que rien ne la réveille, Des journaux pieux; tous m'insultent; l'un conseille De mettre à Charenton quiconque lit mes vers; L'autre voue au bûcher mes ouvrages pervers; L'autre, dont une larme humecte les paupières, Invite les passants à me jeter des pierres; Mes écrits sont un tas lugubre et vénéneux Où tous les noirs dragons du mal tordent leurs noeuds; L'autre croit à l'enfer et m'en déclare apôtre; L'un m'appelle Antechrist, l'autre Satan, et l'autre Craindrait de me trouver le soir au coin d'un bois; L'un me tend la ciguë et l'autre me dit Bois! J'ai démoli le Louvre et tué les otages; Je fais rêver au peuple on ne sait quels partages; Paris en flamme envoie à mon front sa rougeur; Je suis incendiaire, assassin, égorgeur, Avare, et j'eusse été moins sombre et moins sinistre Si l'empereur m'avait voulu faire ministre; Je suis l'empoisonneur public, le meurtrier; Ainsi viennent en foule autour de moi crier Toutes ces voix jetant l'affront, sans fin, sans trêve; Cependant l'enfant dort, et, comme si son rêve Me disait-Sois tranquille, ô père, et sois clément!- Je sens sa main presser la mienne AGE ET BAS AGE MÊLÉSIMon âme est faite ainsi que jamais ni l'idée, Ni l'homme, quels qu'ils soient, ne l'ont intimidée; Toujours mon coeur, qui n'a ni bible ni koran, Dédaigna le sophiste et brava le tyran; Je suis sans épouvante étant sans convoitise; La peur ne m'éteint pas et l'honneur seul m'attise; J'ai l'ankylose altière et lourde du rocher; Il est fort malaisé de me faire marcher Par désir en avant ou par crainte en arrière; Je résiste à la force et cède à la prière, Mais les biens d'ici-bas font sur moi peu d'effet; Et je déclare, amis, que je suis satisfait, Que mon ambition suprême est assouvie, Que je me reconnais payé dans cette vie, Et que les dieux cléments ont comblé tous mes veux. Tant que sur cette terre, où vraiment je ne veux Ni socle olympien, ni colonne trajane, On ne m'ôtera pas le sourire de SUR LE BERCEAUJe veille. Ne crains rien. J'attends que tu t'endormes. Les anges sur ton front viendront poser leurs bouches. Je ne veux pas sur toi d'un rêve ayant des formes Farouches;Je veux qu'en te voyant là, ta main dans la mienne, Le vent change son bruit d'orage en bruit de lyre. Et que sur ton sommeil la sinistre nuit vienne poète est penché sur les berceaux qui tremblent; Il leur parle, il leur dit tout bas de tendres choses, Il est leur amoureux, et ses chansons ressemblent Aux est plus pur qu'avril embaumant la pelouse Et que mai dont l'oiseau vient piller la corbeille; Sa voix est un frisson d'âme, à rendre jalouse L'abeille;Il adore ces nids de soie et de dentelles; Son coeur a des gaîtés dans la fraîche demeure Qui font rire aux éclats avec des douceurs telles Qu'on pleure;Il est le bon semeur des fraîches allégresses; Il rit. Mais si les rois et leurs valets sans nombre Viennent, s'il voit briller des prunelles tigresses Dans l'ombre,S'il voit du Vatican, de Berlin ou de Vienne Sortir un guet-apens, une horde, une bible, Il se dresse, il n'en faut pas plus pour qu'il devienne voit ce basilic, Rome, ou cette araignée, Ignace, ou ce vautour, Bismarck, faire leur crime, Il gronde, il sent monter dans sa strophe indignée L' dit. Plus de chansons. L'avenir qu'il réclame, Les peuples et leur droit, les rois et leur bravade, Sont comme un tourbillon de tempête où cette âme S' accourt. Reviens, France, à ta fierté première! Délivrance! Et l'on voit cet homme qui se lève Ayant Dieu dans le coeur et dans l'oeil la lumière Du sa pensée, errante alors comme les proues Dans l'onde et les drapeaux dans les noires mêlées, Est un immense char d'aurore avec des roues CICATRICEUne croûte assez laide est sur la cicatrice. Jeanne l'arrache, et saigne, et c'est là son caprice; Elle arrive, montrant son doigt presque en lambeau. -J'ai, me dit-elle, ôté la peau de mon Je la gronde, elle pleure, et, la voyant en larmes, Je deviens la paix, je rends les armes, Jeanne, à condition que tu me Alors la douce enfant s'est jetée en mes bras, Et m'a dit, de son air indulgent et suprême -Je ne me ferai plus de mal, puisque je t' Et nous voilà contents, en ce tendre abandon, Elle de ma clémence et moi de son TAPEla petite main sort une grosse tape. -Grand-père, grondez-la! Quoi! c'est vous qu'elle frappe! Vous semblez avec plus d'amour la regarder! Grondez donc! - L'aïeul dit -Je ne puis plus gronder! Que voulez-vous ? Je n'ai gardé que le sourire. Quand on a vu Judas trahir, Néron proscrire, Satan vaincre, et régner les fourbes ténébreux, Et quand on a vidé son coeur profond sur eux; Quand on a dépensé la sinistre colère; Quand, devant les forfaits que l'église tolère, Que la chaire salue et que le prêtre admet, On a rugi, debout sur quelque âpre sommet; Quand sur l'invasion monstrueuse du parthe, Quand sur les noirs serments vomis par Bonaparte, Quand sur l'assassinat des lois et des vertus, Sur Paris sans Barbès, sur Rome sans Brutus, Sur le tyran qui flotte et sur l'état qui sombre, Triste, on a fait planer l'immense strophe sombre; Quand on a remué le plafond du cachot; Lorsqu'on a fait sortir tout le bruit de là-haut, Les imprécations, les éclairs, les huées De la caverne affreuse et sainte des nuées; Lorsqu'on a, dans des jours semblables à des nuits, Roulé toutes les voix du gouffre, les ennuis Et les cris, et les pleurs pour la France trahie, Et l'ombre, et Juvénal, augmenté d'Isaïe, Et des écroulements d'iambes furieux Ainsi que des rochers de haine dans les cieux; Quand on a châtié jusqu'aux morts dans leurs tombes; Lorsqu'on a puni l'aigle à cause des colombes, Et souffleté Nemrod, César, Napoléon, Qu'on a questionné même le Panthéon, Et fait trembler parfois cette haute bâtisse; Quand on a fait sur terre et sous terre justice, Et qu'on a nettoyé de miasmes l'horizon, Dame! on rentre un peu las, c'est vrai, dans sa maison; On ne se fâche pas des mouches familières; Les légers coups de bec qui sortent des volières, Le doux rire moqueur des nids mélodieux, Tous ces petits démons et tous ces petits dieux Qu'on appelle marmots et bambins, vous enchantent; Même quand on les sent vous mordre, on croit qu'ils chantent. Le pardon, quel repos! Soyez Dante et Caton Pour les puissants, mais non pour les petits. Va-t-on Faire la grosse voix contre ce frais murmure ? Va-t-on pour les moineaux endosser son armure ? Bah ! contre de l'aurore est-ce qu'on se défend ? Le tonnerre chez lui doit être bon JEANNE, DONT JE SUIS DOUCEMENT INSENCÉMa Jeanne, dont je suis doucement insensé, Étant femme, se sent reine; tout l'A B C Des femmes, c'est d'avoir des bras blancs, d'être belles, De courber d'un regard les fronts les plus rebelles, De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons, Un sourire, éblouir les coeurs les plus profonds, D'être, à côté de l'homme ingrat, triste et morose, Douces plus que l'azur, roses plus que la rose; Jeanne le sait; elle a trois ans, c'est l'âge mûr; Rien ne lui manque; elle est la fleur de mon vieux mur, Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse; Ma strophe, qui près d'elle a l'air d'une pauvresse, L'implore, et reçoit d'elle un rayon; et l'enfant Sait déjà se parer d'un chapeau triomphant, De beaux souliers vermeils, d'une robe étonnante; Elle a des mouvements de mouche frissonnante; Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts, Et sa fraîche toilette, et son âme au travers; Elle est de droit céleste et par devoir jolie; Et son commencement de règne est ma ÉTAIT AU PAIN SECJeanne était au pain sec dans le cabinet noir, Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir, J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture, Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité, Repose le salut de la société S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce -Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce; Je ne me ferai plus griffer par le minet. Mais on s'est recrié-Cette enfant vous connaît; Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche. Elle vous voit toujours rire quand on se fâche. Pas de gouvernement possible. A chaque instant L'ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend; Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête. Vous démolissez j'ai baissé la tête, Et j'ai dit-Je n'ai rien à répondre à cela, J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte. Qu'on me mette au pain le méritez, certe, On vous y alors, dans son coin noir, M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir, Pleins de l'autorité des douces créatures -Eh bien' moi, je t'irai porter des POUR FAIRE DANSER EN ROND LES PETITS ENFANTSGrand bal sous le tamarin. On danse et l'on tambourine. Tout bas parlent, sans chagrin, Mathurin à Mathurine, Mathurine à le soir, quel joyeux train ! Chantons à pleine poitrine Au bal plutôt qu'au lutrin. Mathurin a Mathurine, Mathurine a comme au burin, L'arbre, au bord de l'eau marine, Est noir sur le ciel serein. Mathurin a Mathurine, Mathurine a le bois rôde Isengrin. Le magister endoctrine Un moineau pillant le grain. Mathurin a Mathurine, Mathurine a l'herbe brin à brin, Le lièvre a dans la narine L'appétit du romarin, Mathurin a Mathurine, Mathurine a l'ormeau le pèlerin Demande à la pèlerine Un baiser pour un quatrain. Mathurin a Mathurine, Mathurine a un pli de terrain, Nous entendons la clarine Du cheval d'un voiturin. Mathurin a Mathurine, Mathurine a POT CASSÉciel! toute la Chine est par terre en morceaux! Ce vase pâle et doux comme un reflet des eaux, Couverts d'oiseaux, de fleurs, de fruits, et des mensonges De ce vague idéal qui sort du bleu des songes, De ce vase unique, étrange, impossible, engourdi, Gardant sur lui le clair de lune en plein midi, Qui paraissait vivant, où luisait une flamme, Qui semblait presque un monstre et semblait presque une âme, Mariette, en faisant la chambre, l'a poussé Du coude par mégarde, et le voilà brisé ! Beau vase! Sa rondeur était de rêves pleine, Des boeufs d'or y broutaient des prés de porcelaine. Je l'aimais, je l'avais acheté sur les quais, Et parfois aux marmots pensifs je l'expliquais. Voici l'Yak; voici le singe quadrumane; Ceci c'est un docteur peut-être, ou bien un âne; Il dit la messe, à moins qu'il ne dise hi-han; Ça c'est un mandarin qu'on nomme aussi kohan; Il faut qu'il soit savant, puisqu'il a ce gros ventre. Attention, ceci, c'est le tigre en son antre, Le hibou dans son trou, le roi dans son palais, Le diable en son enfer; voyez comme ils sont laids ! Les monstres, c'est charmant, et les enfants le sentent. Des merveilles qui sont des bêtes les enchantent. Donc, je tenais beaucoup à ce vase. Il est mort. J'arrivai furieux, terrible, et tout d'abord -Qui donc a fait cela ? criai-je. Sombre entrée! Jeanne alors, remarquant Mariette effarée, Et voyant ma colère et voyant son effroi, M'a regardé d'un air d'ange, et m'a dit-C'est JEANNE À MARIETTE A DITEt Jeanne à Mariette a dit-Je savais bien Qu'en répondant c'est moi, papa ne dirait rien. Je n'ai pas peur de lui puisqu'il est mon grand-père. Vois-tu, papa n'a pas le temps d'être en colère, Il n'est jamais beaucoup fâché, parce qu'il faut Qu'il regarde les fleurs, et quand il fait bien chaud Il nous dit N'allez pas au grand soleil nu-tête, Et ne vous laissez pas piquer par une bête, Courez, ne tirez pas le chien par son collier, Prenez garde aux faux pas dans le grand escalier, Et ne vous cognez pas contre les coins des marbres. Jouez. Et puis après il s'en va dans les PARDONNERTout pardonner, c'est trop; tout donner, c'est beaucoup ! Eh bien, je donne tout et je pardonne tout Aux petits; et votre oeil sévère me contemple. Toute cette clémence est de mauvais exemple. Faire de l'amnistie en chambre est périlleux. Absoudre des forfaits commis par des yeux bleus Et par des doigts vermeils et purs, c'est effroyable. Si cela devenait contagieux, que diable! Il faut un peu songer à la société. La férocité sied à la paternité; Le sceptre doit avoir la trique pour compagne; L'idéal, c'est un Louvre appuyé sur un bagne; Le bien doit être fait par une main de fer. Quoi! si vous étiez Dieu, vous n'auriez pas d'enfer? Presque pas. Vous croyez que je serais bien aise De voir mes enfants cuire au fond d'une fournaise ? Eh bien ! non. Ma foi non! J'en fais mea-culpa; Plutôt que Sabaoth je serais Grand-papa. Plus de religion alors ? Comme vous dites. Plus de société ? Retour aux troglodytes, Aux sauvages, aux gens vêtus de peaux de loups ? Non, retour au vrai Dieu, distinct du Dieu jaloux, Retour à la sublime innocence première, Retour à la raison, retour à la lumière ! Alors, vous êtes fou, grand-père. J'y consens. Tenez, messieurs les forts et messieurs les puissants, Défiez-vous de moi, je manque de vengeance. Qui suis-je ? Le premier venu, plein d'indulgence, Préférant la jeune aube à l'hiver pluvieux, Homme ayant fait des lois, mais repentant et vieux, Qui blâme quelquefois, mais qui jamais ne damne, Autorité foulée aux petits pieds de Jeanne, Pas sûr de tout savoir, en doutant même un peu, Toujours tenté d'offrir aux gens sans feu ni lieu Un coin du toit, un coin du foyer, moins sévère Aux péchés qu'on honnit qu'aux forfaits qu'on révère, Capable d'avouer les êtres sans aveu. Ah ! ne m'élevez pas au grade de bon Dieu! Voyez-vous, je ferais toutes sortes de choses Bizarres; je rirais; j'aurais pitié des roses, Des femmes, des vaincus, des faibles, des tremblants; Mes rayons seraient doux comme des cheveux blancs; J'aurais un arrosoir assez vaste pour faire Naître des millions de fleurs dans toute sphère, Partout, et pour éteindre au loin le triste enfer Lorsque je donnerais un ordre, il serait clair; Je cacherais le cerf aux chiens flairant sa piste; Qu'un tyran pût jamais se nommer mon copiste, Je ne le voudrais pas; je dirais Joie à tous! Mes miracles seraient ceci-Les hommes Jamais de de déluge . -Un croyant dans le prêtre, un juste dans le juge. - Je serais bien coiffé de brouillard, étant Dieu, C'est convenable; mais je me fâcherais peu, Et je ne mettrais point de travers mon nuage Pour un petit enfant qui ne serait pas sage; Quand j'offrirais le ciel à vous, fils de Japhet, On verrait que je sais comment le ciel est fait; Je n'annoncerais point que les nocturnes toiles Laisseraient pêle-mêle un jour choir les étoiles, Parce que j'aurais peur, si je vous disais ça, De voir Newton pousser le coude à Spinosa; Je ferais à Veuillot le tour épouvantable D'inviter Jésus-Christ et Voltaire à ma table. Et de faire verser mon meilleur vin, hélas, Par l'ami de Lazare à l'ami de Calas; J'aurais dans mon éden, jardin à large porte, Un doux water-closet mystérieux, de sorte Qu'on puisse au paradis mettre le Syllabus; Je dirais aux rois Rois, vous êtes des abus, Disparaissez J'irais, clignant de la paupière, Rendre aux pauvres leurs sous sans le dire à Saint-Pierre, Et, sournois, je ferais des trous à son panier Sous l'énorme tas d'or qu'il nomme son denier; Je dirais à l'abbé Dupanloup Moins de zèle! Vous voulez à la Vierge ajouter la Pucelle, C'est cumuler, monsieur l'évêque; apaisez-vous. Un Jéhovah trouvant que le peuple à genoux Ne vaut pas l'homme droit et debout, tête haute, Ce serait moi. J'aurais un pardon pour la faute, Mais je dirais Tâchez de rester innocents. Et je demanderais aux prêtres, non l'encens, Mais la vertu. J'aurais de la raison. En somme, Si j'étais le bon Dieu, je serais un bon CONCEPTIONVierge sainte, conçue sans péché! Prière chrétienne.L'enfant partout. Ceci se passe aux Tuileries. Plusieurs Georges, plusieurs Jeannes, plusieurs Maries; Un qui tette un qui dort; dans l'arbre un rossignol; Un grand déjà rêveur qui voudrait voir Guignol; Une fille essayant ses dents dans une pomme; Toute la matinée adorable de l'homme; L'aube et polichinelle; on court, on jase, on rit; On parle à sa poupée, elle a beaucoup d'esprit; On mange des gâteaux et l'on saute à la corde. On me demande un sou pour un pauvre; j'accorde Un franc; merci, grand-père ! et l'on retourne au jeu, Et l'on grimpe, et l'on danse, et l'on chante. ciel bleu! C'est toi le cheval. Bien. Tu traînes la charrette, Moi je suis le cocher. A gauche; à droite; arrête. Jouons aux quatre coins. Non; à colin-maillard. Leur clarté sur son banc réchauffe le vieillard. Les bouches des petits sont de murmures pleines, Ils sont vermeils, ils ont plus de fraîches haleines Que n'en ont les rosiers de mai dans les ravins, Et l'aurore frissonne en leurs cheveux divins. Tout cela c'est cela c'est horrible! C'est le péché !Lisez nos missels, notre bible, L'abbé Pluche, saint Paul, par Trublet annoté, Veuillot, tout ce qui fait sur terre autorité. Une conception seule est immaculée; Tous les berceaux sont noirs, hors la crèche étoilée; Ce grand lit de l'abîme, hyménée, est taché. Où l'homme dit Amour! le ciel répond Péché! Tout est souillure, et qui le nie est un athée. Toute femme est la honte, une seule ce tas d'enfants est un tas de forfaits! Oiseau qui fais ton nid, c'est le mal que tu fais. Ainsi l'ombre sourit d'une façon maligne Sur la douce couvée. Ainsi le bon Dieu cligne Des yeux avec le diable et dit Prends-moi cela! Et c'est mon crime, ô ciel, l'innocent que voilà! Ainsi ce tourbillon de lumière et de joie, L'enfance, ainsi l'essaim d'âmes que nous envoie L'amour mystérieux qu'avril épanouit, Ces constellations d'anges dans notre nuit, Ainsi la bouche rose, ainsi la tête blonde, Ainsi cette prunelle aussi claire que l'onde, Ainsi ces petits pieds courant dans le gazon, Cette cohue aimable emplissant l'horizon Et dont le grand soleil qui rit semble être l'hôte, C'est le fourmillement monstrueux de la faute! Péché ! Péché ! Le mal est dans les nouveau-nés. Oh ! quel sinistre affront! Prêtres infortunés!Au milieu de la vaste aurore ils sont funèbres; Derrière eux vient la chute informe des ténèbres. Dans les plis de leur dogme ils ont la sombre nuit. Le couple a tort, le fruit est vil, le germe nuit. De l'enfant qui la souille une mère est suivie. Ils sont les justiciers de ce crime, la vie. Malheur! pas un hymen, non, pas même le leur, Pas même leur autel n'est pur. Malheur ! malheur! femmes, sur vos fronts ils mettent d'affreux doutes. Le couronnement d'une est l'outrage de toutes. Démence! ce sont eux les désobéissants. On ne sait quel crachat se mêle à leur encens. la profonde insulte! ils jettent l'anathème Sur l'oeil qui dit je vois! sur le coeur qui dit j'aime! Sur l'âme en fête et l'arbre en fleur et l'aube en feu, Et sur l'immense joie éternelle de Dieu Criant Je suis le père! et sans borne et sans voile Semant l'enfant sur terre et dans le ciel l'étoile!LES GRIFFONNAGES DE L'ÉCOLIERCharle a fait des dessins sur son livre de classe. Le thème est fatigant au point, qu'étant très lasse, La plume de l'enfant n'a pu se reposer Qu'en faisant ce travail énorme improviser Dans un livre, partout, en haut, en bas, des fresques, Comme on en voit aux murs des alhambras moresques, Des taches d'encre, ayant des aspects d'animaux, Qui dévorent la phrase et qui rongent les mots, Et, le texte mangé, viennent mordre les marges. Le nez du maître flotte au milieu de ces charges. Troublant le clair-obscur du vieux latin toscan, Dans la grande satire où Rome est au carcan, Sur César, sur Brutus. sur les hautes mémoires, Charle a tranquillement dispersé ses grimoires. Ce chevreau, le caprice, a grimpé sur les vers. Le livre, c'est l'endroit; l'écolier, c'est l'envers. Sa gaîté s'est mêlée, espiègle, aux stigmates Du vengeur qui voulait s'enfuir chez les Sarmates. Les barbouillages sont étranges, profonds, drus. Les monstres! Les voilà perchés, l'un sur Codrus, L'autre sur Néron. L'autre égratigne un dactyle. Un pâté fait son nid dans les branches du style. Un âne, qui ressemble à monsieur Nisard, brait, Et s'achève en hibou dans l'obscure forêt; L'encrier sur lui coule, et, la tête inondée De cette pluie, il tient dans sa patte un spondée. Partout la main du rêve a tracé le dessin; Et c'est ainsi qu'au gré de l'écolier, l'essaim Des griffonnages, horde hostile aux belles-lettres, S'est envolé parmi les sombres hexamètres. Jeu! songe ! on ne sait quoi d'enfantin, s'enlaçant Au poème, lui donne un ineffable accent, Commente le chef-d'oeuvre, et l'on sent l'harmonie D'une naïveté complétant un génie. C'est un géant ayant sur l'épaule un marmot. Charle invente une fleur qu'il fait sortir d'un mot, Ou lâche un farfadet ailé dans la broussaille Du rythme effarouché qui s'écarte et tressaille. Un rond couvre une page. Est-ce un dôme ? est-ce un oeuf ? Une belette en sort qui peut-être est un boeuf. Le gribouillage règne, et sur chaque vers pose Les végétations de la métamorphose. Charle a sur ce latin fait pousser un hallier. Grâce à lui, ce vieux texte est un lieu singulier Où le hasard, l'ennui, le lazzi, la rature Dressent au second plan leur vague architecture. Son encre a fait la nuit sur le livre étoilé. Et pourtant, par instants, ce noir réseau brouillé, A travers ses rameaux, ses porches, ses pilastres, Laisse passer l'idée et laisse voir les de cette façon que Charle a travaillé Au dur chef-d'oeuvre antique, et qu'au bronze rouillé Il a plaqué le lierre, et dérangé la masse Du masque énorme avec une folle grimace. Il s'est bien amusé. Quel bonheur d'écolier! Traiter un fier génie en monstre familier! Être avec ce lion comme avec un caniche ! Aux pédants, groupe triste et laid, faire une niche! Rendre agréable aux yeux, réjouissant, malin, Un livre estampillé par monsieur Delalain! Gai, bondir à pieds joints par-dessus un poème! Charle est très satisfait de son oeuvre, et lui-même -L'oiseau voit le miroir et ne voit pas la glu- Il s' guetteur survient, homme absolu. Dans son oeil terne luit le pensum insalubre, Sa lèvre aux coins baissés porte en son pli lugubre Le rudiment, la loi, le refus des congés, Et l'auguste fureur des textes outragés. L'enfance veut des fleurs; on lui donne la roche. Hélas ! c'est le censeur du collège. Il approche, Jette au livre un regard funeste, et dit, hautain -Fort bien. Vous copierez mille vers ce matin Pour manque de respect à vos livres d' Et ce geôlier s'en va, laissant là ce Latude. Or c'est précisément la récréation. Être à neuf ans Tantale, Encelade, Ixion ! Voir autrui jouer! Être un banni, qu'on excepte ! Tourner du châtiment la manivelle inepte! Soupirer sous l'ennui, devant les cieux ouverts, Et sous cette montagne affreuse, mille vers! Charles sanglote, et dit-Ne pas jouer aux barres! Copier du latin! Je suis chez les C'est midi; le moment où sur l'herbe on s'assied, L'heure sainte où l'on doit sauter à cloche-pied; L'air est chaud, les taillis sont verts, et la fauvette S'y débarbouille, ayant la source pour cuvette; La cigale est là-bas qui chante dans le blé. L'enfant a droit aux champs. Charles songe accablé Devant le livre, hélas, tout noirci par ses crimes. Il croit confusément ou r gronder les rimes D'un Boileau, qui s'entr'ouvre et bâille à ses côtés; Tous ces bouquins lui font l'effet d'être irrités. Aucun remords pourtant. Il a la tête haute. Ne sentant pas de honte, il ne voit pas de faute. -Suis-je donc en prison ? Suis-je donc le vassal De Noël, lâchement aggravé par Chapsal ? Qu'est-ce donc que j'ai fait?-Triste, il voit passer l'heure De la joie. Il est seul. Tout l'abandonne. Il pleure. Il regarde, éperdu, sa feuille de papier. Mille vers! Copier! Copier! Copier! Copier! pédant, c'est là ce que tu tires Du bois où l'on entend la flûte des satyres, Tyran dont le sourcil, sitôt qu'on te répond, Se fronce comme l'onde aux arches d'un vieux pont! L'enfance a dès longtemps inventé dans sa rage La charrue à trois socs pour ce dur labourage. -Allons! dit-il, trichons les pions déloyaux! Et, farouche, il saisit sa plume à trois tuyaux. Soudain du livre immense une ombre, une âme, un homme Sort, et dit-Nois, pour ton sequin, blanc ou jaune, Vil sou que tu crois précieux, Dieu t'offre une étoile des cieux Dans la main tendue à l' PROPOS DE LA LOI DITE LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENTPrêtres, vous complotez de nous sauver, à l'aide Des ténèbres, qui sont en effet le remède Contre l'astre et le jour; Vous faites l'homme libre au moyen d'une chaîne; Vous avez découvert cette vertu, la haine, Le crime étant l' êtes l'innombrable attaquant le sublime; L'esprit humain, colosse, a pour tête la cime Des hautes vérités; Fatalement ce front qui se dresse dans l'ombre Attire à sa clarté le fourmillement sombre Des dogmes vain le grand lion rugit, gronde, extermine; L'insecte vil s'acharne; et toujours la vermine Fit tout ce qu'elle put; Nous méprisons l'immonde essaim qui tourbillonne; Nous vous laissons bruire, et contre Babylone Insurger plus qu'on ne verrait sous l'assaut des cloportes Et l'effort des cirons tomber Thèbe aux cent portes Et Ninive aux cent tours, Pas plus qu'on ne verrait se dissiper le Pinde, Ou l'Olympe, ou l'immense Himalaya de l'Inde Sous un vol de vautour,On ne verra crouler sous vos battements d'ailes Voltaire et Diderot, ces fermes citadelles, Platon qu'Horace aimait, Et ce vieux Dante ouvert, au fond des cieux qu'il dore, Sur le noir passé, comme une porte d'aurore Sur un sombre rocher, ce granit, ce mont, la pyramide, Debout dans l'ouragan sur le sable numide, Hanté par les esprits, S'aperçoit-il qu'il est, lui l'âpre hiéroglyphe, Insulté par la fiente ou rayé par la griffe De la chauve-souris ?Non, l'avenir ne peut mourir de vos morsures. Les flèches du matin sont divines et sûres; Nous vaincrons, nous voyons! Erreurs, le vrai vous tue; ô nuit, le jour te vise; Et nous ne craignons pas que jamais l'aube épuise Son carquois de soyez dédaignés sous la voûte éternelle. L'idéal n'aura pas moins d'aube en sa prunelle Parce que vous vivrez. La réalité rit et pardonne au mensonge. Quant à moi, je serai satisfait, moi qui songe Devant les cieux sacrés,Tant que Jeanne sera mon guide sur la terre, Tant que Dieu permettra que j'aie, ô pur mystère! En mon âpre chemin, Ces deux bonheurs où tient tout l'idéal possible, Dans l'âme un astre immense, et dans ma main paisible Une petite ENFANTS PAUVRESPrenez garde à ce petit être; Il est bien grand, il contient Dieu. Les enfants sont, avant de naître, Des lumières dans le ciel nous les offre en sa largesse; Ils viennent; Dieu nous en fait don; Dans leur rire il met sa sagesse Et dans leur baiser son douce clarté nous effleure. Hélas, le bonheur est leur droit. S'ils ont faim, le paradis pleure. Et le ciel tremble, s'ils ont misère de l'innocence Accuse l'homme vicieux. L'homme tient l'ange en sa puissance. Oh! quel tonnerre au fond des cieux,Quand Dieu, cherchant ces êtres frêles Que dans l'ombre où nous sommeillons Il nous envoie avec des ailes, Les retrouve avec des haillons!AUX CHAMPSJe me penche attendri sur les bois et les eaux, Rêveur, grand-père aussi des fleurs et des oiseaux; J'empêche les enfants de maltraiter les roses; Je dis N'effarez point la plante et l'animal; Riez sans faire peur, jouez sans faire mal. Jeanne et Georges, fronts purs, prunelles éblouies, Rayonnent au milieu des fleurs épanouies; J'erre, sans le troubler, dans tout ce paradis; Je les entends chanter, je songe, et je me dis Qu'ils sont inattentifs, dans leurs charmants tapages, Au bruit sombre que font en se tournant les pages Du mystérieux livre où le sort est écrit, Et qu'ils sont loin du prêtre et près de L'IMMACULÉE CONCEPTIONAttendez. Je regarde une petite fille. Je ne la connais pas; mais cela chante et brille; C'est du rire, du ciel, du jour, de la beauté, Et je ne puis passer froidement à côté. Elle n'a pas trois ans. C'est l'aube qu'on rencontre. Peut-être elle devrait cacher ce qu'elle montre, Mais elle n'en sait rien, et d'ailleurs c'est charmant. Cela, certes, ressemble au divin firmament Plus que la face auguste et jaune d'un évêque. Le babil des marmots est ma bibliothèque; J'ouvre chacun des mots qu'ils disent, comme on prend Un livre, et j'y découvre un sens profond et grand, Sévère quelquefois. Donc j'écoute cet ange; Et ce gazouillement me rassure, me venge, M'aide à rire du mal qu'on veut me faire, éteint Ma colère, et vraiment m'empêche d'être atteint Par l'ombre du hideux sombrero de Basile. Cette enfant est un coeur, une fête, un asile, Et Dieu met dans son souffle et Dieu mêle à sa voix Toutes les fleurs des champs, tous les oiseaux des bois; Ma Jeanne, qui pourrait être sa soeur jumelle, Traînait, l'été dernier, un chariot comme elle, L'emplissait, le vidait, riait d'un rire fou, Courait. Tous les enfants ont le même joujou; Tous les hommes aussi. C'est bien, va, sois ravie, Et traîne ta charrette, en attendant la à Dieu! Toujours un enfant m'apaisa. Doux être ! voyez-moi les mains que ça vous a! Allons, remettez donc vos bas, mademoiselle. Elle est pieds nus, elle est barbouillée, elle est belle; Sa charrette est cassée, et, comme nous, ma foi, Elle se fait un char avec n'importe quoi. Tout est char de triomphe à l'enfant comme à l'homme. L'enfant aussi veut être un peu bête de somme Comme nous; il se fouette, il s'impose une loi; Il traîne son hochet comme nous notre roi; Seulement l'enfant brille où le peuple se vautre. Bon, voici maintenant qu'on en amène une autre; Une d'un an, sa soeur sans doute; un grand chapeau, Une petite tête, et des yeux! une peau ! Un sourire ! oh ! qu'elle est tremblante et délicate! Chef-d'oeuvre, montrez-moi votre petite patte. Elle allonge le pied et chante... c'est divin. Quand je songe, et Veuillot n'a pu le dire en vain, Qu'elles ont toutes deux la tache originelle! La Chute est leur vrai nom. Chacune porte en elle L'affreux venin d'Adam bon style Patouillet; Elles sont, sous le ciel qu'Eve jadis souillait, D'horribles péchés, faits d'une façon charmante; La beauté qui s'ajoute à la faute l'augmente; Leur grâce est un remords de plus pour le pécheur, Et leur mère apparaît, noire de leur blancheur; Ces enfants que l'aube aime et que la fleur encense, C'est la honte portant ce masque, l'innocence; Dans ces yeux purs, Trablet l'affirme en son sermon, Brille l'incognito sinistre du démon; C'est le mal, c'est l'enfer, cela sort des abîmes! Soit. Laissez-moi donner des gâteaux à ces ET MÈREVoir la Jeanne de Jeanne! oh ! ce serait mon rêve! Il est dans l'ombre sainte un ciel vierge où se lève Pour on ne sait quels yeux on ne sait quel soleil; Les âmes à venir sont là; l'azur vermeil Les berce, et Dieu les garde, en attendant la vie; Car, pour l'âme aux destins ignorés asservie, Il est deux horizons d'attente, sans combats, L'un avant, l'autre après le passage ici-bas; Le berceau cache l'un, la tombe cache l'autre. Je pense à cette sphère inconnue à la nôtre Où, comme un pâle essaim confusément joyeux, Des flots d'âmes en foule ouvrent leurs vagues yeux; Puis, je regarde Jeanne, ange que Dieu pénètre, Et les petits garçons jouant sous ma fenêtre, Toute cette gaîté de l'âge sans douleur, Tous ces amours dans l'oeuf, tous ces époux en fleur; Et je médite; et Jeanne entre, sort, court, appelle, Traîne son petit char, tient sa petite pelle, Fouille dans mes papiers, creuse dans le gazon, Saute et jase, et remplit de clarté la maison; Son rire est le rayon, ses pleurs sont la rosée. Et dans vingt ans d'ici je jette ma pensée, Et de ce qui sera je me fais le témoin, Comme on jette une pierre avec la fronde au aurore n'est pas faite pour rester âme de cette âme enfantine est l'aïeule, Et dans son jeune sort mon coeur pensif jour, un frais matin quelconque, éblouissant, Épousera cette aube encor pleine d'étoiles; Et quelque âme, à cette heure errante sous les voiles Où l'on sent l'avenir en Dieu se reposer, Profitera pour naître ici-bas d'un baiser Que se donneront l'une à l'autre ces aurores. tendre oiseau des bois qui dans ton nid pérores, Voix éparse au milieu des arbres palpitants Qui chantes la chanson sonore du printemps mésange, ô fauvette, ô tourterelle blanche, Sorte de rêve ailé fuyant de branche en branche, Doux murmure envolé dans les champs embaumés, Je t'écoute et je suis plein de songes. Aimez, Vous qui vivrez! Hymen ! chaste hymen! O nature! Jeanne aura devant elle alors son aventure, L'être en qui notre sort s'accroît et s'interrompt; Elle sera la mère au jeune et grave front; La gardienne d'une aube à qui la vie est due, Épouse responsable et nourrice éperdue, La tendre âme sévère, et ce sera son tour De se pencher, avec un inquiet amour, Sur le frêle berceau, céleste et diaphane; Ma Jeanne, ô rêve ! azur! contemplera sa Jeanne; Elle l'empêchera de pleurer, de crier, Et lui joindra les mains, et la fera prier, Et sentira sa vie à ce souffle mêlée. Elle redoutera pour elle une gelée, Le vent, tout, rien. O fleur fragile du pêcher! Et, quand le doux petit ange pourra marcher, Elle le mènera jouer aux Tuileries; Beaucoup d'enfants courront sous les branches fleuries, Mêlant l'avril de l'homme au grand avril de Dieu; D'autres femmes, gaîment, sous le même ciel bleu, Seront là comme Jeanne, heureuses, réjouies Par cette éclosion d'âmes épanouies; Et, sur cette jeunesse inclinant leur beau front, Toutes ces mères, soeurs devant Dieu, souriront Dans l'éblouissement de ces roses sans je ne serai plus qu'un oeil profond dans l' voulez-vous? L'enfant me tient en sa puissance; Je finis par ne plus aimer que l'innocence; Tous les hommes sont cuivre et plomb, l'enfance est or. J'adore Astyanax et je gourmande Hector. Es-tu sûr d'avoir fait ton devoir envers Troie ? Mon ciel est un azur, qui, par instants, foudroie. Bonté, fureur, c'est là mon flux et mon reflux, Et je ne suis borné d'aucun côté, pas plus Quand ma bouche sourit que lorsque ma voix gronde; Je me sens plein d'une âme étoilée et profonde; Mon coeur est sans frontière, et je n'ai pas d'endroit Où finisse l'amour des petits, et le droit Des faibles, et l'appui qu'on doit aux misérables; Si c'est un mal, il faut me mettre aux Incurables. Je ne vois pas qu'allant du ciel au genre humain, Un rayon de soleil s'arrête à mi-chemin; La modération du vrai m'est inconnue; Je veux le rire franc, je veux l'étoile nue. Je suis vieux, vous passez, et moi, triste ou content, J'ai la paternité du siècle sur l'instant. Trouvez-moi quelque chose, et quoi que ce puisse être D'extrême, appartenant à mon emploi d'ancêtre, Blâme aux uns ou secours aux autres, je le fais. Un jour, je fus parmi les vainqueurs, j'étouffais; Je sentais à quel point vaincre est impitoyable; Je pris la fuite. Un roc, une plage de sable M'accueillirent. La Mort vint me parler. " Proscrit, Me dit-elle, salut! " Et quelqu'un me sourit, Quelqu'un de grand qui rêve en moi, ma conscience. Et j'aimai les enfants, ne voyant que l'enfance, ciel mystérieux, qui valût mieux que moi. L'enfant, c'est de l'amour et de la bonne foi. Le seul être qui soit dans cette sombre vie Petit avec grandeur puisqu'il l'est sans envie, C'est l' pourquoi j'aime ces passereaux.*Pourtant, ces myrmidons je les rêve héros. France, j'attends qu'ils soient au devoir saisissables. Dès que nos fils sont grands, je les sens responsables; Je cesse de sourire; et je me dis qu'il faut Livrer une bataille immense à l'échafaud, Au trône, au sceptre, au glaive, aux Louvres, aux repaires. Je suis tendre aux petits, mais rude pour les pères. C'est ma façon d'aimer les hommes faits; je veux Qu'on pense à la patrie, empoignée aux cheveux Et par les pieds traînée autour du camp vandale; Lorsqu'à Rome, à Berlin, la bête féodale Renaît et rouvre, affront pour le soleil levant, Deux gueules qui d'ailleurs s'entremordent souvent, Je m'indigne. Je sens, ô suprême souffrance, La diminution tragique de la France, Et j'accuse quiconque a la barbe au menton; Quoi ! ce grand imbécile a l'âge de Danton! Quoi! ce drôle est Jocrisse et pourrait être Hoche! Alors l'aube à mes yeux surgit comme un reproche, Tout s'éclipse, et je suis de la tombe envieux. Morne, je me souviens de ce qu'ont fait les vieux; Je songe à l'océan assiégeant les falaises, Au vaste écroulement qui suit les Marseillaises, Aux portes de la nuit, aux Hydres, aux dragons, A tout ce que ces preux ont jeté hors des gonds! Je les revois mêlant aux éclairs leur bannière; Je songe à la joyeuse et farouche manière Dont ils tordaient l'Europe entre leurs poings d'airain; Oh! ces soldats du Nil, de l'Argonne et du Rhin, Ces lutteurs, ces vengeurs, je veux qu'on les imite! Je vous le dis, je suis un aïeul sans limite; Après l'ange je veux l'archange au firmament; Moi grand-père indulgent, mais ancêtre inclément, Aussi doux d'un côté que sévère de l'autre, J'aime la gloire énorme et je veux qu'on s'y vautre Quand cette gloire est sainte et sauve mon pays! Dans les Herculanums et dans les Pompéïs Je ne veux pas qu'on puisse un jour compter nos villes; Je ne vois pas pourquoi les âmes seraient viles; Je ne vois pas pourquoi l'on n'égalerait pas Dans l'audace, l'effort, l'espoir, dans le trépas, Les hommes d'Iéna, d'Ulm et des Pyramides; Les vaillants ont-ils donc engendré les timides ? Non, vous avez du sang aux veines, jeunes gens! Nos aïeux ont été des héros outrageants Pour le vieux monde infâme; il reste de la place Dans l'avenir; soyez peuple et non populace; Soyez comme eux géants! Je n'ai pas de raisons Pour ne point souhaiter les mêmes horizons, Les mêmes nations en chantant délivrées, Le même arrachement des fers et des livrées, Et la même grandeur sans tache et sans remords À nos enfants vivants qu'à nos ancêtres morts!CHANSON DE GRAND-PÈREDansez, les petites filles, Toutes en rond. En vous voyant si gentilles, Les bois les petites reines, Toutes en rond. Les amoureux sous les frênes S' les petites belles, Toutes en rond. Les bouquins dans les écoles les petites belles, Toutes en rond. Les oiseaux avec leurs ailes les petites fées, Toutes en rond. Dansez, de bleuets coiffées, L'aurore au les petites femmes, Toutes en rond. Les messieurs diront aux dames Ce qu'ils D'ANCÊTREParlons de nos aïeux sous la verte feuillée. Parlons de nos pères, fils!-Ils ont rompu leurs fers, Et vaincu; leur armure est aujourd'hui rouillée. Comme il tombe de l'eau d'une éponge mouillée, De leur âme dans l'ombre il tombait des éclairs, Comme si dans la foudre on les avait trempées. Frappez, écoliers, Avec les épées Sur les craignaient le vin sombre et les pâles ménades; Ils étaient indignés, ces vieux fils de Brennus, De voir les rois passer fiers sous les colonnades, Les cortèges des rois étant des promenades De prêtres, de soldats, de femmes aux seins nus, D'hymnes et d'encensoirs, et de têtes coupées. Frappez, écoliers, Avec les épées Sur les ont voulu, couvé, créé la délivrance; Ils étaient les titans, nous sommes les fourmis; Ils savaient que la Gaule enfanterait la France; Quand on a la hauteur, on a la confiance; Les montagnes, à qui le rayon est promis, Songent, et ne sont point par l'aurore trompées. Frappez, écoliers, Avec les épées Sur les une ligue était par les princes construite, Ils grondaient, et, pour peu que la chose en valût La peine, et que leur chef leur criât Tout de suite ! Ils accouraient; alors les rois prenaient la fuite En hâte, et les chansons d'un vil joueur de luth Ne sont pas dans les airs plus vite dissipées. Frappez, écoliers, Avec les épées Sur les du gouffre, ils ont découronné le crime, Brisé les autels noirs, détruit les dieux brigands; C'est pourquoi, moi vieillard, penché sur leur abîme, Je les déclare grands, car rien n'est plus sublime Que l'océan avec ses profonds ouragans, Si ce n'est l'homme avec ses sombres épopées. Frappez, écoliers, Avec les épées Sur les sur leur flambeau, nous leurs fils, nous soufflâmes. Fiers aïeux! ils disaient au faux prêtre Va-t'en ! Du bûcher misérable ils éteignaient les flammes, Et c'est par leur secours que plusieurs grandes âmes, Mises injustement au bagne par Satan, Tu le sais, Dieu! se sont de l'enfer échappées. Frappez, écoliers, Avec les épées Sur les vos fronts; voyez oe pur sommet, la gloire, Ils étaient là; voyez cette cime, l'honneur, Ils étaient là; voyez ce hautain promontoire, La liberté; mourir libres fut leur victoire; Il faudra, car l'orgie est un lâche bonheur, Se remettre à gravir ces pentes escarpées. Frappez, chevaliers, Avec les épées Sur les ENDORMIEL'oiseau chante; je suis au fond des elle est là qui dort sous les branches fleuries, Dans son berceau tremblant comme un nid d'alcyon, Douce, les yeux fermés, sans faire attention Au glissement de l'ombre et du soleil sur elle. Elle est toute petite, elle est surnaturelle. suprême beauté de l'enfant innocent! Moi je pense, elle rêve; et sur son front descend Un entrelacement de visions sereines; Des femmes de l'azur qu'on prendrait pour des reines, Des anges, des lions ayant des airs benins, De pauvres bons géants protégés par des nains, Des triomphes de fleurs dans les bois, des trophées D'arbres célestes, pleins de la lueur des fées, Un nuage où l'éden apparaît à demi, Voilà ce qui s'abat sur l'enfant endormi. Le berceau des enfants est le palais des songes; Dieu se met à leur faire un tas de doux mensonges; De là leur frais sourire et leur profonde paix. Plus d'un dira plus tard Bon Dieu, tu me le bon Dieu répond dans la profondeur sombre -Non. Ton rêve est le ciel. Je t'en ai donné l'ombre. Mais ce ciel, tu l'auras. Attends l'autre berceau; La Ainsi je songe. printemps! Chante, oiseau!QUE LES PETITS LIRONT QUAND ILS SERONT GRANDSPATRIEFrance, ton malheur m'indigne et m'est sacré. Je l'ai dit, et jamais je ne me lasserai De le redire, et c'est le grand cri de mon âme, Quiconque fait du mal à ma mère est infâme. En quelque lieu qu'il soit caché, tous mes souhaits Le menacent; sur terre ou là-haut, je le hais. César, je le flétris; destin, je le secoue. Je questionne l'ombre et je fouille la boue; L'empereur, ce brigand, le hasard, ce bandit, Eveillent ma colère; et ma strophe maudit Avec des pleurs sanglants, avec des cris funèbres, Le sort, ce mauvais drôle errant dans les ténèbres; Je rappelle la nuit, le gouffre, le ciel noir, Et les événements farouches, au devoir. Je n'admets pas qu'il soit permis aux sombres causes Qui mêlent aux droits vrais l'aveuglement des choses De faire rebrousser chemin à la raison; Je dénonce un revers qui vient par trahison; Quand la gloire et l'honneur tombent dans une embûche, J'affirme que c'est Dieu lui-même qui trébuche; J'interpelle les faits tortueux et rampants, La victoire, l'hiver, l'ombre et ses guet-apens; Je dis à ces passants quelconques de l'abîme Que je les vois, qu'ils sont en train de faire un crime, Que nous ne sommes point des femmes à genoux, Que nous réfléchissons, qu'ils prennent garde à nous, Que ce n'est pas ainsi qu'on doit traiter la France, Et que, même tombée au fond de la souffrance, Même dans le sépulcre, elle a l'étoile au front. Je voudrais bien savoir ce qu'ils me répondront. Je suis un curieux, et je gênerai, certe, Le destin qu'un regard sévère déconcerte, Car on est responsable au ciel plus qu'on ne croit. Quand le progrès devient boiteux, quand Dieu décroît En apparence, ayant sur lui la nuit barbare, Quand l'homme est un esquif dont Satan prend la barre, Il est certain que l'âme humaine est au cachot, Et qu'on a dérangé quelque chose là-haut. C'est pourquoi je demande à l'ombre la parole. Je ne suis pas de ceux dont la fierté s'envole, Et qui, pour avoir vu régner des ruffians Et des gueux, cessent d'être à leur droit confiants; Je lave ma sandale et je poursuis ma route; Personne n'a jamais vu mon âme en déroute; Je ne me trouble point parce qu'en ses reflux Le vil destin sur nous jette un Rosbach de plus; La défaite me fait songer à la victoire; J'ai l'obstination de l'altière mémoire; Notre linceul toujours eut la vie en ses plis; Quand je lis Waterloo, je prononce Austerlitz. Le deuil donne un peu plus de hauteur à ma tête. Mais ce n'est pas assez, je veux qu'on soit honnête Là-haut, et je veux voir ce que les destins font Chez eux, dans la forêt du mystère profond, Car ce qu'ils font chez eux, c'est chez nous qu'on le souffre. Je prétends regarder face à face le gouffre. Je sais que l'ombre doit rendre compte aux esprits. Je désire savoir pourquoi l'on nous a pris Nos villes, notre armée, et notre force utile; Et pourquoi l'on filoute et pourquoi l'on mutile L'immense peuple aimant d'où sortent les clartés; Je veux savoir le fond de nos calamités, Voir le dedans du sort misérable, et connaître Ces recoins où trop peu de lumière pénètre; Pourquoi l'assassinat du Midi par le Nord, Pourquoi Paris vivant vaincu par Berlin mort, Pourquoi le bagne à l'ange et le trône au squelette; France, je prétends mettre sur la sellette La guerre, les combats, nos affronts, nos malheurs, Et je ferai vider leur poche à ces voleurs, Car juger le hasard, c'est le droit du prophète. J'affirme que la loi morale n'est pas faite Pour qu'on souffle dessus là-haut, dans la hauteur, Et qu'un événement peut être un malfaiteur. J'avertis l'inconnu que je perds patience; Et c'est là la grandeur de notre conscience Que, seule et triste, ayant pour appui le berceau, L'innocence, le droit des faibles, le roseau, Elle est terrible; elle a, par ce seul mot Justice, Entrée au ciel; et, si la comète au solstice S'égare, elle pourrait lui montrer son chemin; Elle requiert Dieu même au nom du genre humain; Elle est la vérité, blanche, pâle, immortelle; Pas une force n'est la force devant elle; Les lois qu'on ne voit pas penchent de son côté; Oui, c'est là la puissance et c'est là la beauté De notre conscience,-écoute ceci, prêtre,- Qu'elle ne comprend pas qu'un attentat puisse être Par quelqu'un qui serait juste, prémédité; Oui, sans armes, n'ayant que cette nudité, Le vrai, quand un éclair tombe mal sur la terre, Quand un des coups obscurs qui sortent du mystère Frappe à tâtons, et met les peuples en danger, S'il lui plaisait d'aller là-haut l'interroger Au milieu de cette ombre énorme qu'on vénère, Tranquille, elle ferait bégayer le Allons au but, continuons. Les choses, Quand l'homme tient la clef, ne sont pas longtemps closes. Peut-être qu'elle-même, ouvrant ses pâles yeux, La nuit, lasse du mal, ne demande pas mieux Que de trouver celui qui saura la convaincre. Le devoir de l'obstacle est de se laisser nous craint et recule en grondant Regardons les penseurs de l'âge précédent, Ces héros, ces géants qu'une même âme anime, Détachés par la mort de leur travail sublime, Passer, les pieds poudreux et le front étoilé; Saluons la sueur du relais dételé; Et marchons. Nous aussi, nous avons notre étape. Le pied de l'avenir sur notre pavé frappe; En route! Poursuivons le chemin commencé; Augmentons l'épaisseur de l'ombre du passé; Laissons derrière nous, et le plus loin possible, Toute l'antique horreur de moins en moins visible. Déjà le précurseur dans ces brumes brilla; Platon vint jusqu'ici, Luther a monté là; Voyez, de grands rayons marquent de grands passages; L'ombre est pleine partout du flamboiement des sages; Voici l'endroit profond où Pascal s'est penché. Criant gouffre! Jean-Jacque où je marche a marché; C'est là que, s'envolant lui-même aux cieux, Voltaire, Se sentant devenir sublime, a perdu terre, Disant Je vois! ainsi qu'un prophète ébloui. Luttons, comme eux; luttons, le front épanoui; Marchons! un pas qu'on fait, c'est un champ révèle; Déchiffrons dans les temps nouveaux la loi nouvelle; Le coeur n'est jamais sourd, l'esprit n'est jamais las, Et la route est ouverte aux fiers ! vivez, marchez, croyez! soyez tranquilles. -Mais quoi! le râle sourd des discordes civiles, Ces siècles de douleurs, de pleurs, d'adversités, Hélas! tous ces souffrants, tous ces déshérités, Tous ces proscrits, le deuil, la haine universelle, Tout ce qui dans le fond des âmes s'amoncelle, Cela ne va-t-il pas éclater tout à coup ? La colère est partout, la fureur est partout; Les cieux sont noirs; voyez, regardez; il éclaire !- Qu'est-ce que la fureur ? qu'importe la colère ? La vengeance sera surprise de son fruit; Dieu nous transforme; il a pour tâche en notre nuit L'auguste avortement de la foudre en prend dans notre coeur la haine et la dévore; Il se jette sur nous des profondeurs du jour, Et nous arrache tout de l'âme, hors l'amour; Avec ce bec d'acier, la conscience, il plonge Jusqu'à notre pensée et jusqu'à notre songe, Fouille notre poitrine et, quoi que nous fassions, Jusqu'aux vils intestins qu'on nomme passions; Il pille nos instincts mauvais, il nous dépouille De ce qui nous tourmente et de ce qui nous souille; Et, quand il nous a faits pareils au ciel béni, Bons et purs, il s'envole, et rentre à l'infini; Et, lorsqu'il a passé sur nous, l'âme plus grande Sent qu'elle ne hait plus, et rend grâce, et demande Qui donc m'a prise ainsi dans ses serres de feu ? Et croit que c'est un aigle, et comprend que c'est avant, grande marche humaine! Peuple, change de région. larve, deviens phénomène; troupeau, deviens légion. Cours, aigle, où tu vois l'aube éclore. L'acceptation de l'aurore N'est interdite qu'aux hiboux. Dans le soleil Dieu se devine; Le rayon a l'âme divine Et l'âme humaine à ses deux vient de l'une et vole à l'autre; Il est pensée, étant clarté; En haut archange, en bas apôtre, En haut flamme, en bas liberté. Il crée Horace ainsi que Dante, Dore la rose au vent pendante, Et le chaos où nous voguons; De la même émeraude il touche L'humble plume de l'oiseau-mouche Et l'âpre écaille des dragons48. Prenez les routes lumineuses, Prenez les chemins étoilés. Esprits semeurs, âmes glaneuses, Allez, allez, allez, allez! Esclaves d'hier, tristes hommes, Hors des bagnes, hors des sodomes, Marchez, soyez vaillants, montez; Ayez pour triomphe la gloire Où vous entrez, ô foule noire, Et l'opprobre dont vous sortez!Homme, franchis les mers. Secoue Dans l'écume tout le passé; Allume en étoupe à ta proue Le chanvre du gibet brisé. Gravis les montagnes. Écrase Tous les vieux monstres dans la vase; Ressemble aux anciens Apollons; Quand l'épée est juste, elle est pure; Va donc! car l'homme a pour parure Le sang de l'hydre à ses rêve l'équité, la vérité profonde, L'amour qui veut, l'espoir qui luit, la foi qui fonde, Et le peuple éclairé plutôt que châtié. Je rêve la douceur, la bonté, la pitié, Et le vaste pardon. De là ma solitude.*La vieille barbarie humaine a l'habitude De s'absoudre, et de croire, hélas, que ce qu'on veut, Prêtre ou juge, on a droit de le faire, et qu'on peut ter sa conscience en mettant une robe. Elle prend l'équité céleste, elle y dérobe Ce qui la gêne, y met ce qui lui plaît; biffant Tout ce qu'on doit au faible, à la femme, à l'enfant, Elle change le chiffre, elle change la somme, Et du droit selon Dieu fait la loi selon l'homme. De là les hommes-dieux, de là les rois-soleils; De là sur les pavés tant de ruisseaux vermeils; De là les Laffemas, les Vouglans, les Bâvilles; De là l'effroi des champs et la terreur des villes, Les lapidations, les deuils, les cruautés, Et le front sérieux des sages insultés.*Jésus paraît; qui donc s'écrie Il faut qu'il meure! C'est le prêtre. douleur! À jamais, à demeure, Et quoi que nous disions, et quoi que nous songions, Les euménides sont dans les religions; Mégère est catholique; Alecton est chrétienne; Clotho, nonne sanglante, accompagnait l'antienne D'Arbuez, et l'on entend dans l'église sa voix; Ces bacchantes du meurtre encourageaient Louvois; Et les monts étaient pleins du cri de ces ménades Quand Bossuet poussait Boufflers aux dragonnades.*Ne vous figurez pas, si Dieu lui-même accourt, Que l'antique fureur de l'homme reste court, Et recule devant la lumière céleste. Au plus pur vent d'en haut elle mêle sa peste, Elle mêle sa rage aux plus doux chants d'amour, S'enfuit avec la nuit, mais rentre avec le jour. Le progrès le plus vrai, le plus beau, le plus sage, Le plus juste, subit son monstrueux passage. L'aube ne peut chasser l'affreux spectre importun. Cromwell frappe un tyran, Charles; il en reste un, Cromwell. L'atroce meurt, l'atrocité subsiste. Le bon sens, souriant et sévère exorciste, Attaque ce vampire et n'en a pas raison. Comme une sombre aïeule habitant la maison, La barbarie a fait de nos coeurs ses repaires, Et tient les fils après avoir tenu les pères. L'idéal un jour naît sur l'ancien continent, Tout un peuple ébloui se lève rayonnant, Le quatorze juillet jette au vent les bastilles, Les révolutions, ô Liberté, tes filles, Se dressent sur les monts et sur les océans, Et gagnent la bataille énorme des géants, Toute la terre assiste à la fuite inouïe Du passé, néant, nuit, larve, ombre évanouie ! L'inepte barbarie attente à ce laurier, Et perd Torquemada, mais retrouve Carrier. Elle se trouble peu de toute cette aurore. La vaste ruche humaine, éveillée et sonore, S'envole dans l'azur, travaille aux jours meilleurs, Chante, et fait tous les miels avec toutes les fleurs; La vieille âme du vieux Caïn, l'antique Haine Est là, voit notre éden et songe à sa géhenne, Ne veut pas s'interrompre et ne veut pas finir, Rattache au vil passé l'éclatant avenir, Et remplace, s'il manque un chaînon à sa chaîne, Le père Letellier par le Père Duchêne; De sorte que Satan peut, avec les maudits, Rire de notre essai manqué de paradis. Eh bien, moi, je dis Non! tu n'es pas en démence, Mon coeur, pour vouloir l'homme indulgent, bon, immense; Pour crier Sois clément! sois clément! sois clément! Et parce que ta voix n'a pas d'autre enrouement!*Tu n'es pas furieux parce que tu souhaites Plus d'aube au cygne et moins de nuit pour les chouettes; Parce que tu gémis sur tous les opprimés; Non, ce n'est pas un fou celui qui dit Aimez! Non, ce n'est pas errer et rêver que de croire Que l'homme ne naît point avec une âme noire, Que le bon est latent dans le pire, et qu'au fond Peu de fautes vraiment sont de ceux qui les font. L'homme est au mal ce qu'est à l'air le baromètre; Il marque les degrés du froid, sans rien omettre, Mais sans rien ajouter, et, s'il monte ou descend, Hélas! la faute en est au vent, ce noir passant. L'homme est le vain drapeau d'un sinistre édifice; Tout souffle qui frémit, flotte, serpente, glisse Et passe, il le subit, et le pardon est dû À ce haillon vivant dans les cieux éperdu. Hommes, pardonnez-vous. mes frères, vous êtes Dans le vent, dans le gouffre obscur, dans les tempêtes; Pardonnez-vous. Les coeurs saignent, les ans sont courts; Ah ! donnez-vous les uns aux autres ce secours! Oui, même quand j'ai fait le mal, quand je trébuche Et tombe, l'ombre étant la cause de l'embûche, La nuit faisant l'erreur, l'hiver faisant le froid, Être absous, pardonné, plaint, aimé, c'est mon jour, je vis passer une femme inconnue. Cette femme semblait descendre de la nue; Elle avait sur le dos des ailes, et du miel Sur sa bouche entr'ouverte, et dans ses yeux le ciel. À des voyageurs las, à des errants sans nombre, Elle montrait du doigt une route dans l'ombre, Et semblait dire On peut se tromper de chemin. Son regard faisait grâce à tout le genre humain; Elle était radieuse et douce; et, derrière elle, Des monstres attendris venaient, baisant son aile, Des lions graciés, des tigres repentants, Nemrod sauvé, Néron en pleurs; et par instants À force d'être bonne elle paraissait folle. Et, tombant à genoux, sans dire une parole, Je l'adorai, croyant deviner qui c'était. Mais elle,-devant l'ange en vain l'homme se tait,- Vit ma pensée, et dit Faut-il qu'on t'avertisse ? Tu me crois la pitié; fils, je suis la À LA POURSUITE DU VRAIIJe m'en irai dans les chars sombres Du songe et de la vision; Dans la blême cité des ombres Je passerai comme un rayon; J'entendrai leurs vagues huées; Je semblerai dans les nuées Le grand échevelé de l'air; J'aurai sous mes pieds le vertige, Et dans les yeux plus de prodige Que le météore et l' rentrerai dans ma demeure, Dans le noir monde illimité. Jetant à l'éternité l'heure Et la terre à l'immensité, Repoussant du pied nos misères, Je prendrai le vrai dans mes serres Et je me transfigurerai, Et l'on ne verra plus qu'à peine Un reste de lueur humaine Trembler sous mon sourcil je ne serai plus un homme; Je serai l'esprit ébloui À qui le sépulcre se nomme, À qui l'énigme répond Oui. L'ombre aura beau se faire horrible; Je m'épanouirai terrible, Comme Élie à Gethsémani, Comme le vieux Thalès de Grèce, Dans la formidable allégresse De l'abîme et de l' questionnerai le gouffre Sur le secret universel, Et le volcan, l'urne de soufre, Et l'océan, l'urne de sel; Tout ce que les profondeurs savent, Tout ce que les tourmentes lavent, Je sonderai tout; et j'irai Jusqu'à ce que, dans les ténèbres, Je heurte mes ailes funèbres À quelqu'un de m'envolant jusqu'au faîte, Parfois tombant de tout mon poids, J'entendrai crier sur ma tête Tous les cris de l'ombre à la fois, Tous les noirs oiseaux de l'abîme, L'orage, la foudre sublime, L'âpre aquilon séditieux, Tous les effrois qui, pêle-mêle, Tourbillonnent, battant de l'aile, Dans le précipice des Nuit pâle, immense fantôme Dans l'espace insondable épars, Du haut du redoutable dôme, Se penchera de toutes parts; Je la verrai lugubre et vaine, Telle que la vit Antisthène Qui demandait aux vents Pourquoi ? Telle que la vit Épicure, Avec des plis de robe obscure Flottant dans l'ombre autour de la démence t'emporte, Dira le nuage irrité. -Prends-tu la nuit pour une porte ? Murmurera l'obscurité. L'espace dira-Qui t'égare ? Passeras-tu, barde, où Pindare Et David ne sont point passés ? -C'est ici, criera la tempête, Qu'Hésiode a dit Je m'arrête! Qu'Ézéchiel a dit Assez !Mais tous les efforts des ténèbres Sur mon essor s'épuiseront Sans faire fléchir mes vertèbres Et sans faire pâlir mon front; Au sphinx, au prodige, au problème, J'apparaîtrai, monstre moi-même, Être pour deux destins construit, Ayant, dans la céleste sphère, Trop de l'homme pour la lumière, Et trop de l'ange pour la dit au poète-Imite Ceux que retient l'effroi divin; N'enfreins pas l'étrange limite Que nul n'a violée en vain; Ne franchis pas l'obscure grève Où la nuit, la tombe et le rêve Mêlent leurs souffles inouïs, Où l'abîme sans fond, sans forme, Rapporte dans sa houle énorme Les prophètes les essais que tu peux faire Sont inutiles et perdus. Prends un culte; choisis; préfère; Tes voeux ne sont pas entendus; Jamais le mystère ne s'ouvre; La tranquille immensité couvre Celui qui devant Dieu s'enfuit Et celui qui vers Dieu s'élance D'une égalité de silence Et d'une égalité de sur l'Olympe où Stésichore, Cherchant Jupiter, le trouva; Va sur l'Horeb qui fume encore Du passage de Jéhovah; songeur, ce sont là des cimes, De grands buts, des courses sublimes... On en revient désespéré, Honteux, au fond de l'ombre noire, D'avoir abdiqué jusqu'à croire! Indigné d'avoir adoré!L'Olympien est de la brume; Le Sinaïque est de la nuit. Nulle part l'astre ne s'allume, Nulle part l'ombre ne bleuit. Que l'homme vive et s'en contente; Qu'il reste l'homme; qu'il ne tente Ni l'obscurité, ni l'éther; Sa flamme à la fange est unie, L'homme est pour le ciel un génie, Mais l'homme est pour la terre un a Dante, Shakspeare, Homère; Ses arts sont un trépied fumant; Mais prétend-il de sa chimère Illuminer le firmament ? C'est toujours quelque ancienne idée De l'Élide ou de la Chaldée Que l'âge nouveau rajeunit. Parce que tu luis dans ta sphère, Esprit humain, crois-tu donc faire De la flamme jusqu'au Zénith!Après Socrate et le Portique, Sans t'en douter, tu mets le feu À la même chimère antique Dont l'Inde ou Rome ont fait un dieu; Comme cet Éson de la fable, Tu retrempes dans l'ineffable, Dans l'absolu, dans l'infini, Quelque Ammon d'Égypte ou de Grèce, Ce qu'avant toi maudit Lucrèce, Ce qu'avant toi Job a prends quelque être imaginaire, Vieux songe de l'humanité, Et tu lui donnes le tonnerre, L'auréole, l'éternité. Tu le fais, tu le renouvelles; Puis, tremblant, tu te le révèles, Et tu frémis en le créant; Et, lui prêtant vie, abondance, Sagesse, bonté, providence, Tu te chauffes à ce néant!Sous quelque mythe qu'il s'enferme, Songeur, il n'est point de Baal Qui ne contienne en lui le germe D'un éblouissant idéal; De même qu'il n'est pas d'épine, Pas d'arbre mort dans la ruine. Pas d'impur chardon dans l'égout, Qui, si l'étincelle le touche, Ne puisse, dans l'âtre farouche, Faire une aurore tout à coup!Vois dans les forêts la broussaille, Culture abjecte du hasard; Déguenillée, elle tressaille Au glissement froid du lézard; Jette un charbon, ce houx sordide Va s'épanouir plus splendide Que la tunique d'or des rois; L'éclair sort de la ronce infâme; Toutes les pourpres de la flamme Dorment dans ce haillon des un enfant qui s'émerveille De tirer, à travers son jeu, Une splendeur gaie et vermeille Du vil sarment qu'il jette au feu, Tu concentres toute la flamme De ce que peut rêver ton âme Sur le premier venu des dieux, Puis tu t'étonnes, ô poussière, De voir sortir une lumière De cet Irmensul la vague étincelle obscure Que tu tires d'un Dieu pervers, Tu crois raviver la nature, Tu crois réchauffer l'univers; nain, ton orgueil s'imagine Avoir retrouvé l'origine, Que tous vont s'aimer désormais, Qu'on va vaincre les nuits immondes, Et tu dis La lueur des mondes Va flamboyer sur les sommets!Tu crois voir une aube agrandie S'élargir sous le firmament Parce que ton rêve incendie Un Dieu, qui rayonne un moment. Non. Tout est froid. L'horreur t'enlace. Tout est l'affreux temple de glace, Morne à Delphes, sombre à Béthel. Tu fais à peine, esprit frivole, En brûlant le bois de l'idole, Tiédir la pierre de l' laisse ces paroles sombres Passer sur moi sans m'émouvoir Comme on laisse dans les décombres Frissonner les branches le soir; J'irai, moi le curieux triste; J'ai la volonté qui persiste; L'énigme traître a beau gronder; Je serai, dans les brumes louches, Dans les crépuscules farouches, La face qui vient et mort! ô gouffre! Est-ce un piège La fleur qui s'ouvre et se flétrit, L'atome qui se désagrège, Le néant qui se repétrit ? Quoi! rien ne marche ! rien n'avance! Pas de moi ! Pas de survivance ! Pas de lien! Pas d'avenir! C'est pour rien, ô tombes ouvertes, Qu'on entend vers les découvertes Les chevaux du rêve hennir !Est-ce que la nature enferme Pour des avortements bâtards L'élément, l'atome, le germe, Dans le cercle des avatars ? Que serait donc ce monde immense, S'il n'avait pas la conscience Pour lumière et pour attribut ? Épouvantable échelle noire De renaissances sans mémoire Dans une ascension sans but!La larve du spectre suivie, Ce serait tout! Quoi donc! ô sort, J'aurais un devoir dans la vie Sans avoir un droit dans la mort! Depuis la pierre jusqu'à l'ange, Qu'est-ce alors que ce vain mélange D'êtres dans l'obscur tourbillon ? L'aube est-elle sincère ou fausse ? Naître, est-ce vivre ? En quoi la fosse Diffère-t-elle du sillon ?-Mange le pain, je mange l'homme, Dit Tibère. A-t-il donc raison ? Satan la femme, Ève la pomme, Est-ce donc la même moisson ? Nemrod souffle comme la bise; Gengis le sabre au poing, Cambyse Avec un flot d'hommes démons, Tue, extermine, écrase, opprime, Et ne commet pas plus de crime Qu'un roc roulant du haut des monts!Oh non! la vie au noir registre, Parmi le genre humain troublé, Passe, inexplicable et sinistre, Ainsi qu'un espion voilé; Grands et petits, les fous, les sages, S'en vont, nommés dans les messages Qu'elle jette au ciel triste ou bleu; Malheur aux méchants! et la tombe Est la bouche de bronze où tombe Tout ce qu'elle dénonce à ce Dieu même, je le nie; Car il aurait, ô vain croyant, Créé sa propre calomnie En créant ce monde Ainsi parle, calme et funèbre, Le doute appuyé sur l'algèbre; Et moi qui sens frémir mes os, Allant des langes aux suaires, Je regarde les ossuaires Et je regarde les et vie ! énigmes austères! Dessous est la réalité. C'est là que les Kants, les Voltaires, Les Euclides ont hésité. Eh bien! j'irai, moi qui contemple, Jusqu'à ce que, perçant le temple, Et le dogme, ce double mur, Mon esprit découvre et dévoile Derrière Jupiter l'étoile, Derrière Jéhovah l'azur!Car il faut qu'enfin on rencontre L'indestructible vérité, Et qu'un front de splendeur se montre Sous ces masques d'obscurité; La nuit tâche, en sa noire envie, D'étouffer le germe de vie, De toute-puissance et de jour, Mais moi, le croyant de l'aurore, Je forcerai bien Dieu d'éclore À force de joie et d'amour!Est-ce que vous croyez que l'ombre A quelque chose à refuser Au dompteur du temps et du nombre, À celui qui veut tout oser, Au poète qu'emporte l'âme, Qui combat dans leur culte infâme Les payens comme les hébreux, Et qui, la tête la première, Plonge, éperdu, dans la lumière, À travers leur dieu téne crains rien, mon enfant. Je me nomme Juvénal. Je suis bon. Je ne fais peur qu'aux Charles lève ses yeux pleins de pleurs transparents, Et dit-Je n'ai pas pareil aux marbres, Reprend, tandis qu'au loin on entend sous les arbres Jouer les écoliers, gais et de bonne foi -Enfant, je fus jadis exilé comme toi, Pour avoir comme toi barbouillé des figures. Comme toi les pédants, j'ai fâché les augures. Élève de Jauffret que jalouse Massin, Voyons ton dit, et regarde un dessin Qui n'a pas trop de queue et pas beaucoup de tête. -Qu'est-ce que c'est que ça!-Monsieur, c'est une bête. -Ah! tu mets dans mes vers des bêtes! Après tout, Pourquoi pas ? puisque Dieu, qui dans l'ombre est debout, En met dans les grands bois et dans les mers sacrées. Il tourne une autre page, et se penche-Tu crées. Qu'est ceci ? Ca m'a l'air fort beau, quoique tortu. -Monsieur, c'est un bonhomme, dis-tu ? Eh bien, il en manquait justement un. Mon livre Est rempli de méchants. Voir un bonhomme vivre Parmi tous ces gens-là me plaît. Césars bouffis, Rangez-vous! ce bonhomme est dieu. Merci, mon Et, d'un doigt souverain, le voilà qui feuillette Nisard, l'âne, le nez du maître, la belette Qui peut-être est un boeuf, les dragons, les griffons, Les pâtés d'encre ailés, mêlés aux vers profonds, Toute cette gaîté sur son courroux éparse, Et Juvénal s'écrie ébloui-C'est très farce!Ainsi, la grande soeur et la petite soeur, Ces deux âmes, sont là, jasant; et le censeur, Obscur comme minuit et froid comme décembre, serait bien étonné, s'il entrait dans la chambre, De voir sous le plafond du collège étouffant, Le vieux poète rire avec le doux elle avait la résille, D'abord la rime hésita. Ce devait être Inésille...- Mais non, c'était ans. Belle et grande fille...- Ici la rime insista Rimeur, c'était Inésille. Rime, c'était Pepita.Pepita...-Je me rappelle! Oh! le doux passé vainqueur, Tout le passé, pêle-mêle Revient à flots dans mon coeur;Mer, ton flux roule et rapporte Les varechs et les galets. Mon père avait une escorte; Nous habitions un palais;Dans cette Espagne que j'aime, Au point du jour, au printemps,Quand je n'existais pas même, Pepita-j'avais huit ans-Me disait-Fils, je me nomme Pepa; mon père est Moi, je me croyais un homme, Étant en pays sa résille de soie Pepa mettait des doublons; De la flamme et de la joie Sortaient de ses cheveux cela, jupe de moire, Veste de toréador, Velours bleu, dentelle noire, Dansait dans un rayon d' c'était presque une femme Que Pepita mes amours. L'indolente avait mon âme Sous son coude de palpitais dans sa chambre Comme un nid près du faucon, Elle avait un collier d'ambre, Un rosier sur son les jours un vieux qui pleure Venait demander un sou; Un dragon à la même heure Arrivait je ne sais d' piaffait sous la croisée, Tandis que le vieux râlait De sa vieille voix brisée La charité, s'il vous plaît !Et la belle au collier jaune, Se penchant sur son rosier, Faisait au pauvre l'aumône Pour la faire à l' plus fier, l'autre moins sombre, Ils partaient, le vieux hagard Emportant un sou dans l'ombre, Et le dragon un près de la fenêtre, Tremblant, trop petit pour voir, Amoureux sans m'y connaître, Et bête sans le disait avec charme Marions-nous! choisissant Pour amoureux le gendarme Et pour mari l' disais quelque sottise; Pepa répondait Plus bas! M'éteignant comme on attise; Et, pendant ces doux ébats,Les soldats buvaient des pintes Et jouaient au domino Dans les grandes chambres peintes Du palais OISEAUX ET FLEURSIJ'aime un groupe d'enfants qui rit et qui s'assemble; J'ai remarqué qu'ils sont presque tous blonds, il semble Qu'un doux soleil levant leur dore les cheveux. Lorsque Roland, rempli de projets et de voeux, Était petit, après l'escrime et les parades, Il jouait dans les champs avec ses camarades Raymond le paresseux et Jean de Pau; tous trois Joyeux; un moine un jour, passant avec sa croix, Leur demanda, c'était l'abbé de la contrée -Quelle est la chose, enfants, qui vous plaît déchirée ? -La chair d'un boeuf saignant, répondit Jean de Pau. -Un livre, dit dit Un suis des bois l'hôte fidèle, Le jardinier des sauvageons. Quand l'automne vient, l'hirondelle Me dit tout bas frimaire, après nivôse, Je vais voir si les bourgeons frais N'ont pas besoin de quelque chose Et si rien ne manque aux dis aux ronces Croissez, vierges ! Je dis Embaume! au serpolet; Je dis aux fleurs bordant les berges Faites avec soin votre surveille, entr'ouvrant la porte, Le vent soufflant sur la hauteur; Car tromper sur ce qu'il apporte C'est l'usage de ce viens dès l'aube, en diligence, Voir si rien ne fait dévier Toutes les mesures d'urgence Que prend avril contre finit, mais tout recommence, Je m'intéresse au procédé De rajeunissement immense, Vainement par l'ombre la broussaille mouvante, Le lierre, le lichen vermeil, Toutes les coiffures qu'invente Pour les ruines le mai fleuri met des panaches Aux sombres donjons mécontents, Je crie à ces vieilles ganaches Laissez donc faire le printemps!DANS LE JARDINJeanne et Georges sont là. Le noir ciel orageux Devient rose, et répand l'aurore sur leurs jeux; beaux jours! Le printemps auprès de moi s'empresse; Tout verdit; la forêt est une enchanteresse; L'horizon change, ainsi qu'un décor d'opéra; Appelez ce doux mois du nom qu'il vous plaira, C'est mai, c'est floréal; c'est l'hyménée auguste De la chose tremblante et de la chose juste, Du nid et de l'azur, du brin d'herbe et du ciel; C'est l'heure où tout se sent vaguement éternel; C'est l'éblouissement, c'est l'espoir, c'est l'ivresse; La plante est une femme, et mon vers la caresse; C'est, grâce aux frais glaïeuls, grâce aux purs liserons, La vengeance que nous poètes nous tirons De cet affreux janvier, si laid; c'est la revanche Qu'avril contre l'hiver prend avec la pervenche; Courage, avril! Courage, ô mois de mai! Ciel bleu, Réchauffe, resplendis, sois beau ! Bravo, bon Dieu ! Ah! jamais la saison ne nous fait banqueroute. L'aube passe en semant des roses sur sa route. Flamme! ombre! tout est plein de ténèbres et d'yeux; Tout est mystérieux et tout est radieux; Qu'est-ce que l'alcyon cherche dans les tempêtes ? L'amour; l'antre et le nid ayant les mêmes fêtes, Je ne vois pas pourquoi l'homme serait honteux De ce que les lions pensifs ont devant eux, De l'amour, de l'hymen sacré, de toi, nature! Tout cachot aboutit à la même ouverture, La vie; et toute chaîne, à travers nos douleurs, Commence par l'airain et finit par les fleurs. C'est pourquoi nous avons d'abord la haine infâme, La guerre, les tourments, les fléaux, puis la femme, La nuit n'ayant pour but que d'amener le jour. Dieu n'a fait l'univers que pour faire l'amour. Toujours, comme un poète aime, comme les sages N'ont pas deux vérités et n'ont pas deux visages, J'ai laissé la beauté, fier et suprême attrait, Vaincre, et faire de moi tout ce qu'elle voudrait; Je n'ai pas plus caché devant la femme nue Mes transports, que devant l'étoile sous la nue Et devant la blancheur du cygne sur les eaux. Car dans l'azur sans fond les plus profonds oiseaux Chantent le même chant, et ce chant, c'est la vie. Sois puissant, je te plains; sois aimé, je t' TROUBLE-FÊTELes belles filles sont en fuite Et ne savent où se cacher. Brune et blonde, grande et petite, Elles dansaient près du clocher;Une chantait, pour la cadence; Les garçons aux fraîches couleurs Accouraient au bruit de la danse, Mettant à leurs chapeaux des fleurs;En revenant de la fontaine, Elles dansaient près du clocher. J'aime Toinon, disait le chêne; Moi, Suzon, disait le l'homme noir du clocher sombre Leur a crié-Laides! fuyez!- Et son souffle brusque a dans l'ombre Éparpillé ces petits la danse s'est enfuie, Les yeux noirs avec les yeux bleus, Comme s'envole sous la pluie Une troupe d'oiseaux cette déroute a fait taire Les grands arbres tout soucieux, Car les filles dansant sur terre Font chanter les nids dans les donc l'homme noir ? Plus de chants; car le noir témoin A fait bien loin enfuir les belles, Et les chansons encor plus donc l'homme noir ?-Je l'ignore, Répond le moineau, gai bandit; Elles pleurent comme l'aurore. Mais un myosotis leur dit-Je vais vous expliquer ces choses. Vous n'avez point pour lui d'appas; Les papillons aiment les roses, Les hiboux ne les aiment AMALe long des berges court la perdrix au pied pour l'entraîner dans leur danse céleste, Les nuages ont pris la lune au milieu d'eux. Petit Georges, veux-tu ? nous allons tous les deux Nous en aller jouer là-bas sous le vieux nuit tombe; on se baigne; et, la faulx sur l'épaule, Le faucheur rentre au gîte, essuyant sa sueur. Le crépuscule jette une vague lueur Sur des formes qu'on voit rire dans la le curé passe et ferme son bréviaire; Il est trop tard pour lire, et ce reste de jour Conseille la prière à qui n'a plus l'amour. Aimer, prier, c'est l'aube et c'est le soir de l' c'est la même chose au fond; aimer la femme, C'est prier Dieu; pour elle on s'agenouille aussi. Un jour tu seras homme et tu liras ceci. En attendant, tes yeux sont grands, et je te parle,Mon Georges, comme si je parlais à mon Charle. Quand l'aile rose meurt, l'aile bleue a son tour. La prière a la même audace que l'amour, Et l'amour a le même effroi que la fait presque grand jour encor dans la clairière. L'angélus sonne au fond de l'horizon bruni. ciel sublime ! sombre édifice infini! Muraille inexprimable, obscure et rayonnante!Oh ! comment pénétrer dans la maison tonnante ? Le jeune homme est pensif, le vieillard est troublé, Et devant l'inconnu, vaguement étoilé, Le soir tremblant ressemble à l'aube prière est la porte et l'amour est la MISE EN LIBERTÉAprès ce rude hiver, un seul oiseau restait Dans la cage où jadis tout un monde chantait. Le vide s'était fait dans la grande volière. Une douce mésange, autrefois familière, Était là seule avec ses souvenirs d'oiseau. N'être jamais sans grain, sans biscuit et sans eau, Voir entrer quelquefois dans sa cage une mouche, C'était tout son bonheur. Elle en était farouche. Rien, pas même un serin, et pas même un pierrot. La cage, c'est beaucoup; mais le désert, c'est trop. Triste oiseau! dormir seul, et, quand l'aube s'allume, Être seul à fouiller de son bec sous sa plume! Le pauvre petit être était redevenu Sauvage, à faire ainsi tourner ce perchoir nu. Il semblait par moments s'être donné la tâche De grimper d'un bâton à l'autre sans relâche; Son vol paraissait fou; puis soudain le reclus Se taisait, et, caché, morne, ne bougeait plus. À voir son gonflement lugubre, sa prunelle, Et sa tête ployée en plein jour sous son aile, On devinait son deuil, son veuvage, et l'ennui Du joyeux chant de tous dans l'ombre évanoui. Ce matin j'ai poussé la porte de la cage. J'y suis mâts, une grotte, un bocage, Meublent cette prison où frissonne un jet d'eau; Et l'hiver on la couvre avec un grand pauvre oiseau, voyant entrer ce géant sombre, A pris la fuite en haut, puis en bas, cherchant l'ombre, Dans une anxiété d'inexprimable horreur; L'effroi du faible est plein d'impuissante fureur; Il voletait devant ma main épouvantable. Je suis, pour le saisir, monté sur une table. Alors, terrifié, vaincu, jetant des cris, Il est allé tomber dans un coin; je l'ai pris. Contre le monstre immense, hélas, que peut l'atome ? À quoi bon résister quand l'énorme fantôme Vous tient, captif hagard, fragile et désarmé ? Il était dans mes doigts inerte, l'oeil fermé, Le bec ouvert, laissant pendre son cou débile, L'aile morte, muet, sans regard, immobile, Et je sentais bondir son petit coeur est de l'aurore un frère ressemblant; Il est éblouissant ainsi qu'elle est vermeille. Il a l'air de quelqu'un qui rit et qui s'éveille. Or, nous sommes au mois d'avril, et mon gazon, Mon jardin, les jardins d'à côté, l'horizon, Tout, du ciel à la terre, est plein de cette joie Qui dans la fleur embaume et dans l'astre flamboie Les ajoncs sont en fête, et dorent les ravins Où les abeilles font des murmures divins; Penché sur les cressons, le myosotis goûte À la source, tombant dans les fleurs goutte à goutte; Le brin d'herbe est heureux; l'âcre hiver se dissout; La nature parait contente d'avoir tout, Parfums, chansons, rayons, et d'être hospitalière. L'espace suis sorti de la volière, Tenant toujours l'oiseau; je me suis approché Du vieux balcon de bois par le lierre caché; renouveau! Soleil ! tout palpite, tout vibre, Tout rayonne; et j'ai dit, ouvrant la main Sois libre!L'oiseau s'est évadé dans les rameaux flottants, Et dans l'immensité splendide du printemps; Et j'ai vu s'en aller au loin la petite âme Dans cette clarté rose où se mêle une flamme, Dans l'air profond, parmi les arbres infinis, Volant au vague appel des amours et des nids, Planant éperdument vers d'autres ailes blanches, Ne sachant quel palais choisir, courant aux branches, Aux fleurs, aux flots, aux bois fraîchement reverdis, Avec l'effarement d'entrer au dans la lumière et dans la transparence, Regardant cette faite et cette délivrance, Et ce pauvre être, ainsi disparu dans le port, Pensif, je me suis dit Je viens d'être la LAPIDÉEBRUXELLES. - NUIT DU 27 MAIJe vis, tout près de la croisée, Celui par qui la pierre avait été lancée; Il était jeune; encor presque un enfant, déjà Un homme, un dieu te protégea, Car tu pouvais tuer cette pauvre petite! Comme les sentiments humains s'écroulent vite Dans les coeurs gouvernés par le prêtre qui ment, Et comme un imbécile est féroce aisément! Loyola sait changer Jocrisse en Schinderhanne, Car un tigre est toujours possible dans un âne. Mais Dieu n'a pas permis, sombre enfant, que ta main Fit cet assassinat catholique et romain; Le coup a manqué. Va, triste spectre éphémère, Deviens de l'ombre. Fuis! Moi, je songe à ta ne sois pas maudite! Je reçois Du ciel juste un rayon clément. Qui que tu sois, Mère, hélas ! quel que soit ton enfant, sois bénie! N'en sois pas responsable et n'en sois pas punie! Je lui pardonne au nom de mon ange innocent! Lui-même il fut jadis l'être humble en qui descend L'immense paradis, sans pleurs, sans deuils, sans voiles, Avec tout son sourire et toutes ses étoiles. Quand il naquit, de joie et d'amour tu vibras. Il dormait sur ton sein comme Jeanne en mes bras; Il était de ton toit le mystérieux hôte; C'était un ange alors, et ce n'est pas ta faute, Ni la sienne, s'il est un bandit maintenant. Le prêtre, infortuné lui-même, et frissonnant, À qui nous confions la croissance future, Imposteur, a rempli cette âme d'imposture; L'aveugle a dans ce coeur vidé l'aveuglement. À ce lugubre élève, à ce maître inclément Je pardonne; le mal a des pièges sans nombre; Je les plains; et j'implore au-dessus de nous l'ombre. Pauvre mère, ton fils ne sait pas ce qu'il fait. Quand Dieu germait en lui, le prêtre l'étouffait. Aujourd'hui le voilà dans cette Forêt-noire, Le dogme! Ignace ordonne; il est prêt à tout boire, Le faux, le vrai, le bien, le mal, l'erreur, le sang! Tout! Frappe ! il obéit. Assassine! il consent. Hélas ! comment veut-on que je lui sois sévère ? Le sommet qui fait grâce au gouffre est le Calvaire. Mornes bourreaux, à nous martyrs vous vous fiez; Et nous, les lapidés et les crucifiés, Nous absolvons le vil caillou, le clou stupide; Nous pardonnons. C'est juste. Ah! ton fils me lapide, Mère, et je te bénis. Et je fais mon devoir. Un jour tu mourras, femme, et puisses-tu le voir Se frapper la poitrine, à genoux sur ta fosse! Puisse-t-il voir s'éteindre en lui la clarté fausse, Et sentir dans son coeur s'allumer le vrai feu, Et croire moins au prêtre et croire plus à Dieu!JEANNE ENDORMIE - IIIJeanne dort; elle laisse, ô pauvre ange banni, Sa douce petite âme aller dans l'infini; Ainsi le passereau fuit dans la cerisaie; Elle regarde ailleurs que sur terre, elle essaie, Hélas, avant de boire à nos coupes de fiel, De renouer un peu dans l'ombre avec le ciel. Apaisement sacré! ses cheveux, son haleine, Son teint, plus transparent qu'une aile de phalène, Ses gestes indistincts, son calme, c'est exquis. Le vieux grand-père, esclave heureux, pays conquis, La être est ici-bas le moindre Et le plus grand; on voit sur cette bouche poindre Un rire vague et pur qui vient on ne sait d'où; Comme elle est belle! Elle a des plis de graisse au cou; On la respire ainsi qu'un parfum d'asphodèle; Une poupée aux yeux étonnés est près d'elle, Et l'enfant par moments la presse sur son coeur. Figurez-vous cet ange obscur, tremblant, vainqueur, L'espérance étoilée autour de ce visage, Ce pied nu, ce sommeil d'une grâce en bas âge. Oh! quel profond sourire, et compris de lui seul, Elle rapportera de l'ombre à son aïeul! Car l'âme de l'enfant, pas encor dédorée, Semble être une lueur du lointain empyrée, Et l'attendrissement des vieillards, c'est de voir Que le matin veut bien se mêler à leur la réveillez pas. Cela dort, une rose. Jeanne au fond du sommeil médite et se compose Je ne sais quoi de plus céleste que le ciel. De lys en lys, de rêve en rêve, on fait son miel, Et l'âme de l'enfant travaille, humble et vermeille, Dans les songes ainsi que dans les fleurs l' DU LIONLE PALADINUn lion avait pris un enfant dans sa gueule, Et, sans lui faire mal, dans la forêt, aïeule Des sources et des nids, il l'avait emporté. Il l'avait, comme on cueille une fleur en été, Saisi sans trop savoir pourquoi, n'ayant pas même Mordu dedans, mépris fier ou pardon suprême; Les lions sont ainsi, sombres et généreux. Le pauvre petit prince était fort malheureux; Dans l'antre, qu'emplissait la grande voix bourrue, Blotti, tremblant, nourri d'herbe et de viande crue. Il vivait, presque mort et d'horreur hébété. C'était un frais garçon, fils du roi d'à côté; Tout jeune, ayant dix ans, âge tendre où l'oeil brille; Et le roi n'avait plus qu'une petite fille Nouvelle-née, ayant deux ans à peine; aussi Le roi qui vieillissait n'avait-il qu'un souci, Son héritier en proie au monstre; et la province Qui craignait le lion plus encor que le prince Était fort héros qui passait Dans le pays fit halte, et dit Qu'est-ce que c'est ? On lui dit l'aventure; il s'en alla vers l'antre.*Un creux où le soleil lui-même est pâle, et n'entre Qu'avec précaution, c'était l'antre où vivait L'énorme bête, ayant le rocher pour bois avait, dans l'ombre et sur un marécage, Plus de rameaux que n'a de barreaux une cage; Cette forêt était digne de ce consul ; Un menhir s'y dressait en l'honneur d'Irmensul; La forêt ressemblait aux halliers de Bretagne; Elle avait pour limite une rude montagne, Un de ces durs sommets où l'horizon finit; Et la caverne était taillée en plein granit, Avec un entourage orageux de grands chênes; Les antres, aux cités rendant haines pour haines, Contiennent on ne sait quel sombre talion. Les chênes murmuraient Respectez le lion!*Le héros pénétra dans ce palais sauvage; L'antre avait ce grand air de meurtre et de ravage Qui sied à la maison des puissants, de l'effroi, De l'ombre, et l'on sentait qu'on était chez un roi; Des ossements à terre indiquaient que le maître Ne se laissait manquer de rien; une fenêtre Faite par quelque coup de tonnerre au plafond L'éclairait; une brume où la lueur se fond, Qui semble aurore à l'aigle et nuit à la chouette, C'est toute la clarté qu'un conquérant souhaite; Du reste c'était haut et fier; on comprenait Que l'être altier couchait sur un lit de genêt Et n'avait pas besoin de rideaux de guipure, Et qu'il buvait du sang, mais aussi de l'eau pure, Simplement, sans valet, sans coupe et sans hanap. Le chevalier était armé de pied en cap. Il entra.*Tout de suite il vit dans la tanière Un des plus grands seigneurs couronnés de crinière Qu'on pût voir, et c'était la bête; elle pensait; Et son regard était profond, car nul ne sait Si les monstres des bois n'en sont pas les pontifes; Et ce lion était un maître aux larges griffes, Sinistre, point facile à décontenancer. Le héros approcha, mais sans trop avancer. Son pas était sonore, et sa plume était rouge. Il ne fit remuer rien dans l'auguste bouge. La bête était plongée en ses réflexions. Thésée entrant au gouffre où sont les Ixions Et les Sisyphes nus et les flots de l'Averne, Vit à peu près la même implacable caverne. Le paladin, à qui le devoir disait va! Tira l'épée. Alors le lion souleva Sa tête doucement d'une façon le chevalier dit-Salut, ô bête terrible! Tu caches dans les trous de ton antre un enfant; J'ai beau fouiller des yeux ton repaire étouffant, Je ne l'aperçois pas. Or, je viens le reprendre. Nous serons bons amis si tu veux me le rendre; Sinon, je suis lion aussi, moi, tu mourras; Et le père étreindra son enfant dans ses bras, Pendant qu'ici ton sang fumera, tiède encore; Et c'est ce que verra demain la blonde le lion pensif lui dit-Je ne crois pas.*Sur quoi le chevalier farouche fit un pas, Brandit sa grande épée, et dit Prends garde, sire! On vit le lion, chose effrayante, sourire. Ne faites pas sourire un lion. Le duel S'engagea, comme il sied entre géants, cruel, Tel que ceux qui de l'Inde ensanglantent les jungles. L'homme allongea son glaive et la bête ses ongles; On se prit corps à corps, et le monstre écumant Se mit à manier l'homme effroyablement; L'un était le vaillant et l'autre le vorace; Le lion étreignit la chair sous la cuirasse, Et, fauve, et sous sa griffe ardente pétrissant Ce fer et cet acier, il fit jaillir le sang Du sombre écrasement de toute cette armure, Comme un enfant rougit ses doigts dans une mûre; Et puis l'un après l'autre il ôta les morceaux Du casque et des brassards, et mit à nu les os. Et le grand chevalier n'était plus qu'une espèce De boue et de limon sous la cuirasse épaisse; Et le lion mangea le héros. Puis il mit Sa tête sur le roc sinistre et s' vint un s'avança vers l'antre; Grave et tremblant, sa croix au poing, sa corde au ventre, Il entra. Le héros tout rongé gisait là Informe, et le lion, se réveillant, bâilla. Le monstre ouvrit les yeux, entendit une haleine, Et, voyant une corde autour d'un froc de laine, Un grand capuchon noir, un homme là dedans, Acheva de bâiller, montrant toutes ses dents; Puis, auguste, et parlant comme une porte grince, Il dit-Que veux-tu, toi ?-Mon roi ? -Mon prince. -Qui ?-L' cela que tu nommes un roi! L'ermite salua le pourquoi As-tu pris cet enfant ?-Parce que je m'ennuie. Il me tient compagnie ici les jours de pluie. Je l' veux-tu faire enfin ? Le veux-tu donc manger?-Dame ! si j'avais faim ! -Songe au père, à son deuil, à sa douleur amère. -Les hommes m'ont tué la lionne, ma mère. -Le père est roi, seigneur, comme autant. S'il parle, c'est un homme, et moi, quand on m'entend, C'est le perd ce fils...-Il a sa fille. -Une fille, c'est peu pour un famille A moi, c'est l'âpre roche et la fauve forêt, Et l'éclair qui parfois sur ma tête apparaît; Je m'en clément pour une altesse. -La clémence n'est pas; tout est de la tristesse. -Veux-tu le paradis? Je t'offre le blanc-seing Du bon vieil imbécile de saint!L'ermite s'en CHASSE ET LA NUITLe lion solitaire, Plein de l'immense oubli qu'ont les monstres sur terre, Se rendormit, laissant l'intègre nuit venir. La lune parut, fit un spectre du menhir, De l'étang un linceul, du sentier un mensonge, Et du noir paysage inexprimable un songe; Et rien ne bougea plus dans la grotte, et, pendant Que les astres sacrés marchaient vers l'occident Et que l'herbe abritait la taupe et la cigale, La respiration du grand lion, égale Et calme, rassurait les bêtes dans les à coup des clameurs, des cors et des abois. Un de ces bruits de meute et d'hommes et de cuivres, Qui font que brusquement les forêts semblent ivres, Et que la nymphe écoute en tremblant dans son lit, La rumeur d'une chasse épouvantable emplit Toute cette ombre, lac, montagne, bois, prairie, Et troubla cette vaste et fauve rêverie. Le hallier s'empourpra de tous les sombres jeux D'une lueur mêlée à des cris orageux. On entendait hurler les chiens chercheurs de proies; Et des ombres couraient parmi les claires-voies. Cette altière rumeur d'avance triomphait. On eût dit une armée; et c'était en effet Des soldats envoyés par le roi, par le père, Pour délivrer le prince et forcer le repaire, Et rapporter la peau sanglante du lion. De quel côté de l'ombre est la rébellion, Du côté de la bête ou du côté de l'homme ? Dieu seul le sait; tout est le chiffre, il est la soldats avaient fait un repas copieux, Étaient en bon état, armés d'arcs et d'épieux, En grand nombre, et conduits par un fier capitaine. Quelques-uns revenaient d'une guerre lointaine, Et tous étaient des gens éprouvés et vaillants. Le lion entendait tous ces bruits malveillants, Car il avait ouvert sa tragique paupière; Mais sa tête restait paisible sur la pierre, Et seulement sa queue énorme remuait.*Au dehors, tout autour du grand antre muet, Hurlait le brouhaha de la foule indignée; Comme un essaim bourdonne autour d'une araignée, Comme une ruche autour d'un ours pris au lacet, Toute la légion des chasseurs frémissait; Elle s'était rangée en ordre de bataille. On savait que le monstre était de haute taille, Qu'il mangeait un héros comme un singe une noix, Qu'il était plus hautain qu'un tigre n'est sournois, Que son regard faisait baisser les yeux à l'aigle; Aussi lui faisait-on l'honneur d'un siège en règle. La troupe à coups de hache abattait les fourrés; Les soldats avançaient l'un sur l'autre serrés, Et les arbres tendaient sur la corde les flèches. On fit silence, afin que sur les feuilles sèches On entendît les pas du lion, s'il venait. Et les chiens, qui selon le moment où l'on est Savent se taire, allaient devant eux, gueule ouverte, Mais sans bruit. Les flambeaux dans la bruyère verte Rôdaient, et leur lumière allongée en avant Éclairait ce chaos d'arbres tremblant au vent; C'est ainsi qu'une chasse habile se gouverne. On voyait à travers les branches la caverne, Sorte de masse informe au fond du bois épais, Béante, mais muette, ayant un air de paix Et de rêve, et semblant ignorer cette armée. D'un âtre où le feu couve il sort de la fumée, D'une ville assiégée on entend le beffroi; Ici rien de pareil; avec un vague effroi, Tous observaient, le poing sur l'arc ou sur la pique, Cette tranquillité sombre de l'antre épique; Les dogues chuchotaient entre eux je ne sais quoi; De l'horreur qui dans l'ombre obscure se tient coi, C'est plus inquiétant qu'un fracas de tempête. Cependant on était venu pour cette bête, On avançait, les yeux fixés sur la forêt, Et non sans redouter ce que l'on désirait; Les éclaireurs guettaient, élevant leur lanterne; On regardait le seuil béant de la caverne; Les arbres frissonnaient, silencieux témoins; On marchait en bon ordre, on était mille au moins... Tout à coup apparut la face formidable.*On vit le lion. Tout devint inabordable Sur-le-champ, et les bois parurent agrandis; Ce fut un tremblement parmi les plus hardis; Mais, fût-ce en frémissant, de vaillants archers tirent, Et sur le grand lion les flèches s'abattirent, Un tourbillon de dards le cribla. Le lion, Pas plus que sous l'orage Ossa ni Pélion Ne s'émeuvent, fronça son poil, et grave, austère, Secoua la plupart des flèches sur la terre; D'autres, sur qui ces dards se seraient enfoncés, Auraient certes trouvé qu'il en restait assez, Ou se seraient enfuis; le sang rayait sa croupe; Mais il n'y prit point garde, et regarda la troupe; Et ces hommes, troublés d'être en un pareil lieu, Doutaient s'il était monstre ou bien s'il était dieu. Les chiens muets cherchaient l'abri des fers de lance. Alors le fier lion poussa, dans ce silence, A travers les grands bois et les marais dormants, Un de ces monstrueux et noirs rugissements Qui sont plus effrayants que tout ce qu'on vénère, Et qui font qu'à demi réveillé, le tonnerre Dit dans le ciel profond Qui donc tonne là-bas ?Tout fut fini. La fuite emporte les combats Comme le vent la brume, et toute cette armée, Dissoute, aux quatre coins de l'horizon semée, S'évanouit devant l'horrible grondement. Tous, chefs, soldats, ce fut l'affaire d'un moment, Croyant être en des lieux surhumains où se forme On ne sait quel courroux de la nature énorme, Disparurent, tremblants, rampants, perdus, cachés. Et le monstre cria-Monts et forêts, sachez Qu'un lion libre est plus que mille hommes esclaves.*Les bêtes ont le cri comme un volcan les laves; Et cette éruption qui monte au firmament D'ordinaire suffit à leur apaisement; Les lions sont sereins plus que les dieux peut-être; Jadis, quand l'éclatant Olympe était le maître, Les Hercules disaient-Si nous étranglions A la fin, une fois pour toutes, les lions ? Et les lions disaient-Faisons grâce aux ce lion-ci, fils des noirs crépuscules, Resta sinistre, obscur, sombre; il était de ceux Qui sont à se calmer rétifs et paresseux, Et sa colère était d'une espèce farouche. La bête veut dormir quand le soleil se couche; Il lui déplaît d'avoir affaire aux chiens rampants; Ce lion venait d'être en butte aux guet-apens; On venait d'insulter la forêt magnanime; Il monta sur le mont, se dressa sur la cime, Et reprit la parole, et, comme le semeur Jette sa graine au loin, prolongea sa clameur De façon que le roi l'entendit dans sa ville-Roi! tu m'as attaqué d'une manière vile! Je n'ai point jusqu'ici fait mal à ton garçon; Mais, roi, je t'avertis, par-dessus l'horizon Que j'entrerai demain dans ta ville à l'aurore, Que je t'apporterai l'enfant vivant encore, Que j'invite à me voir entrer tous tes valets, Et que je mangerai ton fils dans ton nuit passa, laissant les ruisseaux fuir sous l'herbe Et la nuée errer au fond du ciel lendemain on vit dans la ville ceciL'aurore; le désert; des gens criant merci, Fuyant, faces d'effroi bien vite disparues; Et le vaste lion qui marchait dans les blême peuple était dans les caves épars. A quoi bon résister ? Pas un homme aux remparts; Les portes de la ville étaient grandes ouvertes. Ces bêtes à demi divines sont couvertes D'une telle épouvante et d'un doute si noir, Leur antre est un si morne et si puissant manoir, Qu'il est décidément presque impie et peu sage, Quand il leur plaît d'errer, d'être sur leur passage. Vers le palais chargé d'un dôme d'or massif Le lion à pas lents s'acheminait pensif, Encor tout hérissé des flèches dédaignées; Une écorce de chêne a des coups de cognées, Mais l'arbre n'en meurt pas; et, sans voir un archer, Grave, il continuait d'aller et de marcher; Et le peuple tremblait, laissant la bête seule. Le lion avançait, tranquille, et dans sa gueule Effroyable il avait l'enfant petit prince est-il un petit homme ? Oui. Et la sainte pitié pleurait dans les ténèbres. Le doux captif, livide entre ces crocs funèbres, Était des deux côtés de la gueule pendant, Pâle, mais n'avait pas encore un coup de dent; Et, cette proie étant un bâillon dans sa bouche, Le lion ne pouvait rugir, ennui farouche Pour un monstre, et son calme était très furieux; Son silence augmentait la flamme de ses yeux; Aucun arc ne brillait dans aucune embrasure; Peut-être craignait-on qu'une flèche peu sûre, Tremblante, mal lancée au monstre triomphant, Ne manquât le lion et ne tuât l'enfant.*Comme il l'avait promis par-dessus la montagne, Le monstre, méprisant la ville comme un bagne, Alla droit au palais, las de voir tout trembler, Espérant trouver là quelqu'un à qui parler, La porte ouverte, ainsi qu'au vent le jonc frissonne, Vacillait. Il entra dans le palais. en pleurant son fils, le roi s'était enfui Et caché comme tous, voulant vivre aussi lui, S'estimant au bonheur des peuples nécessaire. Une bête féroce est un être sincère Et n'aime point la peur; le lion se sentit Honteux d'être si grand, l'homme étant si petit; Il se dit, dans la nuit qu'un lion a pour âme -C'est bien, je mangerai le fils. Quel père infâme!- Terrible, après la cour prenant le corridor, Il se mit à rôder sous les hauts plafonds d'or; Il vit le trône, et rien dedans; des chambres vertes, Jaunes, rouges, aux seuils vides, toutes désertes; Le monstre allait de salle en salle, pas à pas, Affreux, cherchant un lieu commode à son repas; Il avait faim. Soudain l'effrayant marcheur fauve S'arrêta.*Près du parc en fleur, dans une alcôve, Un pauvre être, oublié dans la fuite, bercé Par l'immense humble rêve à l'enfance versé, Inondé de soleil à travers la charmille, Se réveillait. C'était une petite fille; L'autre enfant du roi. Seule et nue, elle chantait. Car l'enfant chante même alors que tout se ineffable voix, plus tendre qu'une lyre, Une petite bouche avec un grand sourire, Un ange dans un tas de joujoux, un berceau, Crèche pour un Jésus ou nid pour un oiseau, Deux profonds yeux bleus, pleins de clartés inconnues, Col nu, pieds nus, bras nus, ventre nu, jambes nues, Une brassière blanche allant jusqu'au nombril. Un astre dans l'azur, un rayon en avril, Un lys du ciel daignant sur cette terre éclore, Telle était cette enfant plus douce que l'aurore; Et le lion venait d'apercevoir entra dans la chambre, et le plancher les jouets qui couvraient une table, Le lion avança sa tête épouvantable, Sombre en sa majesté de monstre et d'empereur, Et sa proie en sa gueule augmentait son horreur. L'enfant le vit, l'enfant cria-Frère! mon frère ! Ah! mon frère!-et debout, rose dans la lumière Qui la divinisait et qui la réchauffait, Regarda ce géant des bois, dont l'oeil eût fait Reculer les Typhons et fuir les Briarées. Qui sait ce qui se passe en ces têtes sacrées ? Elle se dressa droite au bord du lit étroit, Et menaça le monstre avec son petit doigt. Alors, près du berceau de soie et de dentelle, Le grand lion posa son frère devant elle, Comme eût fait une mère en abaissant les bras, Et lui dit-Le voici. Là ! ne te fâche pas!À DES MES ENVOLÉESCes âmes que tu rappelles, Mon coeur, ne reviennent pas. Pourquoi donc s'obstinent-elles, Hélas ! à rester là-bas ?Dans les sphères éclatantes, Dans l'azur et les rayons, Sont-elles donc plus contentes Qu'avec nous qui les aimions?Nous avions sous les tonnelles Une maison près Saint-Leu. Comme les fleurs étaient belles! Comme le ciel était bleu!Parmi les feuilles tombées, Nous courions au bois vermeil; Nous cherchions des scarabées Sur les vieux murs au soleil;On riait de ce bon rire Qu'Éden jadis entendit, Ayant toujours à se dire Ce qu'on s'était déjà dit;Je contais la Mère l'Oie; On était heureux, Dieu sait! On poussait des cris de joie Pour un oiseau qui ENFANTS GÂTÉSEn me voyant si peu redoutable aux enfants, Et si rêveur devant les marmots triomphants, Les hommes sérieux froncent leurs sourcils mornes. Un grand-père échappé passant toutes les bornes, C'est moi. Triste, infini dans la paternité, Je ne suis rien qu'un bon vieux sourire entêté. Ces chers petits! Je suis grand-père sans mesure; Je suis l'ancêtre aimant ces nains que l'aube azure, Et regardant parfois la lune avec ennui, Et la voulant pour eux, et même un peu pour lui; Pas raisonnable enfin. C'est terrible. Je règne Mal, et je ne veux pas que mon peuple me craigne; Or, mon peuple, c'est Jeanne et George; et moi, barbon, Aïeul sans frein, ayant cette rage, être bon, Je leur fais enjamber toutes les lois, et j'ose Pousser aux attentats leur république rose; La popularité malsaine me séduit; Certe, on passe au vieillard, qu'attend la froide nuit, Son amour pour la grâce et le rire et l'aurore; Mais des petits, qui n'ont pas fait de crime encore, Je vous demande un peu si le grand-père doit Etre anarchique, au point de leur montrer du doigt, Comme pouvant dans l'ombre avoir des aventures, L'auguste armoire où sont les pots de confitures ! Oui, j'ai pour eux, parfois,-ménagères, pleurez!- Consommé le viol de ces vases sacrés. Je suis affreux. Pour eux je grimpe sur des chaises! Si je vois dans un coin une assiette de fraises Réservée au dessert de nous autres, je dis - chers petits oiseaux goulus du paradis, C'est à vous! Voyez-vous, en bas, sous la fenêtre, Ces enfants pauvres, l'un vient à peine de naître, Ils ont faim. Faites-les monter, et le masque. Eh bien! je tiens pour préjugés, Oui, je tiens pour erreurs stupides les maximes Qui veulent interdire aux grands aigles les cimes, L'amour aux seins d'albâtre et la joie aux enfants. Je nous trouve ennuyeux, assommants, étouffants. Je ris quand nous enflons notre colère d'homme Pour empêcher l'enfant de cueillir une pomme, Et quand nous permettons un faux serment aux rois. Défends moins tes pommiers et défends mieux tes droits, Paysan. Quand l'opprobre est une mer qui monte, Quand je vois le bourgeois voter oui pour sa honte; Quand Scapin est évêque et Basile banquier; Quand, ainsi qu'on remue un pion sur l'échiquier, Un aventurier pose un forfait sur la France, Et le joue, impassible et sombre, avec la chance D'être forçat s'il perd et s'il gagne empereur; Quand on le laisse faire, et qu'on voit sans fureur Régner la trahison abrutie en orgie, Alors dans les berceaux moi je me réfugie, Je m'enfuis dans la douce aurore, et j'aime mieux Cet essaim d'innocents, petits démons joyeux Faisant tout ce qui peut leur passer par la tête, Que la foule acceptant le crime en pleine fête Et tout ce bas-empire infâme dans Paris; Et les enfants gâtés que les pères SYLLABUSTout en mangeant d'un air effaré vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bonté qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aïeul d'être tendre Et du ciel d'être pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fâché, je gronde, Non contre vous. Hélas, enfants, dans ce vil monde, Le prêtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbéciles Qui passe en ce prêtres font de l'ombre. Ah! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frère, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumière; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumière; Et d'eux, c'est la une petitesse et je déteste l'autre; Je hais leur bégaiement et j'adore le vôtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, écoutant ce que dit l'âme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux vous étiez hier, ô doux parleurs étranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, à moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y que vous dites sort du firmament austère; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix où rien n'insulte, où rien ne blâme, Où rien ne mord, s'ajoute au vaste épithalame Des bois doux balbutiement me plaît, je le préfère; Car j'y sens l'idéal; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forêts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'écoute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte à goutte Au fond des antres qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la même langue à l'âme inassouvie; En bas nous étouffons; Mais rêver, c'est planer dans les apothéoses, C'est comprendre; et les nids disent les mêmes choses Que les tombeaux prêtres vont criant Anathème ! anathème! Mais la nature dit de toutes parts Je t'aime! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie éclore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'âme n'a d' fait la grosse voix contre ces noirs pygmées; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumées, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fête immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits D'UNE PIÈCE DE MONNAIE DANS UNE QUÊTE FAITE PAR JEANNEMes amis, qui veut de la joie ? Moi, toi, vous. Eh bien, donnons tous. Donnons aux pauvres à genoux; Le soir, de peur qu'on ne nous pauvre, en pleurs sur le chemin, Nu sur son grabat misérable, Affamé, tremblant, incurable, Est l'essayeur du coeur le repousse en est plus morne; Qui l'assiste s'en va content. Ce vieux homme humble et grelottant, Ce spectre du coin de la borne,Cet infirme aux pas alourdis, Peut faire, en notre âme troublée, Descendre la joie étoilée Des profondeurs du sombre ? Oui, vous l'êtes; Eh bien, donnez; donnez encor. Riche, en échange d'un peu d'or Ou d'un peu d'argent que tu jettes,Indifférent, parfois moqueur, A l'indigent dans sa chaumière, Dieu te donne de la lumière Dont tu peux te remplir le coeur! Lesmeilleures offres pour Carte Yu-Gi-Oh- Aile Noire, Vent d'argent le Suprême - SOVR FR041 - Ultimate 1st sont sur eBay Comparez les prix et les spécificités des produits neufs et d'occasion Pleins d'articles en livraison gratuite! Le seul beau temps est le mauvais temps BadgePar NielsHillerLe seul beau temps est le mauvais temps BadgePar STdesignsLe seul bon temps est le mauvais temps BadgePar STdesignsLe seul beau temps est le mauvais temps - Météorologue Storm Chaser Meteorology BadgePar anasseinAprès le mauvais temps vient le beau temps BadgePar Black-Edition-DIl est temps de changer BadgePar TizizaLe temps file BadgePar LarryShanteLe changement est mauvais BadgePar Necktonic-StoreLe changement est mauvais BadgePar Necktonic-StoreUne fois de temps en temps, quelqu'un d'incroyable vient seul et me voici BadgePar Mayelshehawydonnez-vous le temps de grandir BadgePar M-PshopHomme d'aventure sur le sac à dos de randonnée au coucher du soleil de montagne seul dans le temps de la nature BadgePar RubelrirTemps sur l'île aux grenouilles BadgePar MaooKingFou de randonnée BadgePar byArtistsimplement passer du temps au soleil - T-shirt BadgePar HMD BERRICHIsimplement passer du temps au soleil - T-shirt BadgePar HMD BERRICHIC'est un mauvais garçon BadgePar AshmariaHousefilles qui touchent le coeur BadgePar soni80Les mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar ErenYeager11 Les mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar Robert JLes mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar Robert JGrâce à nous, chaque jour est jour est beau grâce à nous BadgePar ONbest ⭐⭐⭐⭐⭐Les mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar ayarstoreLes mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar cassidyrtios13Les mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar BrikzzJe suis un coach pour gagner du temps Je suppose que je ne me trompe jamais BadgePar Badrmarfakmauvais choix faire de bonnes histoires BadgePar Rodangoshop ⭐⭐⭐⭐⭐5419Vous seul pouvez réaliser vos rêves BadgePar TreeOfLyfeVous seul pouvez réaliser vos rêves BadgePar TreeOfLyfefilles qui touchent le cœur noir et blanc BadgePar soni80Les mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar moe121992Bonnes vibrations, minuterie d'été, pas de mauvais jours La plage BadgePar HollovBonnes vibrations, minuterie d'été, pas de mauvais jours La plage BadgePar Hollov Nouveau Punk Rock Mauvais Chemin BadgePar The World of DesignLe travail est entre de bonnes mains BadgePar CorrojaBeau design dans de superbes couleurs et une phrase positive BadgePar yolandeuprlp19Les mauvais choix font de bonnes histoires, citation drôle BadgePar LC-SHOPj'aime ma super maman BadgePar scrabbles shopACHETEZ-LE MAINTENANT OU PERDEZ-LE POUR TOUJOURS BadgePar Mary J WhaleyMa femme est la meilleure récompense BadgePar AugfiTout est connecté BadgePar jamalazakMon outie connaît un beau rocher d'un simple. BadgePar mlailiesLA VIE EST MEILLEURE AVEC L'ARBRE BadgePar FalaqCollectionta place est avec moi BadgePar hlimdesignta place est avec moi BadgePar hlimdesignTa place est avec moi. BadgePar hlimdesignMa femme est mexicaine, rien ne me fait peur BadgePar mlailiesCitations de motivation sur la longue durée de vie, les mauvais choix font de bonnes histoires BadgePar most2000Ensemble, sauvons le monde BadgePar LiveMagicheal84Vous êtes le produit BadgePar thoufeeqmu19quel est l'homme d'origine BadgePar Sunofra180Tout ce qui est fait dans ce monde est fait par l'espoir Citation BadgePar quotation3Génial comme ma plus jeune fille Drôle Vintage Fête des Pères BadgePar Rosstom ⭐⭐⭐⭐⭐Sois belle comme maman BadgePar AiramAestheticsGénial comme ma plus jeune fille Drôle Vintage Fête des Pères BadgePar Rosstom ⭐⭐⭐⭐⭐Le pouvoir en chiffres BadgePar Necktonic-StoreLe pouvoir en chiffres BadgePar Necktonic-Storela classe est passée si vite BadgePar classybyclassyLe pouvoir en chiffres BadgePar Necktonic-StoreLe pouvoir en chiffres BadgePar Necktonic-StoreFleurit dans le noir BadgePar NouraouiÊtre vous est votre superpuissance BadgePar TreeOfLyfeÊtre vous est votre superpuissance BadgePar TreeOfLyfeDogecoin est ce dont nous avons besoin BadgePar tristyle1Le monde est un meilleur endroit avec vous dedans Vintage tendance BadgePar tapperasborupxqCertaines choses sont trop grosses pour être vues BadgePar Hello5050Tout le monde sait BadgePar OnefjefTout ce que tu peux imaginer est réel BadgePar TeamHashtagLe jeu est une ligne de vie pour les joueurs BadgePar Frenco ⭐⭐⭐⭐⭐Après tout est dit et soleil BadgePar ALIEXE2021LA VIE EST TROP COURTE POUR VIVRE BadgePar perfectsketch83Votre vérité personnelle est votre cadeau au monde. 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BadgePar arteegoodsGreen Drive à travers le monde conçoit BadgePar LiveMagicheal84Fait comme vous souhaiteriez le voir fait BadgePar majdjordanNotre océan est en train de mourir BadgePar LiveMagicheal84Un chien est la seule chose sur terre qui vous aime plus que vous-même BadgePar Shop 4uUn chien est la seule chose sur terre qui vous aime plus que vous-même BadgePar Shop 4uUn chien est la seule chose sur terre qui vous aime plus que vous-même BadgePar Shop 4uUNE VIE EST UNE CHANCE POUR VOUS D'EN FAIRE UNE NOUVELLE BadgePar hlimdesignUNE VIE EST UNE CHANCE POUR VOUS D'EN FAIRE UNE NOUVELLE BadgePar hlimdesignPour le monde, vous n'êtes peut-être qu'une seule personne. mais pour nous tu es le monde BadgePar CorrojaUNE VIE EST UNE CHANCE POUR VOUS D'EN FAIRE UNE NOUVELLE BadgePar hlimdesignVous pouvez le faire merci docteurs BadgePar majdjordanDieu nous aime, mais le diable s'y intéresse. BadgePar hlimdesignDieu nous aime, mais le diable s'y intéresse. BadgePar hlimdesignj'aime mon beau chat et mon chat m'aime BadgePar KA-shirtsDieu nous aime, mais le diable s'y intéresse. BadgePar hlimdesignJ'aime ma mère plus que le jeu vidéo BadgePar LululikesUJ'aime ma maman plus que le jeu vidéo BadgePar LululikesULe printemps de fleurs minimales mignonnes roses arrive BadgePar MoonieKiddoProfiter de la vie manger sainement BadgePar aminet2022Maman - Fais-le comme maman te l'a dit BadgePar JOSEPHARTUSLe bonheur vient dans la vie continue BadgePar Necktonic-StoreLe bonheur vient dans la vie continue BadgePar Necktonic-StoreDieu est dans les détails BadgePar PinselArtsUn meilleur ami est quelqu'un qui vous aime quand vous oubliez de vous aimer BadgePar Shop 4uUne mauvaise journée de pêche bat le travail BadgePar TeamHashtagMOM PENSE QU'ELLE EST EN CHARGE C'EST TELLEMENT MIGNON T-SHIRT CLASSIQUE BadgePar laillashop2020Être un adulte est épuisant BadgePar kasabiaCommencez votre journée avec le sourire, commencez, jour, souriez BadgePar ArtManiaGRFK Aile Noire - Vent d'argent le suprême - Technochimère le Dragon Forteresse - Dragon de la Catastrophe Enfernité (j'ai souvent pas de carte en main alors il m'aide) -
Faceclaim + © Ben Barnes c andthesunrisesagain ava prettygirl aes Comptes Lysandre Valois, Breena Wessely & Phyrra Sarwenys Content warning Meutre, mort, maladie, maltraitance et abandon d'enfant. Disponibilité Complet 6/4 Fréquence de RP Aléatoire. Âge 68 YO — bien qu'il n'en affiche pas plus de quarante. Race HYBRID — il est né d'un Grand Fae et de son épouse et âme soeur Illyrienne. Cour NIGHT COURT — il la porte dans son âme autant que dans son physique. Résidence VELARIS — la plupart du temps. Quand il ne part pas espionner on peut aussi le retrouver dans les campements illyriens de sa Cour. Occupation SOLDIER — Haut Gradé de l'armée de la Nuit. Dans l'ombre, il est aussi l'Eole du Cercle Est des Stormvaengir Statut social FALLEN — descendant d'une famille de baron déchu, il ne s'est jamais senti ou comporté comme un noble. Statut civil BROKEN — Depuis le décès de sa compagne. Il préfère demeurer sans attache Orientation sexuelle STRAIGHT — seules les courbes féminines aiguisent son appétit. Âme sœur ARIANA CUENTA — bien que cela n'ait aucune importance à ses yeux. Allégeance NIGHT COURT & STORMVAENGIR — sa cour et sa guilde, pour le bien des ailés et de tous les hybrides. Zone libre NUIT la famille Volyn Lun 18 Avr - 1107 Un système d'onglet en javascript Un hurlement dans la nuitEmblème Un loup noir sur fond Un hurlement dans la Maitrise des d'influence Pendant de nombreux siècles, les Volyn ont prospéré à la Cour de la Nuit en se faisant intermédiaires entre la Cour de l'Aumtone et l'armée de la Nuit dans l'armement. Allant jusqu'à obtenir la noblesse d'un titre de baron, la famille a brutalement été déchue, il y a deux siècles, par le Suprême de la Nuit. Grâce à ses contacts, la famille a gardé une forte influence auprès de la petite noblesse et s'est développée dans des activités illégales au point d'y perdre quelques membre dans la partie. Informations La famille conserve une certaine aisance financière. Récemment, le Fléau emportant le Patriarche et son épouse, les rênes de la famille Volyn reviennent au petit-fils de ce dernier et de grands changements se font d'ors et déjà voir. Soudainement discret, ce nom jusque là profondément pro-fae commence à fournir les camps d'entrainement illyriens et l'armée de la nuit sans chercher à retrouver son rang passé. Si certains de ses membres fréquentent de grands cercles de la Cour, ils ne cherchent plus à affirmer d'influence politique à ce jour. Des branches secondaires sont possibles à travers un frère ou une soeur du patriarche défunt oncle et tante de Tomas. Ils ne vivent cependant pas à meurtre, NuitStatut Famille de barons Blancs Amérique du Nord, Europe. Ils ont les cheveux noirs et les yeux sombres mais il n'est pas rares de voir des regards clairs ponctuer les principaleM Tomas Volyn pnjdécédé en 795 l'âge de 69 ans. F Meiri Volyn pnjdécédée en 796 l'âge de 53 ans.M Neven Volyn pris68 ans, capitaine de Velarishybride ailéM Delyan Volyn libre57 ans, hybride ailéF Dana Volyn prise48 ans, gardienne d'oeuvre d'arthybride non ailée scenarioF Ida Volyn prise40 ans, hybride ailée de l'hiver adoptée par Neven scenario _________________Neven ☩what we think to be our greatest weakness can sometimes be our biggest strength. and that the most unlikely person can alter the course of history.
AileNoire - Vent d'Argent le Suprême. Genteck en possède 1 Carte de Référence . Ref. Edition Rareté Langue État Valeur Qté Echange Vente; LC5D-FR134: Collection Légendaire 5D's Méga Pack: SR: FRA: Jouée? 1: non: non: Cote Arpenteurs : 9.00 €-- 38 arpenteurs recherchent cette carte * * Connectez-vous pour trouver ces arpenteurs. Mon Compte • Membres • FAQ • CGV •
Paul Verlaine Å’uvres poétiques Poèmes saturniens Les Sages d'autrefois... Les Sages d'autrefois, qui valaient bien ceux-ci, Crurent, et c'est un point encor mal éclairci, Lire au ciel les bonheurs ainsi que les désastres, Et que chaque âme était liée à l'un des astres. On a beaucoup raillé, sans penser que souvent Le rire est ridicule autant que décevant, Cette explication du mystère nocturne. Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE, Fauve planète, chère aux nécromanciens, Ont entre tous, d'après les grimoires anciens, Bonne part de malheur et bonne part de bile. L'Imagination, inquiète et débile, Vient rendre nul en eux l'effort de la Raison. Dans leurs veines le sang, subtil comme un poison, Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule En grésillant leur triste Idéal qui s'écroule. Tels les Saturniens doivent souffrir et tels Mourir, - en admettant que nous soyons mortels, Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne Par la logique d'une Influence maligne. P. V. Prologue Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire, Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire, Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant, Et, par l'intensité de leur vertu troublant Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même, Augustes, s'élevaient jusqu'au Néant suprême, Ah! la terre et la mer et le ciel, purs encor Et jeunes, qu'arrosait une lumière d'or Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres, Et retenant le vol obstiné de essaims, Les Poètes sacrés chanter les Guerriers saints, Cependant que le ciel et la mer et la terre Voyaient, - rouges et las de leur travail austère, S'incliner, pénitents fauves et timorés, Les Guerriers saints devant les Poètes sacrés! Une connexité grandiosement alme Liait le Kçhatrya serein au Chanteur calme, Valmiki l'excellent à l'excellent Rama Telles sur un étang deux touffes de padma. - Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique, De Spartè la sévère à la rieuse Attique, Les Aèdes, Orpheus, Alkaïos, étaient Encore des héros altiers, et combattaient. Homéros, s'il n'a pas, lui, manié le glaive, Fait retenir, clameur immense qui s'élève, Vos échos jamais las, vastes postérités, D'Hektôr, et d'Odysseus, et d'Akhilleus chantés. Les héros à leur tour, après les luttes vastes, Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes, Et non moins que de l'art d'Arès furent épris De l'Art dont une Palme immortelle est le prix, Akhilleus entre tous! Et le LaÃrtiade Dompta, parole d'or qui charme et persuade, Les esprits et les coeurs et les âmes toujours, Ainsi qu'Orpheus domptait les tigres et les ours. - Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères, Est-ce que le Trouvère héroïque n'eut pas Comme le Preux sa part auguste des combats? Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne, Et son neveu Roland resté dans la montagne Et le bon Olivier et Turpin au grand coeur, En beaux couplets et sur un rhythme âpre et vainqueur, Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles, Les durs Leudes, perdant leur sang par vingt entailles, Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux De Roland et de ceux qui virent Roncevaux Et furent de l'énorme et suprême tuerie, Du temps de l'Empereur à la barbe fleurie?... - Aujourd'hui, l'Action et le Rêve ont brisé Le pacte primitif par les siècles usé, Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce De l'Harmonie immense et bleue et de la Force. La Force, qu'autrefois le Poète tenait En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait, La Force, maintenant, la Force, c'est la Bête Féroce bondissante et folle et toujours prête A tout carnage, à tout dévastement, à tout Egorgement, d'un bout du monde à l'autre bout! L'Action qu'autrefois réglait le chant des lyres, Trouble, enivrée, en proie aux cent mille délires Fuligineux d'un siècle en ébullition, L'Action à présent, - ô pitié! - l'Action, C'est l'ouragan, c'est la tempête, c'est la houle Marine dans la nuit sans étoiles, qui roule Et déroule parmi des bruits sourds l'effroi vert Et rouge des éclairs sur le ciel entr'ouvert! - Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes De la vie et du choc désordonné des armes Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs Ineffables, voici le groupe des Chanteurs Vêtus de blanc, et des lueurs d'apothéoses Empourprent la fierté sereine de leurs poses Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux, Et sous leur front le rêve inachevé des Dieux! Le monde, que troublait leur parole profonde, Les exile. A leur tour ils exilent le monde! C'est qu'ils ont à la fin compris qu'il ne faut plus Mêler leur note pure aux cris irrésolus Que va poussant la foule obscène et violente, Et que l'isolement sied à leur marche lente. Le Poète, l'amour du Beau, voilà sa foi, L'Azur, son étendard, et l'Idéal, sa loi! Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles, Où le rayonnement des choses éternelles A mis des visions qu'il suit avidement, Ne sauraient s'abaisser une heure seulement Sur le honteux conflit des besognes vulgaires Et sur vos vanités plates; et si naguères On le vit au milieu des hommes, épousant Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant Aux guerres, célébrant l'orgueil des Républiques Et l'éclat militaire et les splendeurs auliques Sur la kithare, sur la harpe et sur le luth, S'il honorait parfois le présent d'un salut Et daignait consentir à ce rôle de prêtre D'aimer et de bénir, et s'il voulait bien être La voix qui rit ou pleure alors qu'on pleure ou rit, S'il inclinait vers l'âme humaine son esprit, C'est qu'il se méprenait alors sur l'âme humaine. - Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène! Melancholia A Ernest Boutier. I Résignation Tout enfant, j'allais rêvant Ko-Hinnor, Somptuosité persane et papale, Héliogabale et Sardanapale! Mon désir créait sous des toits en or, Parmi les parfums, au son des musiques, Des harems sans fin, paradis physiques! Aujourd'hui, plus calme et non moins ardent, Mais sachant la vie et qu'il faut qu'on plie, J'ai dû refréner ma belle folie, Sans me résigner par trop cependant. Soit! le grandiose échappe à ma dent, Mais, fi de l'aimable et fi de la lie! Et je hais toujours la femme jolie, La rime assonante et l'ami prudent. II Nevermore Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L'automne Faisait voler la grive à travers l'air atone, Et le soleil dardait un rayon monotone Sur le bois jaunissant où la bise détonne. Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant "Quel fut ton plus beau jour?" fit sa voix d'or vivant, Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique. Un sourire discret lui donna la réplique, Et je baisai sa main blanche, dévotement. - Ah! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées! Et qu'il bruit avec un murmure charmant Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées! III Après trois ans Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, Je me suis promené dans le petit jardin Qu'éclairait doucement le soleil du matin, Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle. Rien n'a changé. J'ai tout revu l'humble tonnelle De vigne folle avec les chaises de rotin... Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle. Les roses comme avant palpitent; comme avant, Les grands lys orgueilleux se balancent au vent. Chaque alouette qui va et vient m'est connue. Même j'ai retrouvé debout la Velléda Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue, - Grêle, parmi l'odeur fade du réséda. IV Voeu Ah! les oaristys! les premières maÃtresses! L'or des cheveux, l'azur des yeux, la fleur des chairs, Et puis, parmi l'odeur des corps jeunes et chers, La spontanéité craintive des caresses! Sont-elles assez loin toutes ces allégresses Et toutes ces candeurs! Hélas! toutes devers Le printemps des regrets ont fui les noirs hivers De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses! Si que me voilà seul à présent, morne et seul, Morne et désespéré, plus glacé qu'un aïeul, Et tel qu'un orphelin pauvre sans soeur aÃnée. O la femme à l'amour câlin et réchauffant, Douce, pensive et brune, et jamais étonnée, Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant! V Lassitude A batallas de amor campo de pluma. Gongora. De la douceur, de la douceur, de la douceur! Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante. Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l'amante Doit avoir l'abandon paisible de la soeur. Sois langoureuse, fais ta caresse endormante, Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur. Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur Ne valent pas un long baiser, même qui mente! Mais dans ton cher coeur d'or, me dis-tu, mon enfant, La fauve passion va sonnant l'olifant!... Laisse-la trompeter à son aise, la gueuse! Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main, Et fais-moi des serments que tu rompras demain, Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse! VI Mon rêve familier Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime, Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon coeur, transparent Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraÃchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse? - Je l'ignore. Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila. Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues. VII A une femme A vous ces vers de par la grâce consolante De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux, De par votre âme pure et toute bonne, à vous Ces vers du fond de ma détresse violente. C'est qu'hélas! le hideux cauchemar qui me hante N'a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux, Se multipliant comme un cortège de loups Et se pendant après mon sort qu'il ensanglante! Oh! je souffre, je souffre affreusement, si bien Que le gémissement premier du premier homme Chassé d'Eden n'est qu'une églogue au prix du mien! Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme Des hirondelles sur un ciel d'après-midi; - Chère, - par un beau jour de septembre attiédi. VIII L'angoisse Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales Siciliennes, ni les pompes aurorales, Ni la solennité dolente des couchants. Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants, Des vers, des temples grecs et des tours en spirales Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales, Et je vois du même oeil les bons et les méchants. Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie Toute pensée, et quant à la vieille ironie, L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus. Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille Au brick perdu jouet du flux et du reflux, Mon âme pour d'affreux naufrages appareille. Eaux-Fortes A François Coppée. I Croquis Parisien La lune plaquait ses teintes de zinc Par angles obtus. Des bouts de fumée en forme de cinq Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus. Le ciel était gris. La bise pleurait Ainsi qu'un basson. Au loin, un matou frileux et discret Miaulait d'étrange et grêle façon. Moi, j'allais, rêvant du divin Platon Et de Phidias, Et de Salamine et de Marathon, Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz. II Cauchemar J'ai vu passer dans mon rêve - Tel l'ouragan sur la grève, - D'une main tenant un glaive Et de l'autre un sablier, Ce cavalier Des ballades d'Allemagne Qu'à travers ville et campagne, Et du fleuve à la montagne, Et des forêts au vallon, Un étalon Rouge-flamme et noir d'ébène, Sans bride, ni mors, ni rêne, Ni hop! ni cravache, entraÃne Parmi des râlements sourds Toujours! toujours! Un grand feutre à longue plume Ombrait son oeil qui s'allume Et s'éteint. Tel, dans la brume, Eclate et meurt l'éclair bleu D'une arme à feu. Comme l'aile d'une orfraie Qu'un subit orage effraie, Par l'air que la neige raie, Son manteau se soulevant Claquait au vent, Et montrait d'un air de gloire Un torse d'ombre et d'ivoire, Tandis que dans la nuit noire Luisaient en des cris stridents Trente-deux dents. III Marine L'Océan sonore Palpite sous l'oeil De la lune en deuil Et palpite encore, Tandis qu'un éclair Brutal et sinistre Fend le ciel de bistre D'un long zigzag clair, Et que chaque lame En bonds convulsifs Le long des récifs Va, vient, luit et clame, Et qu'au firmament, Où l'ouragan erre, Rugit le tonnerre IV Effet de nuit La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette De flèches et de tours à jour la silhouette D'une ville gothique éteinte au lointain gris. La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris Secoués par le bec avide des corneilles Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles, Tandis que leurs pieds sont la pâture des loups. Quelques buissons d'épine épars, et quelque houx Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche, Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche. Et puis, autour de trois livides prisonniers Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse, Luisent à contre-sens des lances de l'averse. V Grotesques Leurs jambes pour toutes montures, Pour tous biens l'or de leurs regards, Par le chemin des aventures Ils vont haillonneux et hagards. Le sage, indigné, les harangue; Le sot plaint ces fous hasardeux; Les enfants leur tirent la langue Et les filles se moquent d'eux. C'est qu'odieux et ridicules, Et maléfiques en effet, Ils ont l'air, sur les crépuscules, D'un mauvais rêve que l'on fait; C'est que, sur leurs aigres guitares Crispant la main des libertés, Ils nasillent des chants bizarres, Nostalgiques et révoltés; C'est enfin que dans leurs prunelles Rit et pleure - fastidieux - L'amour des choses éternelles, Des vieux morts et des anciens dieux! - Donc, allez, vagabonds sans trêves, Errez, funestes et maudits, Le long des gouffres et des grèves, Sous l'oeil fermé des paradis! La nature à l'homme s'allie Pour châtier comme il le faut L'orgueilleuse mélancolie Qui vous fait marcher le front haut, Et, vengeant sur vous le blasphème Des vastes espoirs véhéments, Meurtrit votre front anathème Au choc rude des éléments. Les juins brûlent et les décembres Gèlent votre chair jusqu'aux os, Et la fièvre envahit vos membres Qui se déchirent aux roseaux. Tout vous repousse et tout vous navre, Et quand la mort viendra pour vous, Maigre et froide, votre cadavre Sera dédaigné par les loups! Paysages tristes A Catulle Mendès. I Soleils couchants Une aube affaiblie Verse par les champs La mélancolie Des soleils couchants. La mélancolie Berce de doux chants Mon coeur qui s'oublie Aux soleils couchants. Et d'étranges rêves, Comme des soleils Couchants sur les grèves, Fantômes vermeils, Défilent sans trêves, Défilent, pareils A des grands soleils Couchants sur les grèves. II Crépuscule du soir mystique Le Souvenir avec le Crépuscule Rougeoie et tremble à l'ardent horizon De l'Espérance en flamme qui recule Et s'agrandit ainsi qu'une cloison Mystérieuse où mainte floraison - Dahlia, lys, tulipe et renoncule - S'élance autour d'un treillis, et circule Parmi la maladive exhalaison De parfums lourds et chauds, dont le poison - Dahlia, lys, tulipe et renoncule - Noyant mes sens, mon âme et ma raison, Mêle dans une immense pâmoison Le Souvenir avec le Crépuscule. III Promenade sentimentale Le couchant dardait ses rayons suprêmes Et le vent berçait les nénuphars blêmes; Les grands nénuphars entre les roseaux Tristement luisaient sur les calmes eaux. Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie Au long de l'étang, parmi la saulaie Où la brume vague évoquait un grand Fantôme laiteux se désespérant Et pleurant avec la voix des sarcelles Qui se rappelaient en battant des ailes Parmi la saulaie où j'errais tout seul Promenant ma plaie; et l'épais linceul Des ténèbres vint noyer les suprêmes Rayons du couchant dans ses ondes blêmes Et des nénuphars, parmi les roseaux, Des grands nénuphars sur les calmes eaux. IV Nuit du Walpurgis classique C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre. Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement Rhythmique. - Imaginez un jardin de Lenôtre, Correct, ridicule et charmant. Des ronds-points; au milieu, des jets d'eau; des allées Toutes droites; sylvains de marbre; dieux marins De bronze; çà et là , des Vénus étalées; Des quinconces, des boulingrins; Des châtaigniers; des plants de fleurs formant la dune; Ici, des rosiers nains qu'un goût docte effila; Plus loin, des ifs taillés en triangle. La lune D'un soir d'été sur tout cela. Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air De chasse tel, doux, lent, sourd et mélancolique, L'air de chasse de Tannhauser. Des chants voilés de cors lointains où la tendresse Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords Harmonieusement dissonants dans l'ivresse; Et voici qu'à l'appel des cors S'entrelacent soudain des formes toutes blanches, Diaphanes, et que le clair de lune fait Opalines parmi l'ombre verte des branches, - Un Watteau rêvé par Raffet! - S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond, Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres Très lentement dansent en rond. - Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée Du poète ivre, ou son regret, ou son remords, Ces spectres agités en tourbe cadencée, Ou bien tout simplement des morts? Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu'invite L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée, - hein? - tous Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite, Ou bien des morts qui seraient fous? - N'importe! ils vont toujours, les fébriles fantômes, Menant leur ronde vaste et morne et tressautant Comme dans un rayon de soleil des atomes, Et s'évaporent à l'instant Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument Plus rien - absolument - qu'un jardin de Lenôtre, Correct, ridicule et charmant. V Chanson d'automne Les sanglots longs Des violons De l'automne Blessent mon coeur D'une langueur Tout suffocant Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure; Et je m'en vais Au vent mauvais Qui m'emporte Deçà , delà , Pareil à la Feuille morte. VI L'heure du berger La lune est rouge au brumeux horizon; Dans un brouillard qui danse la prairie S'endort fumeuse, et la grenouille crie Par les joncs verts où circule un frisson; Les fleurs des eaux referment leurs corolles; Des peupliers profilent aux lointains, Droits et serrés, leurs spectres incertains; Vers les buissons errent les lucioles; Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes, Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes. Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit. VII Le Rossignol Comme un vol criard d'oiseaux en émoi, Tous mes souvenirs s'abattent sur moi, S'abattent parmi le feuillage jaune De mon coeur mirant son tronc plié d'aune Au tain violet de l'eau des Regrets Qui mélancoliquement coule auprès, S'abattent, et puis la rumeur mauvaise Qu'une brise moite en montant apaise, S'éteint par degrés dans l'arbre, si bien Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien, Plus rien que la voix célébrant l'Absente, Plus rien que la voix - ô si languissante! - De l'oiseau que fut mon Premier Amour, Et qui chante encor comme au premier jour; Et dans la splendeur triste d'une lune Se levant blafarde et solennelle, une Nuit mélancolique et lourde d'été, Pleine de silence et d'obscurité; Berce sur l'azur qu'un vent doux effleure L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure. Caprices A Henry Winter. I Femme et chatte Elle jouait avec sa chatte, Et c'était merveille de voir La main blanche et la blanche patte S'ébattre dans l'ombre du soir. Elle cachait - la scélérate! - Sous ses mitaines de fil noir Ses meurtriers ongles d'agate, Coupants et clairs comme un rasoir. L'autre aussi faisait la sucrée Et rentrait sa griffe acérée, Mais le diable n'y perdait rien... Et dans le boudoir où, sonore, Tintait son rire aérien Brillaient quatre points de phosphore. II Jésuitisme Le Chagrin qui me tue est ironique, et joint Le sarcasme au supplice, et ne torture point Franchement, mais picote avec un faux sourire Et transforme en spectacle amusant mon martyre, Et sur la bière où gÃt mon Rêve mi-pourri Beugle un De Profundis sur l'air du Traderi. C'est un Tartuffe qui, tout en mettant des roses Pompons sur les autels des Madones moroses, Tout en faisant chanter à des enfants de choeur Ces cantiques d'eau tiède où se baigne le coeur, Tout en amidonnant ces guimpes amoureuses Qui serpentent au corps sacré des Bienheureuses, Tout en disant à voix basse son chapelet, Tout en passant la main sur son petit collet, Tout en parlant avec componction de l'âme, N'en médite pas moins ma ruine, - l'infâme! III La chanson des Ingénues Nous sommes les Ingénues Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu, Qui vivons, presque inconnues, Dans les romans qu'on lit peu. Nous allons entrelacées, Et le jour n'est pas plus pur Que le fond de nos pensées, Et nos rêves sont d'azur; Et nous courons par les prées, Et rions et babillons Des aubes jusqu'aux vesprées, Et chassons aux papillons; Et des chapeaux de bergères Défendent notre fraÃcheur, Et nos robes - si légères - Sont d'une extrême blancheur; Les Richelieux, les Caussades Et les chevaliers Faublas Nous prodiguent les oeillades, Les saluts et les "hélas!", Mais en vain, et leurs mimiques Se viennent casser le nez Devant les plis ironiques De nos jupons détournés; Et notre candeur se raille Des imaginations De ces raseurs de muraille, Bien que parfois nous sentions Battre nos coeurs sous nos mantes A des pensers clandestins, En nous sachant les amantes Futures des libertins. IV Une grande dame Belle "à damner les saints", à troubler sous l'aumusse Un vieux juge! Elle marche impérialement. Elle parle - et ses dents font un miroitement - Italien, avec un léger accent russe. Ses yeux froids où l'émail sertit le bleu de Prusse Ont l'éclat insolent et dur du diamant. Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon, N'égale sa beauté patricienne, non! Vois, ô bon Buridan "C'est une grande dame!" Il faut - pas de milieu! - l'adorer à genoux, Plat, n'ayant d'astre aux cieux que ses lourds cheveux roux Ou bien lui cravacher la face, à cette femme! V Monsieur Prudhomme Il est grave il est maire et père de famille. Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux Dans un rêve sans fin flottent insoucieux, Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille. Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux, Et les prés verts et les gazons silencieux? Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu. Il est juste-milieu, botaniste et pansu. Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles, Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a Plus en horreur que son éternel coryza, Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles. Initium Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes Et le bal tournoyait quand je la vis passer Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes De son oreille où mon Désir comme un baiser S'élançait et voulait lui parler, sans oser. Cependant elle allait, et la mazurque lente La portait dans son rhythme indolent comme un vers, - Rime mélodieuse, image étincelante, - Et son âme d'enfant rayonnait à travers La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts. Et depuis, ma Pensée - immobile - contemple Sa Splendeur évoquée, en adoration, Et dans son Souvenir, ainsi que dans un temple, Mon Amour entre, plein de superstition. Et je crois que voici venir la Passion. Çavitrà Maha-Baratta. Pour sauver son époux, Çavitrà fit le voeu De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières, Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières Rigide, ainsi que dit Vyaça, comme un pieu. Ni, Çurya, tes rais cruels, ni la langueur Que Tchandra vient épandre à minuit sur les cimes Ne firent défaillir, dans leurs efforts sublimes, La pensée et la chair de la femme au grand coeur. - Que nous cerne l'Oubli, noir et morne assassin, Ou que l'Envie aux traits amers nous ait pour cibles, Ainsi que Çavitrà faisons-nous impassibles, Mais, comme elle, dans l'âme ayons un haut dessein. Sub Urbe Les petits ifs du cimetière Frémissent au vent hiémal, Dans la glaciale lumière. Avec des bruits sourds qui font mal, Les croix de bois des tombes neuves Vibrent sur un ton anormal. Silencieux comme des fleuves, Mais gros de pleurs comme eux de flots, Les fils, les mères et les veuves Par les détours du triste enclos S'écoulent, - lente théorie, - Au rhythme heurté des sanglots. Le sol sous les pieds glisse et crie, Là -haut de grands nuages tors S'échevèlent avec furie. Pénétrant comme le remords, Tombe un froid lourd qui vous écoeure Et qui doit filtrer chez les morts, Chez les pauvres morts, à toute heure Seuls, et sans cesse grelottants, - Qu'on les oublie ou qu'on les pleure! - Ah! vienne vite le Printemps, Et son clair soleil qui caresse, Et ses doux oiseaux caquetants! Refleurisse l'enchanteresse Gloire des jardins et des champs Que l'âpre hiver tient en détresse! Et que, - des levers aux couchants, - L'or dilaté d'un ciel sans bornes Berce de parfums et de chants, Chers endormis, vos sommeils mornes! Sérénade Comme la voix d'un mort qui chanterait Du fond de sa fosse, MaÃtresse, entends monter vers ton retrait Ma voix aigre et fausse. Ouvre ton âme et ton oreille au son De ma mandoline Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson Cruelle et câline. Je chanterai tes yeux d'or et d'onyx Purs de toutes ombres, Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx De tes cheveux sombres. Comme la voix d'un mort qui chanterait Du fond de sa fosse, MaÃtresse, entends monter vers ton retrait Ma voix aigre et fausse. Puis je louerai beaucoup, comme il convient, Cette chair bénie Dont le parfum opulent me revient Les nuits d'insomnie. Et pour finir, je dirai le baiser De ta lèvre rouge, Et ta douceur à me martyriser, - Mon Ange! - ma Gouge! Ouvre ton âme et ton oreille au son De ma mandoline Pour toi j'ai fait, pour toi, cette chanson Cruelle et câline. Un Dahlia Courtisane au sein dur, à l'oeil opaque et brun S'ouvrant avec lenteur comme celui d'un boeuf, Ton grand torse reluit ainsi qu'un marbre neuf. Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun Arome, et la beauté sereine de ton corps Déroule, mate, ses impeccables accords. Tu ne sens même pas la chair, ce goût qu'au moins Exhalent celles-là qui vont fanant les foins, Et tu trônes, Idole insensible à l'encens. - Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur, Elève sans orgueil sa tête sans odeur, Irritant au milieu des jasmins agaçants! Nevermore Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice, Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux; Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux; Sème de fleurs les bords béants du précipice; Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice! Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni; Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides; Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides; Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni; Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni. Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches! Car mon rêve impossible a pris corps, et je l'ai Entre mes bras pressé le Bonheur, cet ailé Voyageur qui de l'Homme évite les approches, - Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches! Le Bonheur a marché côte à côte avec moi. Mais la FATALITE ne connaÃt point de trêve Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve, Et le remords est dans l'amour telle est la loi. - Le Bonheur a marché côte à côte avec moi. Il bacio Baiser! rose trémière au jardin des caresses! Vif accompagnement sur le clavier des dents Des doux refrains qu'Amour chante en les coeurs ardents Avec sa voix d'archange aux langueurs charmeresses! Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser! Volupté nonpareille, ivresse inénarrable! Salut! l'homme, penché sur ta coupe adorable, S'y grise d'un bonheur qu'il ne sait épuiser. Comme le vin du Rhin et comme la musique, Tu consoles et tu berces, et le chagrin Expire avec la moue en ton pli purpurin... Qu'un plus grand, GoÃthe ou Will, te dresse un vers classique. Moi, je ne puis, chétif trouvère de Paris, T'offrir que ce bouquet de strophes enfantines Sois bénin et, pour prix, sur les lèvres mutines D'Une que je connais, Baiser, descends, et ris. Dans les bois D'autres, - des innocents ou bien des lymphatiques, - Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux, Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux! D'autres s'y sentent pris - rêveurs - d'effrois mystiques. Ils sont heureux! Pour moi, nerveux, et qu'un remords Epouvantable et vague affole sans relâche, Par les forêts je tremble à la façon d'un lâche Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts. Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l'onde, D'où tombe un noir silence avec une ombre encor Plus noire, tout ce morne et sinistre décor Me remplit d'une horreur triviale et profonde. Surtout les soirs d'été la rougeur du couchant Se fond dans le gris bleu des brumes qu'elle teinte D'incendie et de sang; et l'angélus qui tinte Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant. Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe Et repasse, toujours plus fort, dans l'épaisseur Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur, Et s'éparpille, ainsi qu'un miasme, dans l'espace. La nuit vient. Le hibou s'envole. C'est l'instant Où l'on songe aux récits des aïeules naïves... Sous un fourré, là -bas, là -bas, des sources vives Font un bruit d'assassins postés se concertant. Nocturne Parisien A Edmond Lepelletier Roule, roule ton flot indolent, morne Sous tes ponts qu'environne une vapeur malsaine Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris, Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris. Mais tu n'en traÃnes pas, en tes ondes glacées, Autant que ton aspect m'inspire de pensées! Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font Monter le voyageur vers un passé profond, Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes, Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes. Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers Et reflète, les soirs, des boléros légers. Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive Où vient faire son kief l'odalisque lascive. Le Rhin est un burgrave, et c'est un troubadour Que le Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour. Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies, Berce de rêves doux le sommeil des momies. Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés, Charrie augustement ses Ãlots mordorés, Et soudain, beau d'éclairs, de fracas et de fastes, Splendidement s'écroule en Niagaras vastes. L'Eurotas, où l'essaim des cygnes familiers Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers, Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète, Rhythmique et caressant, chante ainsi qu'un poète. Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents En appareil royal, tandis qu'au loin la foule Le long des temples va hurlant, vivante houle, Au claquement massif des cymbales de bois, Et qu'accroupi, filant ses notes de hautbois, Du saut de l'antilope agile attendant l'heure, Le tigre jaune au dos rayé s'étire et pleure. - Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout, Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne. Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin Les passants alourdis de sommeil ou de faim, Et que le couchant met au ciel des taches rouges, Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant Notre-Dame, songer, coeur et cheveux au vent! Les nuages, chassés par la brise nocturne, Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne. Sur la tête d'un roi du portail, le soleil, Au moment de mourir, pose un baiser vermeil. L'hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre, Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre. Tout bruit s'apaise autour. A peine un vague son Dit que la ville est là qui chante sa chanson, Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes; Et c'est l'aube des vols, des amours et des crimes. - Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré Lançant dans l'air bruni son cri désespéré, Son cri qui se lamente et se prolonge, et crie, Eclate en quelque coin l'orgue de Barbarie Il brame un de ces airs, romances ou polkas, Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes, Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes. C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur, Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr; Ces rires sont traÃnés, ces plaintes sont hachées; Sur une clef de sol impossible juchées, Les notes ont un rhume et les do sont des la, Mais qu'importe! l'on pleure en entendant cela! Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves, Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves; La pitié monte au coeur et les larmes aux yeux, Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux, Et dans une harmonie étrange et fantastique Qui tient de la musique et tient de la plastique, L'âme, les inondant de lumière et de chant, Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant! - Et puis l'orgue s'éloigne, et puis c'est le silence, Et la nuit terne arrive, et Vénus se balance Sur une molle nue au fond des cieux obscurs; On allume les becs de gaz le long des murs, Et l'astre et les flambeaux font des zigzags fantasques Dans le fleuve plus noir que le velours des masques; Et le contemplateur sur le haut garde-fou Par l'air et par les ans rouillé comme un vieux sou Se penche, en proie aux vents néfastes de l'abÃme. Pensée, espoir serein, ambition sublime, Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit, Et l'on est seul avec Paris, l'Onde et la Nuit! - Sinistre trinité! De l'ombre dures portes! Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes! Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur, Si terribles, que l'Homme, ivre de la douleur Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre, L'Homme, espèce d'Oreste à qui manque une Electre, Sous la fatalité de votre regard creux Ne peut rien et va droit au précipice affreux; Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses De tuer et d'offrir au grand Ver des épouses Qu'on ne sait que choisir entre vos trois horreurs, Et si l'on craindrait moins périr par les terreurs Des Ténèbres que sous l'Eau sourde, l'Eau profonde, Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde! - Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant, Tu traÃnes dans Paris ton cours de vieux serpent, De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres Tes cargaisons de bois, de houille, et de cadavres! Marco Quand Marco passait, tous les jeunes hommes Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes Où les feux d'Amour brûlaient sans pitié Ta pauvre cahute, ô froide Amitié; Tout autour dansaient des parfums mystiques Où l'âme en pleurant s'anéantissait, Sur ses cheveux roux un charme glissait; Sa robe rendait d'étranges musiques Quand Marco passait. Quand Marco chantait, ses mains sur l'ivoire Evoquaient souvent la profondeur noire Des airs primitifs que nul n'a redits, Et sa voix montait dans les paradis De la symphonie immense des rêves, Et l'enthousiasme alors transportait Vers des cieux connus quiconque écoutait Ce timbre d'argent qui vibrait sans trêves Quand Marco chantait. Quand Marco pleurait, ses terribles larmes Défiaient l'éclat des plus belles armes; Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin Et son désespoir n'avait rien d'humain; Pareil au foyer que l'huile exaspère, Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait Dit d'une lionne à l'âpre forêt Communiquant sa terrible colère Quand Marco pleurait. Quand Marco dansait, sa jupe moirée Allait et venait comme une marée, Et, tel qu'un bambou flexible, son flanc Se tordait, faisant saillir son sein blanc Un éclair partait. Sa jambe de marbre, Emphatiquement cynique, haussait Ses mates splendeurs, et cela faisait Le bruit du vent de la nuit dans un arbre Quand Marco dansait. Quand Marco dormait, oh! quels parfums d'ambre Et de chair mêlés opprimaient la chambre! Sous les draps la ligne exquise du dos Ondulait, et dans l'ombre des rideaux L'haleine montait, rhythmique et légère; Un sommeil heureux et calme fermait Ses yeux, et ce doux mystère charmait Les vagues objets parmi l'étagère, Quand Marco dormait. Mais quand elle aimait, des flots de luxure Débordaient, ainsi que d'une blessure Sort un sang vermeil qui fume et qui bout, De ce corps cruel que son crime absout; Le torrent rompait les digues de l'âme, Noyait la pensée, et bouleversait Tout sur son passage, et rebondissait Souple et dévorant comme de la flamme, Et puis se glaçait. César Borgia Portrait en pied Sur fond d'ombre noyant un riche vestibule Où le buste d'Horace et celui de Tibulle Lointains et de profil rêvent en marbre blanc, La main gauche au poignard et la main droite au flanc Tandis qu'un rire doux redresse la moustache, Le duc CESAR en grand costume se détache. Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir Vont contrastant, parmi l'or somptueux d'un soir, Avec la pâleur mate et belle du visage Vu de trois quarts et très ombré, suivant l'usage Des Espagnols ainsi que des Vénitiens Dans les portraits de rois et de patriciens. Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge, Est mince, et l'on dirait que la tenture bouge Au souffle véhément qui doit s'en exhaler. Et le regard errant avec laisser-aller Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures, Fourmille de pensers énormes d'aventures. Et le front, large et pur, sillonné d'un grand pli, Sans doute de projets formidables rempli, Médite sous la toque où frissonne une plume S'élançant hors d'un noeud de rubis qui s'allume. La mort de Philippe II A Louis-Xavier de Ricard. Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante La plaine morne et l'âpre arête des sierras Et de la brume au loin l'installation lente. Le Guadarrama pousse entre les sables ras Son flot hâtif qui va réfléchissant par places Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras. Le grand vol anguleux des éperviers rapaces Raye à l'ouest le ciel mat et rouge qui brunit, Et leur cri rauque grince à travers les espaces. Despotique, et dressant au-devant du zénith L'entassement brutal de ses tours octogones, L'Escurial étend son orgueil de granit. Les murs carrés, percés de vitraux monotones, Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements Que quelques grils sculptés qu'alternent des couronnes. Avec des bruits pareils aux rudes hurlements D'un ours que des bergers navrent de coups de pioches Et dont l'écho redit les râles alarmants, Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches Et puis s'évaporant en des murmures longs, Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches. Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs, Circule - tortueux serpent hiératique - Une procession de moines aux frocs blonds Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique, Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main, Ululent d'une voix formidable un cantique. - Qui donc ici se meurt? Pour qui sur le chemin Cette paille épandue et ces croix long-voilées Selon le rituel catholique romain? - La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées, Les portes d'acajou massif tournent sans bruit, Leurs serrures étant, comme leurs gonds, huilées. Une vague rougeur plus triste que la nuit Filtre à rais indécis par les plis des tentures A travers les vitraux où le couchant reluit, Et fait papilloter sur les architectures, A l'angle des objets, dans l'ombre du plafond, Ce halo singulier qu'on voit dans les peintures. Parmi le clair-obscur transparent et profond S'agitent effarés des hommes et des femmes A pas furtifs, ainsi que les hyènes font. Riches, les vêtements des seigneurs et des dames, Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart, Chantent l'ode du luxe en chatoyantes gammes, Et, trouant par éclairs distancés avec art L'opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre Des gardes alignés scintillent de trois quart. Un homme en robe noire, à visage de guivre, Se penche, en caressant de la main ses fémurs, Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre. Des rideaux de drap d'or roides comme des murs Tombent d'un dais de bois d'ébène en droite ligne, Dardant à temps égaux l'oeil des diamants durs. Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne Egrène un chapelet, qu'il baise par moment, Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne. Ses lèvres font ce sourd et long marmottement, Dernier signe de vie et premier d'agonie, - Et son haleine pue épouvantablement. Dans sa barbe couleur d'amarante ternie, Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux Sous son linge bordé de dentelle jaunie, Avides, empressés, fourmillants, et jaloux De pomper tout le sang malsain du mourant fauve, En bataillons serrés vont et viennent les poux. C'est le Roi, ce mourant qu'assiste un mire chauve, Le Roi Philippe Deux d'Espagne, - Saluez! - Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alcôve, Et de grands écussons, aux murailles cloués, Brillent, et maints drapeaux où l'oiseau noir s'étale Pendent deçà delà , vaguement remués!... - La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale Jaillit soudain, déferle et bientôt s'établit Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale; Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit, Entrent dix capucins qui restent en prière Un d'entre eux se détache et marche droit au lit. Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre, Et les élancements farouches de la Foi Rayonnent à travers les cils de sa paupière; Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi, Sonne sur les tapis, régulier, emphatique; Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi. Et tous sur son trajet dans un geste extatique S'agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein; Car il porte avec lui le sacré Viatique. Du lit s'écarte avec respect le matassin, Le médecin du corps, en pareille occurrence, Devant céder la place, Ame, à ton médecin. La figure du Roi, qu'étire la souffrance, A l'approche du fray se rassérène un peu. Tant la religion est grosse d'espérance! Le moine cette fois ouvrant son oeil de feu Tout brillant de pardons mêlés à des reproches, S'arrête, messager des justices de Dieu. - Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches. Et la Confession commence. Sur le flanc Se retournant, le roi, d'un ton sourd, bas et grêle, Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang. - "Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle? Brûler des juifs, mais c'est une dilection! Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle." - Et, se pétrifiant dans l'exaltation, Le Révérend, les bras en croix, tête dressée, Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition. Ayant repris haleine, et d'une voix cassée, Péniblement, et comme arrachant par lambeaux Un remords douloureux du fond de sa pensée, Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux Eclaire le visage osseux et le front blême, Prononce ces mots Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux. - "Les Flamands, révoltés contre l'Eglise même, Furent très justement punis, à votre los, Et je m'étonne, ô Roi, de ce doute suprême. Poursuivez." - Et le Roi parla de don Carlos. Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue Palpitante et collée affreusement à l'os. - "Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue! L'Infant, certes, était coupable au dernier point, Ayant voulu tirer l'Espagne dans la boue De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point Frémi de conspirer - ô ruses abhorrées! - Et contre un Père, et contre un MaÃtre, et contre un Oint!" - Le moine ensuite dit les formules sacrées Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis, Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées, Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse, Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis Si sa prière fut sincère ou bien traÃtresse. - Qui dira les pensers obscurs que protégea Ce silence, brouillard complice qui se dresse? - Ayant communié, le Roi se replongea Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude De l'Absolution reçue ouvrant déjà L'oeil de son âme au jour clair de la certitude, Epanouit ses traits en un sourire exquis Qui tenait de la fièvre et de la quiétude. Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis, Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine, L'âme du Roi mourant montait aux cieux conquis. Puis le râle des morts hurla dans la poitrine De l'auguste malade avec des sursauts fous Tel l'ouragan passe à travers une ruine. Et puis, plus rien; et puis, sortant par mille trous, Ainsi que des serpents frileux de leur repaire, Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux. - Philippe Deux était à la droite du Père. Epilogue I Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense. Balancés par un vent automnal et berceur, Les rosiers du jardin s'inclinent en cadence. L'atmosphère ambiante a des baisers de soeur. La Nature a quitté pour cette fois son trône De splendeur, d'ironie et de sérénité Clémente, elle descend, par l'ampleur de l'air jaune, Vers l'homme, son sujet pervers et révolté. Du pan de son manteau que l'abÃme constelle, Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts, Et son âme éternelle et sa forme immortelle Donnent calme et vigueur à nos coeurs mous et prompts. Le frais balancement des ramures chenues, L'horizon élargi plein de vagues chansons, Tout, jusqu'au vol joyeux des oiseaux et des nues, Tout aujourd'hui console et délivre. - Pensons. II Donc, c'en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu Dont le vent caressait mes tempes obsédées, Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu! Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore, Et vous, Rhythmes chanteurs, et vous, délicieux Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore, Images qu'évoquaient mes désirs anxieux, Il faut nous séparer. Jusqu'aux jours plus propices Où nous réunira l'Art, notre maÃtre, adieu, Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices! Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu. Aussi bien, nous avons fourni notre carrière Et le jeune étalon de notre bon plaisir, Tout affolé qu'il est de sa course première, A besoin d'un peu d'ombre et de quelque loisir. - Car toujours nous t'avons fixée, ô Poésie, Notre astre unique et notre unique passion, T'ayant seule pour guide et compagne choisie, Mère, et nous méfiant de l'Inspiration. III Ah! l'Inspiration superbe et souveraine, L'Egérie aux regards lumineux et profonds, Le Genium commode et l'Erato soudaine, L'Ange des vieux tableaux avec des ors au fond, La Muse, dont la voix est puissante sans doute, Puisqu'elle fait d'un coup dans les premiers cerveaux, Comme ces pissenlits dont s'émaille la route, Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux, La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire, Les Troubles opportuns, les Transports complaisants, Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre, Ah! l'Inspiration, on l'invoque à seize ans! Ce qu'il nous faut à nous, les Suprêmes Poètes Qui vénérons les Dieux et qui n'y croyons pas, A nous dont nul rayon n'auréola les têtes, Dont nulle Béatrix n'a dirigé les pas, A nous qui ciselons les mots comme des coupes Et qui faisons des vers émus très froidement, A nous qu'on ne voit point les soirs aller par groupes Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant, Ce qu'il nous faut à nous, c'est, aux lueurs des lampes, La science conquise et le sommeil dompté, C'est le front dans les mains du vieux Faust des estampes, C'est l'Obstination et c'est la Volonté! C'est la Volonté sainte, absolue, éternelle, Cramponnée au projet comme un noble condor Aux flancs fumants de peur d'un buffle, et d'un coup d'aile Emportant son trophée à travers les cieux d'or! Ce qu'il nous faut à nous, c'est l'étude sans trêve, C'est l'effort inouï, le combat nonpareil, C'est la nuit, l'âpre nuit du travail, d'où se lève Lentement, lentement, l'Oeuvre, ainsi qu'un soleil! Libre à nos Inspirés, coeurs qu'une oeillade enflamme, D'abandonner leur être aux vents comme un bouleau; Pauvres gens! l'Art n'est pas d'éparpiller son âme Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo? Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé, Et faisons-en surgir sous nos mains empressées Quelque pure statue au péplos étoilé, Afin qu'un jour, frappant de rayons gris et roses Le chef-d'oeuvre serein, comme un nouveau Memnon, L'Aube-Postérité, fille des Temps moroses, Fasse dans l'air futur retentir notre nom! Fêtes galantes Clair de lune Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques. Tout en chantant sur le mode mineur L'amour vainqueur et la vie opportune, Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur Et leur chanson se mêle au clair de lune, Au calme clair de lune triste et beau, Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres Et sangloter d'extase les jets d'eau, Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres. Pantomime Pierrot qui n'a rien d'un Clitandre Vide un flacon sans plus attendre, Et, pratique, entame un pâté. Cassandre, au fond de l'avenue, Verse une larme méconnue Sur son neveu déshérité. Ce faquin d'Arlequin combine L'enlèvement de Colombine Et pirouette quatre fois. Colombine rêve, surprise De sentir un coeur dans la brise Et d'entendre en son coeur des voix. Sur l'herbe - L'abbé divague. - Et toi, marquis, Tu mets de travers ta perruque. - Ce vieux vin de Chypre est exquis Moins, Camargo, que votre nuque. - Ma flamme... - Do, mi, sol, la si. - L'abbé, ta noirceur se dévoile. - Que je meure, mesdames, si Je ne vous décroche une étoile! - Je voudrais être petit chien! - Embrassons nos bergères, l'une Après l'autre. - Messieurs! eh bien? - Do, mi, sol. - Hé! bonsoir, la Lune! L'Allée Fardée et peinte comme au temps des bergeries, Frêle parmi les noeuds énormes de rubans, Elle passe, sous les ramures assombries, Dans l'allée où verdit la mousse des vieux bancs, Avec mille façons et mille afféteries Qu'on garde d'ordinaire aux perruches chéries. Sa longue robe à queue est bleue, et l'éventail Qu'elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues S'égaie en des sujets érotiques, si vagues Qu'elle sourit, tout en rêvant, à maint détail. - Blonde, en somme. Le nez mignon avec la bouche Incarnadine, grasse et divine d'orgueil Inconscient. - D'ailleurs, plus fine que la mouche Qui ravive l'éclat un peu niais de l'oeil. A la promenade Le ciel si pâle et les arbres si grêles Semblent sourire à nos costumes clairs Qui vont flottant légers, avec des airs De nonchalance et des mouvements d'ailes. Et le vent doux ride l'humble bassin, Et lueur du soleil qu'atténue L'ombre des bas tilleuls de l'avenue. Nous parvient bleue et mourante à dessein. Trompeurs exquis et coquettes charmantes, Coeurs tendres, mais affranchis du serment, Nous devisons délicieusement, Et les amants lutinent les amantes, De qui la main imperceptible sait Parfois donner un soufflet, qu'on échange Contre un baiser sur l'extrême phalange Du petit doigt, et comme la chose est Immensément excessive et farouche, On est puni par un regard très sec, Lequel contraste, au demeurant, avec La moue assez clémente de la bouche. Dans la grotte Là ! je me tue à vos genoux! Car ma détresse est infinie, Et la tigresse épouvantable d'Hyrcanie Est une agnelle au prix de vous. Oui, céans, cruelle Clymène, Ce glaive qui, dans maints combats, Mit tant de Scipions et de Cyrus à bas, Va finir ma vie et ma peine! Ai-je même besoin de lui Pour descendre aux Champs-Elysées? Amour perça-t-il pas de flèches aiguisées Mon coeur, dès que votre oeil m'eut lui? Les Ingénus Les hauts talons luttaient avec les longues jupes, En sorte que, selon le terrain et le vent, Parfois luisaient des bas de jambe, trop souvent Interceptés! - et nous aimions ce jeu de dupes. Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux Inquiétait le col des belles sous les branches, Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches, Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous. Le soir tombait, un soir équivoque d'automne Les belles, se pendant rêveuses à nos bras, Dirent alors des mots si spécieux, tout bas, Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne. Cortége Un singe en veste de brocart Trotte et gambade devant elle Qui froisse un mouchoir de dentelle Dans sa main gantée avec art, Tandis qu'un négrillon tout rouge Maintient à tour de bras les pans De sa lourde robe en suspens, Attentif à tout pli qui bouge; Le singe ne perd pas des yeux La gorge blanche de la dame, Opulent trésor que réclame Le torse nu de l'un des dieux; Le négrillon parfois soulève Plus haut qu'il ne faut, l'aigrefin, Son fardeau somptueux, afin De voir ce dont la nuit il rêve; Elle va par les escaliers, Et ne paraÃt pas davantage Sensible à l'insolent suffrage De ses animaux familiers. Les Coquillages Chaque coquillage incrusté Dans la grotte où nous nous aimâmes A sa particularité. L'un a la pourpre de nos âmes Dérobée au sang de nos coeurs Quand je brûle et que tu t'enflammes; Cet autre affecte tes langueurs Et tes pâleurs alors que, lasse, Tu m'en veux de mes yeux moqueurs; Celui-ci contrefait la grâce De ton oreille, et celui-là Ta nuque rose, courte et grasse; Mais un, entre autres, me troubla. En patinant Nous fûmes dupes, vous et moi, De manigances mutuelles, Madame, à cause de l'émoi Dont l'Eté férut nos cervelles. Le Printemps avait bien un peu Contribué, si ma mémoire Est bonne, à brouiller notre jeu, Mais que d'une façon moins noire! Car au printemps l'air est si frais Qu'en somme les roses naissantes Qu'Amour semble entr'ouvrir exprès Ont des senteurs presque innocentes; Et même les lilas ont beau Pousser leur haleine poivrée Dans l'ardeur du soleil nouveau Cet excitant au plus récrée, Tant le zéphir souffle, moqueur, Dispersant l'aphrodisiaque Effluve, en sorte que le coeur Chôme et que même l'esprit vaque, Et qu'émoustillés, les cinq sens Se mettent alors de la fête, Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sans Que la crise monte à la tête. Ce fut le temps, sous de clairs ciels, Vous en souvenez-vous, Madame? Des baisers superficiels Et des sentiments à fleur d'âme. Exempts de folles passions, Pleins d'une bienveillance amène, Comme tous deux nous jouissions Sans enthousiasme - et sans peine! Heureux instants! - mais vint l'Eté Adieu, rafraÃchissantes brises! Un vent de lourde volupté Investit nos âmes surprises. Des fleurs aux calices vermeils Nous lancèrent leurs odeurs mûres, Et partout les mauvais conseils Tombèrent sur nous des ramures. Nous cédâmes à tout cela, Et ce fut un bien ridicule Vertigo qui nous affola Tant que dura la canicule. Rires oiseux, pleurs sans raisons, Mains indéfiniment pressées, Tristesses moites, pâmoisons, Et quel vague dans les pensées! L'Automne, heureusement, avec Son jour froid et ses bises rudes, Vint nous corriger, bref et sec, De nos mauvaises habitudes, Et nous induisit brusquement En l'élégance réclamée De tout irréprochable amant, Comme de toute digne aimée... Or c'est l'Hiver, Madame, et nos Parieurs tremblent pour leur bourse, Et déjà les autres traÃneaux Osent nous disputer la course. Les deux mains dans votre manchon, Tenez-vous bien sur la banquette Et filons! - et bientôt Fanchon Nous fleurira - quoi qu'on caquette! Fantoches Scaramouche et Pulcinella Qu'un mauvais dessein rassembla Gesticulent, noirs sur la lune. Cependant l'excellent docteur Bolonais cueille avec lenteur Des simples parmi l'herbe brune. Lors sa fille, piquant minois, Sous la charmille, en tapinois, Se glisse demi-nue, en quête De son beau pirate espagnol Dont un langoureux rossignol Clame la détresse à tue-tête. Cythère Un pavillon à claires-voies Abrite doucement nos joies Qu'éventent des rosiers amis; L'odeur des roses, faible, grâce Au vent léger d'été qui passe, Se mêle aux parfums qu'elle a mis; Comme ses yeux l'avaient promis Son courage est grand et sa lèvre Communique une exquise fièvre; Et, l'Amour comblant tout, hormis La faim, sorbets et confitures Nous préservent des courbatures. En bateau L'étoile du berger tremblote Dans l'eau plus noire, et le pilote Cherche un briquet dans sa culotte. C'est l'instant, Messieurs, ou jamais, D'être audacieux, et je mets Mes deux mains partout désormais! Le chevalier Atys, qui gratte Sa guitare, à Chloris l'ingrate Lance une oeillade scélérate. L'abbé confesse bas Eglé, Et ce vicomte déréglé Des champs donne à son coeur la clé. Cependant la lune se lève Et l'esquif en sa course brève File gaÃment sur l'eau qui rêve. Le Faune Un vieux faune de terre cuite Rit au centre des boulingrins, Présageant sans doute une suite Mauvaise à ces instants sereins Qui m'ont conduit et t'ont conduite, Mélancoliques pèlerins, Jusqu'à cette heure dont la fuite Tournoie au son des tambourins. Mandoline Les donneurs de sérénades Et les belles écouteuses Echangent des propos fades Sous les ramures chanteuses. C'est Tircis et c'est Aminte, Et c'est l'éternel Clitandre, Et c'est Damis qui pour mainte Cruelle fait maint vers tendre. Leurs courtes vestes de soie, Leurs longues robes à queues, Leur élégance, leur joie Et leurs molles ombres bleues Tourbillonnent dans l'extase D'une lune rose et grise, Et la mandoline jase Parmi les frissons de brise. A Clymène Mystiques barcarolles, Romances sans paroles, Chère, puisque tes yeux, Couleur des cieux, Puisque ta voix, étrange Vision qui dérange Et trouble l'horizon De ma raison, Puisque l'arome insigne De ta pâleur de cygne, Et puisque la candeur De ton odeur, Ah! puisque tout ton être, Musique qui pénètre, Nimbes d'anges défunts, Tons et parfums, A, sur d'almes cadences, En ses correspondances Induit mon coeur subtil, Ainsi soit-il! Lettre Eloigné de vos yeux, Madame, par des soins Impérieux j'en prends tous les dieux à témoins, Je languis et me meurs, comme c'est ma coutume En pareil cas, et vais, le coeur plein d'amertume, A travers des soucis où votre ombre me suit, Le jour dans mes pensers, dans mes rêves la nuit, Et la nuit et le jour adorable, Madame! Si bien qu'enfin, mon corps faisant place à mon âme, Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi, Et qu'alors, et parmi le lamentable émoi Des enlacements vains et des désirs sans nombre, Mon ombre se fondra pour jamais en votre ombre. En attendant, je suis, très chère, ton valet. Tout se comporte-t-il là -bas comme il te plaÃt, Ta perruche, ton chat, ton chien? La compagnie Est-elle toujours belle, et cette Silvanie Dont j'eusse aimé l'oeil noir si le tien n'était bleu, Et qui parfois me fit des signes, palsambleu! Te sert-elle toujours de douce confidente? Or, Madame, un projet impatient me hante De conquérir le monde et tous ses trésors pour Mettre à vos pieds ce gage - indigne - d'un amour Egal à toutes les flammes les plus célèbres Qui des grands coeurs aient fait resplendir les ténèbres. Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi! Par Marc-Antoine et par César que vous par moi, N'en doutez pas, Madame, et je saurai combattre Comme César pour un sourire, ô Cléopâtre, Et comme Antoine fuir au seul prix d'un baiser. Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer, Et le temps que l'on perd à lire une missive N'aura jamais valu la peine qu'on l'écrive. Les Indolents - "Bah! malgré les destins jaloux, Mourons ensemble, voulez-vous? - La proposition est rare. - Le rare est le bon. Donc mourons Comme dans les Décamérons. - Hi! hi! hi! quel amant bizarre! - Bizarre, je ne sais. Amant Irréprochable, assurément. Si vous voulez, mourons ensemble? - Monsieur, vous raillez mieux encor Que vous n'aimez, et parlez d'or; Mais taisons-nous, si bon vous semble?" Si bien que ce soir-là Tircis Et Dorimène, à deux assis Non loin de deux silvains hilares, Eurent l'inexpiable tort D'ajourner une exquise mort. Hi! hi! hi! les amants bizarres. Colombine Léandre le sot, Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson, Cassandre sous son Capuce, Arlequin aussi, Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous, Ses yeux luisant sous Son masque, - Do, mi, sol, mi, fa, - Tout ce monde va, Rit, chante Et danse devant Une belle enfant Méchante Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent ses appas Et disent "A bas Les pattes!" - Eux ils vont toujours! - Fatidique cours Des astres, Oh! dis-moi vers quels Mornes ou cruels Désastres L'implacable enfant, Preste et relevant Ses jupes, La rose au chapeau, Conduit son troupeau De dupes? L'Amour par terre Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc, Souriait en bandant malignement son arc, Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour! Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas! Le marbre Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste De voir le piédestal, où le nom de l'artiste Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre, Oh! c'est triste de voir debout le piédestal Tout seul! Et des pensers mélancoliques vont Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond Evoque un avenir solitaire et fatal. Oh! c'est triste! - Et toi-même, est-ce pas? es touchée D'un si dolent tableau, bien que ton oeil frivole S'amuse au papillon de pourpre et d'or qui vole Au-dessus des débris dont l'allée est jonchée. En sourdine Calmes dans le demi-jour Que les branches hautes font, Pénétrons bien notre amour De ce silence profond. Fondons nos âmes, nos coeurs Et nos sens extasiés, Parmi les vagues langueurs Des pins et des arbousiers. Ferme tes yeux à demi, Croise tes bras sur ton sein, Et de ton coeur endormi Chasse à jamais tout dessein. Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux, Qui vient à tes pieds rider Les ondes de gazon roux. Et quand, solennel, le soir Des chênes noirs tombera, Voix de notre désespoir, Le rossignol chantera Colloque sentimental Dans le vieux parc solitaire et glacé, Deux formes ont tout à l'heure passé. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l'on entend à peine leurs paroles. Dans le vieux parc solitaire et glacé, Deux spectres ont évoqué le passé. - Te souvient-il de notre extase ancienne? - Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne? - Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom? Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non. - Ah! les beaux jours de bonheur indicible Où nous joignions nos bouches! - C'est possible. - Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir! - L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. Tels ils marchaient dans les avoines folles, Et la nuit seule entendit leurs paroles. La Bonne Chanson I Le soleil du matin doucement chauffe et dore Les seigles et les blés tout humides encore, Et l'azur a gardé sa fraÃcheur de la nuit. L'on sort sans autre but que de sortir; on suit, Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes, Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes. L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec, Et son reflet dans l'eau survit à son passage. C'est tout. Mais le songeur aime ce paysage Dont la claire douceur a soudain caressé Son rêve de bonheur adorable, et bercé Le souvenir charmant de cette jeune fille, Blanche apparition qui chante et qui scintille, Dont rêve le poète et que l'homme chérit, Evoquant en ses voeux dont peut-être on sourit La Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme Que son âme depuis toujours pleure et réclame. II Toute grâce et toutes nuances Dans l'éclat doux de ses seize ans, Elle a la candeur des enfances Et les manéges innocents. Ses yeux, qui sont les yeux d'un ange, Savent pourtant, sans y penser, Eveiller le désir étrange D'un immatériel baiser. Et sa main, à ce point petite Qu'un oiseau-mouche n'y tiendrait, Captive, sans espoir de fuite, Le coeur pris par elle en secret. L'intelligence vient chez elle En aide à l'âme noble; elle est Pure autant que spirituelle Ce qu'elle a dit, il le fallait! Et si la sottise l'amuse Et la fait rire sans pitié, Elle serait, étant la muse, Clémente jusqu'à l'amitié, Jusqu'à l'amour - qui sait? peut-être, A l'égard d'un poète épris Qui mendierait sous sa fenêtre, L'audacieux! un digne prix De sa chanson bonne ou mauvaise! Mais témoignant sincèrement, Sans fausse note et sans fadaise, Du doux mal qu'on souffre en aimant. III En robe grise et verte avec des ruches, Un jour de juin que j'étais soucieux, Elle apparut souriante à mes yeux Qui l'admiraient sans redouter d'embûches; Elle alla, vint, revint, s'assit, parla, Légère et grave, ironique, attendrie Et je sentais en mon âme assombrie Comme un joyeux reflet de tout cela; Sa voix, étant de la musique fine, Accompagnait délicieusement L'esprit sans fiel de son babil charmant Où la gaÃté d'un coeur bon se devine. Aussi soudain fus-je, après le semblant D'une révolte aussitôt étouffée, Au plein pouvoir de la petite Fée Que depuis lors je supplie en tremblant. IV Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore, Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore, Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien, C'en est fait à présent des funestes pensées, C'en est fait des mauvais rêves, ah! c'en est fait Surtout de l'ironie et des lèvres pincées Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait. Arrière aussi les poings crispés et la colère A propos des méchants et des sots rencontrés; Arrière la rancune abominable! arrière L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés! Car je veux, maintenant qu'un Etre de lumière A dans ma nuit profonde émis cette clarté D'une amour à la fois immortelle et première, De par la grâce, le sourire et la bonté, Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces, Par toi conduit, ô main où tremblera ma main, Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin; Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie, Vers le but où le sort dirigera mes pas, Sans violence, sans remords et sans envie Ce sera le devoir heureux aux gais combats. Et comme, pour bercer les lenteurs de la route, Je chanterai des airs ingénus, je me dis Qu'elle m'écoutera sans déplaisir sans doute; Et vraiment je ne veux pas d'autre Paradis. V Avant que tu ne t'en ailles, Pâle étoile du matin, - Mille cailles Chantent, chantent dans le thym. - Tourne devers le poète, Dont les yeux sont pleins d'amour; - L'alouette Monte au ciel avec le jour. - Tourne ton regard que noie L'aurore dans son azur; - Quelle joie Parmi les champs de blé mûr! - Puis fais luire ma pensée Là -bas, - bien loin, oh, bien loin! - La rosée GaÃment brille sur le foin. - Dans le doux rêve où s'agite Ma mie endormie encor... - Vite, vite, Car voici le soleil d'or - VI La lune blanche Luit dans les bois; De chaque branche Part une voix Sous la ramée... O bien-aimée. L'étang reflète, Profond miroir, La silhouette Du saule noir Où le vent pleure... Rêvons, c'est l'heure, Un vaste et tendre Apaisement Semble descendre Du firmament Que l'astre irise... C'est l'heure exquise. VII Le paysage dans le cadre des portières Court furieusement, et des plaines entières Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel Où tombent les poteaux minces du télégraphe Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe. Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout, Tout le bruit que feraient mille chaÃnes au bout Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette; Et tout à coup des cris prolongés de chouette. - - Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux La blanche vision qui fait mon coeur joyeux, Puisque la douce voix pour moi murmure encore, Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement, Au rhythme du wagon brutal, suavement. VIII Une Sainte en son auréole, Une Châtelaine en sa tour, Tout ce que contient la parole Humaine de grâce et d'amour; La note d'or que fait entendre Un cor dans le lointain des bois, Mariée à la fierté tendre Des nobles Dames d'autrefois; Avec cela le charme insigne D'un frais sourire triomphant Eclos dans des candeurs de cygne Et des rougeurs de femme-enfant; Des aspects nacrés, blancs et roses, Un doux accord patricien. Je vois, j'entends toutes ces choses Dans son nom Carlovingien. IX Son bras droit, dans un geste aimable de douceur, Repose autour du cou de la petite soeur, Et son bras gauche suit le rhythme de la jupe. A coup sûr une idée agréable l'occupe, Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit, Témoignent d'une joie intime avec esprit. Oh! sa pensée exquise et fine, quelle est-elle? Toute mignonne, tout aimable et toute belle, Pour ce portrait, son goût infaillible a choisi La pose la plus simple et la meilleure aussi Debout, le regard droit, en cheveux; et sa robe Est longue juste assez pour qu'elle ne dérobe Qu'à moitié sous ses plis jaloux le bout charmant D'un pied malicieux imperceptiblement. X Quinze longs jours encore et plus de six semaines Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines La plus dolente angoisse est celle d'être loin. On s'écrit, on se dit comme on s'aime; on a soin D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste De l'être en qui l'on mit son bonheur, et l'on reste Des heures à causer tout seul avec l'absent. Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste A demeurer blafard et fidèlement triste. Oh! l'absence! le moins clément de tous les maux! Se consoler avec des phrases et des mots, Puiser dans l'infini morose des pensées De quoi vous rafraÃchir, espérances lassées, Et n'en rien remonter que de fade et d'amer! Puis voici, pénétrant et froid comme le fer, Plus rapide que les oiseaux et que les balles Et que le vent du sud en mer et ses rafales Et portant sur sa pointe aiguà un fin poison, Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon Décoché par le Doute impur et lamentable. Est-ce bien vrai? tandis qu'accoudé sur ma table Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux, Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux, N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses? Qui sait? Pendant qu'ici pour moi lents et moroses Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri, Peut-être que sa lèvre innocente a souri? Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie? Et je relis sa lettre avec mélancolie. XI La dure épreuve va finir Mon coeur, souris à l'avenir. Ils sont passés les jours d'alarmes Où j'étais triste jusqu'aux larmes. Ne suppute plus les instants, Mon âme, encore un peu de temps. J'ai tu les paroles amères Et banni les sombres chimères. Mes yeux exilés de la voir De par un douloureux devoir, Mon oreille avide d'entendre Les notes d'or de sa voix tendre, Tout mon être et tout mon amour Acclament le bienheureux jour Où, seul rêve et seule pensée, Me reviendra la fiancée! XII Va, chanson, à tire-d'aile Au-devant d'elle, et dis-lui Bien que dans mon coeur fidèle Un rayon joyeux a lui, Dissipant, lumière sainte, Ces ténèbres de l'amour Méfiance, doute, crainte, Et que voici le grand jour! Longtemps craintive et muette, Entendez-vous? la gaÃté Comme une vive alouette Dans le ciel clair a chanté. Va donc, chanson ingénue, Et que, sans nul regret vain, Elle soit la bien venue Celle qui revient enfin. XIII Hier, on parlait de choses et d'autres Et mes yeux allaient recherchant les vôtres; Et votre regard recherchait le mien Tandis que courait toujours l'entretien. Sous le sens banal des phrases pesées Mon amour errait après vos pensées; Et quand vous parliez, à dessein distrait Je prêtais l'oreille à votre secret Car la voix, ainsi que les yeux de Celle Qui vous fait joyeux et triste, décèle Malgré tout effort morose ou rieur Et met au plein jour l'être intérieur. Or, hier je suis parti plein d'ivresse Est-ce un espoir vain que mon coeur caresse, Un vain espoir, faux et doux compagnon? Oh! non! n'est-ce pas? n'est-ce pas que non? XIV Le foyer, la lueur étroite de la lampe; La rêverie avec le doigt contre la tempe Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés; L'heure du thé fumant et des livres fermés; La douceur de sentir la fin de la soirée; La fatigue charmante et l'attente adorée De l'ombre nuptiale et de la douce nuit, Oh! tout cela, mon rêve attendri le poursuit Sans relâche, à travers toutes remises vaines, Impatient des mois, furieux des semaines! XV J'ai presque peur, en vérité, Tant je sens ma vie enlacée A la radieuse pensée Qui m'a pris l'âme l'autre été, Tant votre image, à jamais chère, Habite en ce coeur tout à vous, Mon coeur uniquement jaloux De vous aimer et de vous plaire; Et je tremble, pardonnez-moi D'aussi franchement vous le dire, A penser qu'un mot, un sourire De vous est désormais ma loi, Et qu'il vous suffirait d'un geste, D'une parole ou d'un clin d'oeil, Pour mettre tout mon être en deuil De son illusion céleste. Mais plutôt je ne veux vous voir, L'avenir dût-il m'être sombre Et fécond en peines sans nombre, Qu'à travers un immense espoir, Plongé dans ce bonheur suprême De me dire encore et toujours, En dépit des mornes retours, Que je vous aime, que je t'aime! XVI Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs, Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir, L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues, Qui grince, mal assis entre ses quatre roues, Et roule ses yeux verts et rouges lentement, Les ouvriers allant au club, tout en fumant Leur brûle-gueule au nez des agents de police, Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse, Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout, Voilà ma route - avec le paradis au bout. XVII N'est-ce pas? en dépit des sots et des méchants Qui ne manqueront pas d'envier notre joie, Nous serons fiers parfois et toujours indulgents. N'est-ce pas? nous irons, gais et lents, dans la voie Modeste que nous montre en souriant l'Espoir, Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie. Isolés dans l'amour ainsi qu'en un bois noir, Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible, Seront deux rossignols qui chantent dans le soir. Quant au Monde, qu'il soit envers nous irascible Ou doux, que nous feront ses gestes? Il peut bien, S'il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible. Unis par le plus fort et le plus cher lien, Et d'ailleurs, possédant l'armure adamantine, Nous sourirons à tous et n'aurons peur de rien. Sans nous préoccuper de ce que nous destine Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas, Et la main dans la main, avec l'âme enfantine De ceux qui s'aiment sans mélange, n'est-ce pas? XVIII Nous sommes en des temps infâmes Où le mariage des âmes Doit sceller l'union des coeurs; A cette heure d'affreux orages Ce n'est pas trop de deux courages Pour vivre sous de tels vainqueurs. En face de ce que l'on ose Il nous siérait, sur toute chose, De nous dresser, couple ravi Dans l'extase austère du juste Et proclamant d'un geste auguste Notre amour fier, comme un défi! Mais quel besoin de te le dire? Toi la bonté, toi le sourire, N'es-tu pas le conseil aussi, Le bon conseil loyal et brave, Enfant rieuse au penser grave, A qui tout mon coeur dit merci! XIX Donc, ce sera par un clair jour d'été Le grand soleil, complice de ma joie, Fera, parmi le satin et la soie, Plus belle encor votre chère beauté; Le ciel tout bleu, comme une haute tente, Frissonnera somptueux à longs plis Sur nos deux fronts heureux qu'auront pâlis L'émotion du bonheur et l'attente; Et quand le soir viendra, l'air sera doux Qui se jouera, caressant, dans vos voiles, Et les regards paisibles des étoiles Bienveillamment souriront aux époux. XX J'allais par des chemins perfides, Douloureusement incertain. Vos chères mains furent mes guides. Si pâle à l'horizon lointain Luisait un faible espoir d'aurore; Votre regard fut le matin. Nul bruit, sinon son pas sonore, N'encourageait le voyageur. Votre voix me dit "Marche encore!" Mon coeur craintif, mon sombre coeur Pleurait, seul, sur la triste voie; L'amour, délicieux vainqueur, Nous a réunis dans la joie. XXI L'hiver a cessé la lumière est tiède Et danse, du sol au firmament clair. Il faut que le coeur le plus triste cède A l'immense joie éparse dans l'air. Même ce Paris maussade et malade Semble faire accueil aux jeunes soleils Et comme pour une immense accolade Tend les mille bras de ses toits vermeils. J'ai depuis un an le printemps dans l'âme Et le vert retour du doux floréal, Ainsi qu'une flamme entoure une flamme, Met de l'idéal sur mon idéal. Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne L'immuable azur où rit mon amour. La saison est belle et ma part est bonne Et tous mes espoirs ont enfin leur tour. Que vienne l'été! que viennent encore L'automne et l'hiver! Et chaque saison Me sera charmante, ô Toi que décore Cette fantaisie et cette raison! Romances sans paroles Ariettes oubliées I Le vent dans la plaine Suspend son haleine. Favart. C'est l'extase langoureuse, C'est la fatigue amoureuse, C'est tous les frissons des bois Parmi l'étreinte des brises, C'est, vers les ramures grises, Le choeur des petites voix. O le frêle et frais murmure! Cela gazouille et susurre, Cela ressemble au cri doux Que l'herbe agitée expire... Tu dirais, sous l'eau qui vire, Le roulis sourd des cailloux. Cette âme qui se lamente En cette plainte dormante, C'est la nôtre, n'est-ce pas? La mienne, dis, et la tienne, Dont s'exhale l'humble antienne Par ce tiède soir, tout bas? II Je devine, à travers un murmure, Le contour subtil des voix anciennes Et dans les lueurs musiciennes, Amour pâle, une aurore future! Et mon âme et mon coeur en délires Ne sont plus qu'une espèce d'oeil double Où tremblote à travers un jour trouble L'ariette, hélas! de toutes lyres! O mourir de cette mort seulette Que s'en vont, cher amour qui t'épeures, Balançant jeunes et vieilles heures! O mourir de cette escarpolette! III Il pleut doucement sur la ville. Arthur Rimbaud. Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville, Quelle est cette langueur Qui pénètre mon coeur? O bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits! Pour un coeur qui s'ennuie O le chant de la pluie! Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écoeure. Quoi! nulle trahison? Ce deuil est sans raison. C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi, Sans amour et sans haine, Mon coeur a tant de peine! IV Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses. De cette façon nous serons bien heureuses, Et si notre vie a des instants moroses, Du moins nous serons, n'est-ce pas? deux pleureuses. O que nous mêlions, âmes soeurs que nous sommes, A nos voeux confus la douceur puérile De cheminer loin des femmes et des hommes, Dans le frais oubli de ce qui nous exile! Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles Eprises de rien et de tout étonnées, Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles Sans même savoir qu'elles sont pardonnées. V Son joyeux, importun d'un clavecin sonore. Pétrus Borel. Le piano que baise une main frêle Luit dans le soir rose et gris vaguement, Tandis qu'avec un très léger bruit d'aile Un air bien vieux, bien faible et bien charmant Rôde discret, épeuré quasiment, Par le boudoir longtemps parfumé d'Elle. Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain Qui lentement dorlote mon pauvre être? Que voudrais-tu de moi, doux chant badin? Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre Ouverte un peu sur le petit jardin? VI C'est le chien de Jean de Nivelle Qui mord sous l'oeil même du guet Le chat de la mère Michel; François-les-bas-bleus s'en égaie. La lune à l'écrivain public Dispense sa lumière obscure Où Médor avec Angélique Verdissent sur le pauvre mur. Et voici venir La Ramée Sacrant en bon soldat du Roi. Sous son habit blanc mal famé, Son coeur ne se tient pas de joie, Car la boulangère... - Elle? - Oui dam! Bernant Lustucru, son vieil homme, A tantôt couronné sa flamme... Enfants, Dominus vobis-cum! Place! en sa longue robe bleue Toute en satin qui fait frou-frou, C'est une impure, palsembleu! Dans sa chaise qu'il faut qu'on loue, Fût-on philosophe ou grigou, Car tant d'or s'y relève en bosse, Que ce luxe insolent bafoue Tout le papier de monsieur Loss! Arrière, robin crotté! place, Petit courtaud, petit abbé, Petit poète jamais las De la rime non attrapée! Voici que la nuit vraie arrive... Cependant jamais fatigué D'être inattentif et naïf François-les-bas-bleus s'en égaie. VII O triste, triste était mon âme A cause, à cause d'une femme. Je ne me suis pas consolé, Bien que mon coeur s'en soit allé, Bien que mon coeur, bien que mon âme Eussent fui loin de cette femme. Je ne me suis pas consolé, Bien que mon coeur s'en soit allé. Et mon coeur, mon coeur trop sensible Dit à mon âme Est-il possible, Est-il possible, - le fût-il, - Ce fier exil, ce triste exil? Mon âme dit à mon coeur Sais-je Moi-même, que nous veut ce piège D'être présents bien qu'exilés, Encore que loin en allés? VIII Dans l'interminable Ennui de la plaine La neige incertaine Luit comme du sable. Le ciel est de cuivre Sans lueur aucune. On croirait voir vivre Et mourir la lune. Comme des nuées Flottent gris les chênes Des forêts prochaines Parmi les buées. Le ciel est de cuivre Sans lueur aucune. On croirait voir vivre Et mourir la lune. Corneille poussive Et vous, les loups maigres, Par ces bises aigres Quoi donc vous arrive? Dans l'interminable Ennui de la plaine La neige incertaine Luit comme du sable. IX Le rossignol, qui du haut d'une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. Il est au sommet d'un chêne et toutefois il a peur de se noyer. Cyrano de Bergerac. L'ombre des arbres dans la rivière embrumée Meurt comme de la fumée, Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles, Se plaignent les tourterelles. Combien, ô voyageur, ce paysage blême Te mira blême toi-même, Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées Tes espérances noyées! Mai, Juin 1872 Paysages Belges "Conquestes du Roy." Vieilles estampes. WALCOURT Briques et tuiles, O les charmants Petits asiles Pour les amants! Houblons et vignes, Feuilles et fleurs, Tentes insignes Des francs buveurs! Guinguettes claires, Bières, clameurs, Servantes chères A tous fumeurs! Gares prochaines, Gais chemins grands... Quelles aubaines, Bons juifs errants! CHARLEROI Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. Quoi donc se sent? L'avoine siffle. Un buisson gifle L'oeil au passant. Plutôt des bouges Que des maisons. Quels horizons De forges rouges! On sent donc quoi? Des gares tonnent, Les yeux s'étonnent, Où Charleroi? Parfums sinistres! Qu'est-ce que c'est? Quoi bruissait Comme des sistres? Sites brutaux! Oh! votre haleine, Sueur humaine, Cris des métaux! Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. BRUXELLES Simples fresques I La fuite est verdâtre et rose Des collines et des rampes, Dans un demi-jour de lampes Qui vient brouiller toute chose. L'or, sur les humbles abÃmes, Tout doucement s'ensanglante, Des petits arbres sans cimes, Où quelque oiseau faible chante. Triste à peine tant s'effacent Ces apparences d'automne, Toutes mes langueurs rêvassent, Que berce l'air monotone. II L'allée est sans fin Sous le ciel, divin D'être pâle ainsi! Sais-tu qu'on serait Bien sous le secret De ces arbres-ci? Des messieurs bien mis, Sans nul doute amis Des Royer-Collards, Vont vers le château. J'estimerais beau D'être ces vieillards. Le château, tout blanc Avec, à son flanc, Le soleil couché. Les champs à l'entour... Oh! que notre amour N'est-il là niché! Estaminet du Jeune Renard, août 1872. BRUXELLES Chevaux de bois Par Saint-Gille, Viens-nous-en, Mon agile V. Hugo. Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours, Tournez, tournez au son des hautbois. Le gros soldat, la plus grosse bonne Sont sur vos dos comme dans leur chambre; Car, en ce jour, au bois de la Cambre, Les maÃtres sont tous deux en personne. Tournez, tournez, chevaux de leur coeur, Tandis qu'autour de tous vos tournois. Clignote l'oeil du filou sournois, Tournez au son du piston vainqueur. C'est ravissant comme ça vous soûle, D'aller ainsi dans ce cirque bête! Bien dans le ventre et mal dans la tête, Du mal en masse et du bien en foule. Tournez, tournez, sans qu'il soit besoin D'user jamais de nuls éperons Pour commander à vos galops ronds, Tournez, tournez, sans espoir de foin. Et dépêchez, chevaux de leur âme, Déjà , voici que la nuit qui tombe Va réunir pigeon et colombe, Loin de la foire et loin de madame. Tournez, tournez! le ciel en velours D'astres en or se vêt lentement. Voici partir l'amante et l'amant. Tournez au son joyeux des tambours. Champ de foire de Saint-Gilles, août 1872. MALINES Vers les prés le vent cherche noise Aux girouettes, détail fin Du château de quelque échevin, Rouge de brique et bleu d'ardoise, Vers les prés clairs, les prés sans fin... Comme les arbres des féeries Des frênes, vagues frondaisons, Echelonnent mille horizons A ce Sahara de prairies, Trèfle, luzerne et blancs gazons. Les wagons filent en silence Parmi ces sites apaisés. Dormez, les vaches! Reposez, Doux taureaux de la plaine immense, Sous vos cieux à peine irisés! Le train glisse sans un murmure, Chaque wagon est un salon Où l'on cause bas et d'où l'on Aime à loisir cette nature Faite à souhait pour Fénelon. Août 1872. Birds in the night Vous n'avez pas eu toute patience, Cela se comprend par malheur, de reste. Vous êtes si jeune! et l'insouciance, C'est le lot amer de l'âge céleste! Vous n'avez pas eu toute la douceur, Cela par malheur d'ailleurs se comprend; Vous êtes si jeune, ô ma froide soeur, Que votre coeur doit être indifférent! Aussi me voici plein de pardons chastes, Non, certes! joyeux, mais très calme, en somme, Bien que je déplore, en ces mois néfastes, D'être, grâce à vous, le moins heureux homme. * ** Et vous voyez bien que j'avais raison, Quand je vous disais, dans mes moments noirs, Que vos yeux, foyer de mes vieux espoirs, Ne couvaient plus rien que la trahison. Vous juriez alors que c'était mensonge Et votre regard qui mentait lui-même Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge, Et de votre voix vous disiez "je t'aime!" Hélas! on se prend toujours au désir Qu'on a d'être heureux malgré la saison... Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir, Quand je m'aperçus que j'avais raison! * ** Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre? Vous ne m'aimiez pas, l'affaire est conclue, Et, ne voulant pas qu'on ose me plaindre, Je souffrirai d'une âme résolue. Oui, je souffrirai car je vous aimais! Mais je souffrirai comme un bon soldat Blessé, qui s'en va dormir à jamais, Plein d'amour pour quelque pays ingrat. Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, Encor que de vous vienne ma souffrance, N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie, Aussi jeune, aussi folle que la France? * ** Or, je ne veux pas, - le puis-je d'abord? Plonger dans ceci mes regards mouillés. Pourtant mon amour que vous croyez mort A peut-être enfin les yeux dessillés. Mon amour qui n'est que ressouvenance, Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure Encore et qu'il doive, à ce que je pense, Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure, Peut-être a raison de croire entrevoir En vous un remords qui n'est pas banal, Et d'entendre dire, en son désespoir, A votre mémoire ah! fi! que c'est mal! * ** Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte. Vous étiez au lit comme fatiguée. Mais, ô corps léger que l'amour emporte, Vous bondÃtes nue, éplorée et gaie. O quels baisers, quels enlacements fous! J'en riais moi-même à travers mes pleurs. Certes, ces instants seront entre tous, Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs. Je ne veux revoir de votre sourire Et de vos bons yeux en cette occurrence Et de vous, enfin, qu'il faudrait maudire, Et du piège exquis, rien que l'apparence. * ** Je vous vois encor! En robe d'été Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux. Mais vous n'aviez plus l'humide gaÃté Du plus délirant de tous nos tantôts. La petite épouse et la fille aÃnée Etait reparue avec la toilette Et c'était déjà notre destinée Qui me regardait sous votre voilette. Soyez pardonnée! Et c'est pour cela Que je garde, hélas! avec quelque orgueil, En mon souvenir qui vous cajola, L'éclair de côté que coulait votre oeil. * ** Par instants je suis le pauvre navire Qui court démâté parmi la tempête, Et ne voyant pas Notre-Dame luire Pour l'engouffrement en priant s'apprête. Par instants je meurs la mort du pécheur Qui se sait damné s'il n'est confessé, Et, perdant l'espoir de nul confesseur, Se tord dans l'Enfer qu'il a devancé. O mais! par instants, j'ai l'extase rouge Du premier chrétien, sous la dent rapace, Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge Un poil de sa chair, un nerf de sa face! Bruxelles-Londres. - Septembre-Octobre 1872. Aquarelles GREEN Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, Et puis voici mon coeur, qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux. J'arrive tout couvert encore de rosée Que le vent du matin vient glacer à mon front. Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée, Rêve des chers instants qui la délasseront. Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête Toute sonore encor de vos derniers baisers; Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête, Et que je dorme un peu puisque vous reposez. SPLEEN Les roses étaient toutes rouges, Et les lierres étaient tout noirs. Chère, pour peu que tu te bouges, Renaissent tous mes désespoirs. Le ciel était trop bleu, trop tendre, La mer trop verte et l'air trop doux. Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre! Quelque fuite atroce de vous. Du houx à la feuille vernie Et du luisant buis je suis las, Et de la campagne infinie Et de tout, fors de vous, hélas! STREETS I Dansons la gigue! J'aimais surtout ses jolis yeux, Plus clairs que l'étoile des cieux, J'aimais ses yeux malicieux. Dansons la gigue! Elle avait des façons vraiment De désoler un pauvre amant, Que c'en était vraiment charmant! Dansons la gigue! Mais je trouve encore meilleur Le baiser de sa bouche en fleur, Depuis qu'elle est morte à mon coeur. Dansons la gigue! Je me souviens, je me souviens Des heures et des entretiens, Et c'est le meilleur de mes biens. Dansons la gigue! II O la rivière dans la rue! Fantastiquement apparue Derrière un mur haut de cinq pieds, Elle roule sans un murmure Son onde opaque et pourtant pure, Par les faubourgs pacifiés. La chaussée est très large, en sorte Que l'eau jaune comme une morte Dévale ample et sans nuls espoirs De rien refléter que la brume, Même alors que l'aurore allume Les cottages jaunes et noirs. CHILD WIFE Vous n'avez rien compris à ma simplicité, Rien, ô ma pauvre enfant! Et c'est avec un front éventé, dépité, Que vous fuyez devant. Vos yeux qui ne devaient refléter que douceur, Pauvre cher bleu miroir, Ont pris un ton de fiel, ô lamentable soeur, Qui nous fait mal à voir. Et vous gesticulez avec vos petits bras Comme un héros méchant, En poussant d'aigres cris poitrinaires, hélas! Vous qui n'étiez que chant! Car vous avez eu peur de l'orage et du coeur Qui grondait et sifflait, Et vous bêlâtes vers votre mère - ô douleur! - Comme un triste agnelet. Et vous n'avez pas su la lumière et l'honneur D'un amour brave et fort, Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur, Jeune jusqu'à la mort! A POOR YOUNG SHEPHERD J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer. J'ai peur d'un baiser! Pourtant j'aime Kate Et ses yeux jolis. Elle est délicate Aux longs traits pâlis. Oh! que j'aime Kate! C'est Saint-Valentin! Je dois et je n'ose Lui dire au matin... La terrible chose Que Saint-Valentin! Elle m'est promise, Fort heureusement! Mais quelle entreprise Que d'être un amant Près d'une promise! J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer J'ai peur d'un baiser! BEAMS Elle voulut aller sur les flots de la mer, Et comme un vent bénin soufflait une embellie, Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie, Et nous voilà marchant par le chemin amer. Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse, Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or, Si bien que nous suivions son pas plus calme encor Que le déroulement des vagues, ô délice! Des oiseaux blancs volaient alentour mollement, Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches. Parfois de grands varechs filaient en longues branches, Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement. Elle se retourna, doucement inquiète De ne nous croire pas pleinement rassurés; Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés, Elle reprit sa route et portait haut la tête. Douvres-Ostende, à bord de la Comtesse-de-Flandre, 4 Avril 1873 Sagesse I A la mémoire de ma mère P. V. Mai 1889. I. Bon chevalier... Bon chevalier masqué qui chevauche en silence, Le malheur a percé mon vieux coeur de sa lance. Le sang de mon vieux coeur n'a fait qu'un jet vermeil Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil. L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche. Alors le chevalier Malheur s'est rapproché, Il a mis pied à terre et sa main m'a touché. Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure. Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier. Et voici que, fervent d'une candeur divine, Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine. Or, je restais tremblant, ivre, incrédule un peu, Comme un homme qui voit des visions de Dieu. Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête, En s'éloignant me fit un signe de la tête Et me cria j'entends encore cette voix "Au moins, prudence! Car c'est bon pour une fois." II. J'avais peiné... J'avais peiné comme Sisyphe Et comme Hercule travaillé Contre la chair qui se rebiffe. J'avais lutté, j'avais baillé Des coups à trancher des montagnes, Et comme Achille ferraillé. Farouche ami qui m'accompagnes, Tu le sais, courage païen, Si nous en fÃmes des campagnes, Si nous avons négligé rien Dans cette guerre exténuante, Si nous avons travaillé bien! Le tout en vain l'âpre géante A mon effort de tout côté Opposait sa ruse ambiante, Et toujours un lâche abrité Dans mes conseils qu'il environne Livrait les clés de la cité. Que ma chance fût male ou bonne, Toujours un parti de mon coeur Ouvrait sa porte à la Gorgone. Toujours l'ennemi suborneur Savait envelopper d'un piège Même la victoire et l'honneur! J'étais le vaincu qu'on assiège, Prêt à vende son sang bien cher, Quand, blanche en vêtements de neige, Toute belle au front humble et fier, Une Dame vint sur la nue, Qui d'un signe fit fuir la Chair. Dans une tempête inconnue De rage et de cris inhumains, Et déchirant sa gorge nue, Le Monstre reprit ses chemins Par les bois pleins d'amours affreuses, Et la Dame, joignant les mains "Mon pauvre combattant qui creuses, Dit-elle, ce dilemme en vain, Trêve aux victoires malheureuses! Il t'arrive un secours divin Dont je suis sûre messagère Pour ton salut, possible enfin!" - "O ma Dame dont la voix chère Encourage un blessé jaloux De voir finir l'atroce guerre, Vous qui parlez d'un ton si doux En m'annonçant de bonnes choses, Ma Dame, qui donc êtes-vous?" - J'étais née avant toutes causes Et je verrai la fin de tous Les effets, étoiles et roses. En même temps, bonne, sur vous, Hommes faibles et pauvres femmes, Je pleure, et je vous trouve fous! Je pleure sur vos tristes âmes, J'ai l'amour d'elles, j'ai la peur D'elles, et de leurs voeux infâmes! O ceci n'est pas le bonheur, Veillez, Quelqu'un l'a dit que j'aime, Veillez, crainte du Suborneur, Veillez, crainte du Jour suprême! Qui je suis? me demandais-tu. Mon nom courbe les anges même; Je suis le coeur de la vertu, Je suis l'âme de la sagesse, Mon nom brûle l'Enfer têtu; Je suis la douceur qui redresse, J'aime tous et n'accuse aucun, Mon nom, seul, se nomme promesse, Je suis l'unique hôte opportun, Je parle au Roi le vrai langage Du matin rose et du soir brun, Je suis la Prière, et mon gage C'est ton vice en déroute au loin; Ma condition "Toi, sois sage." - "Oui, ma Dame, et soyez témoin!" III. Qu'en dis-tu, voyageur... Qu'en dis-tu, voyageur, des pays et des gares? Du moins as-tu cueilli l'ennui, puisqu'il est mûr, Toi que voilà fumant de maussades cigares, Noir, projetant une ombre absurde sur le mur? Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures, Ta grimace est la même et ton deuil est pareil Telle la lune vue à travers des mâtures, Telle la vieille mer sous le jeune soleil, Tel l'ancien cimetière aux tombes toujours neuves! Mais voyons, et dis-nous les récits devinés, Ces désillusions pleurant le long des fleuves, Ces dégoûts comme autant de fades nouveau-nés, Ces femmes! Dis les gaz, et l'horreur identique Du mal toujours, du laid partout sur tes chemins, Et dis l'Amour et dis encor la Politique Avec du sang déshonoré d'encre à leurs mains. Et puis surtout ne va pas t'oublier toi-même TraÃnassant ta faiblesse et ta simplicité Partout où l'on bataille et partout où l'on aime, D'une façon si triste et folle, en vérité! A-t-on assez puni cette lourde innocence? Qu'en dis-tu? L'homme est dur, mais la femme? Et tes pleurs, Qui les a bus? Et quelle âme qui les recense Console ce qu'on peut appeler tes malheurs? Ah les autres, ah toi! Crédule à qui te flatte, Toi qui rêvais c'était trop excessif, aussi Je ne sais quelle mort légère et délicate! Ah toi, l'espèce d'ange avec ce voeu transi! Mais maintenant les plans, les buts? Es-tu de force, Ou si d'avoir pleuré t'a détrempé le coeur? L'arbre est tendre s'il faut juger d'après l'écorce, Et tes aspects ne sont pas ceux d'un grand vainqueur. Si gauche encore! avec l'aggravation d'être Une sorte à présent d'idyllique engourdi Qui surveille le ciel bête par la fenêtre Ouverte aux yeux matois du démon de midi. Si le même dans cette extrême décadence! Enfin! - Mais à ta place un être avec du sens, Payant les violons voudrait mener la danse, Au risque d'alarmer quelque peu les passants. N'as-tu pas, en fouillant les recoins de ton âme, Un beau vice à tirer comme un sabre au soleil, Quelque vice joyeux, effronté, qui s'enflamme Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil? Un ou plusieurs? Si oui, tant mieux! Et pars bien vite En guerre, et bats d'estoc et de taille, sans choix Surtout, et mets ce masque indolent où s'abrite La haine inassouvie et repue à la fois... Il faut n'être pas dupe en ce farceur de monde Où le bonheur n'a rien d'exquis et d'alléchant S'il n'y frétille un peu de pervers et d'immonde, Et pour n'être pas dupe il faut être méchant. - Sagesse humaine, ah, j'ai les yeux sur d'autres choses, Et parmi ce passé dont ta voix décrivait L'ennui, pour des conseils encore plus moroses, Je ne me souviens plus que du mal que j'ai fait. Dans tous les mouvements bizarres de ma vie, De mes "malheurs", selon le moment et le lieu, Des autres et de moi, de la route suivie, Je n'ai rien retenu que la grâce de Dieu. Si je me sens puni, c'est que je le dois être. Ni l'homme ni la femme ici ne sont pour rien. Mais j'ai le ferme espoir d'un jour pouvoir connaÃtre Le pardon et la paix promis à tout Chrétien. Bien de n'être pas dupe en ce monde d'une heure, Mais pour ne l'être pas durant l'éternité, Ce qu'il faut à tout prix qui règne et qui demeure, Ce n'est pas la méchanceté, c'est la bonté. IV. Malheureux!... Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptême, Ton enfance chrétienne, une mère qui t'aime, La force et la santé comme le pain et l'eau, Cet avenir enfin, décrit dans le tableau De ce passé plus clair que le jeu des marées, Tu pilles tout, tu perds en viles simagrées Jusqu'aux derniers pouvoirs de ton esprit, hélas! La malédiction de n'être jamais las Suit tes pas sur le monde où l'horizon t'attire, L'enfant prodigue avec des gestes de satyre! Nul avertissement, douloureux ou moqueur, Ne prévaut sur l'élan funeste de ton coeur. Tu flânes à travers péril et ridicule, Avec l'irresponsable audace d'un Hercule Dont les travaux seraient fous, nécessairement. L'amitié - dame! - a tu son reproche clément, Et chaste, et sans aucun espoir que le suprême, Vient prier, comme au lit d'un mourant qui blasphème. La patrie oubliée est dure au fils affreux, Et le monde alentour dresse ses buissons creux Où ton désir mauvais s'épuise en flèches mortes. Maintenant il te faut passer devant les portes, Hâtant le pas de peur qu'on ne lâche le chien, Et si tu n'entends pas rire, c'est encor bien. Malheureux, toi Français, toi Chrétien, quel dommage! Mais tu vas, la pensée obscure de l'image D'un bonheur qu'il te faut immédiat, étant Athée avec la foule! et jaloux de l'instant, Tout appétit parmi ces appétits féroces, Epris de la fadaise actuelle, mots, noces Et festins, la "Science", et "l'esprit de Paris", Tu vas magnifiant ce par quoi tu péris, Imbécile! et niant le soleil qui t'aveugle! Tout ce que les temps ont de bête paÃt et beugle Dans ta cervelle, ainsi qu'un troupeau dans un pré, Et les vices de tout le monde ont émigré Pour ton sang dont le fer lâchement s'étiole. Tu n'es plus bon à rien de propre, ta parole Est morte de l'argot et du ricanement, Et d'avoir rabâché les bourdes du moment. Ta mémoire, de tant d'obscénités bondée, Ne saurait accueillir la plus petite idée, Et patauge parmi l'égoïsme ambiant, En quête d'on ne peut dire quel vil néant! Seul, entre les débris honnis de ton désastre, L'Orgueil, qui met la flamme au front du poétastre Et fait au criminel un prestige odieux, Seul, l'Orgueil est vivant, il danse dans tes yeux, Il regarde la Faute et rit de s'y complaire. - Dieu des humbles, sauvez cet enfant de colère! V. Beauté des femmes... Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal. Et ces yeux, où plus rien ne reste d'animal Que juste assez pour dire "assez" aux fureurs mâles Et toujours, maternelle endormeuse des râles, Même quand elle ment, cette voix! Matinal Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal, Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles!... Hommes durs! Vie atroce et laide d'ici-bas! Ah! que du moins, loin des baisers et des combats, Quelque chose demeure un peu sur la montagne, Quelque chose du coeur enfantin et subtil, Bonté, respect! Car qu'est-ce qui nous accompagne, Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il? VI. O vous,... O vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies, Toi, coeur saignant d'hier qui flambes aujourd'hui, C'est vrai pourtant que c'est fini, que tout a fui De nos sens, aussi bien les ombres que les proies. Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d'oies Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui, Bon voyage! Et le Rire, et, plus vieille que lui, Toi, Tristesse, noyée au vieux noir que tu broies, Et le reste! - Un doux vide, un grand renoncement, Quelqu'un en nous qui sent la paix immensément, Une candeur d'une fraÃcheur délicieuse... Et voyez! notre coeur qui saignait sous l'orgueil, Il flambe dans l'amour, et s'en va faire accueil A la vie, en faveur d'une mort précieuse! VII. Les faux beaux jours... Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme, Et les voici vibrer aux cuivres du couchant. Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ Une tentation des pires. Fuis l'infâme. Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme, Battant toute vendange aux collines, couchant Toute moisson de la vallée, et ravageant Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame. O pâlis, et va-t'en, lente et joignant les mains. Si ces hiers allaient manger nos beaux demains? Si la vieille folie était encore en route? Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer? Un assaut furieux, le suprême, sans doute! O va prier contre l'orage, va prier. VIII. La vie humble... La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d'amour Rester gai quand le jour, triste, succède au jour, Etre fort, et s'user en circonstances viles, N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes Que l'appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour, Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour L'accomplissement vil de tâches puériles, Dormir chez les pécheurs étant un pénitent, N'aimer que le silence et converser pourtant, Le temps si grand dans la patience si grande, Le scrupule naïf aux repentirs têtus, Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus! - Fi, dit l'Ange Gardien, de l'orgueil qui marchande! IX. Sagesse d'un Louis Racine,... Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie! O n'avoir pas suivi les leçons de Rollin, N'être pas né dans le grand siècle à son déclin, Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie, Quand Maintenon jetait sur la France ravie L'ombre douce et la paix de ses coiffes de lin, Et royale abritait la veuve et l'orphelin, Quand l'étude de la prière était suivie, Quand poète et docteur, simplement, bonnement, Communiaient avec des ferveurs de novices, Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant D'aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses! X. Non. Il fut gallican,... Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste! C'est vers le Moyen Age énorme et délicat Qu'il faudrait que mon coeur en panne naviguât, Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste. Roi, politicien, moine, artisan, chimiste, Architecte, soldat, médecin, avocat, Quel temps! Oui, que mon coeur naufragé rembarquât Pour toute cette force ardente, souple, artiste! Et là que j'eusse part - quelconque, chez les rois Ou bien ailleurs, n'importe, - à la chose vitale, Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits, Haute théologie et solide morale, Guidé par la folie unique de la Croix Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale! XI. Petits amis qui sûtes... Petits amis qui sûtes nous prouver Par A plus B que deux et deux font quatre, Mais qui depuis voulez parachever Une victoire où l'on se laissait battre, Et couronner vos conquêtes d'un coup Par ce soufflet à la mémoire humaine "Dieu ne vous a révélé rien du tout, Car nous disons qu'il n'est que l'ombre vaine, Que le profil et que l'allongement Sur tous les murs que la peur édifie De votre pur et simple mouvement, Et nous dictons cette philosophie." - Frères trop chers, laissez-nous rire un peu, Nous les fervents d'une logique rance, Qui justement n'avons de foi qu'en Dieu Et mettons notre espoir dans l'Espérance, Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi, Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème, Rire du vieux Satan stupide ainsi, Pleurer sur cet Adam dupe quand même! Frère de nous qui payons vos orgueils, Tous fils du même Amour, ah! la science, Allons donc, allez donc, c'est nos cercueils Naïfs ou non, c'est notre méfiance Ou notre confiance aux seuls Récits, C'est notre oreille ouverte toute grande Ou tristement fermée au Mot précis! Frères, lâchez la science gourmande Qui veut voler sur les ceps défendus Le fruit sanglant qu'il ne faut pas connaÃtre. Lâchez son bras qui vous tient attendus Pour des enfers que Dieu n'a pas fait naÃtre, Mais qui sont l'oeuvre affreuse du péché, Car nous, les fils attentifs de l'Histoire, Nous tenons pour l'honneur jamais taché De la Tradition, supplice et gloire! Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant Qu'ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme, Et prédisant aux crimes d'à présent La peine immense ou le pardon énorme. Puisqu'ils avaient vu Dieu présent toujours, Puisqu'ils ne mentaient pas, puisque nos crimes Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts, Et puisqu'il est des repentirs sublimes, Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien Que deux et deux fassent quatre, à merveille! Riens innocents, mais des riens moins que rien, La dernière heure étant là qui surveille Tout autre soin dans l'homme en vérité! Gardez que trop chercher ne vous séduise Loin d'une sage et forte humilité... Le seul savant, c'est encore Moïse. XII. Or, vous voici promus,... Or, vous voici promus, petits amis, Depuis les temps de ma lettre première, Promus, disais-je, aux fiers emplois promis A votre thèse, en ces jours de lumière. Vous voici rois de France! A votre tour! Rois à plusieurs d'une France postiche, Mais rois de fait et non sans quelque amour D'un trône lourd avec un budget riche. A l'oeuvre, amis petits! Nous avons droit De vous y voir, payant de notre poche, Et d'être un peu réjouis à l'endroit De votre état sans peur et sans reproche. Sans peur? Du maÃtre? O le maÃtre, mais c'est L'Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre, Total, le peuple, "un âne" fort "qui s'est Cabré", pour vous espoir clair, puis fait sombre. Cabré comme une chèvre, c'est le mot. Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle, S'efforce en vain fort comme Béhémot, Le monstre tire... et votre peur est telle Quand l'âne brait, que le voilà parti Qui par les dents vous boute cent ruades En forme de reproche bien senti... Courez après, frottant vos reins malades! O Peuple, nous t'aimons immensément N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante En proie à tout ce qui sait et qui ment? N'es-tu donc pas l'immensité souffrante? La charité nous fait chercher tes maux, La foi nous guide à travers tes ténèbres. On t'a rendu semblable aux animaux, Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres. L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf, Nabuchodonosor, et te fait paÃtre, Ane obstiné, mouton buté, dur boeuf, Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre! O paysan cassé sur tes sillons, Pâle ouvrier qu'esquinte la machine, Membres sacrés de Jésus-Christ, allons, Relevez-vous, honorez votre échine, Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts, Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde, Respectez-les, fuyez ces chemins tors, Fermez l'oreille à ce conseil immonde, Redevenez les Français d'autrefois, Fils de l'Eglise, et dignes de vos pères! O s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois, Leurs os sueraient de honte aux cimetières. - Vous, nos tyrans minuscules d'un jour L'énormité des actes rend les princes Surtout de souche impure, et malgré cour Et splendeur et le faste, encor plus minces, Laissez le règne et rentrez dans le rang. Aussi bien l'heure est proche où la tourmente Vous va donner des loisirs, et tout blanc L'avenir flotte avec sa Fleur charmante Sur la Bastille absurde où vous teniez La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme, Et la chronique en de cléments Téniers Déjà vous peint allant au catéchisme. XIII. Prince mort en soldat... Prince mort en soldat à cause de la France, Ame certes élue, Fier jeune homme si pur tombé plein d'espérance, Je t'aime et te salue! Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie Va sous tant de ténèbres, Vaisseau désemparé dont l'équipage crie Avec des voix funèbres, Ce siècle est un tel ciel tragique où les naufrages Semblent écrits d'avance... Ma jeunesse, élevée aux doctrines sauvages, Détesta ton enfance, Et plus tard, coeur pirate épris des seuls côtes Où la révolte naisse, Mon âge d'homme, noir d'orages et de fautes, Abhorrait ta jeunesse. Maintenant j'aime Dieu dont l'amour et la foudre M'ont fait une âme neuve, Et maintenant que mon orgueil réduit en poudre, Humble, accepte l'épreuve, J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes Pour les pleurs de ta mère, Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes, Comme un héros d'Homère. Et je dis, réservant d'ailleurs mon voeu suprême Au lys de Louis Seize Napoléon qui fus digne du diadème, Gloire à ta mort française! Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne, Aujourd'hui vraiment "Sire", Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne, Bon chrétien, du martyre! XIV. Vous reviendrez bientôt... Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons Selon votre coutume, O Pères excellents qu'aujourd'hui nous perdons Pour comble d'amertume. Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l'honneur, Avec la Fleur chérie. Et que de pleurs joyeux, et quels cris de bonheur Dans toute la patrie! Vous reviendrez, après ces glorieux exils, Après des moissons d'âmes, Après avoir prié pour ceux-ci, fussent-ils Encore plus infâmes, Après avoir couvert les Ãles et la mer De votre ombre si douce Et réjoui le ciel et consterné l'enfer, Béni qui vous repousse, Béni qui vous dépouille au cri de liberté, Béni l'impie en armes, Et l'enfant qu'il vous prend des bras, - et racheté Nos crimes par vos larmes! Proscrits des jours, vainqueurs des temps, non point adieu, Vous êtes l'espérance. A tantôt, Pères saints, qui nous vaudrez de Dieu Le salut pour la France! XV. On n'offense... On n'offense que Dieu qui seul pardonne. Mais On contriste son frère, on l'afflige, on le blesse, On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse, Et c'est un crime affreux qui va troubler la paix Des simples, et donner au monde sa pâture, Scandale, coeurs perdus, gros mots et rire épais. Le plus souvent par un effet de la nature Des choses, ce péché trouve son châtiment Même ici-bas, féroce et long communément. Mais l'Amour tout-puissant donne à la créature Le sens de son malheur, qui mène au repentir Par une route lente et haute, mais très sûre. Alors un grand désir, un seul, vient investir Le pénitent, après les premières alarmes, Et c'est d'humilier son front devant les larmes De naguère, sans rien qui pourrait amortir Le coup droit pour l'orgueil, et de rendre les armes Comme un soldat vaincu, - triste, de bonne foi. O ma soeur, qui m'avez puni, pardonnez-moi! XVI. Ecoutez la chanson bien douce... Ecoutez la chanson bien douce Qui ne pleure que pour vous plaire. Elle est discrète, elle est légère Un frisson d'eau sur de la mousse! La voix vous fut connue et chère?, Mais à présent elle est voilée Comme une veuve désolée, Pourtant comme elle encore fière, Et dans les longs plis de son voile Qui palpite aux brises d'automne, Cache et montre au coeur qui s'étonne La vérité comme une étoile. Elle dit, la voix reconnue, Que la bonté c'est notre vie, Que de la haine et de l'envie Rien ne reste, la mort venue. Elle parle aussi de la gloire D'être simple sans plus attendre, Et de noces d'or et du tendre Bonheur d'une paix sans victoire. Accueillez la voix qui persiste Dans son naïf épithalame. Allez, rien n'est meilleur à l'âme Que de faire une âme moins triste! Elle est en peine et de passage, L'âme qui souffre sans colère, Et comme sa morale est claire!... Ecoutez la chanson bien sage. XVII. Les chères mains... Les chères mains qui furent miennes, Toutes petites, toutes belles, Après ces méprises mortelles Et toutes ces choses païennes, Après les rades et les grèves, Et les pays et les provinces, Royales mieux qu'au temps des princes Les chères mains m'ouvrent les rêves. Mains en songe, mains sur mon âme, Sais-je, moi, ce que vous daignâtes, Parmi ces rumeurs scélérates, Dire à cette âme qui se pâme? Ment-elle, ma vision chaste D'affinité spirituelle, De complicité maternelle, D'affection étroite et vaste? Remords si cher, peine très bonne, Rêves bénits, mains consacrées, O ces mains, ses mains vénérées, Faites le geste qui pardonne! XVIII. Et j'ai revu l'enfant... Et j'ai revu l'enfant unique il m'a semblé Que s'ouvrait dans mon coeur la dernière blessure, Celle dont la douleur plus exquise m'assure D'une mort désirable en un jour consolé. La bonne flèche aiguà et sa fraÃcheur qui dure! En ces instants choisis elles ont éveillé Les rêves un peu lourds du scrupule ennuyé, Et tout mon sang chrétien chanta la Chanson pure. J'entends encor, je vois encor! Loi du devoir Si douce! Enfin, je sais ce qu'est entendre et voir, J'entends, je vois toujours! Voix des bonnes pensées, Innocence, avenir! Sage et silencieux, Que je vais vous aimer, vous un instant pressées, Belles petites mains qui fermerez nos yeux! XIX. Voix de l'Orgueil... Voix de l'Orgueil un cri puissant comme d'un cor. Des étoiles de sang sur des cuirasses d'or, On trébuche à travers des chaleurs d'incendie... Mais en somme la voix s'en va, comme d'un cor. Voix de la Haine cloche en mer, fausse, assourdie De neige lente. Il fait si froid! Lourde, affadie, La vie a peur et court follement sur le quai Loin de la cloche qui devient plus assourdie. Voix de la Chair un gros tapage fatigué. Des gens ont bu. L'endroit fait semblant d'être gai. Des yeux, des noms, et l'air plein de parfums atroces Où vient mourir le gros tapage fatigué. Voix d'Autrui; de lointains dans des brouillards. Des noces Vont et viennent. Des tas d'embarras. Des négoces, Et tout le cirque des civilisations Au son trotte-menu du violon des noces. Colères, soupirs noirs, regrets, tentations Qu'il a fallu pourtant que nous entendissions Pour l'assourdissement des silences honnêtes, Colères, soupirs noirs, regrets, tentations, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes, Sentences, mots en vain, métaphores mal faites, Toute la rhétorique en fuite des péchés, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes! Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchés. Mourez à nous, mourez aux humbles voeux cachés Que nourrit la douceur de la Parole forte, Car notre coeur n'est plus de ceux que vous cherchez! Mourez parmi la voix que la prière emporte Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour, Mourez parmi la voix que la prière apporte, Mourez parmi la voix terrible de l'Amour! XX. L'ennemi se déguise... L'ennemi se déguise en l'Ennui Et me dit "A quoi bon, pauvre dupe?" Moi je passe et me moque de lui. L'ennemi se déguise en la Chair Et me dit "Bah, retrousse une jupe!" Moi j'écarte le conseil amer. L'ennemi se transforme en un Ange De lumière et dit "Qu'est ton effort A côté des tributs de louange Et de Foi dus au Père céleste? Ton Amour va-t-il jusqu'à la mort?" Je réponds "L'Espérance me reste." Comme c'est le vieux logicien, Il a fait bientôt de me réduire A ne plus vouloir répliquer rien. Mais sachant qui c'est, épouvanté De ne plus sentir les mondes luire, Je prierai pour de l'humilité. XXI. Va ton chemin... Va ton chemin sans plus t'inquiéter! La route est droite et tu n'as qu'à monter, Portant d'ailleurs le seul trésor qui vaille Et l'arme unique au cas d'une bataille, La pauvreté d'esprit et Dieu pour toi. Surtout il faut garder toute espérance. Qu'importe un peu de nuit et de souffrance? La route est bonne et la mort est au bout. Oui, garde toute espérance surtout. La mort là -bas te dresse un lit de joie. Et fais-toi doux de toute la douceur. La vie est laide, encore c'est ta soeur. Simple, gravis la côte et même chante Pour écarter la prudence méchante Dont la voix basse est pour tenter ta foi. Simple comme un enfant, gravis la côte, Humble comme un pécheur qui hait la faute, Chante, et même sois gai, pour défier L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer Afin que tu t'endormes sur la voie. Ris du vieux piège et du vieux séducteur, Puisque la Paix est là , sur la hauteur, Qui luit parmi des fanfares de gloire. Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire, Déjà l'Ange Gardien étend sur toi Joyeusement des ailes de victoire. XXII. Pourquoi triste... Pourquoi triste, ô mon âme, Triste jusqu'à la mort, Quand l'effort te réclame, Quand le suprême effort Est là qui te réclame? Ah, tes mains que tu tords Au lieu d'être à la tâche, Tes lèvres que tu mords Et leur silence lâche, Et tes yeux qui sont morts! N'as-tu pas l'espérance De la fidélité, Et, pour plus d'assurance Dans la sécurité, N'as-tu pas la souffrance? Mais chasse le sommeil Et ce rêve qui pleure. Grand jour et plein soleil! Vois, il est plus que l'heure Le ciel bruit vermeil, Et la lumière crue Découpant d'un trait noir Toute chose apparue Te montre le Devoir Et sa forme bourrue. Marche à lui vivement, Tu verras disparaÃtre Tout aspect inclément De sa manière d'être, Avec l'éloignement. C'est le dépositaire Qui te garde un trésor D'amour et de mystère, Plus précieux que l'or, Plus sûr que rien sur terre Les biens qu'on ne voit pas, Toute joie inouïe, Votre paix, saints combats, L'extase épanouie Et l'oubli d'ici-bas, Et l'oubli d'ici-bas! XXIII. Né l'enfant... Né l'enfant des grandes villes Et des révoltes serviles J'ai là tout cherché, trouvé De tout appétit rêvé. Mais, puisque rien n'en demeure, J'ai dit un adieu léger A tout ce qui peut changer, Au plaisir, au bonheur même, Et même à tout ce que j'aime Hors de vous, mon doux Seigneur! La Croix m'a pris sur ses ailes Qui m'emporte aux meilleurs zèles, Silence, expiation, Et l'âpre vocation Pour la vertu qui s'ignore. Douce, chère Humilité, Arrose ma charité, Trempe-la de tes eaux vives. O mon coeur, que tu ne vives Qu'aux fins d'une bonne mort! XXIV L'âme antique était rude et vaine Et ne voyait dans la douleur Que l'acuité de la peine Ou l'étonnement du malheur. L'art, sa figure la plus claire, Traduit ce double sentiment Par deux grands types de la Mère En proie au suprême tourment. C'est la vielle reine de Troie Tous ses fils sont morts par le fer. Alors ce deuil brutal aboie Et glapit au bord de la mer. Elle court le long du rivage, Bavant vers le flot écumant, Hirsute, criarde, sauvage, La chienne littéralement!... Et c'est Niobé qui s'effare Et garde fixement des yeux Sur les dalles de pierre rare Ses enfants tués par les dieux. Le souffle expire sur sa bouche, Elle meurt dans un geste fou. Ce n'est plus qu'un marbre farouche Là transporté nul ne sait d'où!... La douleur chrétienne est immense, Elle, comme le coeur humain. Elle souffre, puis elle pense, Et calme poursuit son chemin. Elle est debout sur le Calvaire Pleine de larmes et sans cris. C'est également une mère, Mais quelle mère de quel fils! Elle participe au Supplice Qui sauve toute nation, Attendrissant le sacrifice Par sa vaste compassion. Et comme tous sont les fils d'elle, Sur le monde et sur sa langueur Toute la charité ruisselle Des sept blessures de son coeur. Au jour qu'il faudra, pour la gloire Des cieux enfin tout grands ouverts, Ceux qui surent et purent croire, Bons et doux, sauf au seul Pervers, Ceux-là , vers la joie infinie Sur la colline de Sion, Monteront d'une aile bénie Aux plis de son assomption. II I. O mon Dieu... O mon Dieu vous m'avez blessé d'amour Et la blessure est encore vibrante, O mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour. O mon Dieu, votre crainte m'a frappé Et la brûlure est encor là qui tonne, O mon Dieu votre crainte m'a frappé. O mon Dieu, j'ai connu que tout est vil Et votre gloire en moi s'est installée, O mon Dieu, j'ai connu que tout est vil. Noyez mon âme aux flots de votre Vin, Fondez ma vie au Pain de votre table, Noyez mon âme aux flots de votre Vin. Voici mon sang que je n'ai pas versé, Voici ma chair indigne de souffrance, Voici mon sang que je n'ai pas versé. Voici mon front qui n'a pu que rougir, Pour l'escabeau de vos pieds adorables, Voici mon front qui n'a pu que rougir. Voici mes mains qui n'ont pas travaillé, Pour les charbons ardents et l'encens rare, Voici mes mains qui n'ont pas travaillé. Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain, Pour palpiter aux ronces du Calvaire, Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain. Voici mes pieds, frivoles voyageurs, Pour accourir au cri de votre grâce, Voici mes pieds, frivoles voyageurs. Voici ma voix, bruit maussade et menteur, Pour les reproches de la Pénitence, Voici ma voix, bruit maussade et menteur. Voici mes yeux, luminaires d'erreur, Pour être éteints aux pleurs de la prière, Voici mes yeux, luminaires d'erreur. Hélas, Vous, Dieu d'offrande et de pardon, Quel est le puits de mon ingratitude, Hélas, Vous, Dieu d'offrande et de pardon, Dieu de terreur et Dieu de sainteté, Hélas! ce noir abÃme de mon crime, Dieu de terreur et Dieu de sainteté, Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur, Toutes mes peurs, toutes mes ignorances, Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur, Vous connaissez tout cela, tout cela, Et que je suis plus pauvre que personne, Vous connaissez tout cela, tout cela, Mais ce que j'ai, mon Dieu, je vous le donne. II. Je ne veux plus... Je ne veux plus aimer que ma mère Marie. Tous les autres amours sont de commandement. Nécessaires qu'ils sont, ma mère seulement Pourra les allumer aux coeurs qui l'ont chérie. C'est pour Elle qu'il faut chérir mes ennemis, C'est par Elle que j'ai voué ce sacrifice, Et la douceur de coeur et le zèle au service, Comme je la priais, Elle les a permis. Et comme j'étais faible et bien méchant encore, Aux mains lâches, les yeux éblouis des chemins, Elle baissa mes yeux et me joignit les mains, Et m'enseigna les mots par lesquels on adore. C'est par Elle que j'ai voulu de ces chagrins, C'est pour Elle que j'ai mon coeur dans les cinq Plaies, Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies, Comme je l'invoquais, Elle en ceignit mes reins. Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie, Siège de la Sagesse et source des pardons, Mère de France aussi, de qui nous attendons Inébranlablement l'honneur de la patrie. Marie Immaculée, amour essentiel, Logique de la foi cordiale et vivace, En vous aimant qu'est-il de bon que je ne fasse, En vous aimant du seul amour, Porte du ciel? III. Vous êtes calme... Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret, Des secrets à mi-voix dans l'ombre et le silence, Le coeur qui se répand plutôt qu'il ne s'élance, Et ces timides, moins transis qu'il ne paraÃt. Vous accueillez d'un geste exquis telles pensées Qui ne marchent qu'en ordre et font le moins de bruit. Votre main, toujours prête à la chute du fruit, Patiente avec l'arbre et s'abstient de poussées. Et si l'immense amour de vos commandements Embrasse et presse tous en sa sollicitude, Vos conseils vont dicter aux meilleurs et l'étude Et le travail des plus humbles recueillements. Le pécheur, s'il prétend vous connaÃtre et vous plaire, O vous qui nous aimant si fort parliez si peu, Doit et peut, à tout temps du jour comme en tout lieu, Bien faire obscurément son devoir et se taire, Se taire pour le monde, un pur sénat de fous, Se taire sur autrui, des âmes précieuses, Car nous taire vous plaÃt, même aux heures pieuses, Même à la mort, sinon devant le prêtre et vous. Donnez-leur le silence et l'amour du mystère, O Dieu glorifieur du bien fait en secret, A ces timides moins transis qu'il ne paraÃt, Et l'horreur, et le pli des choses de la terre. Donnez-leur, ô mon Dieu, la résignation, Toute forte douceur, l'ordre et l'intelligence, Afin qu'au jour suprême ils gagnent l'indulgence De l'Agneau formidable en la neuve Sion, Afin qu'ils puissent dire "Au moins nous sûmes croire" Et que l'Agneau terrible, ayant tout supputé, Leur réponde "Venez, vous avez mérité, Pacifiques, ma paix, et douloureux, ma gloire." IV. Mon Dieu m'a dit... I Mon Dieu m'a dit "Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois Mon flanc percé, mon coeur qui rayonne et qui saigne, Et mes pieds offensés que Madeleine baigne De larmes, et mes bras douloureux sous le poids De tes péchés, et mes mains! Et tu vois la croix, Tu vois les clous, le fiel, l'éponge, et tout t'enseigne A n'aimer, en ce monde amer où la chair règne, Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix. Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même, O mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit, Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit? N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits, Lamentable ami qui me cherches où je suis?" II J'ai répondu "Seigneur, vous avez dit mon âme. C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas. Mais vous aimer! Voyez comme je suis en bas, Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme. Vous, la source de paix que toute soif réclame, Hélas! voyez un peu tous mes tristes combats! Oserai-je adorer la trace de vos pas, Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme? Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements, Je voudrais que votre ombre au moins vêtÃt ma honte, Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte, O vous, fontaine calme, amère aux seuls amants De leur damnation, ô vous toute lumière Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière!" III - Il faut m'aimer! Je suis l'universel Baiser, Je suis cette paupière et je suis cette lèvre Lont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre Qui t'agite, c'est moi toujours! Il faut oser M'aimer! Oui, mon amour monte sans biaiser Jusqu'où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre, Et t'emportera, comme un aigle vole un lièvre, Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser! O ma nuit claire! ô tes yeux dans mon clair de lune! O ce lit de lumière et d'eau parmi la brune! Toute cette innocence et tout ce reposoir! Aime-moi! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes, Car étant ton Dieu tout-puissant, je peux vouloir, Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes! IV - Seigneur, c'est trop! Vraiment je n'ose. Aimer qui? Vous? Oh! non! Je tremble et n'ose. Oh! vous aimer je n'ose, Je ne veux pas! Je suis indigne. Vous, la Rose Immense des purs vents de l'Amour, ô Vous, tous Les coeurs des saints, ô Vous qui fûtes le Jaloux D'IsraÃl, Vous, la chaste abeille qui se pose Sur la seule fleur d'une innocence mi-close, Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Etes-vous fous, Père, Fils, Esprit? Moi, ce pécheur-ci, ce lâche, Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche Et n'a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût, Vue, ouïe, et dans tout son être - hélas! dans tout Son espoir et dans tout son remords que l'extase D'une caresse où le seul vieil Adam s'embrase? V - Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais, Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme, Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome, Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets. Mon amour est le feu qui dévore à jamais Toute chair insensée, et l'évapore comme Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme En son flot tout mauvais germe que je semais, Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée Et que par un miracle effrayant de bonté Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté. Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée De toute éternité, pauvre âme délaissée, Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté! VI - Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute. Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant, O Justice que la vertu des bons redoute? Oui, comment? Car voici que s'ébranle la voûte Où mon coeur creusait son ensevelissement Et que je sens fluer à moi le firmament, Et je vous dis de vous à moi quelle est la route? Tendez-moi votre main, que je puisse lever Cette chair accroupie et cet esprit malade. Mais recevoir jamais la céleste accolade, Est-ce possible? Un jour, pouvoir la retrouver Dans votre sein, sur votre coeur qui fut le nôtre, La place où reposa la tête de l'apôtre? VII - Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui, Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise De ton coeur vers les bras ouverts de mon Eglise Comme la guêpe vole au lis épanoui. Approche-toi de mon oreille. Epanches-y L'humiliation d'une brave franchise. Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise Et m'offre le bouquet d'un repentir choisi. Puis franchement et simplement viens à ma table, Et je t'y bénirai d'un repas délectable Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté, Et tu boiras le Vin de la vigne immuable Dont la force, dont la douceur, dont la bonté Feront germer ton sang à l'immortalité. * ** Puis, va! Garde une foi modeste en ce mystère D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison, Et surtout reviens très souvent dans ma maison, Pour y participer au Vin qui désaltère, Au Pain sans qui la vie est une trahison, Pour y prier mon Père et supplier ma mère Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre, D'être l'agneau sans cris qui donne sa toison, D'être l'enfant vêtu de lin et d'innocence, D'oublier ton pauvre amour-propre et ton essence, Enfin, de devenir un peu semblable à moi Qui fus, durant les jours d'Hérode et de Pilate Et de Judas et de Pierre, pareil à toi Pour souffrir et mourir d'une mort scélérate! * ** Et pour récompenser ton zèle en ces devoirs Si doux qu'ils sont encor d'ineffables délices, Je te ferai goûter sur terre mes prémices, La paix du coeur, l'amour d'être pauvre, et mes soirs Mystiques, quand l'esprit s'ouvre aux calmes espoirs Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice Eternel, et qu'au ciel pieux la lune glisse, Et que sonnent les angélus roses et noirs, En attendant l'assomption dans ma lumière, L'éveil sans fin dans ma charité coutumière, La musique de mes louanges à jamais, Et l'extase perpétuelle et la science, Et d'être en moi parmi l'aimable irradiance De tes souffrances, enfin miennes, que j'aimais! VIII - Ah! Seigneur, qu'ai-je? Hélas! me voici tout en larmes D'une joie extraordinaire votre voix Me fait comme du bien et du mal à la fois, Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes. Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes D'un clairon pour des champs de bataille où je vois Des anges bleus et blancs portés sur des pavois, Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes. J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi. Je suis indigne, mais je sais votre clémence. Ah! quel effort, mais quelle ardeur! Et me voici Plein d'une humble prière, encor qu'un trouble immense Brouille l'espoir que votre voix me révéla, Et j'aspire en tremblant. IX - Pauvre âme, c'est cela! III I. Désormais le Sage... Désormais le Sage, puni Pour avoir trop aimé les choses, Rendu prudent à l'infini, Mais franc de scrupules moroses, Et d'ailleurs retournant au Dieu Qui fit les yeux et la lumière, L'honneur, la gloire, et tout le peu Qu'a son âme de candeur fière, Le Sage peut, dorénavant, Assister aux scènes du monde, Et suivre la chanson du vent, Et contempler la mer profonde. Il ira, calme, et passera Dans la férocité des villes, Comme un mondain à l'Opéra Qui sort blasé des danses viles. Même, - et pour tenir abaissé L'orgueil, qui fit son âme veuve, Il remontera le passé, Ce passé, comme un mauvais fleuve! Il reverra l'herbe des bords, Il entendra le flot qui pleure Sur le bonheur mort et les torts De cette date et de cette heure!... Il aimera les cieux, les champs, La bonté, l'ordre et l'harmonie, Et sera doux, même aux méchants, Afin que leur mort soit bénie. Délicat et non exclusif, Il sera du jour où nous sommes Son coeur, plutôt contemplatif, Pourtant saura l'oeuvre des hommes, Mais revenu des passions, Un peu méfiant des "usages", A vos civilisations Préférera les paysages. II. De fond du grabat... Du fond du grabat As-tu vu l'étoile Que l'hiver dévoile? Comme ton coeur bat, Comme cette idée, Regret ou désir, Ravage à plaisir Ta tête obsédée, Pauvre tête en feu, Pauvre coeur sans dieu! L'ortie et l'herbette Au bas du rempart D'où l'appel frais part D'une aigre trompette, Le vent du coteau, La Meuse, la goutte Qu'on boit sur la route A chaque écriteau, Les sèves qu'on hume, Les pipes qu'on fume! Un rêve de froid "Que c'est beau la neige Et tout son cortège Dans leur cadre étroit! Oh! tes blancs arcanes, Nouvelle Archangel, Mirage éternel De mes caravanes! Oh! ton chaste ciel, Nouvelle Archangel!" Cette ville sombre! Tout est crainte ici... Le ciel est transi D'éclairer tant d'ombre. Les pas que tu fais Parmi ces bruyères Lèvent des poussières Au souffle mauvais... Voyageur si triste, Tu suis quelle piste? C'est l'ivresse à mort, C'est la noire orgie, C'est l'amer effort De ton énergie Vers l'oubli dolent De la voix intime, C'est le seuil du crime, C'est l'essor sanglant. - Oh! fuis la chimère Ta mère, ta mère! Quelle est cette voix Qui ment et qui flatte? "Ah! la tête plate, Vipère des bois!" Pardon et mystère. Laisse ça dormir. Qui peut, sans frémir, Juger sur la terre? - Ah! pourtant, pourtant, Ce monstre impudent!" La mer! Puisse-t-elle Laver ta rancoeur, La mer au grand coeur, Ton aïeule, celle Qui chante en berçant Ton angoisse atroce, La mer, doux colosse Au sein innocent, Grondeuse infinie De ton ironie! Tu vis sans savoir! Tu verses ton âme, Ton lait et ta flamme Dans quel désespoir? Ton sang qui s'amasse En une fleur d'or N'est pas prêt encor A la dédicace. Attends quelque peu, Ceci n'est que jeu. Cette frénésie T'initie au but. D'ailleurs, le salut Viendra d'un Messie Dont tu ne sens plus Depuis bien des lieues Les effluves bleues Sous tes bras perclus, Naufragé d'un rêve Qui n'a pas de grève! Vis en attendant L'heure toute proche Ne sois pas prudent. Trêve à tout reproche. Fais ce que tu veux. Une main te guide A travers le vide Affreux de tes voeux. Un peu de courage, C'est le bon orage. Voici le Malheur Dans sa plénitude. Mais à sa main rude Quelle belle fleur! "La brûlante épine!" Un lis est moins blanc. "Elle m'entre au flanc." Et l'odeur divine! "Elle m'entre au coeur." Le parfum vainqueur! "Pourtant je regrette, Pourtant je me meurs, Pourtant ces deux coeurs..." Lève un peu la tête "Eh bien, c'est la Croix." Lève un peu ton âme De ce monde infâme. "Est-ce que je crois?" Qu'en sais-tu? La Bête Ignore sa tête, La Chair et le Sang Méconnaissent l'Acte. Mais j'ai fait un pacte Qui va m'enlaçant A la faute noire, Je me dois à mon Tenace démon Je ne veux point croire. Je n'ai pas besoin De rêver si loin! Aussi bien j'écoute Des sons d'autrefois. Vipère des bois, Encor sur ma route? Cette fois tu mords." Laisse cette bête. Que fait au poète? Que sont des coeurs morts? Ah! plutôt oublie Ta propre folie. Ah! plutôt, surtout, Douceur, patience, Mi-voix et nuance, Et paix jusqu'au bout! Aussi bon que sage, Simple autant que bon, Soumets ta raison Au plus pauvre adage, Naïf et discret, Heureux en secret! Ah! surtout, terrasse Ton orgueil cruel, Implore la grâce D'être un pur Abel, Finis l'odyssée Dans le repentir D'un humble martyr D'une humble pensée. Regarde au-dessus... "Est-ce vous, Jésus?" III. L'espoir luit comme un brin... L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable. Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou? Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou. Que ne t'endormais-tu, le coude sur la table? Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé, Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste, Et je dorloterai les rêves de ta sieste, Et tu chantonneras comme un enfant bercé. Midi sonne. De grâce éloignez-vous, madame. Il dort. C'est étonnant comme les pas de femme Résonnent au cerveau des pauvres malheureux. Midi sonne. J'ai fait arroser dans la chambre. Va, dors! L'espoir luit comme un caillou dans un creux. Ah, quand refleuriront les roses de septembre! IV. Je suis venu,... Gaspard Hauser chante Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes Ils ne m'ont pas trouvé malin. A vingt ans un trouble nouveau Sous le nom d'amoureuses flammes M'a fait trouver belles les femmes Elles ne m'ont pas trouvé beau. Bien que sans patrie et sans roi Et très brave ne l'étant guère, J'ai voulu mourir à la guerre La mort n'a pas voulu de moi. Suis-je né trop tôt ou trop tard? Qu'est-ce que je fais en ce monde? O vous tous, ma peine est profonde Priez pour le pauvre Gaspard! V. Un grand sommeil noir Un grand sommeil noir Tombe sur ma vie Dormez, tout espoir, Dormez, toute envie! Je ne vois plus rien, Je perds la mémoire Du mal et du bien... O la triste histoire! Je suis un berceau Qu'une main balance Au creux d'un caveau Silence, silence! VI. Le ciel est... Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme! Un arbre, par-dessus le toit Berce sa palme. La cloche dans le ciel qu'on voit Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte. Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là , Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville. - Qu'as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà , De ta jeunesse? VII. Je ne sais pourquoi Je ne sais pourquoi Mon esprit amer D'une aile inquiète et folle, vole sur la mer, Tout ce qui m'est cher, D'une aile d'effroi Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi? Mouette à l'essor mélancolique. Elle suit la vague, ma pensée, A tous les vents du ciel balancée Et biaisant quand la marée oblique, Mouette à l'essor mélancolique. Ivre de soleil Et de liberté, Un instinct la guide à travers cette immensité. La brise d'été Sur le flot vermeil Doucement la porte en un tiède demi-sommeil. Parfois si tristement elle crie Qu'elle alarme au lointain le pilote Puis au gré du vent se livre et flotte Et plonge, et l'aile toute meurtrie Revole, et puis si tristement crie! Je ne sais pourquoi Mon esprit amer D'une aile inquiète et folle vole sur la mer. Tout ce qui m'est cher, D'une aile d'effroi Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi? VIII. Parfums, couleurs,... Parfums, couleurs, systèmes, lois! Les mots ont peur comme des poules. La chair sanglote sur la croix. Pied, c'est du rêve que tu foules, Et partout ricane la voix, La voix tentatrice des foules. Cieux bruns où nagent nos desseins, Fleurs qui n'êtes pas le calice, Vin et ton geste qui se glisse, Femme et l'oeillade de tes seins, Nuit câline aux frais traversins, Qu'est-ce que c'est que ce délice, Qu'est-ce que c'est que ce supplice, Nous les damnés et vous les Saints? IX. Le son du cor... Le son du cor s'afflige vers les bois D'une douleur on veut croire orpheline Qui vient mourir au bas de la colline Parmi la bise errant en courts abois. L'âme du loup pleure dans cette voix Qui monte avec le soleil qui décline D'une agonie on veut croire câline Et qui ravit et qui navre à la fois. Pour faire mieux cette plainte assoupie La neige tombe à longs traits de charpie A travers le couchant sanguinolent, Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne, Tant il fait doux par ce soir monotone Où se dorlote un paysage lent. X. La tristesse, la langueur... La tristesse, la langueur du corps humain M'attendrissent, me fléchissent, m'apitoient, Ah! surtout quand des sommeils noirs le foudroient, Quand des draps zèbrent la peau, foulent la main! Et que mièvre dans la fièvre du demain, Tiède encor du bain de sueur qui décroÃt, Comme un oiseau qui grelotte sur un toit! Et les pieds, toujours douloureux du chemin, Et le sein, marqué d'un double coup de poing, Et la bouche, une blessure rouge encor, Et la chair frémissante, frêle décor, Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point La douleur de voir encore du fini!... Triste corps! Combien faible et combien puni! XI. La bise se rue... La bise se rue à travers Les buissons tout noirs et tout verts, Glaçant la neige éparpillée, Dans la campagne ensoleillée. L'odeur est aigre près des bois, L'horizon chante avec des voix, Les coqs des clochers des villages Luisent crûment sur les nuages. C'est délicieux de marcher A travers ce brouillard léger Qu'un vent taquin parfois retrousse. Ah! fi de mon vieux feu qui tousse! J'ai des fourmis plein les talons. Debout, mon âme, vite, allons! C'est le printemps sévère encore, Mais qui par instants s'édulcore D'un souffle tiède juste assez Pour mieux sentir les froids passés Et penser au Dieu de clémence... Va, mon âme, à l'espoir immense! XII. Vous voilà ,... Vous voilà , vous voilà , pauvres bonnes pensées! L'espoir qu'il faut, regret des grâces dépensées, Douceur de coeur avec sévérité d'esprit, Et cette vigilance, et le calme prescrit, Et toutes! - Mais encor lentes, bien éveillées, Bien d'aplomb, mais encor timides, débrouillées A peine du lourd rêve et de la tiède nuit. C'est à qui de vous va plus gauche, l'une suit L'autre, et toutes ont peur du vaste clair de lune. "Telles, quand des brebis sortent d'un clos. C'est une, Puis deux, puis trois. Le reste est là , les yeux baissés, La tête à terre, et l'air des plus embarrassés, Faisant ce que fait leur chef de file il s'arrête, Elles s'arrêtent tour à tour, posant leur tête Sur son dos, simplement et sans savoir pourquoi." Votre pasteur, ô mes brebis, ce n'est pas moi, C'est un meilleur, un bien meilleur, qui sait les causes, Lui qui vous tint longtemps et si longtemps là closes, Mais qui vous délivra de sa main au temps vrai. Suivez-le. Sa houlette est bonne. Et je serai, Sous sa voix toujours douce à votre ennui qui bêle, Je serai, moi, par vos chemins, son chien fidèle. XIII. L'échelonnement des haies... L'échelonnement des haies Moutonne à l'infini, mer Claire dans le brouillard clair Qui sent bon les jeunes baies. Des arbres et des moulins Sont légers sur le vert tendre Où vient s'ébattre et s'étendre L'agilité des poulains. Dans ce vague d'un Dimanche Voici se jouer aussi De grandes brebis aussi Douces que leur laine blanche. Tout à l'heure déferlait L'onde, roulée en volutes, De cloches comme des flûtes Dans le ciel comme du lait. XIV. L'immensité de l'humanité L'immensité de l'humanité, Le Temps passé vivace et bon père, Une entreprise à jamais prospère Quelle puissante et calme cité! Il semble ici qu'on vit dans l'histoire. Tout est plus fort que l'homme d'un jour. De lourds rideaux d'atmosphère noire Font richement la nuit alentour. O civilisés que civilise L'Ordre obéi, le Respect sacré! O dans ce champ si bien préparé Cette moisson de la Seule Eglise! XV. La mer est plus belle La mer est plus belle Que les cathédrales, Nourrice fidèle, Berceuse de râles, La mer sur qui prie La Vierge Marie! Elle a tous les dons Terribles et doux. J'entends ses pardons Gronder ses courroux. Cette immensité N'a rien d'entêté. O! si patiente, Même quand méchante! Un souffle ami hante La vague, et nous chante "Vous sans espérance, Mourez sans souffrance!" Et puis sous les cieux Qui s'y rient plus clairs, Elle a des airs bleus, Roses, gris et verts... Plus belle que tous, Meilleure que nous! XVI La "grande ville". Un tas criard de pierres blanches Où rage le soleil comme en pays conquis. Tous les vices ont leur tanière, les exquis Et les hideux, dans ce désert de pierres blanches. Des odeurs! Des bruits vains! Où que vague le coeur, Toujours ce poudroiement vertigineux de sable, Toujours ce remuement de la chose coupable Dans cette solitude où s'écoeure le coeur! De près, de loin, le Sage aura sa thébaïde Parmi le fade ennui qui monte de ceci, D'autant plus âpre et plus sanctifiante aussi, Que deux parts de son âme y pleurent, dans ce vide! XVII. Toutes les amours... Toutes les amours de la terre Laissent au coeur du délétère Et de l'affreusement amer, Fraternelles et conjugales, Paternelles et filiales, Civiques et nationales, Les charnelles, les idéales, Toutes ont la guêpe et le ver. La mort prend ton père et ta mère, Ton frère trahira son frère, Ta femme flaire un autre époux, Ton enfant, on te l'aliène, Ton peuple, il se pille ou s'enchaÃne Et l'étranger y pond sa haine, Ta chair s'irrite et tourne obscène, Ton âme flue en rêves fous. Mais, dit Jésus, aime, n'importe! Puis de toute illusion morte Fais un cortège, forme un choeur, Va devant, tel aux champs le pâtre, Tel le coryphée au théâtre, Tel le vrai prêtre ou l'idolâtre, Tels les grands-parents près de l'âtre, Oui, que devant aille ton coeur! Et que toutes ces voix dolentes S'élèvent, rapides ou lentes, Aigres ou douces, composant A la gloire de Ma souffrance, Instrument de ta délivrance, Condiment de ton espérance Et mets de ta propre navrance, L'hymne qui te sied à présent! XVIII. Sainte Thérèse... Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit La reine d'ici-bas, et littéralement! Elle dit peu de mots de ce gouvernement Et ne s'arrête point aux détails de surcroÃt; Mais le Point, à son sens, celui qu'il faut qu'on voie Et croie, est ceci dont elle la complimente Le libre arbitre pèse, arguà et parlemente, Puis le pauvre de coeur décide et suit sa voie. Qui l'en empêchera? De voeux il n'en a plus Que celui d'être un jour au nombre des élus, Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain, Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues, Mais accumulateur des seules choses sues, De quel si fier sujet, et libre, quelle reine! XIX. Parisien mon frère... Parisien mon frère à jamais étonné, Montons sur la colline où le soleil est né Si glorieux qu'il fait comprendre l'idolâtre, Sous cette perspective, inconnue au théâtre, D'arbres au vent et de poussière d'ombre et d'or. Montons. Il fait si frais encor, montons encor. Là ! nous voilà placés comme dans une "loge De face", et le décor vraiment tire un éloge. La cathédrale énorme et le beffroi sans fin, Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain Appareil des remparts pompeux et grands quand même, Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l'or blême Des nuages à l'ouest réverbérant l'or dur De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur Ces ouates, n'est-ce pas, l'écrin vaut le voyage, Et c'est ce qu'on peut dire un brin de paysage? - Mais descendons, si ce n'est pas trop abuser, De vos pieds las, à fin seule de reposer Vos yeux qui n'ont jamais rien vu que de Montmartre, - "Campagne" vert de plaie et ville blanc de dartre Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin! - Donc, par ce lent sentier de rosée et de thym, Cheminons vers la ville au long de la rivière, Sous les frais peupliers, dans la fine lumière. L'une des portes ouvre une rue, entrons-y. Aussi bien, c'est le point qu'il faut, l'endroit choisi Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites, Point hautes, çà et là des branches sur leurs faÃtes, Si doux et sinueux le cours de ces maisons, Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons, Profilant la lumière et l'ombre en broderies Au lieu du long ennui de vos haussmanneries, Et si gentil l'accent qui confie au patois De ces passants naïfs avec leurs yeux matois!... Des places ivres d'air et de cris d'hirondelles Où l'histoire proteste en formules fidèles A la crête des toits comme au fer des balcons, Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds, Jalouses de garder l'honneur et la famille... Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille, Le "Théâtre" fait four, et ce dieu des brouillons, Le "Journal" n'en est plus à compter ses bouillons, L'amour même prétend conserver ses noblesses Et le vice se gobe en de rares drôlesses. Enfin rien de Paris, mon frère "dans nos murs", Que les modes... d'hier, et que les fruits bien mûrs De ce fameux progrès que vous mangez en herbe. Du reste on vit à l'aise. Une chère superbe, La raison raisonnable et l'esprit des aïeux, Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux, Et ce besoin d'avoir peur de la grande route! Avouez, la province est bonne, somme toute... Et vous regrettez moins que tantôt la "splendeur" Du vieux monstre, et son pouls fébrile, et cette odeur! XX. C'est la fête du blé,... C'est la fête du blé, c'est la fête du pain Aux chers lieux d'autrefois revus après ces choses! Tout bruit, la nature et l'homme, dans un bain De lumière si blanc que les ombres sont roses. L'or des pailles s'effondre au vol siffleur des faux Dont l'éclair plonge, et va luire, et se réverbère. La plaine, tout au loin couverte de travaux, Change de face à chaque instant, gaie et sévère. Tout halète, tout n'est qu'effort et mouvement Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres, Et qui travaille encore imperturbablement A gonfler, à sucrer là -bas les grappes sures. Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin, Nourris l'homme du lait de la terre, et lui donne L'honnête verre où rit un peu d'oubli divin. Moissonneurs, vendangeurs là -bas! votre heure est bonne! Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins, Fruit de la force humaine en tous lieux répartie, Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins La Chair et le Sang pour le calice et l'hostie! Jadis et naguère Prologue En route, mauvaise troupe! Partez, mes enfants perdus! Ces loisirs vous étaient dus La Chimère tend sa croupe. Partez, grimpés sur son dos, Comme essaime un vol de rêves D'un malade dans les brèves Fleurs vagues de ses rideaux. Ma main tiède qui s'agite Faible encore, mais enfin Sans fièvre, et qui ne palpite Plus que d'un effort divin, Ma main vous bénit, petites Mouches de mes soleils noirs Et de mes nuits blanches. Vites, Partez, petits désespoirs, Petits espoirs, douleurs, joies, Que dès hier renia Mon coeur quêtant d'autres proies... Allez, aegri somnia Sonnets et autres vers Chose italienne A la louange de Laure et de Pétrarque Chose italienne où Shakspeare a passé Mais que Ronsard fit superbement française, Fine basilique au large diocèse, Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé, Elle, ta marraine, et Lui qui t'a pensé, Dogme entier toujours debout sous l'exégèse. Même edmondschéresque ou francisquesarceyse, Sonnet, force acquise et trésor amassé, Ceux-là sont très bons et toujours vénérables, Ayant procuré leur luxe aux misérables Et l'or fou qui sied aux pauvres glorieux, Aux poètes fiers comme les gueux d'Espagne, Aux vierges qu'exalte un rythme exact, aux yeux Epris d'ordre, aux coeurs qu'un voeu chaste accompagne. Pierrot A Léon Valade Ce n'est plus le rêveur lunaire du vieil air Qui riait aux aïeux dans les dessus de porte; Sa gaÃté, comme sa chandelle, hélas! est morte, Et son spectre aujourd'hui nous hante, mince et clair. Et voici que parmi l'effroi d'un long éclair Sa pâle blouse a l'air, au vent froid qui l'emporte, D'un linceul, et sa bouche est béante, de sorte Qu'il semble hurler sous les morsures du ver. Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe, Ses manches blanches font vaguement par l'espace Des signes fous auxquels personne ne répond. Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore Et la farine rend plus effroyable encore Sa face exsangue au nez pointu de moribond. Kaléidoscope A Germain Nouveau Dans une rue, au coeur d'une ville de rêve, Ce sera comme quand on a déjà vécu Un instant à la fois très vague et très aigu... O ce soleil parmi la brume qui se lève! O ce cri sur la mer, cette voix dans les bois! Ce sera comme quand on ignore des causes Un lent réveil après bien des métempsycoses Les choses seront plus les mêmes qu'autrefois Dans cette rue, au coeur de la ville magique Où des orgues moudront des gigues dans les soirs, Où les cafés auront des chats sur les dressoirs, Et que traverseront des bandes de musique. Ce sera si fatal qu'on en croira mourir Des larmes ruisselant douces le long des joues, Des rires sanglotés dans le fracas des roues, Des invocations à la mort de venir, Des mots anciens comme un bouquet de fleurs fanées! Les bruits aigres des bals publics arriveront, Et des veuves avec du cuivre après leur front, Paysannes, fendront la foule des traÃnées Qui flânent là , causant avec d'affreux moutards Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine, Cependant qu'à deux pas, dans des senteurs d'urine, Quelque fête publique enverra des pétards. Ce sera comme quand on rêve et qu'on s'éveille! Et que l'on se rendort et que l'on rêve encor De la même féerie et du même décor, L'été, dans l'herbe, au bruit moiré d'un vol d'abeille. Intérieur A grands plis sombres une ample tapisserie De haute lice, avec emphase descendrait Le long des quatre murs immenses d'un retrait Mystérieux où l'ombre au luxe se marie. Les meubles vieux, d'étoffe éclatante flétrie, Le lit entr'aperçu vague comme un regret, Tout aurait l'attitude et l'âge du secret, Et l'esprit se perdrait en quelque allégorie. Ni livres, ni tableaux, ni fleurs, ni clavecins; Seule, à travers les fonds obscurs, sur des coussins, Une apparition bleue et blanche de femme Tristement sourirait - inquiétant témoin - Au lent écho d'un chant lointain d'épithalame, Dans une obsession de musc et de benjoin. Dizain mil huit cent trente Je suis né romantique et j'eusse été fatal En un frac très étroit aux boutons de métal, Avec ma barbe en pointe et mes cheveux en brosse. Hablant español, très loyal et très féroce, L'oeil idoine à l'oeillade et chargé de défis. Beautés mises à mal et bourgeois déconfits Eussent bondé ma vie et soûlé mon coeur d'homme. Pâle et jaune, d'ailleurs, et taciturne comme Un infant scrofuleux dans un Escurial... Et puis j'eusse été si féroce et si loyal! A Horatio Ami, le temps n'est plus des guitares, des plumes, Des créanciers, des duels hilares à propos De rien, des cabarets, des pipes aux chapeaux Et de cette gaÃté banale où nous nous plûmes. Voici venir, ami très tendre qui t'allumes Au moindre dé pipé, mon doux briseur de pots, Horatio, terreur et gloire des tripots, Cher diseur de jurons à remplir cent volumes, Voici venir parmi les brumes d'Elseneur Quelque chose de moins plaisant, sur mon honneur, Qu'Ophélia, l'enfant aimable qui s'étonne. C'est le spectre, le spectre impérieux! Sa main Montre un but et son oeil éclaire et son pied tonne, Hélas! et nul moyen de remettre à demain! Sonnet boÃteux A Ernest Delahaye Ah! vraiment c'est triste, ah! vraiment ça finit trop mal. Il n'est pas permis d'être à ce point infortuné. Ah! vraiment c'est trop la mort du naïf animal Qui voit tout son sang couler sous son regard fané. Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible! Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles. Et les maisons dans leur ratatinement terrible Epouvantent comme un sénat de petites vieilles. Tout l'affreux passé saute, piaule, miaule et glapit Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos Avec des indeeds et des all rights et des haôs. Non vraiment c'est trop un martyre sans espérance, Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c'est triste O le feu du ciel sur cette ville de la Bible! Le clown A Laurent Tailhade Bobèche, adieu! bonsoir, Paillasse! arrière, Gille! Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin, Place! très grave, très discret et très hautain, Voici venir le maÃtre à tous, le clown agile Plus souple qu'Arlequin et plus brave qu'Achille, C'est bien lui, dans sa blanche armure de satin; Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain, Ses yeux ne vivent pas dans son masque d'argile. Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents, Cependant que la tête et le buste, élégants, Se balancent sur l'arc paradoxal des jambes. Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid, La canaille puante et sainte des Iambes Acclame l'histrion sinistre qui la hait. Ecrit sur l'Album de Mme N. de V. Des yeux tout autour de la tête Ainsi qu'il est dit dans Murger. Point très bonne. Un esprit d'enfer Avec des rires d'alouette. Sculpteur, musicien; poète Sont ses hôtes. Dieux quel hiver Nous passâmes! Ce fut amer Et doux. Un sabbat! Une fête! Ses cheveux, noir tas sauvage où Scintille un barbare bijou, La font reine et la font fantoche. Ayant vu cet ange pervers, "Oùsqu'est mon sonnet?" dit Arvers Et Chilpéric dit "Sapristoche!" Le Squelette A Albert Mérat Deux reÃtres saouls, courant les champs, virent parmi La fange d'un fossé profond, une carcasse Humaine dont la faim torve d'un loup fugace Venait de disloquer l'ossature à demi. La tête, intacte, avait ce rictus ennemi Qui nous attriste, nous énerve et nous agace. Or, peu mystiques, nos capitaines Fracasse Songèrent John Falstaff lui-même en eût frémi Qu'ils avaient bu, que tout vin bu filtre et s'égoutte, Et qu'en outre ce mort avec son chef béant Ne serait pas fâché de boire aussi, sans doute. Mais comme il ne faut pas insulter au Néant, Le squelette s'étant dressé sur son séant Fit signe qu'ils pouvaient continuer leur route. A Albert Mérat Et nous voilà très doux à la bêtise humaine, Lui pardonnant vraiment et même un peu touchés De sa candeur extrême et des torts très légers Dans le fond qu'elle assume et du train qu'elle mène. Pauvres gens que les gens! Mourir pour Célimène, Epouser Angélique ou venir de nuit chez Agnès et la briser, et tous les sots péchés, Tel est l'Amour encor plus faible que la Haine! L'Ambition, l'Orgueil, des tours dont vous tombez, Le Vin, qui vous imbibe et vous tord imbibés, L'Argent, le Jeu, le Crime, un tas de pauvres crimes! C'est pourquoi mon très cher Mérat, Mérat et moi, Nous étant dépouillés de tout banal émoi, Vivons dans un dandysme épris des seules Rimes! Art poétique A Charles Morice De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il faut aussi que tu n'ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint. C'est des beaux yeux derrière des voiles, C'est le grand jour tremblant de midi, C'est, par un ciel d'automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles! Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance! Oh! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor! Fuis du plus loin la Pointe assassine, L'Esprit cruel et le rire impur, Qui font pleurer les yeux de l'Azur, Et tout cet ail de basse cuisine! Prends l'éloquence et tords-lui son cou! Tu feras bien, en train d'énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où? O qui dira les torts de la Rime! Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d'un sou Qui sonne creux et faux sous la lime? De la musique encore et toujours! Que ton vers soit la chose envolée Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée Vers d'autres cieux à d'autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure Eparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym... Et tout le reste est littérature. Le Pitre Le tréteau qu'un orchestre emphatique secoue Grince sous les grands pieds du maigre baladin Qui harangue non sans finesse et sans dédain Les badauds piétinant devant lui dans la boue. Le plâtre de son front et le fard de sa joue Font merveille. Il pérore et se tait tout soudain, Reçoit des coups de pieds au derrière, badin Baise au cou sa commère énorme, et fait la roue. Ses boniments, de coeur et d'âme approuvons-les. Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets Tournants jusqu'à l'abus valent que l'on s'arrête. Mais ce qu'il sied à tous d'admirer, c'est surtout Cette perruque d'où se dresse sur la tête, Preste, une queue avec un papillon au bout. Allégorie A Jules Valadon Despotique, pesant, incolore, l'Eté, Comme un roi fainéant présidant un supplice, S'étire par l'ardeur blanche du ciel complice Et bâille. L'homme dort loin du travail quitté. L'alouette au matin, lasse n'a pas chanté. Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse Ou ride cet azur implacablement lisse Où le silence bout dans l'immobilité. L'âpre engourdissement a gagné les cigales Et sur leur lit étroit de pierres inégales Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus. Une rotation incessante de moires Lumineuses étend ses flux et ses reflux... Des guêpes, çà et là , volent, jaunes et noires. L'Auberge A Jean Moréas Murs blancs, toit rouge, c'est l'Auberge fraÃche au bord Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne, L'auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne. Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passeport. Ici l'on fume, ici l'on chante, ici l'on dort. L'hôte est un vieux soldat, et l'hôtesse qui peigne Et lave dix marmots roses et pleins de teigne Parle d'amour, de joie et d'aise, et n'a pas tort! La salle au noir plafond de poutres, aux images Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages, Vous accueille d'un bon parfum de soupe aux choux. Entendez-vous? C'est la marmite qu'accompagne L'horloge du tic tac allègre de son pouls. Et la fenêtre s'ouvre au loin sur la campagne. Circonspection A Gaston Sénéchal Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous Sous cet arbre géant où vient mourir la brise En soupirs inégaux sous la ramure grise Que caresse le clair de lune blême et doux. Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux. Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise Le bonheur qui s'enfuit et l'amour qui s'épuise, Et nos cheveux frôlés par l'aile des hiboux. Oublions d'espérer. Discrète et contenue, Que l'âme de chacun de nous deux continue Ce calme et cette mort sereine du soleil. Restons silencieux parmi la paix nocturne Il n'est pas bon d'aller troubler dans son sommeil La nature, ce dieu féroce et taciturne. Vers pour être calomnié A Charles Vignier Ce soir je m'étais penché sur ton sommeil. Tout ton corps dormait chaste sur l'humble lit, Et j'ai vu, comme un qui s'applique et qui lit, Ah! j'ai vu que tout est vain sous le soleil! Qu'on vive, ô quelle délicate merveille, Tant notre appareil est une fleur qui plie! O pensée aboutissant à la folie! Va, pauvre, dors, moi, l'effroi pour toi m'éveille. Ah! misère de t'aimer, mon frêle amour Qui vas respirant comme on respire un jour! O regard fermé que la mort fera tel! O bouche qui ris en songe sur ma bouche, En attendant l'autre rire plus farouche! Vite, éveille-toi! Dis, l'âme est immortelle? Luxures A Léo Trézenik Chair! ô seul fruit mordu des vergers d'ici-bas, Fruit amer et sucré qui jutes aux dents seules Des affamés du seul amour, bouches ou gueules, Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas, Amour! le seul émoi de ceux que n'émeut pas L'horreur de vivre, Amour qui presses sous tes meules Les scrupules des libertins et des bégueules Pour le pain des damnés qu'élisent les sabbats, Amour, tu m'apparais aussi comme un beau pâtre Dont rêve la fileuse assise auprès de l'âtre Les soirs d'hiver dans la chaleur d'un sarment clair, Et la fileuse c'est la Chair, et l'heure tinte Où le rêve étreindra la rêveuse, - heure sainte Ou non! qu'importe à votre extase, Amour et Chair? Vendanges A Georges Rall Les choses qui chantent dans la tête Alors que la mémoire est absente, Ecoutez! c'est notre sang qui chante... O musique lointaine et discrète! Ecoutez! c'est notre sang qui pleure Alors que notre âme s'est enfuie D'une voix jusqu'alors inouïe Et qui va se taire tout à l'heure. Frère du sang de la vigne rose, Frère du vin de la veine noire, O vin, ô sang, c'est l'apothéose! Chantez, pleurez! Chassez la mémoire Et chassez l'âme, et jusqu'aux ténèbres Magnétisez nos pauvres vertèbres. Images d'un sou A Léon Dierx De toutes les douleurs douces Je compose mes magies! Paul, les paupières rougies, Erre seule aux Pamplemousses. La Folle-par-amour chante Une ariette touchante. C'est la mère qui s'alarme De sa fille fiancée. C'est l'épouse délaissée Qui prend un sévère charme A s'exagérer l'attente Et demeure palpitante. C'est l'amitié qu'on néglige Et qui se croit méconnue. C'est toute angoisse ingénue, C'est tout bonheur qui s'afflige L'enfant qui s'éveille et pleure, Le prisonnier qui voit l'heure, Les sanglots des tourterelles, La plainte des jeunes filles. C'est l'appel des Inésilles - Que gardent dans tes tourelles De bons vieux oncles avares - A tous sonneurs de guitares. Voici Damon qui soupire Sa tendresse à Geneviève De Brabant qui fait ce rêve D'exercer un chaste empire Dont elle-même se pâme Sur la veuve de Pyrame Tout exprès ressuscitée, Et la forêt des Ardennes Sent circuler dans ses veines La flamme persécutée De ces princesses errantes Sous les branches murmurantes, Et madame Malbrouck monte A sa tour pour mieux entendre La viole et la voix tendre De ce cher trompeur de Comte Ory qui revient d'Espagne Sans qu'un doublon l'accompagne. Mais il s'est couvert de gloire Aux gorges des Pyrénées Et combien d'infortunées Au teint de lys et d'ivoire Ne fit-il pas à tous risques Là -bas, parmi les Morisques!... Toute histoire qui se mouille De délicieuses larmes, Fût-ce à travers des chocs d'armes Aussitôt chez moi s'embrouille, Se mêle à d'autres encore, Finalement s'évapore En capricieuses nues, Laissant à travers des filtres Subtils talismans et philtres Au fin fond de mes cornues Au feu de l'amour rougies. Accourez à mes magies! C'est très beau. Venez d'aucunes Et d'aucuns. Entrrez, bagasse! Cadet-Roussel est paillasse Et vous dira vos fortunes. C'est Crédit qui tient la caisse. Allons vite qu'on se presse! Les uns et les autres Comédie dédiée à Théodore de Banville Personnages Myrtil Sylvandre Rosalinde Chloris Mezzetin Corydon Aminte Bergers, Masques La scène se passe dans un parc de Watteau, vers une fin d'après-midi d'été. Une nombreuse compagnie d'hommes et de femmes est groupée, en de nonchalantes attitudes, autour d'un chanteur costumé en Mezzetin qui s'accompagne doucement sur une mandoline. Scène I Mezzetin, chantant. Puisque tout n'est rien que fables, Hormis d'aimer ton désir, Jouis vite du loisir Que te font des dieux affables. Puisqu'à ce point se trouva Facile ta destinée, Puisque vers toi ramenée L'Arcadie est proche, - va! Va! le vin dans les feuillages Fait éclater les beaux yeux Et battre les coeurs joyeux A l'étroit sous les corsages... Corydon A l'exemple de la cigale nous avons Chanté... Aminte Si nous allions danser? Tous, moins Myrtil, Rosalinde, Sylvandre et Chloris. Nous vous suivons! Ils sortent, à l'exception des mêmes. Scène II Myrtil, Rosalinde, Sylvandre, Chloris, Rosalinde, à Myrtil. Chloris, à Sylvandre. Favorisé, vous pouvez dire l'être J'aime la danse à m'en jeter par la fenêtre, Et si je ne vais pas sur l'herbette avec eux C'est bien pour vous! Sylvandre la presse. Paix là ! Que vous êtes fougueux! Sortent Sylvandre et Chloris. Scène III Myrtil, Rosalinde Rosalinde Parlez-moi. Myrtil De quoi voulez-vous donc que je cause? Du passé? Cela vous ennuierait, et pour cause. Du présent? A quoi bon, puisque nous y voilà ? De l'avenir? Laissons en paix ces choses-là ! Rosalinde Parlez-moi du passé. Myrtil Pourquoi? Rosalinde C'est mon caprice. Et fiez-vous à la mémoire adulatrice Qui va teinter d'azur les plus mornes jadis Et masque les enfers anciens en paradis. Myrtil Soit donc! J'évoquerai, ma chère, pour vous plaire, Ce morne amour qui fut, hélas! notre chimère, Regrets sans fin, ennuis profonds, poignants remords, Et toute la tristesse atroce des jours morts; Je dirai nos plus beaux espoirs déçus sans cesse, Ces deux coeurs dévoués jusques à la bassesse Et soumis l'un à l'autre, et puis, finalement, Pour toute récompense et tout remerciement, Navrés, martyrisés, bafoués l'un par l'autre, Ma folle jalousie étreinte par la vôtre, Vos soupçons complétant l'horreur de mes soupçons, Toutes vos trahisons, toutes mes trahisons! Oui, puisque ce passé vous flatte et vous agrée, Ce passé que je lis tracé comme à la craie Sur le mur ténébreux du souvenir, je veux, Ce passé tout entier, avec ses désaveux Et ses explosions de pleurs et de colère, Vous le redire, afin, ma chère, de vous plaire! Rosalinde Savez-vous que je vous trouve admirable, ainsi Plein d'indignation élégante? Myrtil, irrité. Merci! Rosalinde Vous vous exagérez aussi par trop les choses. Quoi! pour un peu d'ennui, quelques heures moroses, Vous lamenter avec ce courroux enfantin! Moi, je rends grâce au dieu qui me fit ce destin D'avoir aimé, d'aimer l'ingrat, d'aimer encore L'ingrat qui tient de sots discours, et qui m'adore Toujours, ainsi qu'il sied d'ailleurs en ce pays De Tendre. Oui! Car malgré vos regards ébahis Et vos bras de poupée inerte, je suis sûre Que vous gardez toujours ouverte la blessure Faite par ces yeux-ci, boudeur, à ce coeur-là . Myrtil, attendri. Pourtant le jour où cet amour m'ensorcela Vous fut autant qu'à moi funeste, mon amie. Croyez-moi, réveiller la tendresse endormie, C'est téméraire, et mieux vaudrait pieusement Respecter jusqu'au bout son assoupissement Qui ne peut que finir par la mort naturelle. Rosalinde Fou! par quoi pouvons-nous vivre, sinon par elle? Myrtil, sincère. Alors, mourons! Rosalinde Vivons plutôt! Fût-ce à tout prix! Quant à moi, vos aigreurs, vos fureurs, vos mépris, Qui ne sont, je le sais, qu'un dépit éphémère, Et cet orgueil qui rend votre parole amère, J'en veux faire litière à mon amour têtu, Et je vous aimerai quand même, m'entends-tu? Myrtil Vous êtes mutinée... Rosalinde Allons, laissez-vous faire! Myrtil, cédant. Donc, il le faut! Rosalinde Venez cueillir la primevère De l'amour renaissant timide après l'hiver. Quittez ce front chagrin, souriez comme hier A ma tendresse entière et grande, encor qu'ancienne! Myrtil Ah! toujours tu m'auras mené, magicienne! Ils sortent. Rentrent Sylvandre et Chloris. Scène IV Sylvandre, Chloris Chloris, courant. Non! Sylvandre Si! Chloris Je ne veux pas... Sylvandre, la baisant sur la nuque. Dites je ne veux plus! La tenant embrassée. Mais voici, j'ai fixé vos voeux irrésolus Et le milan affreux tient la pauvre hirondelle. Chloris Fi! l'action vilaine! Au moins rougissez d'elle! Mais non! Il rit, il rit! Pleurnichant pour rire. Ah, oh, hi, que c'est mal! Sylvandre Tarare! mais le seul état vraiment normal, C'est le nôtre, c'est, fous l'un de l'autre, gais, libres, Jeunes, et méprisant tous autres équilibres Quelconques, qui ne sont que cloche-pieds piteux, D'avoir deux coeurs pour un, et, chère âme, un pour deux! Chloris Que voilà donc, monsieur l'amant, de beau langage! Vous êtes procureur ou poète, je gage, Pour ainsi discourir, sans rire, obscurément. Sylvandre Vous vous moquez avec un babil très charmant, Et me voici deux fois épris de ma conquête Tant d'éclat en vos yeux jolis, et dans la tête Tant d'esprit! Du plus fin encore, s'il vous plaÃt. Chloris Et si je vous trouvais par hasard bête et laid, Fier conquérant fictif, grand vainqueur en peinture? Sylvandre Alors, n'eussiez-vous pas arrêté l'aventure De tantôt, qui semblait exclure tout dégoût Conçu par vous, à mon détriment, après tout? Chloris O la fatuité des hommes qu'on n'évince Pas sur-le-champ! Allez, allez, la preuve est mince Que vous invoquez là d'un penchant présumé De mon coeur pour le vôtre, aspirant bien-aimé. - Au fait, chacun de nous vainement déblatère Et, tenez, je vais vous dire mon caractère, Pour qu'étant à la fin bien au courant de moi Si vous souffrez, du moins vous connaissiez pourquoi. Sachez donc... Sylvandre Que je meure ici, ma toute belle, Si j'exige... Chloris - Sachez d'abord vous taire. - Or celle Qui vous parle est coquette et folle. Oui, je le suis. J'aime les jours légers et les frivoles nuits; J'aime un ruban qui m'aille, un amant qui me plaise, Pour les bien détester après tout à mon aise. Vous, par exemple, vous, monsieur, que je n'ai pas Naguère tout à fait traité de haut en bas, Me dussiez-vous tenir pour la pire pécore, Eh bien, je ne sais pas si je vous souffre encore! Sylvandre, souriant. Dans le doute... Chloris, coquette, s'enfuyant. "Abstiens-toi", dit l'autre. Je m'abstiens. Sylvandre, presque naïf. Ah! c'en est trop, je souffre et m'en vais pleurer. Chloris, touchée, mais gaie. Viens, Enfant, mais souviens-toi que je suis infidèle Souvent, ou bien plutôt, capricieuse. Telle Il faut me prendre. Et puis, voyez-vous, nous voici Tous deux bien amoureux, - car je vous aime aussi, - Là ! voilà le grand mot lâché! Mais... Sylvandre O cruelle Réticence! Chloris Attendez la fin, pauvre cervelle. Mais, dirais-je, malgré tous nos transports et tous Nos serments mutuels, solennels, et jaloux D'être éternels, un dieu malicieux préside Aux autels de Paphos - Sur un geste de dénégation de Sylvandre. C'est un fait - et de Gnide. Telle est la loi qu'Amour à nos coeurs révéla. L'on n'a pas plutôt dit ceci qu'on fait cela. Plus tard on se repent, c'est vrai, mais le parjure A des ailes, et comme il perdrait sa gageure Celui qui poursuivrait un mensonge envolé! Qu'y faire? Promener son souci désolé, Bras ballants, yeux rougis, la tête décoiffée, A travers monts et vaux, ainsi qu'un autre Orphée, Gonfler l'air de soupirs et l'océan de pleurs Par l'indiscrétion de bavardes douleurs? Non, cent fois non! Plutôt aimer à l'aventure Et ne demander pas l'impossible à Nature! Nous voici, venez-vous de dire, bien épris L'un de l'autre, soyons heureux, faisons mépris De tout ce qui n'est pas notre douce folie! Deux coeurs pour un, un coeur pour deux... je m'y rallie, Me voici vôtre, tienne!... Etes-vous rassuré? Tout à l'heure j'avais mille fois tort, c'est vrai, D'ainsi bouder un coeur offert de bonne grâce, Et c'est moi qui reviens à vous, de guerre lasse. Donc aimons-nous. Prenez mon coeur avec ma main, Mais, pour Dieu, n'allons pas songer au lendemain, Et si ce lendemain doit ne pas être aimable, Sachons que tout bonheur repose sur le sable, Qu'en amour il n'est pas de malhonnêtes gens, Et surtout soyons-nous l'un à l'autre indulgents. Cela vous plaÃt? Sylvandre Cela me plairait si... Scène V Les précédents, Myrtil Myrtil, survenant. Madame A raison. Son discours serait l'épithalame Que j'eusse proféré si... Chloris Cela fait deux "si", C'est un de trop. Myrtil, à Chloris. Je pense absolument ainsi Que vous. Chloris, à Sylvandre. Et vous, monsieur? Sylvandre La vérité m'oblige... Chloris, au même. Et quoi, monsieur, déjà si tiède!... Myrtil, à Chloris. L'homme-lige Qu'il vous faut, ô Chloris, c'est moi... Scène VI Les précédents, Rosalinde Rosalinde, survenant. Salut! je suis Alors, puisqu'il le faut décidément, depuis Tous ces étonnements où notre coeur se joue, A votre chariot la cinquième roue. à Myrtil. Je vous rends vos serments anciens et les nouveaux Et les récents, les vrais aussi bien que les faux. Myrtil, au bras de Chloris et protestant comme par manière d'acquit. Chère! Rosalinde Vous n'avez pas besoin de vous défendre, Car me voici l'amie intime de Sylvandre. Sylvandre, ravi, surpris, et léger. O doux Charybde après un aimable Scylla! Mais celle-ci va faire ainsi que celle-là Sans doute, et toutes deux, adorables coquettes Dont les caprices sont bel et bien des raquettes Joueront avec mon coeur, je le crains, au volant. Chloris, à Sylvandre. Fat! Rosalinde, au même. Ingrat! Myrtil, au même. Insolent! Sylvandre, à Myrtil. Quant à cet "insolent", Ami cher, mes griefs sont au moins réciproques Et s'il est vrai que nous te vexions, tu nous choques. A Rosalinde et à Chloris. Mesdames, je suis votre esclave à toutes deux, Mais mon coeur qui se cabre aux chemins hasardeux Est un méchant cheval réfractaire à la bride Qui devant tout péril connu s'enfuit, rapide, A tous crins, s'allât-il rompre le col plus loin. A Rosalinde. Or donc, si vous avez, Rosalinde, besoin Pour un voyage au bleu pays des fantaisies D'un franc coursier, gourmand de provendes choisies Et quelque peu fringant, mais jamais rebuté, Chevauchez à loisir ma bonne volonté. Myrtil La déclaration est un tant soit peu roide. Mais, bah! chat échaudé craint l'eau, fût-elle froide, A Rosalinde. N'est-ce pas, Rosalinde, et vous le savez bien Que ce chat-là surtout, c'est moi. Rosalinde Je ne sais rien. Myrtil Et puisqu'en ce conflit où chacun se rebiffe Chloris aussi veut bien m'avoir pour hippogriffe De ses rêves devers la lune ou bien ailleurs, Me voici tout bridé, couvert d'ailleurs de fleurs Charmantes aux odeurs puissantes et divines Dont je sentirai bien tôt ou tard les épines, à Chloris. Madame, n'est-ce pas? Chloris Taisez-vous et m'aimez. Adieu, Sylvandre! Rosalinde Adieu, Myrtil! Myrtil, à Rosalinde. Est-ce à jamais? Sylvandre, à Chloris. C'est pour toujours! Rosalinde Adieu, Myrtil! Chloris Adieu, Sylvandre! Sortent Sylvandre et Rosalinde. Scène VII Myrtil, Chloris Chloris C'est donc que vous avez de l'amour à revendre Pour, le joug d'une amante irritée écarté, Vous tourner aussitôt vers ma faible beauté? Myrtil Croyez-vous qu'elle soit à ce point offensée? Chloris Qui? ma beauté? Myrtil Non. L'autre... Chloris Ah! - J'avais la pensée Bien autre part, je vous l'avoue, et m'attendais A quelque madrigal un peu compliqué, mais Sans doute vous voulez parler de Rosalinde Et du courroux auquel son coeur crispé se guinde... N'en doutez pas, elle est vexée horriblement. Myrtil En êtes-vous bien sûre? Chloris Ah çà , pour un amant Tout récemment élu, sur sa chaude supplique Encore! et dans un tel concours mélancolique Malgré qu'un tant soit peu plaisant d'événements, Ne pouvez-vous pas mieux employer les moments Premiers de nos premiers amours, ô cher Thésée, Qu'à vous préoccuper d'Ariane laissée? - Mais taisons cela, quitte à plus tard en parler. - Eh oui, là je vous jure, à ne rien vous celer, Que Rosalinde, éprise encor d'un infidèle, Trépigne, peste, enrage, et sa rancoeur est telle Qu'elle m'en a pris mon Sylvandre de dépit. Myrtil Et vous regrettez fort Sylvandre? Chloris Mal lui prit, Que je crois, de tomber sur votre ancienne amie? Myrtil Et pourquoi? Chloris Faux naïf! je ne le dirai mie. Myrtil Mais regrettez-vous fort Sylvandre? Chloris M'aimez-vous, Vous? Myrtil Vos yeux sont si beaux, votre... Chloris Etes-vous jaloux De Sylvandre? Myrtil, très vivement. O oui! Se reprenant. Mais au passé, chère belle. Chloris Allons, un tel aveu, bien que tardif, s'appelle Une galanterie et je l'admets ainsi. Donc vous m'aimez? Myrtil, distrait, après un silence. O oui! Chloris Quel amoureux transi Vous seriez si d'ailleurs vous l'étiez de moi! Myrtil, même jeu que précédemment. Douce Amie! Chloris Ah, que c'est froid! "Douce amie!" Il vous trousse Un compliment banal et prend un air vainqueur! J'aurai longtemps vos "oui" de tantôt sur le coeur. Myrtil, indolemment. Permettez... Chloris Mais voici Rosalinde et Sylvandre. Myrtil, comme réveillé en sursaut. Rosalinde! Chloris Et Sylvandre. Et quel besoin de fendre Ainsi l'air de vos bras en façon de moulin? Ils débusquent. Tournons vite le terre-plein Et vidons, s'il vous plaÃt, ailleurs cette querelle. Ils sortent. Scène VIII Sylvandre, Rosalinde Sylvandre Et voilà mon histoire en deux mots. Rosalinde Elle est telle Que j'y lis à l'envers l'histoire de Myrtil. Par un pressentiment inquiet et subtil Vous redoutez l'amour qui venait et sa lèvre Aux baisers inconnus encore, et lui qu'enfièvre Le souvenir d'un vieil amour désenlacé, Stupide autant qu'ingrat, il a peur du passé, Et tous deux avez tort, allez Sylvandre. Sylvandre Dites Qu'il a tort... Rosalinde Non, tous deux, et vous n'êtes pas quittes, Et tous deux souffrirez, et ce sera bien fait. Sylvandre Après tout je ne vois que très mal mon forfait Et j'ignore très bien quel sera mon martyre Minaudant. A moins que votre coeur... Rosalinde Vous avez tort de rire. Sylvandre Je ne ris pas, je dis posément d'une part, Que je ne crois point tant criminel mon départ D'avec Chloris, coquette aimable mais sujette A caution, et puis, d'autre part je projette D'être heureux avec vous qui m'avez bien voulu Recueillir quand brisé, désemparé, moulu, Berné par ma maÃtresse et planté là par elle J'allais probablement me brûler la cervelle Si j'avais eu quelque arme à feu sous mes dix doigts. Oui je vais vous aimer, je le veux je le dois En outre, je vais vous aimer à la folie... Donc, arrière regrets, dépit, mélancolie! Je serai votre chien féal, ton petit loup Bien doux... Rosalinde Vous avez tort de rire, encore un coup. Sylvandre Encore un coup, je ne ris pas. Je vous adore, J'idolâtre ta voix si tendrement sonore, J'aime vos pieds, petits à tenir dans la main, Qui font un bruit mignard et gai sur le chemin Et luisent, rêves blancs, sous les pompons des mules. Quand tes grands yeux, de qui les astres sont émules Abaissent jusqu'à nous leurs aimables rayons, Comparable à ces fleurs d'été que nous voyons Tourner vers le soleil leur fidèle corolle Lors je tombe en extase et reste sans parole, Sans vie et sans pensée, éperdu, fou, hagard, Devant l'éclat charmant et fier de ton regard. Je frémis à ton souffle exquis comme au vent l'herbe, O ma charmante, ô ma divine, ô ma superbe, Et mon âme palpite au bout de tes cils d'or... - A propos, croyez-vous que Chloris m'aime encor? Rosalinde Et si je le pensais? Sylvandre Question saugrenue En effet! Rosalinde Voulez-vous la vérité bien nue? Sylvandre Non! Que me fait? Je suis un sot, et me voici Confus, et je vous aime uniquement. Rosalinde Ainsi, Cela vous est égal qu'il soit patent, palpable, Evident, que Chloris vous adore... Sylvandre Du diable Si c'est possible! Elle! Elle? Allons donc! Soucieux tout à coup, à part. Hélas! Rosalinde Quoi, Vous en doutez? Sylvandre Ce coeur volage suit sa loi, Elle leurre à présent Myrtil... Rosalinde, passionnément. Elle le leurre, Dites-vous? Mais alors il l'aime!... Sylvandre Que je meure Si je comprends ce cri jaloux! Rosalinde Ah, taisez-vous! Sylvandre Un trompeur! une folle! Rosalinde Es-tu donc pas jaloux De Myrtil, toi, hein, dis? Sylvandre, comme frappé subitement d'une idée douloureuse. Tiens! la fâcheuse idée Mais c'est qu'oui! me voici l'âme tout obsédée... Rosalinde, presque joyeuse. Ah, vous êtes jaloux aussi, je savais bien! Sylvandre, à part. Feignons encor. A Rosalinde. Je vous jure qu'il n'en est rien Et si vraiment je suis jaloux de quelque chose Le seul Myrtil du temps jadis en est la cause. Rosalinde Trêve de compliments fastidieux. Je suis Très triste, et vous aussi. Le but que je poursuis Est le vôtre. Causons de nos deuils identiques. Des malheureux ce sont, il paraÃt, les pratiques, Cela, dit-on, console. Or, nous aimons toujours Vous Chloris, moi Myrtil, sans espoir de retours Apparents. Entre nous la seule différence C'est que l'on m'a trahie, et que votre souffrance A vous vient de vous-même, et n'est qu'un châtiment. Ai-je tort? Sylvandre Vous lisez dans mon coeur couramment, Chère Chloris, je t'ai méchamment méconnue! Qui me rendra jamais ta malice ingénue, Et ta gaieté si bonne, et ta grâce, et ton coeur? Rosalinde Et moi, par un destin bien autrement moqueur, Je pleure après Myrtil infidèle... Sylvandre Infidèle! Mais c'est qu'alors Chloris l'aimerait. O mort d'elle! J'enrage et je gémis! Mais ne disiez-vous pas Tantôt qu'elle m'aimait encore. - O cieux, là -bas, Regardez, les voilà . Rosalinde Qu'est-ce qu'ils vont se dire? Ils remontent le théâtre. Scène IX Les Précédents, Chloris, Myrtil Chloris Allons, encore un peu de franchise, beau sire Ténébreux. Avouez votre cas tout à fait. Le silence, n'est-il pas vrai? vous étouffait, Et l'obligation banale où vous vous crûtes D'imiter à tout bout de champ la voix des flûtes Pour quelque madrigal bien fade à mon endroit Vous étouffait, ainsi qu'un pourpoint trop étroit? Votre coeur qui battait pour elle dut me taire Par politesse et par prudence son mystère; Mais à présent que j'ai presque tout deviné Pourquoi continuer ce mutisme obstiné? Parlez d'elle, cela d'abord sera sincère. Puis vous souffrirez moins, et, s'il est nécessaire De vous intéresser aux souffrances d'autrui, J'ai besoin, en retour, de vous parler de lui! Myrtil Et quoi, vous aussi, vous! Chloris Moi-même, hélas! moi-même Puis-je encore espérer que mon bien-aimé m'aime? Nous étions tous les deux Sylvandre, si bien faits L'un pour l'autre! Quel sort jaloux, quel dieu mauvais Fit ce malentendu cruel qui nous sépare? Hélas, il fut frivole encore plus que barbare Et son esprit surtout fit que son coeur pécha. Myrtil Espérez, car peut-être il se repent déjà , Si j'en juge d'après mes remords... Il sanglote. Et mes larmes! Sylvandre et Rosalinde se pressent la main. Rosalinde, survenant. Les pleurs délicieux! Cher instant plein de charmes! Myrtil C'est affreux! Chloris O douleur! Rosalinde, sur la pointe du pied et très bas. Chloris! Chloris Vous étiez là ? Rosalinde Le sort capricieux qui nous désassembla A remis, faisant trêve à son ire inhumaine, Sylvandre en bonnes mains, et je vous le ramène Jurant son grand serment qu'on ne l'y prendrait plus. Est-il trop tard? Sylvandre, à Chloris. O point de refus absolus! De grâce ayez pitié quelque peu. La vengeance Suprême c'est d'avoir un aspect d'indulgence, Punissez-moi sans trop de justice et daignez Ne me point accabler de traits plus indignés Que n'en méritent - non mes crimes, - mais ma tête Folle, mais mon coeur faible et lâche... Il tombe à genoux. Chloris Etes-vous bête? Relevez-vous, je suis trop heureuse à présent Pour vous dire quoi que ce soit de déplaisant Et je jette à ton cou chéri mes bras de lierre. Nous nous expliquerons plus tard Et ma première Querelle et mon premier reproche seront pour L'air de doute dont tu reçus mon pauvre amour Qui, s'il a quelques tours étourdis et frivoles, N'en est pas moins, parmi ses apparences folles, Quelque chose de tout dévoué pour toujours Donc, chassons ce nuage, et reprenons le cours De la charmante ivresse où s'exalta notre âme. A Rosalinde. Et quant à vous, soyez sûre, bonne Madame, De mon amitié franche - et baisez votre soeur. Les deux femmes s'embrassent. Sylvandre O si joyeuse avec toute cette douceur! Rosalinde, à Myrtil. Que diriez-vous, Myrtil, si je faisais comme elle? Myrtil Dieux! elle a pardonné, clémente autant que belle. A Rosalinde. O laissez-moi baiser vos mains pieusement! Rosalinde Voilà qui finit bien et c'est un cher moment Que celui-ci. Sans plus parler de ces tristesses, Soyons heureux. A Chloris et à Sylvandre. Sachez enlacer vos jeunesses, Doux amis, et joyeux que vous êtes, cueillez La fleur rouge de vos baisers ensoleillés. Se tournant vers Myrtil. Pour nous, amants anciens sur qui gronda la vie, Nous vous admirerons sans vous porter envie, Ayant, nous, nos bonheurs discrets d'après-midi. Tous les personnages de la Scène Ire reviennent se grouper comme au lever du rideau. Et voyez, aux rayons du soleil attiédi, Voici tous nos amis qui reviennent des danses Comme pour recevoir nos belles confidences. Scène X Tous, groupés comme ci-dessus. Mezzetin, chantant. Va! sans nul autre souci Que de conserver ta joie! Fripe les jupes de soie Et goûte les vers aussi. La morale la meilleure, En ce monde où les plus fous Sont les plus sages de tous, C'est encor d'oublier l'heure. Il s'agit de n'être point Mélancolique et morose. La vie est-elle une chose Grave et réelle à ce point? La toile tombe. Vers jeunes Le soldat laboureur A Edmond Lepelletier Or ce vieillard était horrible un de ses yeux, Crevé, saignait, tandis que l'autre, chassieux, Brutalement luisait sous son sourcil en brosse; Les cheveux se dressaient d'une façon féroce, Blancs, et paraissaient moins des cheveux que des crins; Le vieux torse solide encore sur les reins, Comme au ressouvenir des balles affrontées, Cambré, contrariait les épaules voûtées; La main gauche avait l'air de chercher le pommeau D'un sabre habituel et dont le long fourreau Semblait, s'embarrassant avec la sabretache, Gêner la marche et vers la tombante moustache La main droite parfois montait, la retroussant. Il était grand et maigre et jurait en toussant. Fils d'un garçon de ferme et d'une lavandière, Le service à seize ans le prit. Il fit entière, La campagne d'Egypte. Austerlitz, Iéna, Le virent. En Espagne un moine l'éborgna - Il tua le bon père, et lui vola sa bourse, - Par trois fois traversa la Prusse au pas de course, En Hesse eut une entaille épouvantable au cou, Passa brigadier lors de l'entrée à Moscou, Obtint la croix et fut de toutes les défaites D'Allemagne et de France, et gagna dans ces fêtes Trois blessures, plus un brevet de lieutenant Qu'il résigna bientôt, les Bourbons revenant, A Mont-Saint-Jean, bravant la mort qui l'environne, Dit un mot analogue à celui de Cambronne; Puis, quand pour un second exil et le tombeau, La Redingote grise et le petit Chapeau Quittèrent à jamais leur France tant aimée Et que l'on eut, hélas! dissous la grande armée, Il revint au village, étonné du clocher. Presque forcé pendant un an de se cacher, Il braconna pour vivre, et quand des temps moins rudes L'eurent, sans le réduire à trop de platitudes, Mis à même d'écrire en hauts lieux à l'effet D'obtenir un secours d'argent qui lui fut fait, Logea moyennant deux cents francs par an chez une Parente qu'il avait, dont toute la fortune Consistait en un champ cultivé par ses fieux, L'un marié depuis longtemps et l'autre vieux Garçon encore, et là notre foudre de guerre Vivait et bien qu'il fût tout le jour sans rien faire Et qu'il eût la charrue et la terre en horreur, C'était ce qu'on appelle un soldat laboureur. Toujours levé dès l'aube et la pipe à la bouche Il allait et venait, engloutissait, farouche, Des verres d'eau-de-vie et parfois s'enivrait, Les dimanches tirait à l'arc au cabaret, Après dÃner faisait un quart d'heure sans faute Sauter sur ses genoux les garçons de son hôte Ou bien leur apprenait l'exercice et comment Un bon soldat ne doit songer qu'au fourniment. Le soir il voisinait, tantôt pinçant les filles, Habitude un peu trop commune aux vieux soudrilles, Tantôt, geste ample et voix forte qui dominait Le grillon incessant derrière le chenet, Assis auprès d'un feu de sarments qu'on entoure Confusément disait l'Elster, l'Estramadoure, Smolensk, Dresde, Lutzen et les ravins vosgeois Devant quatre ou cinq gars attentifs et narquois S'exclamant et riant très fort aux endroits farce. Canonnade compacte et fusillade éparse, Chevaux éventrés, coups de sabre, prisonniers Mis à mal entre deux batailles, les derniers Moments d'un officier ajusté par derrière, Qui se souvient et qu'on insulte, la barrière Clichy, les alliés jetés au fond des puits, La fuite sur la Loire et la maraude, et puis Les femmes que l'on force après les villes prises, Sans choix souvent, si bien qu'on a des mèches grises Aux mains et des dégoûts au coeur après l'ébat Quand passe le marchef ou que le rappel bat, Puis encore, les camps levés et les déroutes. Toutes ces gaÃtés, tous ces faits d'armes et toutes Ces gloires défilaient en de longs entretiens, Entremêlés de gros jurons très peu chrétiens Et de grands coups de poing sur les cuisses voisines. Les femmes cependant, soeurs, mères et cousines, Pleuraient et frémissaient un peu, conformément A l'usage, tout en se disant "Le vieux ment." Et les hommes fumaient et crachaient dans la cendre. Et lui qui quelquefois voulait bien condescendre A parler discipline avec ces bons lourdauds Se levait, à grands pas marchait, les mains au dos, Et racontait alors quelque fait politique Dont il se proclamait le témoin authentique, La distribution des Aigles, les Adieux, Le Sacre et ce Dix-huit Brumaire radieux, Beau jour où le soldat qu'un bavard importune Brisa du même coup orateurs et tribune, Où le dieu Mars mis par la Chambre hors la Loi Mit la Loi hors la Chambre et, sans dire pourquoi, Balaya du pouvoir tous ces ergoteurs glabres, Tous ces législateurs qui n'avaient pas de sabres! Tel parlait et faisait le grognard précité Qui mourut centenaire à peu près l'autre été. Le maire conduisit le deuil au cimetière. Un feu de peloton fut tiré sur la bière Par le garde champêtre et quatorze pompiers Dont sept revinrent plus ou moins estropiés A cause des mauvais fusils de la campagne. Un tertre qu'une pierre assez grande accompagne Et qu'orne un saule en pleurs est l'humble monument Où notre héros dort perpétuellement. De plus, suivant le voeu dernier du camarade, On grava sur la pierre, après ses nom et grade, Ces mots que tout Français doit lire en tressaillant "Amour à la plus belle et gloire au plus vaillant." Les loups Parmi l'obscur champ de bataille Rôdant sans bruit sous le ciel noir Les loups obliques font ripaille Et c'est plaisir que de les voir, Agiles, les yeux verts, aux pattes Souples sur les cadavres mous, - Gueules vastes et têtes plates - Joyeux, hérisser leurs poils roux. Un rauquement rien moins que tendre Accompagne les dents mâchant Et c'est plaisir que de l'entendre, Cet hosannah vil et méchant - "Chair entaillée et sang qui coule Les héros ont du bon vraiment. La faim repue et la soif soûle Leur doivent bien ce compliment. Mais aussi, soit dit sans reproche, Combien de peines et de pas Nous a coûtés leur seule approche, On ne l'imaginerait pas. Dès que, sans pitié ni relâches, Sonnèrent leurs pas fanfarons Nos coeurs de fauves et de lâches, A la fois gourmands et poltrons, Pressentant la guerre et la proie Pour maintes nuits et pour maints jours Battirent de crainte et de joie A l'unisson de leurs tambours. Quand ils apparurent ensuite Tout étincelants de métal, Oh, quelle peur et quelle fuite Vers la femelle, au bois natal! Ils allaient fiers, les jeunes hommes, Calmes sous leur drapeau flottant, Et plus forts que nous ne le sommes Ils avaient l'air très doux pourtant. Le fer terrible de leurs glaives Luisait moins encor que leurs yeux Où la candeur d'augustes rêves Eclatait en regards joyeux. Leurs cheveux que le vent fouette Sous leurs casques battaient, pareils Aux ailes de quelque mouette, Pâles avec des tons vermeils. Ils chantaient des choses hautaines! Ça parlait de libres combats, D'amour, de brisements de chaÃnes Et de mauvais dieux mis à bas. - Ils passèrent. Quand leur cohorte Ne fut plus là -bas qu'un point bleu, Nous nous arrangeâmes en sorte De les suivre en nous risquant peu. Longtemps, longtemps rasant la terre, Discrets, loin derrière eux, tandis Qu'ils allaient au pas militaire, Nous marchâmes par rangs de dix, Passant les fleuves à la nage Quand ils avaient rompu les ponts, Quelques herbes pour tout carnage, N'avançant que par faibles bonds, Perdant à tout moment haleine... Enfin une nuit ces démons Campèrent au fond d'une plaine Entre des forêts et des monts. Là nous les guettâmes à l'aise, Car ils dormaient pour la plupart. Nos yeux pareils à de la braise Brillaient autour de leur rempart, Et le bruit sec de nos dents blanches Qu'attendaient des festins si beaux Faisaient cliqueter dans les branches Le bec avide des corbeaux. L'aurore éclate. Une fanfare Epouvantable met sur pied La troupe entière qui s'effare. Chacun s'équipe comme il sied. Derrière les hautes futaies Nous nous sommes dissimulés Tandis que les prochaines haies Cachent les corbeaux affolés. Le soleil qui monte commence A brûler. La terre a frémi. Soudain une clameur immense A retenti. C'est l'ennemi! C'est lui, c'est lui! Le sol résonne Sous les pas durs des conquérants. Les polémarques en personne Vont et viennent le long des rangs. Et les lances et les épées Parmi les plis des étendards Flambent entre les échappées De lumières et de brouillards. Sur ce, dans ses courroux épiques La jeune bande s'avança, Gaie et sereine sous les piques, Et la bataille commença. Ah, ce fut une chaude affaire Cris confus, choc d'armes, le tout Pendant une journée entière Sous l'ardeur rouge d'un ciel d'août. Le soir. - Silence et calme. A peine Un vague moribond tardif Crachant sa douleur et sa haine Dans un hoquet définitif; A peine, au lointain gris, le triste Appel d'un clairon égaré. Le couchant d'or et d'améthyste S'éteint et brunit par degré. La nuit tombe. Voici la lune! Elle cache et montre à moitié Sa face hypocrite comme une Complice feignant la pitié. Nous autres qu'un tel souci laisse Et laissera toujours très cois, Nous n'avons pas cette faiblesse, Car la faim nous chasse du bois, Et nous avons de quoi repaÃtre Cet impérial appétit, Le champ de bataille sans maÃtre N'étant ni vide ni petit. Or, sans plus perdre en phrases vaines Dont quelque sot serait jaloux Cette heure de grasses aubaines, Buvons et mangeons, nous, les Loups!" La pucelle A Robert Caze Quand déjà pétillait et flambait le bûcher, Jeanne qu'assourdissait le chant brutal des prêtres, Sous tous ces yeux dardés de toutes ces fenêtres Sentit frémir sa chair et son âme broncher. Et semblable aux agneaux que revend au boucher Le pâtour qui s'en va sifflant des airs champêtres, Elle considéra les choses et les êtres Et trouva son seigneur bien ingrat et léger. "C'est mal, gentil Bâtard, doux Charles, bon Xaintrailles, De laisser les Anglais faire ces funérailles A qui leur fi lever le siège d'Orléans." Et la lorraine, au seul penser de cette injure, Tandis que l'étreignait la mort des mécréants, Las! pleura comme eût fait une autre créature. L'Angélus du matin A Léon Vanier Fauve avec des tons d'écarlate Une aurore de fin d'été Tempétueusement éclate A l'horizon ensanglanté. La nuit rêveuse, bleue et bonne Pâlit, scintille et fond en l'air, Et l'ouest dans l'ombre qui frissonne Se teinte au bord de rose clair. La plaine brille au loin et fume. Un oblique rayon venu Du soleil surgissant allume Le fleuve comme un sabre nu. Le bruit des choses réveillées Se marie aux brouillards légers Que les herbes et les feuillées Ont subitement dégagés. L'aspect vague du paysage S'accentue et change à foison. La silhouette d'un village ParaÃt. - Parfois une maison Illumine sa vitre et lance Un grand éclair qui va chercher L'ombre du bois plein de silence. Cà et là se dresse un clocher. Cependant, la lumière accrue Frappe dans les sillons les socs Et voici que claire, bourrue, Despotique, la voix des coqs Proclamant l'heure froide et grise Du pain mangé sans faim, des yeux Frottés que flagelle la bise Et du grincement des moyeux, Fait sortir des toits la fumée, Aboyer les chiens en fureur, Et par la pente accoutumée Descendre le lourd laboureur, Tandis qu'un choeur de cloches dures Dans le grandissement du jour Monte, aubade franche d'injures A l'adresse du Dieu d'amour! La soupe du soir A J. -K. Huysmans Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l'homme Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme Depuis trois jours il n'a pas prononcé deux mots La femme a peur et fait des signes aux marmots. Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises, Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises, Une table qui va s'écroulant d'un côté, - Le tout navrant avec un air de saleté. L'homme, grand front, grands yeux pleins d'une sombre flamme, A vraiment des lueurs d'intelligence et d'âme Et c'est ce qu'on appelle un solide garçon. La femme, jeune encore, est belle à sa façon. Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste, Et perdant par degrés rapides ce qui reste En eux de tristement vénérable et d'humain, Ce seront la femelle et le mâle, demain. Tous se sont attablés pour manger de la soupe Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe Dont l'ombre à l'infini s'allonge tout autour De la chambre, la lampe étant sans abat-jour. Les enfants sont petits et pâles, mais robustes En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes Qui disent les hivers passés sans feu souvent Et les étés subis dans un air étouffant. Non loin d'un vieux fusil rouillé qu'un clou supporte Et que la lampe fait luire d'étrange sorte, Quelqu'un qui chercherait longtemps dans ce retrait Avec l'oeil d'un agent de police verrait Empilés dans le fond de la boiteuse armoire Quelques livres poudreux de "science" et "d'histoire", Et sous le matelas, cachés avec grand soin, Des romans capiteux cornés à chaque coin. Ils mangent cependant. L'homme, morne et farouche, Porte la nourriture écoeurante à sa bouche D'un air qui n'est rien moins nonobstant que soumis, Et son eustache semble à d'autres soins promis. La femme pense à quelque ancienne compagne, Laquelle a tout, voiture et maison de campagne, Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos, Ronflant sur leur assiette imitent des sanglots. Les vaincus A Louis-Xavier de Ricard I La Vie est triomphante et l'Idéal est mort, Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe, Le cheval enivré du vainqueur broie et mord Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce, Et nous que la déroute a fait survivre, hélas! Les pieds meurtris, les yeux troubles, la tête lourde, Saignants, veules, fangeux, déshonorés et las, Nous allons, étouffant mal une plainte sourde, Nous allons, au hasard du soir et du chemin, Comme les meurtriers et comme les infâmes, Veufs, orphelins, sans toit, ni fils, ni lendemain, Aux lueurs des forêts familières en flammes! Ah, puisque notre sort est bien complet, qu'enfin L'espoir est aboli, la défaite certaine, Et que l'effort le plus énorme serait vain, Et puisque c'en est fait, même de notre haine, Nous n'avons plus, à l'heure où tombera la nuit, Abjurant tout risible espoir de funérailles; Qu'à nous laisser mourir obscurément, sans bruit, Comme il sied aux vaincus des suprêmes batailles. II Une faible lueur palpite à l'horizon Et le vent glacial qui s'élève redresse Le feuillage des bois et les fleurs du gazon; C'est l'aube! tout renaÃt sous sa froide caresse. De fauve l'Orient devient rose, et l'argent Des astres va bleuir dans l'azur qui se dore; Le coq chante, veilleur exact et diligent; L'alouette a volé stridente c'est l'aurore! Eclatant, le soleil surgit c'est le matin! Amis, c'est le matin splendide dont la joie Heurte ainsi notre lourd sommeil, et le festin Horrible des oiseaux et des bêtes de proie. O prodige! en nos coeurs le frisson radieux Met à travers l'éclat subit de nos cuirasses, Avec un violent désir de mourir mieux, La colère et l'orgueil anciens des bonnes races. Allons, debout! allons, allons! debout, debout! Assez comme cela de hontes et de trêves! Au combat, au combat! car notre sang qui bout A besoin de fumer sur la pointe de glaives! III Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geôles Ils nous ont enchaÃnés, mais nous vivons encor. Tandis que les carcans font ployer nos épaules, Dans nos veines le sang circule, bon trésor. Dans nos têtes nos yeux rapides avec ordre Veillent, fins espions, et derrière nos fronts Notre cervelle pense, et s'il faut tordre ou mordre, Nos mâchoires seront dures et nos bras prompts. Légers, ils n'ont pas vu d'abord la faute immense Qu'ils faisaient, et ces fous qui s'en repentiront Nous ont jeté le lâche affront de la clémence. Bon! la clémence nous vengera de l'affront. Ils nous ont enchaÃnés! Mais les chaÃnes sont faites Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper Les gardes qu'on désarme, et les vainqueurs en fêtes Laissent aux évadés le temps de s'échapper. Et de nouveau bataille! Et victoire peut-être, Mais bataille terrible et triomphe inclément, Et comme cette fois le Droit sera le maÃtre Cette fois-ci sera la dernière, vraiment! IV Car les morts, en dépit des vieux rêves mystiques, Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir Et les temps ne sont plus des fantômes épiques Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir, La jument de Roland et Roland sont des mythes Dont le sens nous échappe et réclame un effort Qui perdrait notre temps, et si vous vous promÃtes D'être épargnés par nous vous vous trompâtes fort. Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains. La justice le veut d'abord, puis la vengeance, Puis le besoin pressant d'opportuns lendemains. Et la terre, depuis longtemps aride et maigre, Pendant longtemps boira joyeuse votre sang Dont la lourde vapeur savoureusement aigre Montera vers la nue et rougira son flanc, Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs, Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie Car les morts sont bien morts et nous vous l'apprendrons. A la manière de plusieurs I. La Princesse Bérénice A Jacques Madeleine Sa tête fine dans sa main toute petite, Elle écoute le chant des cascades lointaines, Et dans la plainte langoureuse des fontaines, Perçoit comme un écho béni du nom de Tite. Elle a fermé ses yeux divins de clématite Pour bien leur peindre, au coeur des batailles hautaines, Son doux héros, le mieux aimant des capitaines, Et, Juive, elle se sent au pouvoir d'Aphrodite. Alors un grand souci la prend d'être amoureuse, Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse, Du trône impérial toute femme étrangère. Et sous le noir chagrin dont sanglote son âme, Entre les bras de sa servante la plus chère, La reine, hélas! défaille et tendrement se pâme. II. Langueur A Georges Courteline Je suis l'Empire à la fin de la décadence, Qui regarde passer les grands Barbares blancs En composant des acrostiches indolents D'un style d'or où la langueur du soleil danse. L'âme seulette a mal au coeur d'un ennui dense, Là -bas on dit qu'il est de longs combats sanglants. O n'y pouvoir, étant si faible aux voeux si lents, O n'y vouloir fleurir un peu cette existence! O n'y vouloir, ô n'y pouvoir mourir un peu! Ah! tout est bu! Bathylle, as-tu fini de rire? Ah! tout est bu, tout est mangé! Plus rien à dire! Seul, un poème un peu niais qu'on jette au feu, Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige, Seul, un ennui d'on ne sait quoi qui vous afflige! III. Pantoum négligé Trois petits pâtés, ma chemise brûle. Monsieur le curé n'aime pas les os. Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule, Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux. Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule. On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux Vivent le muguet et la campanule! Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux. Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux. Trois petits pâtés, un point et virgule; On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux; Vivent le muguet et la campanule. Trois petits pâtés, un point et virgule Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux. La libellule erre emmi des roseaux. Monsieur le Curé, ma chemise brûle. IV. Paysage Vers Saint-Denis c'est bête et sale la campagne. C'est pourtant là qu'un jour j'emmenai ma compagne. Nous étions de mauvaise humeur et querellions. Un plat soleil d'été tartinait ses rayons Sur la plaine séchée ainsi qu'une rôtie. C'était pas trop après le Siège une partie Des "maisons de campagne" était à terre encor, D'autres se relevaient comme on hisse un décor, Et des obus tout neufs encastrés aux pilastres Portaient écrit autour SOUVENIR DES DESASTRES. V. Conseil Falot A Raoul Ponchon Brûle aux yeux des femmes Et garde ton coeur, Mais crains la langueur Des épithalames. Bois pour oublier! L'eau-de-vie est une Qui porte la lune Dans son tablier. L'injure des hommes, Qu'est-ce que ça fait? Va, notre coeur sait Seul ce que nous sommes. Ce que nous valons, Notre sang le chante! L'épine méchante Te mord aux talons? Le vent taquin ose Te gifler souvent? Chante dans le vent Et cueille la rose! Va, tout est au mieux Dans ce monde pire! Surtout laisse dire, Surtout sois joyeux D'être une victime A ces pauvres gens Les dieux indulgents Ont aimé ton crime! Tu refleuriras Dans un élysée. Ame méprisée, Tu rayonneras! Tu n'es pas de celles Qu'un coup du Destin Dissipe soudain En mille étincelles. Métal dur et clair, Chaque coup t'affine En arme divine Pour un destin fier. Arrière la forge! Et tu vas frémir Vibrer et jouir Au poing de saint George Et de saint Michel, Dans des gloires calmes, Au vent pur des palmes Sur l'aile du ciel!... C'est d'être un sourire Au milieu des pleurs, C'est d'être des fleurs, Au champ du martyre, C'est d'être le feu Qui dort dans la pierre, C'est d'être en prière, C'est d'attendre un peu! VI. Le poète et la muse La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules, O pleine de jour sale et de bruits d'araignées? La chambre, as-tu gardé leurs formes désignées Par ces crasses au mur et par quelles virgules? Ah fi! Pourtant, chambre en garni qui te recules En ce sec jeu d'optique aux mines renfrognées Du souvenir de trop de choses destinées, Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d'Hercules? Qu'on l'entende comme on voudra, ce n'est pas ça Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens. Je vous dis que ce n'est pas ce que l'on pensa. Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants Seule, tu sais! mais sans doute combien de nuits De noce auront dévirginé leurs nuits depuis! VII. L'aube à l'envers A Louis Dumoulin Le Point-du-Jour avec Paris au large, Des chants, des tirs, les femmes qu'on "rêvait", La Seine claire et la foule qui fait Sur ce poème un vague essai de charge. On danse aussi, car tout est dans la marge Que fait le fleuve à ce livre parfait, Et si parfois l'on tuait ou buvait Le fleuve est sourd et le vin est litharge. Le Point-du-Jour, mais c'est l'Ouest de Paris! Un calembour a béni son histoire D'affreux baisers et d'immondes paris. En attendant que sonne l'heure noire Où les bateaux-omnibus et les trains Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins! VIII. Un pouacre A Jean Moréas Avec les yeux d'une tête de mort Que la lune encore décharne Tout mon passé, disons tout mon remord Ricane à travers ma lucarne. Avec la voix d'un vieillard très cassé, Comme l'on n'en voit qu'au théâtre, Tout mon remords, disons tout mon passé Fredonne un tralala folâtre. Avec les doigts d'un pendu déjà vert Le drôle agace une guitare Et danse sur l'avenir grand ouvert, D'un air d'élasticité rare. "Vieux turlupin, je n'aime pas cela. Tais ces chants et cesse ces danses." Il me répond avec la voix qu'il a "C'est moins farce que tu ne penses, Et quant au soin frivole, ô doux morveux, De te plaire ou de te déplaire, Je m'en soucie au point que, si tu veux, Tu peux t'aller faire lanlaire." IX. Madrigal Tu m'as, ces pâles jours d'automne blanc, fait mal A cause de tes yeux où fleurit l'animal, Et tu me rongerais, en princesse Souris, Du bout fin de la quenotte de ton souris, Fille auguste qui fis flamboyer ma douleur Avec l'huile rancie encor de ton vieux pleur! Oui, folle, je mourrais de ton regard damné. Mais va veux-tu? l'étang là dort insoupçonné Dont du lys, nef qu'il eût fallu qu'on acclamât, L'eau morte a bu le vent qui coule du grand mât. T'y jeter, palme! et d'avance mon repentir Parle si bas qu'il faut être sourd pour l'ouïr. Naguère Prologue Ce sont choses crépusculaires, Des visions de fin de nuit. O Vérité, tu les éclaires Seulement d'une aube qui luit Si pâle dans l'ombre abhorrée Qu'on doute encore par instants Si c'est la lune qui les crée Sous l'horreur des rameaux flottants, Ou si ces fantômes moroses Vont tout à l'heure prendre corps Et se mêler au choeur des choses Dans les harmonieux décors Du soleil et de la nature Doux à l'homme et proclamant Dieu Pour l'extase de l'hymne pure Jusqu'à la douceur du ciel bleu. Crimen Amoris A Villiers de l'Isle Adam Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane, De beaux démons, des satans adolescents, Au son d'une musique mahométane Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens. C'est la fête aux Sept Péchés ô qu'elle est belle! Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux; Les Appétits, pages prompts que l'on harcèle, Promenaient des vins roses dans des cristaux. Des danses sur des rhythmes d'épithalames Bien doucement se pâmaient en longs sanglots Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes Se déroulaient, palpitaient comme des flots, Et la bonté qui s'en allait de ces choses Etait puissante et charmante tellement Que la campagne autour se fleurit de roses Et que la nuit paraissait en diamant. Or le plus beau d'entre tous ces mauvais anges Avait seize ans sous sa couronne de fleurs. Les bras croisés sur les colliers et les franges, Il rêve, l'oeil plein de flammes et de pleurs. En vain la fête autour se faisait plus folle, En vain les satans, ses frères et ses soeurs, Pour l'arracher au souci qui le désole, L'encourageaient d'appels de bras caresseurs Il résistait à toutes câlineries, Et le chagrin mettait un papillon noir A son cher front tout brûlant d'orfèvreries O l'immortel et terrible désespoir! Il leur disait "O vous, laissez-moi tranquille!" Puis les ayant baisés tous bien tendrement Il s'évada d'avec eux d'un geste agile, Leur laissant aux mains des pans de vêtement. Le voyez-vous sur la tour la plus céleste Du haut palais avec une torche au poing? Il la brandit comme un héros fait d'un ceste D'en bas on croit que c'est une aube qui point. Qu'est-ce qu'il dit de sa voix profonde et tendre Qui se marie au claquement clair du feu Et que la lune est extatique d'entendre? "Oh! je serai celui-là qui créera Dieu! Nous avons tous trop souffert, anges et hommes, De ce conflit entre le Pire et le Mieux. Humilions, misérables que nous sommes, Tous nos élans dans le plus simple des voeux. O vous tous, ô nous tous, ô les pécheurs tristes, O les gais Saints! Pourquoi ce schisme têtu? Que n'avons-nous fait, en habiles artistes, De nos travaux la seule et même vertu! Assez et trop de ces luttes trop égales! Il va falloir qu'enfin se rejoignent les Sept Péchés aux Trois Vertus Théologales! Assez et trop de ces combats durs et laids! Et pour réponse à Jésus qui crut bien faire En maintenant l'équilibre de ce duel, Par moi l'enfer dont c'est ici le repaire Se sacrifie à l'Amour universel!" La torche tombe de sa main éployée, Et l'incendie alors hurla s'élevant, Querelle énorme d'aigles rouges noyée Au remous noir de la fumée et du vent. L'or fond et coule à flots et le marbre éclate; C'est un brasier tout splendeur et tout ardeur; La soie en courts frissons comme de l'ouate Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur. Et les satans mourants chantaient dans les flammes Ayant compris, comme ils étaient résignés Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes Montaient parmi l'ouragan des bruits ignés. Et lui, les bras croisés d'une sorte fière, Les yeux au ciel où le feu monte en léchant Il dit tout bas une espèce de prière Qui va mourir dans l'allégresse du chant. Il dit tout bas une espèce de prière, Les yeux au ciel où le feu monte en léchant... Quand retentit un affreux coup de tonnerre Et c'est la fin de l'allégresse et du chant. On n'avait pas agréé le sacrifice Quelqu'un de fort et de juste assurément Sans peine avait su démêler la malice Et l'artifice en un orgueil qui se ment. Et du palais aux cent tours aucun vestige, Rien ne resta dans ce désastre inouï, Afin que par le plus effrayant prodige Ceci ne fût qu'un vain rêve évanoui... Et c'est la nuit, la nuit bleue aux mille étoiles; Une campagne évangélique s'étend Sévère et douce, et, vagues comme des voiles, Les branches d'arbre ont l'air d'ailes s'agitant. De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre; Les doux hiboux nagent vaguement dans l'air Tout embaumé de mystère et de prière; Parfois un flot qui saute lance un éclair. La forme molle au loin monte des collines Comme un amour encore mal défini, Et le brouillard qui s'essore des ravines Semble un effort vers quelque but réuni. Et tout cela comme un coeur et comme une âme, Et comme un verbe, et d'un amour virginal Adore, s'ouvre en une extase et réclame Le Dieu clément qui nous gardera du mal. La grâce A Armand Silvestre Un cachot. Une femme à genoux, en prière. Une tête de mort est gisante par terre, Et parle, d'un ton aigre et douloureux aussi. D'une lampe au plafond tombe un rayon transi. "Dame Reine,... - Encor toi, Satan! - Madame Reine,... - O Seigneur, faites mon oreille assez sereine Pour ouïr sans l'écouter ce que dit le Malin!" - "Ah! ce fut un vaillant et galant châtelain Que votre époux! Toujours en guerre ou bien en fête, Hélas! j'en puis parler puisque je suis sa tête. Il vous aima, mais moins encore qu'il n'eût dû. Que de vertu gâtée et que de temps perdu En vains tournois, en cours d'amour loin de sa dame Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre âme!" - - "O Seigneur, écartez ce calice de moi!" - - "Comme ils s'aimèrent! Ils s'étaient juré leur foi De s'épouser sitôt que serait mort le maÃtre, Et le tuèrent dans son sommeil d'un coup traÃtre." - "Seigneur, vous le savez, dès le crime accompli, J'eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli, Vins au roi, dévoilant l'attentat effroyable, Et pour mieux déjouer la malice du diable, J'obtins qu'on m'apportât en ma juste prison La tête de l'époux occis en trahison Par ainsi le remords, devant ce triste reste, Me met toujours aux yeux mon action funeste, Et la ferveur de mon repentir s'en accroÃt, O Jésus! Mais voici le Malin qui se voit Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conquête S'en vient-il pas loger dans cette pauvre tête Et me tenir de faux propos insidieux? O Seigneur, tendez-moi vos secours précieux!" - "Ce n'est pas le démon, ma Reine, c'est moi-même, Votre époux, qui vous parle en ce moment suprême, Votre époux qui, damné car j'étais en mourant En état de péché mortel, vers vous se rend, O Reine, et qui, pauvre âme errante, prend la tête Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprète Effroyable de son amour épouvanté." - "O blasphème hideux, mensonge détesté! Monsieur Jésus, mon maÃtre adorable, exorcise Ce chef horrible et le vide de la hantise Diabolique qui n'en fait qu'un instrument Où souffle Belzébuth fallacieusement Comme dans une flûte on joue un air perfide!" - "O douleur, une erreur lamentable te guide, Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry!" - - "Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari! A mon secours, les Saints, à l'aide, Notre Dame!" - - "Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son âme Qui, par sa volonté, plus forte que l'enfer, Ayant su transgresser toute porte de fer Et de flamme, et braver leur impure cohorte, Hélas! vient pour te dire avec cette voix morte Qu'il est d'autres amours encor que ceux d'ici, Tout immatériels et sans autre souci Qu'eux-mêmes, des amours d'âmes et de pensées. Ah, que leur fait le Ciel ou l'enfer. Enlacées, Les âmes, elles n'ont qu'elles-mêmes pour but! L'enfer pour elles c'est que leur amour mourût, Et leur amour de son essence est immortelle! Hélas! moi, je ne puis te suivre aux cieux, cruelle Et seule peine en ma damnation. Mais toi, Damne-toi! Nous serons heureux à deux, la loi Des âmes, je te dis, c'est l'alme indifférence Pour la félicité comme pour la souffrance Si l'amour partagé leur fait d'intimes cieux. Viens afin que l'enfer jaloux, voie, envieux, Deux damnés ajouter, comme on double un délice, Tous les feux de l'amour à tous ceux du supplice, Et se sourire en un baiser perpétuel!" "- Ame de mon époux, tu sais qu'il est réel Le repentir qui fait qu'en ce moment j'espère En la miséricorde ineffable du Père Et du Fils et du Saint-Esprit! Depuis un mois Que j'expie, attendant la mort que je te dois, En ce cachot trop doux encor, nue et par terre, Le crime monstrueux et l'infâme adultère N'ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant, O mon Henry, pleuré des siècles cet instant Où j'ai pu méconnaÃtre en toi celui qu'on aime? Va, j'ai revu, superbe et doux, toujours le même, Ton regard qui parlait délicieusement Et j'entends, et c'est là mon plus dur châtiment, Ta noble voix, et je me souviens des caresses! Or si tu m'as absoute et si tu t'intéresses A mon salut, du haut des cieux, ô cher souci, Manifeste-toi, parle, et démens celui-ci Qui blasphème et vomit d'affreuses hérésies!" - - "Je te dis que je suis damné! Tu t'extasies En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis Qu'il te faut rebrousser chemin du Paradis, Vain séjour du bonheur banal et solitaire Pour l'amour avec moi! Les amours de la terre Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents L'âme veille, les sens se taisent somnolents, Le coeur qui se repose et le sang qui s'affaisse Font dans tout l'être comme une douce faiblesse. Plus de désirs fiévreux, plus d'élans énervants, On est des frères et des soeurs et des enfants, On pleure d'une intime et profonde allégresse, On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse De vivre et de sentir pour s'aimer au delà , Et c'est l'éternité que je t'offre, prends-la! Au milieu des tourments nous serons dans la joie, Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie, Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour. Non, les Anges n'auront dans leur morne séjour Rien de pareil à ces délices inouïes!" - La Comtesse est debout, paumes épanouies. Elle fait le grand cri des amours surhumains, Puis se penche et saisit avec ses pâles mains La tête qui, merveille! a l'aspect de sourire. Un fantôme de vie et de chair semble luire Sur le hideux objet qui rayonne à présent Dans un nimbe languissamment phosphorescent. Un halo clair, semblable à des cheveux d'aurore Tremble au sommet et semble au vent flotter encore Parmi le chant des cors à travers la forêt. Les noirs orbites ont des éclairs, on dirait De grands regards de flamme et noirs. Le trou farouche Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, votre bouche Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants De lèvres qu'auréole un duvet de vingt ans, Et qui pour un baiser se tendent savoureuses... Et la Comtesse à la façon des amoureuses Tient la tête terrible amplement, une main Derrière et l'autre sur le front, pâle, en chemin D'aller vers le baiser spectral, l'âme tendue, Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue Au fond de ce regard vague qu'elle a devant... Soudain elle recule, et d'un geste rêvant O femmes, vous avez ces allures de faire! Elle laisse tomber la tête qui profère Une plainte, et, roulant, sonne creux et longtemps - "Mon Dieu, mon Dieu, pitié! Mes péchés pénitents Lèvent leurs pauvres bras vers ta bénévolence, O ne les souffre pas criant en vain! O lance L'éclair de ton pardon qui tuera ce corps vil! Vois que mon âme est faible en ce dolent exil Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette! O que je meure!" Avec le bruit d'un corps qu'on jette, La Comtesse à l'instant tombe morte, et voici Son âme en blanc linceul, par l'espace éclairci D'une douce clarté d'or blond qui flue et vibre Monte au plafond ouvert désormais à l'air libre Et d'une ascension lente va vers les cieux. ................................ La tête est là , dardant en l'air ses sombres yeux Et sautèle dans des attitudes étranges Telle dans les Assomptions des têtes d'anges, Et la bouche vomit un gémissement long, Et des orbites vont coulant des pleurs de plomb. L'Impénitence finale A Catulle Mendès La petite marquise Osine est toute belle, Elle pourrait aller grossir la ribambelle Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs Parisienne en tout, spirituelle et bonne Et mauvaise à ne rien redouter de personne, Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit, C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit, Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes. Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans, Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans Comme il avait quitté son escadron, vint faire Escale au Jockey; vous connaissez son affaire Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru? Le bon garçon était absolument féru, Son désespoir après le départ de la grue, Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue; Bref il vit la petite un jour dans un salon, S'en éprit tout d'un coup comme un fou; même l'on Dit qu'il en oublia si bien son infidèle Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle. Temps et moeurs! La petite on sait tout aux Oiseaux Connaissait le roman du cher, et jusques aux Moindres chapitres elle en conçut de l'estime. Aussi quand le marquis offrit sa légitime Et sa main contre sa menotte, elle dit Oui, Avec un franc parler d'allégresse inouï. Les parents, voyant sans horreur ce mariage Le marquis était riche et pouvait passer sage Signèrent au contrat avec laisser-aller. Elle qui voyait là quelqu'un à consoler Ouït la messe dans une ferveur profonde. Elle le consola deux ans. Deux ans du monde! Mais tout passe! Si bien qu'un jour qu'elle attendait Un autre et que cet autre atrocement tardait, De dépit la voilà soudain qui s'agenouille Devant l'image d'une Vierge à la quenouille Qui se trouvait là , dans cette chambre en garni, Demandant à Marie, en un trouble infini, Pardon de son péché si grand, - si cher encore Bien qu'elle croie au fond du coeur qu'elle l'abhorre. Comme elle relevait son front d'entre ses mains Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église. Sévère, il regardait tristement la marquise. La vision flottait blanche dans un jour bleu Dont les ondes voilant l'apparence du lieu, Semblaient envelopper d'une atmosphère élue Osine qui tremblait d'extase irrésolue Et qui balbutiait des exclamations. Des accords assoupis de harpes de Sions Célestes descendaient et montaient par la chambre Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre Fluaient, et le parquet retentissait des pas Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas, Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses, Un grand frémissement d'ailes mystérieuses La marquise restait à genoux, attendant, Toute admiration peureuse, cependant. Et le Sauveur parla "Ma fille, le temps passe, Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce. Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous." La vision cessa. Oui certes, il est doux Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie, C'est un jeune coureur à la première haie. C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal. Quelque chose d'étonnamment matutinal. On sort du mariage habitueux. C'est comme Qui dirait la lueur aurorale de l'homme Et les baisers parmi cette fraÃche clarté Sonnent comme des cris d'alouette en été, O le premier amant! Souvenez-vous, mesdames! Vagissant et timide élancement des âmes Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla... Mais le second amant d'une femme, voilà ! On a tout su. La faute est bien délibérée Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée, Un autre mariage à soi-même avoué. Plus de retour possible au foyer bafoué. Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde Le monde hostile et qui sévirait au besoin. Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait loin! Mais aussi cette fois comme on vit; comme on aime, Tout le coeur est éclos en une fleur suprême. Ah, c'est bon! Et l'on jette à ce feu tout remords, On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts. On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie, Ce sera pour après la vie, et l'on défie Les lois humaines et divines, car on est Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaÃt Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime! Or cet amant était justement le deuxième De la marquise, ce qui fait qu'un jour après, - O sans malice et presque avec quelques regrets - Elle le revoyait pour le revoir encore. Quant au miracle, comme une odeur s'évapore, Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement. Un matin, elle était dans son jardin charmant, Un matin de printemps, un jardin de plaisance. Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence, Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient L'aubade d'un timide et délicat ramage Et les petits oiseaux, volant à son passage, Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai. Elle pensait à lui; sa vue errait, distraite, A travers l'ombre jeune et la pompe discrète D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin, Quand elle vit Jésus en vêtements de lin Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit. Elle se recueillait. Soudain un petit bruit Se fit. On lui portait en secret une lettre, Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être Un rendez-vous. Elle ne put la déchirer. .................................. Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer Au chevet de ce lit de blanche mousseline? Elle est malade, bien malade. "Soeur Aline, A-t-elle un peu dormi?" - "Mal, monsieur le marquis." Et le marquis pleurait. "Elle est ainsi depuis Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire De la nuit? Ah, monsieur le marquis, quel délire! Elle vous appelait, vous demandait pardon Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon De sa sonnette." Et le marquis frappait sa tête De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme Qui pardonna. La soeur reprit pâle "Elle eut comme Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus, Terrible sur la nue et qui marchait dessus, Un glaive dans la main droite, et de la main gauche Qui ramait lentement comme une faux qui fauche, Ecartant sa prière, et passait furieux." .......................................... Un prêtre, saluant les assistants des yeux, Elle dort. O ses paupières violettes! O ses petites mains qui tremblent maigrelettes! O tout son corps perdu dans les draps étouffants! Regardez, elle meurt de la mort des enfants. Et le prêtre anxieux, se penche à son oreille. Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille, Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort Plus pâle. Et le marquis "Est-ce déjà la mort?" Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite. On l'enterrait hier matin. Pauvre petite! Don Juan pipé A François Coppée Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux, Et si n'étaient la lueur de ses yeux Et la beauté de sa maigre figure, En le voyant ainsi quiconque jure Qu'il est un gueux et non ce héros fier Aux dames comme au poète si cher Et dont l'auteur de ces humbles chroniques Vous va parler sur des faits authentiques. Il a son front dans ses mains et paraÃt Penser beaucoup à quelque grand secret. Il marche à pas douloureux sur la neige, Car c'est son châtiment que rien n'allège D'habiter seul et vêtu de léger Loin de tout lieu où fleurit l'oranger Et de mener ses tristes promenades Sous un ciel veuf de toutes sérénades Et qu'une lune morte éclaire assez Pour expier tous ses soleils passés. Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable S'est vu réduire à l'état pitoyable De tourmenteur et de geôlier gagé Pour être las trop tôt, et trop âgé. Du Révolté de jadis il ne reste Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer S'en va tombant comme un fleuve à la mer, Au sein de l'alliance primitive. Il ne faut pas que cette honte arrive. Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent Le coeur vif comme un coeur d'adolescent Et dans sa tête une jeune pensée Couve et nourrit une force amassée; S'il est damné c'est qu'il le voulut bien, Il avait tout pour être un bon chrétien, La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême, Et ce désir de volupté lui-même, Mais s'étant découvert meilleur que Dieu, Il résolut de se mettre en son lieu. A cet effet, pour asservir les âmes Il rendit siens d'abord les coeurs des femmes. Toutes pour lui laissèrent là Jésus, Et son orgueil jaloux monta dessus Comme un vainqueur foule un champ de bataille. Seule la mort pouvait être à sa taille. Il l'insulta, la défit. C'est alors Qu'il vint à Dieu sans peur et sans remords Il vint à Dieu, lui parla face à face Sans qu'un instant hésitât son audace. Le défiant, Lui, son Fils et ses saints! L'affreux combat! Très calme et les reins ceints D'impiété cynique et de blasphème, Ayant volé son verbe à Jésus même, Il voyagea, funeste pèlerin, Prêchant en chaire et chantant au lutrin, Et le torrent amer de sa doctrine, Parallèle à la parole divine, Troublait la paix des simples et noyait Toute croyance et, grossi, s'enfuyait. Il enseignait "Juste, prends patience. Ton heure est proche. Et mets ta confiance En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant, Et ton salut en sera sûr d'autant. Femmes, aimez vos maris et les vôtres Sans cependant abandonner les autres... L'amour est un dans tous et tous dans un, Afin qu'alors que tombe le soir brun L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes Que coeurs mi-clos dans la paix fraternelle." Au mendiant errant dans la forêt Il ne donnait un sol que s'il jurait. Il ajoutait "De ce que l'on invoque Le nom de Dieu, celui-ci ne s'en choque, Bien au contraire, et tout est pour le mieux. Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux." Puis il disait "Celui-là prévarique Qui de sa chair faisant une bourrique La subordonne au soin de son salut Et lui désigne un trop servile but. La chair est sainte! Il faut qu'on la vénère. C'est notre fille, enfants, et notre mère, Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas! Malheur à ceux qui ne l'adorent pas! Car, non contents de renier leur être, Ils s'en vont reniant le divin maÃtre, Jésus fait chair qui mourut sur la croix, Jésus fait chair qui de sa douce voix Ouvrait le coeur de la Samaritaine, Jésus fait chair qu'aima la Madeleine!" A ce blasphème effroyable, voilà Que le ciel de ténèbres se voila. Et que la mer entrechoqua les Ãles. On vit errer des formes dans les villes Les mains des morts sortirent des cercueils, Ce ne fut plus que terreurs et que deuils, Et Dieu voulant venger l'injure affreuse Prit sa foudre en sa droite furieuse Et maudissant don Juan, lui jeta bas Son corps mortel, mais son âme, non pas! Non pas son âme, on l'allait voir! Et pâle De male joie et d'audace infernale, Le grand damné, royal sous ses haillons, Promène autour son oeil plein de rayons, Et crie "A moi l'Enfer! ô vous qui fûtes Par moi guidés en vos sublimes chutes, Disciples de don Juan, reconnaissez Ici la voix qui vous a redressés. Satan est mort, Dieu mourra dans la fête, Aux armes pour la suprême conquête! Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés, C'est le grand jour pour le tour des damnés." Il dit. L'écho frémit et va répandre L'appel altier, et don Juan croit entendre Un grand frémissement de tous côtés. Ses ordres sont à coup sûr écoutés Le bruit s'accroÃt des clameurs de victoire, Disant son nom et racontant sa gloire. "A nous deux, Dieu stupide, maintenant!" Et don Juan a foulé d'un pied tonnant Le sol qui tremble et la neige glacée Qui semble fondre au feu de sa pensée... Mais le voilà qui devient glace aussi Et dans son coeur horriblement transi Le sang s'arrête, et son geste se fige. Il est statue, il est glace. O prodige Vengeur du Commandeur assassiné! Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné Rentre à jamais dans ses mornes cellules. "O les rodomontades ridicules", Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait, "Contes prévus! farces que l'on connaÃt! Morgue espagnole et fougue italienne! Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne, Que ce vieux Diable, encor que radoteur, Ainsi te prenne en délit de candeur? Il est écrit de ne tenter... personne. L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne. Mais avant tout, ami, retiens ce point On est le Diable, on ne le devient point." Amoureuse du Diable A Stéphane Mallarmé Il parle italien avec un accent russe. Il dit "Chère, il serait précieux que je fusse Riche, et seul, tout demain et tout après-demain. Mais riche à paver d'or monnayé le chemin De l'Enfer, et si seul qu'il vous va falloir prendre Sur vous de m'oublier jusqu'à ne plus entendre Parler de moi sans vous dire de bonne foi Qu'est-ce que ce monsieur Félice? Il vend de quoi?" Cela s'adresse à la plus blanche des comtesses. Hélas! toute grandeur, toutes délicatesses, Coeur d'or, comme l'on dit, âme de diamant, Riche, belle, un mari magnifique et charmant Qui lui réalisait toute chose rêvée, Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée, La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela, Elle avait tout cela. Cet homme vint, vola Son coeur, son âme, en fit sa maÃtresse et sa chose Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose Avec ses cheveux d'or épars comme du feu, Assise, et ses grands yeux d'azur tristes un peu. Ce fut une banale et terrible aventure Elle quitta de nuit l'hôtel Une voiture Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois Sans que personne sût où ni comment. Parfois On les disait partis à toujours. Le scandale Fut affreux. Cette allure était par trop brutale Aussi pour que le monde ainsi mis au défi N'eût pas frémi d'une ire énorme et poursuivi De ses langues les plus agiles l'insensée. Elle, que lui faisait? Toute à cette pensée, Lui, rien que lui, longtemps avant qu'elle s'enfuÃt, Ayant réalisé son avoir sept ou huit Millions en billets de mille qu'on liasse Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place. Elle avait tassé tout dans un coffret mignon Et le jour du départ, lorsque son compagnon Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre L'interrogea sur ce colis qu'il voyait pendre A son bras qui se lasse, elle répondit "Ça C'est notre bourse." O tout ce qui se dépensa! Il n'avait rien que sa beauté problématique D'autant pire et que cet esprit dont il se pique Et dont nous parlerons, comme de sa beauté, Quand il faudra... Mais quel bourreau d'argent! Prêté Gagné, volé! Car il volait à sa manière, Excessive, partant respectable en dernière Analyse, et d'ailleurs respectée, et c'était Prodigieux la vie énorme qu'il menait Quand au bout de six mois ils revinrent. Le coffre Aux millions dont plus que quatre est là qui s'offre A sa main. Et pourtant cette fois - une fois N'est pas coutume - il a gargarisé sa voix Et remplacé son geste ordinaire de prendre Sans demander, par ce que nous venons d'entendre. Elle s'étonne avec douceur et dit "Prends tout Si tu veux." Il prend tout et sort. Un mauvais goût Qui n'avait de pareil que sa désinvolture Semblait pétrir le fond même de sa nature, Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d'yeux, Faisait luire et vibrer comme un charme odieux. Ses cheveux noirs étaient trop bouclés pour un homme, Ses yeux très grands, tout verts, luisaient comme à Sodome. Dans sa voix claire et lente, un serpent s'avançait, Et sa tenue était de celles que l'on sait Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues. D'antécédents, il en avait de vraiment vagues Ou pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir, L'autre hiver, à Paris, sans qu'aucun pût savoir D'où venait ce petit monsieur, fort bien du reste Dans son genre et dans son outrecuidance leste. Il fit rage, eut des duels célèbres et causa Des morts de femmes par amour dont on causa. Comment il vint à bout de la chère comtesse, Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse Une odeur de cheval et de femme après lui A-t-il fait d'elle cette fille d'aujourd'hui? Ah, ça, c'est le secret perpétuel que berce Le sang des dames dans son plus joli commerce, A moins que ce ne soit celui du Diable aussi. Toujours est-il que quand le tour eut réussi Ce fut du propre! Absent souvent trois jours sur quatre, Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre, Et quand il voulait bien rester près d'elle un peu, Il la martyrisait, en manière de jeu, Par l'étalage de doctrines impossibles. .......................................... "Mia, je ne suis pas d'entre les irascibles, Je suis le doux par excellence, mais tenez, Ca m'exaspère, et je le dis à votre nez, Quand je vous vois l'oeil blanc et la lèvre pincée, Avec je ne sais quoi d'étroit dans la pensée Parce que je reviens un peu soûl quelquefois. Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes, Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes Et que l'Ivrogne est une forme du Gourmand? Alors l'instinct qui vous dit ça ment plaisamment Et d'y prêter l'oreille un instant, quel dommage! Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l'image Que vous voyez et vers qui vos voeux vont monter? L'Eucharistie est-elle un pain à cacheter Pur et simple, et l'amant d'une femme, si j'ose Parler ainsi, consiste-t-il en cette chose Unique d'un monsieur qui n'est pas son mari Et se voit de ce chef tout spécial chéri? Ah, si je bois c'est pour me soûler, non pour boire. Etre soûl, vous ne savez pas quelle victoire C'est qu'on remporte sur la vie, et quel don c'est! On oublie, on revoit, on ignore et l'on sait; C'est des mystères pleins d'aperçus, c'est du rêve Qui n'a jamais eu de naissance et ne s'achève Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici; C'est une espèce d'autre vie en raccourci, Un espoir actuel, un regret qui "rapplique", "Que sais-je encore? Et quant à la rumeur publique, Au préjugé qui hue un homme dans ce cas, C'est hideux, parce que bête, et je ne plains pas Ceux ou celles qu'il bat à travers son extase, O que nenni! ......................................... Voyons, l'amour, c'est une phrase Sous un mot, - avouez, un écoute-s'il-pleut, Un calembour dont un chacun prend ce qu'il veut, Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie Selon le plus ou moins de moyens qu'il emploie, Ou pour mieux dire, au gré de son tempérament, Mais, entre nous, le temps qu'on y perd! Et comment! Vrai, c'est honteux que des personnes sérieuses Comme nous deux, avec ces vertus précieuses Que nous avons, du coeur, de l'esprit, - de l'argent, Dans un siècle que l'on peut dire intelligent Aillent!..." ........................................ Ainsi de suite, et sa fade ironie N'épargnait rien de rien dans sa blague infinie. Elle écoutait le tout avec les yeux baissés Des coeurs aimants à qui tous torts sont effacés, Hélas! L'après-demain et le demain se passent. Il rentre et dit "Altro! que voulez-vous que fassent Quatre pauvres petits millions contre un sort? Ruinés, ruinés, je vous dis! C'est la mort Dans l'âme que je vous le dis." Elle frissonne Un peu, mais sait que c'est arrivé. - "Ca, personne, Même vous, diletta, ne me croit assez sot Pour demeurer ici dedans le temps d'un saut De puce." Elle pâlit très fort et frémit presque, Et dit "Va, je sais tout." - "Alors c'est trop grotesque Et vous jouez là sans atouts avec le feu. - "Qui dit non?" - Mais Je Suis Spécial à ce jeu." - "Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnée?" - "C'est différent, arrange ainsi ta destinée, Moi, je sors." - "Avec moi!" - "Je ne puis aujourd'hui." Il a disparu sans autre trace de lui Qu'une odeur de soufre et qu'un aigre éclat de rire. Elle tire un petit couteau. Le temps de luire Et la lame est entrée à deux lignes du coeur. Le temps de dire, en renfonçant l'acier vainqueur A toi, je t'aime!" et la Justice la recense. Elle ne savait pas que l'Enfer c'est l'absence. Amour Prière du matin A mon fils Georges Verlaine O Seigneur, exaucez et dictez ma prière, Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté, Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière, Et qui m'avez aimé de toute éternité, Car - ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère Miséricordieux, que, cent fois médité, Toujours il confondit ma raison qu'il atterre, - Oui, vous m'avez aimé de toute éternité, Oui, votre grand souci, c'est mon heure dernière, Vous la voulez heureuse et pour la faire ainsi, Dès avant l'univers, dès avant la lumière, Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci. Exaucez ma prière après l'avoir formée De gratitude immense et des plus humbles voeux, Comme un poète scande une ode bien-aimée, Comme une mère baise un fils sur les cheveux. Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire Il me faut être heureux, d'abord dans la douleur Parmi les hommes durs sous une loi sévère, Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur, Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie Eternelle, ravi dans les splendeurs des saints, O donnez-moi la foi très forte, que je croie Devoir souffrir cent morts s'il plaÃt à vos desseins; Et donnez-moi la foi très douce, que j'estime N'avoir de haine juste et sainte que pour moi, Que j'aime le pécheur en détestant mon crime, Que surtout j'aime ceux de nous encor sans foi; Et donnez-moi la foi très humble, que je pleure Sur l'impropriété de tant de maux soufferts, Sur l'inutilité des grâces et sur l'heure Lâchement gaspillée aux efforts que je perds; Et que votre Esprit Saint qui sait toute nuance Rende prudent mon zèle et sage mon ardeur Donnez, juste Seigneur, avec la confiance, Donnez la méfiance à votre serviteur. Que je ne sois jamais un objet de censure Dans l'action pieuse et le juste discours; Enseignez-moi l'accent, montrez-moi la mesure; D'un scandale, d'un seul, préservez mes entours; Faites que mon exemple amène à vous connaÃtre Tous ceux que vous voudrez de tant de pauvres fous, Vos enfants sans leur Père, un état sans le MaÃtre, Et que, si je suis bon, toute gloire aille à vous; Et puis, et puis, quand tout des choses nécessaires, L'homme, la patience et ce devoir dicté, Aura fructifié de mon mieux dans vos serres, Laissez-moi vous aimer en toute charité, Laissez-moi, faites-moi de toutes mes faiblesses Aimer jusqu'à la mort votre perfection, Jusqu'à la mort des sens et de leurs mille ivresses, Jusqu'à la mort du coeur, orgueil et passion, Jusqu'à la mort du pauvre esprit lâche et rebelle Que votre volonté dès longtemps appelait Vers l'humilité sainte éternellement belle, Mais lui, gardait son rêve infernalement laid, Son gros rêve éveillé de lourdes rhétoriques, Spéculation creuse et calculs impuissants Ronflant et s'étirant en phrases pléthoriques. Ah! tuez mon esprit et mon coeur et mes sens! Place à l'âme qui croie, et qui sente et qui voie Que tout est vanité fors elle-même en Dieu; Place à l'âme, Seigneur; marchant dans votre voie Et ne tendant qu'au ciel, seul espoir et seul lieu! Et que cette âme soit la servante très douce Avant d'être l'épouse au trône non-pareil. Donnez-lui l'Oraison comme le lit de mousse Où ce petit oiseau se baigne de soleil, La paisible oraison comme la fraÃche étable Où cet agneau s'ébatte et broute dans les coins D'ombre et d'or quand sévit le midi redoutable Et que juin fait crier l'insecte dans les foins, L'oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule, Fût-ce dans le tumulte et l'erreur des cités. Donnez-lui l'oraison qui sourde et d'où découle Un ruisseau toujours clair d'austères vérités La mort, le noir péché, la pénitence blanche, L'occasion à fuir et la grâce à guetter; Donnez-lui l'oraison d'en haut et d'où s'épanche Le fleuve amer et fort qu'il lui faut remonter Mortification spirituelle, épreuve Du feu par le désir et de l'eau par le pleur Sans fin d'être imparfaite et de se sentir veuve D'un amour que doit seule aviver la douleur, Sécheresses ainsi que des trombes de sable En travers du torrent où luttent ses bras lourds, Un ciel de plomb fondu, la soif inapaisable Au milieu de cette eau qui l'assoiffe toujours, Mais cette eau-là jaillit à la vie éternelle, Et la vague bientôt porterait doucement L'âme persévérante et son amour fidèle Aux pieds de votre Amour fidèle, ô Dieu clément! La bonne mort pour quoi Vous-Même vous mourûtes Me ressusciterait à votre éternité. Pitié pour ma faiblesse, assistez à mes luttes Et bénissez l'effort de ma débilité! Pitié, Dieu pitoyable! et m'aidez à parfaire L'oeuvre de votre Coeur adorable en sauvant L'âme que rachetaient les affres du Calvaire Père, considérez le prix de votre enfant. Ecrit en 1875 A Edmond Lepelletier J'ai naguère habité le meilleur des châteaux Dans le plus fin pays d'eau vive et de coteaux Quatre tours s'élevaient sur le front d'autant d'ailes, Et j'ai longtemps, longtemps habité l'une d'elles. Le mur, étant de brique extérieurement, Luisait rouge au soleil de ce site dormant, Mais un lait de chaux, clair comme une aube qui pleure, Tendait légèrement la voûte intérieure. O diane des yeux qui vont parler au coeur, O réveil pour les sens éperdus de langueur, Gloire des fronts d'aieuls, orgueil jeune des branches, Innocence et fierté des choses, couleurs blanches! Parmi des escaliers en vrille, tout aciers Et cuivres, luxes brefs encore émaciés, Cette blancheur bleuâtre et si douce, à m'en croire, Que relevait un peu la longue plinthe noire, S'emplissait tout le jour de silence et d'air pur Pour que la nuit y vÃnt rêver de pâle azur. Une chambre bien close, une table, une chaise, Un lit strict où l'on pût dormir juste à son aise, Du jour suffisamment et de l'espace assez, Tel fut mon lot durant les longs mois là passés, Et je n'ai jamais plaint ni les mois ni l'espace, Ni le reste, et du point de vue où je me place, Maintenant que voici le monde de retour, Ah vraiment, j'ai regret aux deux ans dans la tour! Car c'était bien la paix réelle et respectable, Ce lit dur, cette chaise unique et cette table, La paix où l'on aspire alors qu'on est bien soi, Cette chambre aux murs blancs, ce rayon sobre et coi, Qui glissait lentement en teintes apaisées Au lieu de ce grand jour diffus de vos croisées. Car à quoi bon le vain appareil et l'ennui Du plaisir, à la fin, quand le malheur a lui, Et le malheur est bien un trésor qu'on déterre Et pourquoi cet effroi de rester solitaire Qui pique le troupeau des hommes d'à présent, Comme si leur commerce était bien suffisant? Questions! Donc j'étais heureux avec ma vie, Reconnaissant de biens que nul, certes, n'envie. O fraÃcheur de sentir qu'on n'a pas de jaloux! O bonté d'être cru plus malheureux que tous! Je partageais les jours de cette solitude Entre ces deux bienfaits, la prière et l'étude, Que délassait un peu de travail manuel. Ainsi les Saints! J'avais aussi ma part de ciel, Surtout quand, revenant au jour, si proche encore, Où j'étais ce mauvais sans plus qui s'édulcore En la luxure lâche aux farces sans pardon, Je pouvais supputer tout le prix de ce don N'être plus là , parmi les choses de la foule, S'y dépensant, plutôt dupe, pierre qui roule, Mais de fait un complice à tous ces noirs péchés, N'être plus là , compter au rang des coeurs cachés, Des coeurs discrets que Dieu fait siens dans le silence, Sentir qu'on grandit bon et sage, et qu'on s'élance Du plus bas au plus haut en essors bien réglés, Humble, prudent, béni, la croissance des blés! - D'ailleurs nuls soins gênants, nulle démarche à faire. Deux fois le jour ou trois, un serviteur sévère Apportait mes repas et repartait muet. Nul bruit. Rien dans la tour jamais ne remuait Qu'une horloge au coeur clair qui battait à coups larges. C'était la liberté la seule! sans ses charges, C'était la dignité dans la sécurité! O lieu presque aussitôt regretté que quitté, Château, château magique où mon âme s'est faite, Frais séjour où se vint apaiser la tempête De ma raison allant à vau-l'eau dans mon sang Château, château qui luis tout rouge et dors tout blanc, Comme un bon fruit de qui le goût est sur mes lèvres Et désaltère encor l'arrière-soif des fièvres, O sois béni, château d'où me voilà sorti Prêt à la vie, armé de douceur et nanti De la Foi, pain et sel et manteau pour la route Si déserte, si rude et si longue, sans doute, Par laquelle il faut tendre aux innocents sommets. Et soit aimé l'Auteur de la Grâce, à jamais! Stickney. Angleterre. Un conte A Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme Et comme un soldat répand son sang pour la patrie, Je voudrais pouvoir mettre mon coeur avec mon âme Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie. Mais je suis, hélas! un pauvre pécheur trop indigne, Ma voix hurlerait parmi le choeur des voix des justes Ivre encor du vin amer de la terrestre vigne, Elle pourrait offenser des oreilles augustes. Il faut un coeur pur comme l'eau qui jaillit des roches, Il faut qu'un enfant vêtu de lin soit notre emblème, Qu'un agneau bêlant n'éveille en nous aucuns reproches, Que l'innocence nous ceigne un brûlant diadème, Il faut tout cela pour oser dire vos louanges, O vous Vierge Mère, ô vous Marie Immaculée, Vous blanche à travers les battements d'ailes des anges, Qui posez vos pieds sur notre terre consolée. Du moins je ferai savoir à qui voudra l'entendre Comment il advint qu'une âme des plus égarées, Grâce à ces regards cléments de votre gloire tendre, Revint au bercail des Innocences ignorées. Innocence, ô belle après l'Ignorance inouïe, Eau claire du coeur après le feu vierge de l'âme, Paupière de grâce sur la prunelle éblouie, Désaltèrement du cerf rompu d'amour qui brame! Ce fut un amant dans toute la force du terme Il avait connu toute la chair, infâme ou vierge, Et la profondeur monstrueuse d'un épiderme, Et le sang d'un coeur, cire vermeille pour son cierge! Ce fut un athée, et qui poussait loin sa logique Tout en méprisant les fadaises qu'elle autorise, Et comme un forçat qui remâche une vieille chique Il aimait le jus flasque de la mécréantise. Ce fut un brutal, ce fut un ivrogne des rues, Ce fut un mari comme on en rencontre aux barrières; Bon que les amours premières fussent disparues, Mais cela n'excuse en rien l'excès de ses manières. Ce fut, et quel préjudice! un Parisien fade, Vous savez, de ces provinciaux cent fois plus pires Qui prennent au sérieux la plus sotte cascade Sans s'apercevoir, ô leur âme, que tu respires; Race de théâtre et de boutique dont les vices Eux-mêmes, avec leur odeur rance et renfermée, Lèveraient le coeur à des sauvages leurs complices, Race de trottoir, race d'égout et de fumée! Enfin un sot, un infatué de ce temps bête Dont l'esprit au fond consiste à boire de la bière Et par-dessus tout une folle tête inquiète, Un coeur à tous vents, vraiment mais vilement sincère. Mais sans doute, et moi j'inclinerais fort à le croire, Dans quelque coin bien discret et sûr de ce coeur même, Il avait gardé comme qui dirait la mémoire D'avoir été ces petits enfants que Jésus aime. Avait-il, - et c'est vraiment plus vrai que vraisemblable, - Conservé dans le sanctuaire de sa cervelle Votre nom, Marie, et votre titre vénérable, Comme un mauvais prêtre ornerait encor sa chapelle? Ou tout bonnement peut-être qu'il était encore, Malgré tout son vice et tout son crime et tout le reste, Cet homme très simple qu'au moins sa candeur décore En comparaison d'un monde autour que Dieu déteste. Toujours est-il que ce grand pécheur eut des conduites Folles à ce point d'en devenir trop maladroites, Si bien que les Tribunaux s'en mirent, - et les suites! Et le voyez-vous dans la plus étroite des boÃtes? Cellules! Prisons humanitaires! Il faut taire Votre horreur fadasse et ce progrès d'hypocrisie... Puis il s'attendrit, il réfléchit. Par quel mystère, O Marie, ô vous, de toute éternité choisie? Puis il se tourna vers votre Fils et vers Sa Mère. O qu'il fut heureux, mais, là , promptement, tout de suite! Que de larmes, quelle joie, ô Mère! et pour vous plaire, Tout de suite aussi le voilà qui bien vite quitte Tout cet appareil d'orgueil et de pauvres malices, Ce qu'on nomme esprit et ce qu'on nomme La science, Et les rires et les sourires où tu te plisses, Lèvre des petits exégètes de l'incroyance! Et le voilà qui s'agenouille et, bien humble, égrène Entre ses doigts fiers les grains enflammés du Rosaire, Implorant de Vous, la Mère, et la Sainte, et la Reine, L'affranchissement d'être ce charnel, ô misère! O qu'il voudrait bien ne plus savoir plus rien du monde Q'adorer obscurément la mystique sagesse, Qu'aimer le coeur de Jésus dans l'extase profonde De penser à vous en même temps pendant la Messe. O faites cela, faites cette grâce à cette âme, O vous, Vierge Mère, ô vous, Marie Immaculée, Toute en argent parmi l'argent de l'épithalame, Qui posez vos pieds sur notre terre consolée. Bournemouth A Francis Poictevin Le long bois de sapins se tord jusqu'au rivage, L'étroit bois de sapins, de lauriers et de pins, Avec la ville autour déguisée en village Chalets éparpillés rouges dans le feuillage Et les blanches villas des stations de bains. Le bois sombre descend d'un plateau de bruyère, Va, vient, creuse un vallon, puis monte vert et noir Et redescend en fins bosquets où la lumière Filtre et dore l'obscur sommeil du cimetière Qui s'étage bercé d'un vague nonchaloir. A gauche la tour lourde elle attend une flèche Se dresse d'une église invisible d'ici, L'estacade très loin; haute, la tour, et sèche C'est bien l'anglicanisme impérieux et rêche A qui l'essor du coeur vers le ciel manque aussi. Il fait un de ces temps ainsi que je les aime, Ni brume ni soleil! le soleil deviné, Pressenti, du brouillard mourant dansant à même Le ciel très haut qui tourne et fuit, rose de crème; L'atmosphère est de perle et la mer d'or fané. De la tour protestante il part un chant de cloche, Puis deux et trois et quatre, et puis huit à la fois, Instinctive harmonie allant de proche en proche, Enthousiasme, joie, appel, douleur, reproche, Avec de l'or, du bronze et du feu dans la voix Bruit immense et bien doux que le long bois écoute! La Musique n'est pas plus belle. Cela vient Lentement sur la mer qui chante et frémit toute, Comme sous une armée au pas sonne une route Dans l'écho qu'un combat d'avant-garde retient. La sonnerie est morte. Une rouge traÃnée De grands sanglots palpite et s'éteint sur la mer. L'éclair froid d'un couchant de la nouvelle année Ensanglante là -bas la ville couronnée De nuit tombante, et vibre à l'ouest encore clair. Le soir se fonce. Il fait glacial. L'estacade Frissonne et le ressac a gémi dans son bois Chanteur, puis est tombé lourdement en cascade Sur un rythme brutal comme l'ennui maussade Qui martelait mes jours coupables d'autrefois Solitude du coeur dans le vide de l'âme, Le combat de la mer et des vents de l'hiver, L'Orgueil vaincu, navré, qui râle et qui déclame, Et cette nuit où rampe un guet-apens infâme, Catastrophe flairée, avant-goût de l'Enfer!... Voici trois tintements comme trois coups de flûtes, Trois encor, trois encor! l'Angélus oublié Se souvient, le voici qui dit Paix à ces luttes! Le Verbe s'est fait chair pour relever tes chutes, Une vierge a conçu, le monde est délié! Ainsi Dieu parle par la voix de sa chapelle Sise à mi-côte à droite et sur le bord du bois... O Rome, ô Mère! Cri, geste qui nous rappelle Sans cesse au bonheur seul et donne au coeur rebelle Et triste le conseil pratique de la Croix. - La nuit est de velours. L'estacade laissée Tait par degrés son bruit sous l'eau qui refluait, Une route assez droite heureusement tracée Guide jusque chez moi ma retraite pressée Dans ce noir absolu sous le long bois muet. Janvier 1877. There A Emile Le Brun "Angels", seul coin luisant dans ce Londres du soir, Où flambe un peu de gaz et jase quelque foule, C'est drôle que, semblable à tel très dur espoir, Ton souvenir m'obsède et puissamment enroule Autour de mon esprit un regret rouge et noir Devantures, chansons, omnibus et les danses Dans le demi-brouillard où flue un goût de rhum, Décence, toutefois, le souci des cadences, Et même dans l'ivresse un certain décorum, Jusqu'à l'heure où la brume et la nuit se font denses. "Angels"! jours déjà loin, soleils morts, flots taris; Mes vieux péchés longtemps ont rôdé par tes voies, Tout soudain rougissant, misère! et tout surpris De se plaire vraiment à tes honnêtes joies, Eux pour tout le contraire arrivés de Paris! Souvent l'incompressible Enfance ainsi se joue, Fût-ce dans ce rapport infinitésimal, Du monstre intérieur qui nous crispe la joue Au froid ricanement de la haine et du mal, Ou gonfle notre lèvre amère en lourde moue. L'Enfance baptismale émerge du pécheur, Inattendue, alerte, et nargue ce farouche D'un sourire non sans franchise ou sans fraÃcheur, Qui vient, quoi qu'il en ait, se poser sur sa bouche A lui, par un prodige exquisement vengeur. C'est la Grâce qui passe aimable et nous fait signe. O la simplicité primitive, elle encor! Cher recommencement bien humble! Fuite insigne De l'heure vers l'azur mûrisseur de fruits d'or! "Angels"! ô nom revu, calme et frais comme un cygne! Un crucifix A Germain Nouveau Eglise Saint-Géry, Arras. Au bout d'un bas-côté de l'église gothique, Contre le mur que vient baiser le jour mystique D'un long vitrail d'azur et d'or finement roux, Le Crucifix se dresse, ineffablement doux, Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées, Et la gloire d'or sombre en langues échancrées Flue autour de la tête et des bras étendus, Tels quatre vols de flamme en un seul confondus. La statue est en bois, de grandeur naturelle, Légèrement teintée, et l'on croirait sur elle Voir s'arrêter la vie à l'instant qu'on la voit. Merveille d'art pieux, celui qui la fit doit N'avoir fait qu'elle et s'être éteint dans la victoire L'être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire. "Voilà l'homme!" Robuste et délicat pourtant. C'est bien le corps qu'il faut pour avoir souffert tant, Et c'est bien la poitrine où bat le Coeur immense Par les lèvres le souffle expirant dit "Clémence", Tant l'artiste les a disjointes saintement, Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément; La couronne d'épine est énorme et cruelle Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle Vers l'ignorance humaine et l'erreur du pécheur, Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur D'aimer et d'espérer comme la Foi l'enseigne, Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne; On sent qu'il s'offre au Père en toute charité, Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté, Pour spécialement sauver vos âmes tristes, Pharisiens naïfs, sincères jansénistes! - Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien Et bon poète aussi - les trois s'accordent bien - Vit cette oeuvre sublime, en fit une copie Exquise, et, surprenant mon regard qui l'épie, Très gracieusement chez moi vint l'oublier. Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. - Août 1880. Ballade A propos de deux ormeaux qu'il avait A Léon Vanier Mon jardin fut doux et léger Tant qu'il fut mon humble richesse Mi-potager et mi-verger, Avec quelque fleur qui se dresse Couleur d'amour et d'allégresse, Et des oiseaux sur des rameaux, Et du gazon pour la paresse. Mais rien ne valut mes ormeaux. De ma claire salle à manger Où du vin fit quelque prouesse, Je les voyais tous deux bouger Doucement au vent qui les presse L'un vers l'autre en une caresse, Et leurs feuilles flûtaient des mots. Le clos était plein de tendresse. Mais rien ne valut mes ormeaux. Hélas! quand il fallut changer De cieux et quitter ma liesse, Le verger et le potager Se partagèrent ma tristesse, Et la fleur couleur charmeresse, Et l'herbe, oreiller de mes maux, Et l'oiseau, surent ma détresse. Mais rien ne valut mes ormeaux. Envoi Prince, j'ai goûté la simplesse De vivre heureux dans vos hameaux GaÃté, santé que rien ne blesse. Mais rien ne valut mes ormeaux. Sur un reliquaire Qu'on lui avait dérobé Seul bijou de ma pauvreté, Ton mince argent, ta perle fausse En tout quatre francs, ont tenté Quelqu'un dont l'esprit ne se hausse, Parmi ces paysans cafards A vous dégoûter d'être au monde, - Tas d'Onans et de Putiphars! - Que juste au niveau de l'immonde, Et le Témoin, et le Gardien, Le Grain d'une poussière illustre, Un ami du mien et du tien Crispe sur Lui sa main de rustre! Est-ce simplement un voleur, Ou s'il se guinde au sacrilège? Bah! ces rustiques-là ! Mais leur Gros laid vice que rien n'allège, Ne connaÃt rien que de brutal Et ne s'est jamais douté d'une Ame immortelle. Du métal, C'est tout ce qu'il voit dans la lune; Tout ce qu'il voit dans le soleil, C'est foin épais et fumier dense, Et quand éclot le jour vermeil, Il suppute timbre et quittance, Hypothèque, gens mis dedans, Placements, la dot de la fille, Crédits ouverts à deux battants Et l'usure au bout qui mordille! Donc, vol, oui, sacrilège, non. Mais le fait monstrueux existe Et pour cet ouvrage sans nom, Mon âme est immensément triste. O pour lui ramener la paix. Daignez, vous, grand saint BenoÃt Labre, Ecouter les voeux que je fais, Peur que ma foi ne se délabre En voyant ce crime impuni Rester inutile. O la Grâce, Implorez-la sur l'homme, et ni L'homme ni moi n'oublierons. Grâce! Grâce pour le pauvre larron Inconscient du péché pire! Intercédez, ô bon patron, Et qu'enfin le bon Dieu l'inspire, Que de ce débris de ce corps Exalté par la pénitence Sorte une vertu de remords, Et que l'exquis conseil le tance Et lui montre toute l'horreur Du vol et de ce vol impie Avec la torpeur et l'erreur D'un passé qu'il faut qu'il expie. Qu'il s'émeuve à ce double objet Et tremblant au son du tonnerre Respecte ce qu'il outrageait En attendant qu'il le vénère. Et que cette conversion L'amène à la foi de ses pères D'avant la Révolution. Ma Foi, dis-le-moi, tu l'espères? Ma foi, celle du charbonnier! Ainsi la veux-je, et la souhaite Au possesseur, croyons dernier, De la sainte petite boÃte! A Madame X... En lui envoyant une pensée Au temps où vous m'aimiez bien sûr? Vous m'envoyâtes, fraÃche éclose, Une chère petite rose, Frais emblème, message pur. Elle disait en son langage Les "serments du premier amour" Votre coeur à moi pour toujours Et toutes les choses d'usage. Trois ans sont passés. Nous voilà ! Mais moi j'ai gardé la mémoire De votre rose, et c'est ma gloire De penser encore à cela. Hélas! si j'ai la souvenance, Je n'ai plus la fleur, ni le coeur! Elle est aux quatre vents, la fleur. Le coeur? Mais, voici que j'y pense, Fut-il mien jamais? entre nous? Moi, le mien bat toujours le même, Il est toujours simple. Un emblème A mon tour. Dites, voulez-vous Que, tout pesé, je vous envoie, Triste sélam, mais c'est ainsi, Cette pauvre négresse-ci? Elle n'est pas couleur de joie, Mais elle est couleur de mon coeur; Je l'ai cueillie à quelque fente Du pavé captif que j'arpente En ce lieu de juste douleur. A-t-elle besoin d'autres preuves? Acceptez-la pour le plaisir. J'ai tant fait que de la cueillir, Et c'est presque une fleur-des-veuves. 1873 Un veuf parle Je vois un groupe sur la mer. Quelle mer? Celle de mes larmes. Mes yeux mouillés du vent amer Dans cette nuit d'ombre et d'alarmes Sont deux étoiles sur la mer. C'est une toute jeune femme Et son enfant déjà tout grand. Dans une barque où nul ne rame, Sans mât ni voile, en plein courant... Un jeune garçon, une femme! En plein courant dans l'ouragan! L'enfant se cramponne à sa mère Qui ne sait plus où, non plus qu'en..., Ni plus rien, et qui, folle, espère En le courant, en l'ouragan. Espérez en Dieu, pauvre folle, Crois en notre Père, petit. La tempête qui vous désole, Mon coeur de là -haut vous prédit Qu'elle va cesser, petit, folle! Et paix au groupe sur la mer, Sur cette mer de bonnes larmes! Mes yeux joyeux dans le ciel clair, Par cette nuit sans plus d'alarmes, Sont deux bons anges sur la mer. 1878 Il parle encore Ni pardon ni répit, dit le monde, Plus de place au sénat du loisir! On rend grâce et justice au désir Qui te prend d'une paix si profonde, Et l'on eût fait trêve avec plaisir, Mais la guerre est jalouse il faut vivre Ou mourir du combat qui t'enivre. Aussi bien tes voeux sont absolus Quand notre art est un mol équilibre. Nous donnons un sens large au mot libre, Et ton sens va Vite ou jamais plus. Ta prière est un ordre qui vibre; Alors nous, indolents conseilleurs, Que te dire, excepté Cherche ailleurs? Et je vois l'Orgueil et la Luxure Parmi la réponse tel un cor Dans l'éclat fané d'un vil décor, Prêtant sa rage à la flûte impure. Quel décor connu mais triste encor! C'est la ville où se caille et se lie Ce passé qu'on boit jusqu'à la lie, C'est Paris banal, maussade et blanc, Qui chantonne une ariette vieille En cuvant sa "noce" de la veille Comme un invalide sur un banc. La Luxure me dit à l'oreille Bonhomme, on vous a déjà donné. Et l'Orgueil se tait comme un damné. O Jésus, vous voyez que la porte Est fermée au Devoir qui frappait, Et que l'on s'écarte à mon aspect. Je n'ai plus qu'à prier pour la morte. Mais l'agneau, bénissez qui le paÃt! Que le thym soit doux à sa bouchette! Que le loup respecte la houlette! Et puis, bon pasteur, paissez mon coeur Il est seul désormais sur la terre, Et l'horreur de rester solitaire Le distrait en l'étrange langueur D'un espoir qui ne veut pas se taire, Et l'appelle aux prés qu'il ne faut pas. Donnez-lui de n'aller qu'en vos pas. Ballade En rêve Au docteur Louis Jullien J'ai rêvé d'elle, et nous nous pardonnions Non pas nos torts, il n'en est en amour, Mais l'absolu de nos opinions Et que la vie ait pour nous pris ce tour. Simple elle était comme au temps de ma cour, En robe grise et verte et voilà tout, J'aimais toujours les femmes dans ce goût. Et son langage était sincère et coi. Mais quel émoi de me dire au débout J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Elle ni moi nous ne nous résignions A plus souffrir pas plus tard que ce jour. O nous revoir encore compagnons, Chacun étant descendu de sa tour Pour un baiser bien payé de retour! Le beau projet! Et nous étions debout, Main dans la main, avec du sang qui bout Et chante un fier donec gratus. Mais quoi? C'était un songe, ô tristesse et dégoût! J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Et nous suivions tes luisants fanions, Soie et satin, ô Bonheur vainqueur, pour Jusqu'à la mort, que d'ailleurs nous niions. J'allais par les chemins en troubadour, Chantant, ballant, sans craindre ce pandour Qui vous saute à la gorge et vous découd. Elle évoquait la chère nuit d'Août Où son aveu bas et lent me fit roi. Moi, j'adorais ce retour qui m'absout. J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Envoi Princesse elle est sans doute à l'autre bout Du monde où règne et persiste ma foi. Amen, alors, puisqu'à mes dam et coût, J'ai rêvé d'elle et pas de moi! Adieu Hélas! je n'étais pas fait pour cette haine Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai. Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine Et pourquoi m'avoir fait ce coeur outragé? J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière, Sorte d'homme en rêve et capable du mieux, Parfois tout sourire et parfois tout prière, Et toujours des cieux attendris dans les yeux; Toujours la bonté des caresses sincères, En dépit de tout et quoi qu'il y parût, Toujours la pudeur des hontes nécessaires Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut; Toujours le pardon, toujours le sacrifice! J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins. Votre mère était tendrement ma complice, Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins. Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse. Elle est morte et j'ai prié sur son tombeau; Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse La chose actuelle et trouve cela beau. Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire Que le pauvre enfant, votre fils et le mien, Ne vénérera pas trop votre mémoire, O vous sans égard pour le mien et le tien. Je n'étais pas fait pour dire de ces choses, Moi dont la parole exhalait autrefois Un épithalame en des apothéoses, Ce chant du matin où mentait votre voix. J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes, Pour les consoler un peu d'un monde impur, Cimier d'or chanteur et tunique de flammes, Moi le Chevalier qui saigne sur azur, Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux, Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste, Dans la gloire aussi des Illustres Epoux! Novembre 1886. Ballade En l'honneur de Louise Michel Madame et Pauline Roland, Chariotte, Théroigne, Lucile, Presque Jeanne d'Arc, étoilant Le front de la foule imbécile, Nom des cieux, coeur divin qu'exile Cette espèce de moins que rien France bourgeoise au dos facile, Louise Michel est très bien. Elle aime le Pauvre âpre et franc Ou timide, elle est la faucille Dans le blé mûr pour le pain blanc Du Pauvre, et la sainte Cécile Et la Muse rauque et gracile Du Pauvre et son ange gardien A ce simple, à cet indocile. Louise Michel est très bien. Gouvernements de maltalent, Mégathérium ou bacille, Soldat brut, robin insolent, Ou quelque compromis fragile, Géant de boue aux pieds d'argile, Tout cela son courroux chrétien L'écrase d'un mépris agile. Louise Michel est très bien. Envoi Citoyenne! votre évangile On meurt pour! c'est l'Honneur! et bien Loin des Taxil et des Bazile, Louise Michel est très bien. A Louis II de Bavière Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire, Qui voulûtes mourir vengeant votre raison Des choses de la politique, et du délire De cette Science intruse dans la maison, De cette Science assassin de l'Oraison Et du Chant et de l'Art et de toute la Lyre, Et simplement et plein d'orgueil en floraison Tuâtes en mourant, salut, Roi, bravo, Sire! Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi De ce siècle où les rois se font si peu de chose, Et le martyr de la Raison selon la Foi. Salut à votre très unique apothéose, Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer, Sur un air magnifique et joyeux de Wagner. Parsifal A Jules Tellier Parsifal a vaincu les Filles, leur gentil Babil et la luxure amusante - et sa pente Vers la Chair de garçon vierge que cela tente D'aimer les seins légers et ce gentil babil; Il a vaincu la Femme belle, au coeur subtil, Etalant ses bras frais et sa gorge excitante; Il a vaincu l'Enfer et rentre sous la tente Avec un lourd trophée à son bras puéril, Avec la lance qui perça le Flanc suprême! Il a guéri le roi, le voici roi lui-même, Et prêtre du très saint Trésor essentiel. En robe d'or il adore, gloire et symbole, Le vase pur où resplendit le Sang réel. - Et, ô ces voix d'enfants chantant dans la coupole! Saint Graal A Léon Bloy Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons, Mon immense douleur s'enivrer d'espérance. En vain l'heure honteuse ouvre des trous profonds, En vain bâillent sous nous les désastres sans fonds Pour engloutir l'abus de notre âpre souffrance, Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur France. Le précieux Sang coule à flots de ses autels Non encor renversés, et coulerait encore Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels Que les plus forts, cédant à ces effrois mortels, Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore, De l'ombre des cachots il jaillirait encore. Il coulerait encor des pierres des cachots, Descellerait l'horreur des ciments, doux et rouge Suintement, torrent patient d'oraisons, D'expiation forte et de bonnes raisons Contre les lâchetés et les "feux sur qui bouge!" Et toute guillotine et cette Gueuse rouge!... Torrent d'amour du Dieu d'amour et de douceur, Fût-ce parmi l'horreur de ce monde moqueur, Fleuve rafraÃchissant de feu qui désaltère, Source vive où s'en vient ressusciter le coeur Même de l'assassin, même de l'adultère, Salut de la patrie, ô sang qui désaltère! "Gais et contents" A Charles Vesseron Une chanson folle et légère Comme le drapeau tricolore Court furieusement dans l'air, Fifrant une France âpre encor. Sa gaÃté qui rit d'elle-même Et du reste en passant se moque Pourtant veut bien dire Tandem! Et vaticine Le grand choc. Ecoutez! le flonflon se pare Des purs accents de la Patrie, Espèce de chant du départ Du gosse effrayant de Paris. Il est le rhythme, il est la joie, Il est la Revanche essayée, Il est l'entrain, il est tout, quoi! Jusqu'au juron luron qui sied, Jusqu'au cri de reconnaissance Qu'on pousse quand il faut qu'on meure De sang-froid, dans tout son bon sens, Avec de l'honneur plein son coeur! A Fernand Langlois Vous vous êtes penché sur ma mélancolie, Non comme un indiscret, non comme un curieux, Et vous avez surpris la clef de ma folie, Tel un consolateur attentif et pieux; Et vous avez ouvert doucement ma serrure, Y mettant tout le temps, non ainsi qu'un voleur, Mais ainsi que quelqu'un qui préserve et rassure Un triste possesseur peut-être recéleur. Soyez aimé d'un coeur plus veuf que toutes veuves, Qui n'avait plus personne en qui pleurer vraiment, Soyez béni d'une âme errant au bord des fleuves Consolateurs si mal avec leur air dormant; Que soient suivis des pas d'un but à la dérive Hier encor, vos pas eux-mêmes tristes, ô Si tristes, mais que si bien tristes! et que vive Encore, alors! mais par vous pour Dieu, ce roseau, Cet oiseau, ce roseau sous cet oiseau, ce blême Oiseau sur ce pâle roseau fleuri jadis, Et pâle et sombre, spectre et sceptre noir Moi-même! Surrexit hodie, non plus de profundis. Fiat! La défaillance a fini. Le courage Revient. Sur votre bras permettez qu'appuyé Je marche en la fraÃcheur de l'expirant orage, Moi-même comme qui dirait défoudroyé. Là , je vais mieux. Tantôt le calme s'en va naÃtre. Il naÃt. Si vous voulez, allons à petits pas, Devisant de la vie et d'un bonheur peut-être Non, sans doute, impossible, en somme, n'est-ce pas? Oui, causons de bonheur, mais vous? pourquoi si triste Vous aussi? Vous si jeune et si triste, ô pourquoi, Dites? Mais cela vous regarde, et si j'insiste C'est uniquement pour vous plaire et non pour moi. Discrétion sans borne, immense sympathie! C'est l'heure précieuse, elle est unique, elle est Angélique. Tantôt l'avez-vous pressentie? Avez-vous comme su - moi je l'ai - qu'il fallait Peut-être bien, sans doute, et quoique, et puisque, en somme, Eprouvant tant d'estime et combien de pitié, Laisser monter en nous, fleur suprême de l'homme, Franchement, largement, simplement, l'Amitié. Délicatesse A Mademoiselle Rachilde Tu nous rends l'égal des héros et des dieux, Et, nous procurant d'être les seuls dandies, Fais de nos orgueils des sommets radieux, Non plus ces foyers de troubles incendies. Tu brilles et luis, vif astre aux rayons doux, Sur l'horizon noir d'une lourde tristesse. Par toi surtout nous plaisons au Dieu jaloux, Choisie, une, fleur du Bien, Délicatesse! Plus fière fierté, plus pudique pudeur Qui ne sais rougir à force d'être fière, Qui ne peux que vaincre en ta sereine ardeur, Vierge ayant tout su, très paisible guerrière. Musique pour l'âme et parfum pour l'esprit, Vertu qui n'es qu'un nom, mais le nom d'un ange, Noble dame guidant au ciel qui sourit Notre immense effort de parmi cette fange. Angélus de midi Je suis dur comme un juif et têtu comme lui, Littéral, ne faisant le bien qu'avec ennui, Quand je le fais, et prêt à tout le mal possible; Mon esprit s'ouvre et s'offre, on dirait une cible; Je ne puis plus compter les chutes de mon coeur; La charité se fane aux doigts de la langueur; L'ennemi m'investit d'un fossé d'eau dormante; Un parti de mon être a peur et parlemente Il me faut à tout prix un secours prompt et fort. Ce fort secours, c'est vous, maÃtresse de la mort Et reine de la vie, ô Vierge immaculée, Qui tendez vers Jésus la Face constellée Pour lui montrer le Sein de toutes les douleurs Et tendez vers nos pas, vers nos ris, vers nos pleurs Et vers nos vanités douloureuses les paumes Lumineuses, les Mains répandeuses de baumes. Marie, ayez pitié de moi qui ne vaux rien Dans le chaste combat du Sage et du Chrétien; Priez pour mon courage et pour qu'il persévère, Pour de la patience, en cette longue guerre, A supporter le froid et le chaud des saisons; Ecartez le fléau des mauvaises raisons; Rendez-moi simple et fort, inaccessible aux larmes, Indomptable à la peur; mettez-moi sous les armes, Que j'écrase, puisqu'il le faut, et broie enfin Tous les vains appétits, et la soif et la faim, Et l'amour sensuel, cette chose cruelle, Et la haine encor plus cruelle et sensuelle, Faites-moi le soldat rapide de vos voeux, Que pour vous obéir soit le rien que je peux, Que ce que vous voulez soit tout ce que je puisse! J'immolerai comme en un calme sacrifice Sur votre autel honni jadis, baisé depuis, Le mauvais que je fus, le lâche que je suis. La sale vanité de l'or qu'on a, l'envie D'en avoir mais pas pour le Pauvre, cette vie Pour soi, quel soi! l'affreux besoin de plaire aux gens, L'affreux besoin de plaire aux gens trop indulgents, Hommes prompts aux complots, femmes tôt adultères, Tous préjugés, mourez sous mes mains militaires! Mais pour qu'un bien beau fruit récompense ma paix, Fleurisse dans tout moi la fleur des divins Mais, Votre amour, Mère tendre, et votre culte tendre. Ah! vous aimer, n'aimer Dieu que par vous, ne tendre A lui qu'en vous sans plus aucun détour subtil, Et mourir avec vous tout près. Ainsi soit-il! A Léon Valade Douze longs ans ont lui depuis les jours si courts Où le même devoir nous tenait côte à côte! Hélas! les passions dont mon coeur s'est fait l'hôte Furieux ont troublé ma paix de ces bons jours; Et j'ai couru bien loin de nos calmes séjours Au pourchas du Bonheur, ne trouvant que la Faute; Le vaste monde autour de ma fuite trop haute Fondait en vains aspects, ronflait en vains discours... - L'Orgueil, fol hippogriffe, a replié ses ailes; Un coeur nouveau fleurit au feu des humbles zèles Dans mon sein visité par la foudre de Dieu. Mais l'antique amitié, simple, joyeuse, exacte, Pendant tout mon désastre, à toute heure, en tout lieu, - J'en suis fier, mon Valade, - entre nous tint ce pacte. 1881 A Ernest Delahaye Dieu, nous voulant amis parfaits, nous fit tous deux Gais de cette gaÃté qui rit pour elle-même, De ce rire absolu, colossal et suprême, Qui s'esclaffe de tous et ne blesse aucun d'eux. Tous deux nous ignorons l'égoïsme hideux Qui nargue ce prochain même qu'il faut qu'on aime Comme soi-même tels les termes du problème, Telle la loi totale au texte non douteux. Et notre rire étant celui de l'innocence, Il éclate et rugit dans la toute-puissance D'un bon orage plein de lumière et d'air frais. Pour le soin du Salut, qui me pique et m'inspire, J'estime que, parmi nos façons d'être prêts, Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire. A Emile Blémont La vindicte bourgeoise assassinait mon nom Chinoisement, à coups d'épingle, quelle affaire! Et la tempête allait plus âpre dans mon verre. D'ailleurs du seul grief, Dieu bravé, pas un non, Pas un oui, pas un mot! L'Opinion sévère Mais juste s'en moquait autant qu'une guenon De noix vides. Ce boeuf bavant sur son fanon, Le Public, mâchonnait ma gloire... encore à faire. L'heure était tentatrice, et plusieurs d'entre ceux Qui m'aimaient, en dépit de Prudhomme complice, Tournèrent carrément, furent de mon supplice, Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux. Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave, Fidèle; et dans un coeur bien fait cela se grave. A Charles de Sivry Mon Charles, autrefois mon frère, et pardieu bien! Encore tel malgré toutes les lois ensemble, Te souvient-il d'un amoureux qui n'ose et tremble Et verse le secret de son coeur dans le tien? Ah, de vivre! Et te souvient-il du fameux Sage, Austère avec douceur, en route, croyait-il, Pour un beau Bethléem littéral et subtil, Entre un berger naïf et quelque très haut mage? - L'amoureux est un veuf orgueilleux. Ah, de vivre! Le sage a suspendu son haleine et son livre, N'aspirant plus en Dieu que par la bonne mort. Et pourtant, pourtant comme ils sont toujours le même Homme du chaste espoir de justes noces qu'aime Ou non celle qui sous sa tombe d'oubli dort! A Emmanuel Chabrier Chabrier, nous faisions, un ami cher et moi, Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes, Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles, Passait l'Ecce deus et le Je ne sais quoi. Chez ma mère charmante et divinement bonne, Votre génie improvisait au piano, Et c'était tout autour comme un brûlant anneau De sympathie et d'aise aimable qui rayonne. Hélas! ma mère est morte et l'ami cher est mort. Et me voici semblable au chrétien près du port, Qui surveille les tout derniers écueils du monde, Non toutefois sans saluer à l'horizon Comme une voile sur le large au blanc frisson, Le souvenir des frais instants de paix profonde. A Edmond Thomas Mon ami, vous m'avez, quoiqu'encore si jeune, Vu déjà bien divers, mais ondoyant jamais! Direct et bref, oui tels les Juins suivent les Mais, Ou comme un affamé de la veille déjeune. Homme de primesault et d'excès, je le suis, D'aventure et d'erreur, allons, je le concède, Soit, bien, mais illogique ou mol ou lâche ou tiède En quoi que ce soit, le dire, je ne le puis, Je ne le dois! Et ce serait le plus impie Péché contre le Saint-Esprit, que rien n'expie, Pour ma foi que l'amour éclaire de son feu, Et pour mon coeur d'or pur le mensonge suprême, Puisqu'il n'est de justice, après l'Eglise et Dieu, Que celle qu'on se fait, à confesse, soi-même. A Charles Morice Impérial, royal, sacerdotal, comme une République Française en ce Quatre-vingt-treize Brûlant empereur, roi, prêtre dans sa fournaise, Avec la danse, autour, de la grande Commune; L'étudiant et sa guitare et sa fortune A travers les décors d'une Espagne mauvaise Mais blanche de pieds nains et noire d'yeux de braise, Héroïque au soleil et folle sous la lune; Néoptolème, âme charmante et chaste tête, Dont je serais en même temps le Philoctète Au coeur ulcéré plus encor que sa blessure, Et, pour un conseil froid et bon parfois, l'Ulysse; Artiste pur, poète où la gloire s'assure; Cher aux femmes, cher aux Lettres, Charles Morice! A Maurice du Plessys Je vous prends à témoin entre tous mes amis, Vous qui m'avez connu dès l'extrême infortune, Que je fus digne d'elle, à Dieu seul tout soumis, Sans criard désespoir ni jactance importune, Simple dans mon mépris pour des revanches viles Et dans l'immense effort en détournant leurs coups, Calme à travers ces sortes de guerres civiles Où la Faim et l'Honneur eurent leurs tours jaloux, Et, n'est-ce pas, bon juge, et fier! mon du Plessys, Qu'en l'amer combat que la gloire revendique, L'Honneur a triomphé de sorte magnifique? Aimez-moi donc, aimez, quels que soient les soucis Plissant parfois mon front et crispant mon sourire, Ma haute pauvreté plus chère qu'un empire. A propos d'un "centenaire" de Calderon 1600-1681 A José Maria de Heredia Ce poète terrible et divinement doux, Plus large que Corneille et plus haut que Shakespeare, Grand comme Eschyle avec ce souffle qui l'inspire, Ce Calderon mystique et mythique est à nous. Oui, cette gloire est nôtre et nous voici jaloux De le dire bien haut à ce siècle en délire Calderon, catholique avant tout, noble lyre Et saints accents, et bon catholique avant tous, Salut! Et qu'est ce bruit fâcheux d'académies, De concours, de discours, autour de ce grand mort En éveil parmi tant de choses endormies? Laissez rêver, laissez penser son Oeuvre fort Qui plane, loin d'un siècle impie et ridicule, Au-dessus, au delà des colonnes d'Hercule! Mai 1881. A Victor Hugo En lui envoyant "sagesse" Nul parmi vos flatteurs d'aujourd'hui n'a connu Mieux que moi la fierté d'admirer votre gloire Votre nom m'enivrait comme un nom de victoire, Votre oeuvre, je l'aimais d'un amour ingénu. Depuis, la Vérité m'a mis le monde à nu. J'aime Dieu, son Eglise, et ma vie est de croire Tout ce que vous tenez, hélas! pour dérisoire, Et j'abhorre en vos vers le Serpent reconnu. J'ai changé. Comme vous. Mais d'une autre manière. Tout petit que je suis j'avais aussi le droit D'une évolution, la bonne, la dernière. Or, je sais la louange, ô maÃtre, que vous doit L'enthousiasme ancien; la voici franche, pleine, Car vous me fûtes doux en des heures de peine. Saint Benoit-Joseph Labre Jour de la Canonisation Comme l'Eglise est bonne en ce siècle de haine, D'orgueil et d'avarice et de tous les péchés, D'exalter aujourd'hui le caché des cachés, Le doux entre les doux à l'ignorance humaine Et le mortifié sans pair que la Foi mène, Saignant de pénitence et blanc d'extase, chez Les peuples et les saints, qui, tous sens détachés, Fit de la Pauvreté son épouse et sa reine, Comme un autre Alexis, comme un autre François, Et fut le Pauvre affreux, angélique, à la fois Pratiquant la douceur, l'horreur de l'Evangile! Et pour ainsi montrer au monde qu'il a tort Et que les pieds crus d'or et d'argent sont d'argile, Comme l'Eglise est tendre et que Jésus est fort! Paraboles Soyez béni, Seigneur, qui m'avez fait chrétien Dans ces temps de féroce ignorance et de haine; Mais donnez-moi la force et l'audace sereine De vous être à toujours fidèle comme un chien, De vous être l'agneau destiné qui suit bien Sa mère et ne sait faire au pâtre aucune peine, Sentant qu'il doit sa vie encore, après sa laine, Au maÃtre, quand il veut utiliser ce bien, Le poisson, pour servir au Fils de monogramme, L'ânon obscur qu'un jour en triomphe il monta, Et, dans ma chair, les porcs qu'à l'abÃme il jeta. Car l'animal, meilleur que l'homme et que la femme, En ces temps de révolte et de duplicité, Fait son humble devoir avec simplicité. Sonnet héroïque La Gueule parle "L'or, et puis encore l'or, Toujours l'or, et la viande, et les vins, et la viande, Et l'or pour les vins fins et la viande, on demande Un trou sans fond pour l'or toujours et l'or encor!" La Panse dit "A moi la chute du trésor! La viande, et les vins fins, et l'or, toute provende, A moi! Dégringolez dans l'outre toute grande Ouverte du Seigneur Nabuchodonosor!" L'Oeil est de pur cristal dans les suifs de la face Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux, Seule perfection parmi tous les défauts. L'Ame attend vainement un remords efficace, Et dans l'impénitence agonise de faim Et de soif, et sanglote en pensant à LA FIN. Drapeau vrai A Raymond de la Tailbède Le soldat qui sait bien et veut bien son métier Sera l'homme qu'il faut au Devoir inflexible Le Devoir, qu'il combatte ou qu'il tire à la cible, Qu'il s'essore à la mort ou batte un plat sentier; Le Devoir, qu'il subisse et l'aime! un ordre altier Ou repousse le bas conseil de tel horrible Dégoût; le Devoir bon, le Devoir dur, le crible Où restent les défauts de l'homme tout entier; Le Devoir saint, la fière et douce Obéissance, Rappel de la Famille en dépit de la France Actuelle, au mépris de cette France-là ! Famille, foyer, France antique et l'immortelle, Le Devoir seul devoir, le Soldat qu'appela D'avance cette France or l'Espérance est telle. Pensée du soir A Ernest Raynaud Couché dans l'herbe pâle et froide de l'exil, Sous les ifs et les pins qu'argente le grésil, Ou bien errant, semblable aux formes que suscite Le rêve, par l'horreur du paysage scythe, Tandis qu'autour, pasteurs de troupeaux fabuleux, S'effarouchent les blancs Barbares aux yeux bleus, Le poète de l'art d'Aimer, le tendre Ovide Embrasse l'horizon d'un long regard avide Et contemple la mer immense tristement. Le cheveu poussé rare et gris que le tourment Des bises va mêlant sur le front qui se plisse, L'habit troué livrant la chair au froid, complice, Sous l'aigreur du sourcil tordu l'oeil terne et las, La barbe épaisse, inculte et presque blanche, hélas! Tous ces témoins qu'il faut d'un deuil expiatoire Disent une sinistre et lamentable histoire D'amour excessif, d'âpre envie et de fureur Et quelque responsabilité d'Empereur. Ovide morne pense à Rome et puis encore A Rome que sa gloire illusoire décore. Or, Jésus! vous m'avez justement obscurci Mais n'étant pas Ovide, au moins je suis ceci. Paysages A Anatole Baju Au pays de mon père on voit des bois sans nombre. Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l'ombre Et la myrtille est noire au pied du chêne vert. Noire de profondeur, sur l'étang découvert, Sous la bise soufflant balsamiquement dure L'eau saute à petits flots, minéralement pure. Les villages de pierre ardoisière aux toits bleus Ont leur pacage et leur labourage autour d'eux. Du bétail non pareil s'y fait des chairs friandes Sauvagement un peu parmi les hautes viandes; Et l'habitant, grâce à la Foi sauve, est heureux. Au pays de ma mère est un sol plantureux Où l'homme, doux et fort, vit prince de la plaine De patients travaux pour quelles moissons pleine, Avec, rares, des bouquets d'arbres et de l'eau. L'industrie a sali par places ce tableau De paix patriarcale et de campagne dense Et compromis jusqu'à des points cette abondance, Mais l'ensemble est resté, somme toute, très bien. Le peuple est froid et chaud, non sans un fond chrétien. Belle, très au dessus de toute la contrée, Se dresse éperdument la tour démesurée D'un gothique beffroi sur le ciel balancé Attestant les devoirs et les droits du passé, Et tout en haut de lui le grand lion de Flandre Hurle en cris d'or dans l'air moderne "Osez les prendre!" Le pays de mon rêve est un site charmant Qui tient des deux aspects décrits précédemment Quelque âpreté se mêle aux saveurs géorgiques. L'amour et le loisir même sont énergiques, Calmes, équilibrés sur l'ordre et le devoir. La vierge en général s'abstient du nonchaloir Dangereux aux vertus, et l'amant qui la presse A coutume avant tout d'éviter la paresse Où le vice puisa ses larmes en tout temps, Si bien qu'en mon pays tous les coeurs sont contents, Sont, ou plutôt étaient. Au coeur ou dans la tête, La tempête est venue. Est-ce bien la tempête? Et tous cas, il y eut de la grêle et du feu, Et la misère, et comme un abandon de Dieu. La mortalité fut sur les mères taries Des troupeaux rebutés par l'herbe des prairies Et les jeunes sont morts après avoir langui D'un sort qu'on croyait parti d'où, jeté par qui? Dans les champs ravagés la terre diluée Comme une pire mer flotte en une buée. Des arbres détrempés les oiseaux sont partis, Laissant leurs nids et des squelettes de petits. D'amours de fiancés, d'union des ménages Il n'est plus question dans mes tristes parages. Mais la croix des clochers doucement toujours luit, Dans les cages plus d'une cloche encor bruit, Et, béni signal d'espérance et de refuge, L'arc-en-ciel apparaÃt comme après le déluge. Lucien Létinois I Mon fils est mort. J'adore, ô mon Dieu, votre loi. Je vous offre les pleurs d'un coeur presque parjure; Vous châtiez bien fort et parferez la foi Qu'alanguissait l'amour pour une créature. Vous châtiez bien fort. Mon fils est mort, hélas! Vous me l'aviez donné, voici que votre droite Me le reprend à l'heure où mes pauvres pieds las Réclamaient ce cher guide en cette route étroite. Vous me l'aviez donné, vous me le reprenez Gloire à vous! J'oubliais beaucoup trop votre gloire Dans la langueur d'aimer mieux les trésors donnés Que le Munificent de toute cette histoire. Vous me l'aviez donné, je vous le rends très pur, Tout pétri de vertu, d'amour et de simplesse. C'est pourquoi, pardonnez, Terrible, à celui sur Le coeur de qui, Dieu fort, sévit cette faiblesse. Et laissez-moi pleurer et faites-moi bénir L'élu dont vous voudrez certes que la prière Rapproche un peu l'instant si bon de revenir A lui dans Vous, Jésus, après ma mort dernière. II Car vraiment j'ai souffert beaucoup! Débusqué, traqué comme un loup Qui n'en peut plus d'errer en chasse Du bon repos, du sûr abri, Et qui fait des bonds de cabri Sous les coups de toute une race. La Haine et l'Envie et l'Argent, Bons limiers au flair diligent, M'entourent, me serrent. Ca dure Depuis des jours, depuis des mois, Depuis des ans! DÃner d'émois, Souper d'effrois, pitance dure! Mais, dans l'horreur du bois natal, Voici le Lévrier fatal, La Mort. - Ah! la bête et la brute! - Plus qu'à moitié mort, moi, la Mort Pose sur moi sa patte et mord Ce coeur, sans achever la lutte! Et je reste sanglant, tirant Mes pas saignants vers le torrent Qui hurle à travers mon bois chaste. Laissez-moi mourir au moins, vous, Mes frères pour de bon, les Loups! - Que ma soeur, la Femme, dévaste. III O la Femme! Prudent, sage, calme ennemi, N'exagérant jamais ta victoire à demi, Tuant tous les blessés, pillant tout le butin, Et répandant le fer et la flamme au lointain, Ou bon ami, peu sûr mais tout de même bon, Et doux, trop doux souvent, tel un feu de charbon Qui berce le loisir, vous l'amuse et l'endort, Et parfois induit le dormeur en telle mort. Délicieuse par quoi l'âme meurt aussi! Femme à jamais quittée, ô oui! reçois ici, Non sans l'expression d'un injuste regret, L'insulte d'un qu'un seul remords ramènerait. Mais comme tu n'as pas de remords plus qu'un if N'a d'ombre vive, c'est l'adieu définitif, Arbre fatal sous quoi gÃt mal l'Humanité, Depuis Eden pour jusqu'à Ce Jour Irrité. IV J'ai la fureur d'aimer. Mon coeur si faible est fou. N'importe quand, n'importe quel et n'importe où, Qu'un éclair de beauté, de vertu, de vaillance Luise, il s'y précipite, il y vole, il s'y lance, Et, le temps d'une étreinte, il embrasse cent fois L'être ou l'objet qu'il a poursuivi de son choix; Puis, quand l'illusion a replié son aile, Il revient triste et seul bien souvent, mais fidèle, Et laissant aux ingrats quelque chose de lui, Sang ou chair. Mais, sans plus mourir dans son ennui, Il embarque aussitôt pour l'Ãle des Chimères Et n'en apporte rien que des larmes amères Qu'il savoure, et d'affreux désespoirs d'un instant, Puis rembarque. - Il est brusque et volontaire tant Qu'en ses courses dans les infinis il arrive, Navigateur têtu, qu'il va droit à la rive, Sans plus s'inquiéter que s'il n'existait pas De l'écueil proche qui met son esquif à bas. Mais lui, fait de l'écueil un tremplin et dirige Sa nage vers le bord. L'y voilà . Le prodige Serait qu'il n'eût pas fait avidement le tour, Du matin jusqu'au soir et du soir jusqu'au jour, Et le tour et le tour encor du promontoire, Et rien! Pas d'arbres ni d'herbes, pas d'eau pour boire, La faim, la soif, et les yeux brûlés du soleil, Et nul vestige humain, et pas un coeur pareil! Non pas à lui, - jamais il n'aura son semblable - Mais un coeur d'homme, un coeur vivant, un coeur palpable, Fût-il faux, fût-il lâche, un coeur! quoi, pas un coeur! Il attendra, sans rien perdre de sa vigueur Que la fièvre soutient et l'amour encourage, Qu'un bateau montre un bout de mât dans ce parage, Et fera des signaux qui seront aperçus, Tel il raisonne. Et puis fiez-vous là -dessus! - Un jour il restera non vu, l'étrange apôtre. Mais que lui fait la mort, sinon celle d'un autre? Ah, ses morts! Ah, ses morts, mais il est plus mort qu'eux! Quelque fibre toujours de son esprit fougueux Vit dans leur fosse et puise une tristesse douce; Il les aime comme un oiseau son nid de mousse; Leur mémoire est son cher oreiller, il y dort, Il rêve d'eux, les voit, cause avec et n'en sort Plein d'eux que pour encor quelque effrayante affaire. J'ai la fureur d'aimer. Qu'y faire? Ah, laisser faire! V O ses lettres d'alors! les miennes elles-mêmes! Je ne crois pas qu'il soit des choses plus suprêmes. J'étais, je ne puis dire mieux, vraiment très bien, Ou plutôt, je puis dire tout, vraiment chrétien. J'éclatais de sagesse et de sollicitude, Mettant tout mon souci pieux, toute l'étude Dont tout mon être était capable, à confirmer Cette âme dans l'effort de prier et d'aimer. Oui, j'étais devant Dieu qui m'écoute, si j'ose Le dire, quel que soit l'orgueil fou que suppose Un tel serment juré sur sa tête qui dort, Pur comme un saint et mûr pour cette bonne mort Qu'aujourd'hui j'entrevois à travers bien des doutes. Mais lui! ses lettres! l'ange ignorant de nos routes, Le pur esprit vêtu d'une innocente chair! O souvenir de tous peut-être mon plus cher! Mots frais, la phrase enfant, style naïf et chaste Où marche la vertu dans la sorte de faste, Déroulement d'encens, cymbales de cristal, Qui sied à la candeur de cet âge natal, Vingt ans! Trois ans après il naissait dans la gloire Eternelle, emplissant à jamais ma mémoire. VI Mon fils est brave il va sur son cheval de guerre, Sans reproche et sans peur par la route du bien, Un dur chemin d'embûche et de piège où naguère Encore il fut blessé mais vainquit en chrétien. Mon fils est fier en vain sa jeunesse et sa force L'invitent au plaisir par les langueurs du soir, Mon enfant se remet, rit de la vile amorce, Et, les yeux en avant, aspire au seul devoir. Mon fils est bon un jour que du bout de son aile Le soupçon d'une faute effleurait mes cheveux, Mon enfant, pressentant l'angoisse paternelle, S'en vint me consoler en de nobles aveux. Mon fils est fort son coeur était méchant, maussade, Irrité, dépité; mon enfant dit "Tout beau, Ceci ne sera pas. Au médecin, malade!" Vint au prêtre, et partit avec un coeur nouveau. Mais surtout que mon fils est beau! Dieu l'environne De lumière et d'amour, parce qu'il fut pieux Et doux et digne encor de la Sainte Couronne Réservée aux soldats du combat pour les cieux. Chère tête un instant courbée, humiliée Sous le verbe éternel du Règne triomphant, Sois bénie à présent que réconciliée. - Et je baise le front royal de mon enfant! VII O l'odieuse obscurité Du jour le plus gai de l'année Dans la monstrueuse cité Où se fit notre destinée! Au lieu du bonheur attendu, Quel deuil profond, quelles ténèbres! J'en étais comme un mort et tu Flottais en des pensers funèbres. La nuit croissait avec le jour Sur notre vitre et sur notre âme, Tel un pur, un sublime amour Qu'eût étreint la luxure infâme; Et l'affreux brouillard refluait Jusqu'en la chambre où la bougie Semblait un reproche muet Pour quelque lendemain d'orgie. Un remords de péché mortel Serrait notre coeur solitaire... Puis notre désespoir fut tel Que nous oubliâmes la terre, Et que pensant au seul Jésus Né rien que pour nous ce jour même, Notre foi prenant le dessus Nous éclaira du jour suprême. - Bonne tristesse qu'aima Dieu! Brume dont se voilait la Grâce, Crainte que l'éclat de son feu Ne fatiguât notre âme lasse. Délicates attentions D'une Providence attendrie!... O parfois encore soyons Ainsi tristes, âme chérie! VIII Tout en suivant ton blanc convoi, je me disais Pourtant C'est vrai, Dieu t'a repris quand tu faisais Sa joie et dans l'éclair de ta blanche innocence. Plus tard la Femme eût mis sans doute en sa puissance Ton coeur ardent vers elle affrontée un moment Seulement et t'ayant laissé le tremblement D'elle, et du trouble en l'âme à cause d'une étreinte; Mais tu t'en détournas bientôt par noble crainte Et revins à la simple, à la noble Vertu, Tout entier à fleurir, lys un instant battu Des passions, et plus viril après l'orage, Plus magnifique pour le céleste suffrage Et la gloire éternelle... Ainsi parlait ma foi. Mais quelle horreur de suivre, ô toi! ton blanc convoi! IX Il patinait merveilleusement, S'élançant, qu'impétueusement! R'arrivant si joliment vraiment. Fin comme une grande jeune fille, Brillant, vif et fort, telle une aiguille, La souplesse, l'élan d'une anguille. Des jeux d'optique prestigieux, Un tourment délicieux des yeux, Un éclair qui serait gracieux. Parfois il restait comme invisible, Vitesse en route vers une cible Si lointaine, elle-même invisible... Invisible de même aujourd'hui. Que sera-t-il advenu de lui? Que sera-t-il advenu de lui? X La Belle au Bois dormait. Cendrillon sommeillait. Madame Barbe-bleue? elle attendait ses frères; Et le petit Poucet, loin de l'ogre si laid, Se reposait sur l'herbe en chantant des prières. L'Oiseau couleur-de-temps planait dans l'air léger Qui caresse la feuille au sommet des bocages Très nombreux, tout petits, et rêvant d'ombrager Semaille, fenaison, et les autres ouvrages. Les fleurs des champs, les fleurs innombrables des champs, Plus belles qu'un jardin où l'Homme a mis ses tailles, Ses coupes et son goût à lui, - les fleurs des gens! - Flottaient comme un tissu très fin dans l'or des pailles, Et, fleurant simple, ôtaient au vent sa crudité, Au vent fort mais alors atténué, de l'heure Où l'après-midi va mourir. Et la bonté Du paysage au coeur disait Meurs ou demeure! Les blés encore verts, les seigles déjà blonds Accueillaient l'hirondelle en leur flot pacifique. Un tas de voix d'oiseaux criait vers les sillons Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique... Peau-d'Ane rentre. On bat la retraite - écoutez! - Dans les états voisins de Riquet-à -la-Houppe, Et nous joignons l'auberge, enchantés, esquintés, Le bon coin où se coupe et se trempe la soupe! XI Je te vois encore à cheval Tandis que chantaient les trompettes, Et ton petit air martial Chantait aussi quand les trompettes; Je te vois toujours en treillis Comme un long Pierrot de corvée Très élégant sous le treillis, D'une allure toute trouvée; Je te vois autour des canons, Frêles doigts dompteurs de colosses, Grêle voix pleine de crés noms, Bras chétifs vainqueurs de colosses; Et je te rêvais une mort Militaire, sûre et splendide, Mais Dieu vint qui te fit la mort Confuse de la typhoïde... Seigneur, j'adore vos desseins, Mais comme ils sont impénétrables! Je les adore, vos desseins, Mais comme ils sont impénétrables! XII Le petit coin, le petit nid Que j'ai trouvés, Les grands espoirs que j'ai couvés, Dieu les bénit. Les heures des fautes passées Sont effacées Au pur cadran de mes pensées. L'innocence m'entoure et toi Simplicité. Mon coeur par Jésus visité Manque de quoi? Ma pauvreté, ma solitude, Pain dur, lit rude, Quel soin jaloux! l'exquise étude! L'âme aimante au coeur fait exprès, Ce dévouement, Viennent donner un dénouement Calme et si frais A la détresse de ma vie Inassouvie D'avoir satisfait toute envie! Seigneur, ô merci. N'est-ce pas La bonne mort? Aimez mon patient effort Et nos combats. Les miens et moi, le ciel nous voie. Par l'humble voie Entrer, Seigneur, dans Votre joie. XIII Notre essai de culture eut une triste fin, Mais il fit mon délice un long temps et ma joie J'y voyais se développer ton être fin Dans ce bon travail qui bénit ceux qu'il emploie; J'y voyais ton profil fluet sur l'horizon Marcher comme à pas vifs derrière la charrue, Gourmandant les chevaux ainsi que de raison, Sans colère, et criant diah et criant hue; Je te voyais herser, rouler, faucher parfois, Consultant les anciens, inquiet d'un nuage, L'hiver à la batteuse ou liant dans nos bois. Je t'aidais, vite hors d'haleine et tout en nage. Le dimanche, en l'éveil des cloches, tu suivais Le chemin de jardins pour aller à la Messe; Après midi, l'auberge une heure où tu buvais Pour dire, et puis la danse aux soirs de grand'liesse... Hélas! tout ce bonheur que je croyais permis, Vertu, courage à deux, non mépris de la foule Mais pitié d'elle avec très peu de bons amis, Croula dans des choses d'argent comme un mur croule. Après, tu meurs! - Un dol sans pair livre à la Faim Ma fierté, ma vigueur, et la gloire apparue... Ah! frérot! est-ce enfin là -haut ton spectre fin Qui m'appelle à grands bras derrière la charrue? XIV Puisque encore déjà la sottise tempête, Explique alors la chose, ô malheureux poète. Je connus cet enfant, mon amère douceur, Dans un pieux collège où j'étais professeur. Ses dix-sept ans mutins et maigres, sa réelle Intelligence, et la pureté vraiment belle Que disaient et ses yeux et son geste et sa voix, Captivèrent mon coeur et dictèrent mon choix De lui pour fils, puisque, mon vrai fils, mes entrailles, On me le cache en manière de représailles Pour je ne sais quels torts charnels et surtout pour Un fier départ à la recherche de l'amour Loin d'une vie aux platitudes résignée! Oui, surtout et plutôt pour ma fuite indignée En compagnie illustre et fraternelle vers Tous les points du physique et moral univers, - Il paraÃt que des gens dirent jusqu'à Sodome, - Où mourussent les cris de Madame Prudhomme! Je lui fis part de mon dessein. Il accepta. Il avait des parents qu'il aimait, qu'il quitta D'esprit pour être mien, tout en restant son maÃtre Et maÃtre de son coeur, de son âme peut-être, Mais de son esprit, plus. Ce fut bien, ce fut beau Et c'eût été trop bon, n'eût été le tombeau. En même temps que toutes mes idées, Les bonnes! entraient dans son esprit, précédées De l'Amitié jonchant leur passage de fleurs, De lui, simple et blanc comme un lys calme aux couleurs D'innocence candide et d'espérance verte, L'Exemple descendait sur mon âme entr'ouverte Et sur mon coeur qu'il pénétrait, plein de pitié, Par un chemin semé des fleurs de l'Amitié Exemple des vertus joyeuses, la franchise, La chasteté, la foi naïve dans l'Eglise, Exemple des vertus austères, vivre en Dieu, Le chérir en tout temps et le craindre en tout lieu, Sourire, que l'instant soit léger ou sévère, Pardonner, qui n'est pas une petite affaire! Cela dura six ans, puis l'ange s'envola, Dès lors je vais hagard et comme ivre. Voilà . XV Cette adoption de toi pour mon enfant Puisque l'on m'avait volé mon fils réel, Elle n'était pas dans les conseils du ciel, Je me le suis dit, en pleurant, bien souvent; Je me le suis dit toujours devant ta tombe Noire de fusains, blanche de marguerites, Elle fut sans doute un de ces démérites Cause de ces maux où voici que je tombe. Ce fut, je le crains, un faux raisonnement. A bien réfléchir je n'avais pas le droit, Pour me consoler dans mon chemin étroit, De te choisir, même ô si naïvement, Même ô pour ce plan d'humble vertu cachée Quelques champs autour d'une maison sans faste Que connaÃt le pauvre, et sur un bonheur chaste La grâce de Dieu complaisamment penchée! Fallait te laisser pauvre et gai dans ton nid, Ne pas te mêler à mes jeux orageux, Et souffrir l'exil en proscrit courageux, L'exil loin du fils né d'un amour bénit. Il me reviendrait, le fils des justes noces, A l'époque d'être au moment d'être un homme, Quand il comprendrait, quand il sentirait comme Son père endura de sottises féroces! Cette adoption fut le fruit défendu; J'aurais dû passer dans l'odeur et le frais De l'arbre et du fruit sans m'arrêter auprès. Le ciel m'a puni... J'aurais dû, j'aurais dû! XVI Ce portrait qui n'est pas ressemblant, Qui fait roux tes cheveux noirs plutôt, Qui fait rose ton teint brun plutôt, Ce pastel, comme il est ressemblant! Car il peint la beauté de ton âme, La beauté de ton âme un peu sombre Mais si claire au fond que, sur mon âme, Il a raison de n'avoir pas d'ombre. Tu n'étais pas beau dans le sens vil Qu'il paraÃt qu'il faut pour plaire aux dames, Et pourtant, de face et de profil, Tu plaisais aux hommes comme aux femmes. Ton nez certes n'était pas si droit, Mais plus court qu'il n'est dans le pastel, Mais plus vivant que dans le pastel, Mais aussi long et droit que de droit. Ta lèvre et son ombre de moustache Fut rouge moins qu'en cette peinture Où tu n'as pas du tout de moustache, Mais c'est ta souriance si pure. Ton port de cou n'était pas si dur, Mais flexible, et d'un aigle et d'un cygne; Car ta fierté parfois primait sur Ta douceur dive et ta grâce insigne. Mais tes yeux, ah, tes yeux, c'est bien eux, Leur regard triste et gai c'est bien lui, Leur éclat apaisé, c'est bien lui, Ces sourcils orageux, que c'est eux! Ah! portrait qu'en tous les lieux j'emporte Où m'emporte une fausse espérance, Ah, pastel spectre, te voir m'emporte Où? parmi tout, jouissance et transe! O l'élu de Dieu, priez pour moi, Toi qui sur terre étais mon bon ange; Car votre image, plein d'alme émoi, Je la vénère d'un culte étrange. XVII De la gare d'Auteuil et des trains de jadis T'amenant chaque jour, venus de La Chapelle? Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle Mes stations au bas du rapide escalier Dans l'attente de toi, sans pouvoir oublier Ta grâce en descendant les marches, mince et leste Comme un ange le long de l'échelle céleste, Ton sourire amical ensemble et filial, Ton serrement de main cordial et loyal, Ni tes yeux d'innocent, doux mais vifs, clairs et sombres, Qui m'allaient droit au coeur et pénétraient mes ombres. Après les premiers mots de bonjour et d'accueil, Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil Et, sous les arbres pleins d'une gente musique, Notre entretien était souvent métaphysique. O tes forts arguments, ta foi du charbonnier! Non sans quelque tendance, ô si franche! à nier, Mais si vite quittée au premier pas du doute! Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt, Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt, Et dépêcher longtemps une vague besogne. Mon pauvre enfant, ta voix dans le bois de Boulogne! XVIII Il m'arrivait souvent, seul avec ma pensée, - Pour le fils de son nom tel un père de chair, - D'aimer à te rêver dans un avenir cher La parfaite, la belle et sage fiancée. Je cherchais, je trouvais, jamais content assez, Amoureux tout d'un coup et prompt à me reprendre, Tour à tour confiant et jaloux, froid et tendre, Me crispant en soupçons, plein de soins empressés, Prenant ta cause enfin jusqu'à tenir ta place, Tant j'étais tien, que dis-je là ? tant j'étais toi, Un toi qui t'aimait mieux, savait mieux qui et quoi, Discernait ton bonheur de quel coeur perspicace! Puis, comme ta petite femme s'incarnait, Toute prête, vertu, bon nom, grâce et le reste, O nos projets! voici que le Père céleste, Mieux informé, rompit le mariage net, Et ravit, pour la Seule épouse, pour la Gloire Eternelle, ton âme aux plus ultimes cieux, En attendant que ressuscite glorieux Ton corps, aimable et fin compagnon de victoire. XIX Tu mourus dans la salle Serre, A l'hospice de la Pitié On avait jugé nécessaire De t'y mener mort à moitié. J'ignorais cet acte funeste. Quand j'y courus et que j'y fus, Ce fut pour recueillir le reste De ta vie en propos confus. Et puis, et puis, je me rappelle Comme d'hier, en vérité Nous obtenons qu'à la chapelle, Un service en noir soit chanté Les cierges autour de la bière Flambent comme des yeux levés Dans l'extase d'une prière Vers des paradis retrouvés La croix du tabernacle et celle De l'absoute luisent ainsi Qu'un espoir infini que scelle La Parole et le Sang aussi; La bière est blanche qu'illumine La cire et berce le plain-chant De promesse et de paix divine, Berceau plus frêle et plus touchant. XX Si tu ne mourus pas entre mes bras, Ce fut tout comme, et de ton agonie J'en vis assez, ô détresse infinie! Tu délirais, plus pâle que tes draps Tu me tenais, d'une voix trop lucide, Des propos doux et fous, "que j'étais mort, Que c'était triste", et tu serrais très fort Ma main tremblante, et regardais à vide; Je me tournais, n'en pouvant plus de pleurs, Mais ta fièvre voulait suivre son thème, Tu m'appelais par mon nom de baptême, Puis ce fut tout, ô douleur des douleurs! J'eusse en effet dû mourir à ta place, Toi debout, là , présidant nos adieux!... Je dis cela faute de dire mieux. Et pardonnez, Dieu juste, à mon audace. XXI L'affreux Ivry dévorateur A tes reliques dans sa terre Sous de pâles fleurs sans odeur Et des arbres nains sans mystère. Je laisse les charniers flétris Où gÃt la moitié de Paris. Car, mon fils béni, tu reposes Sur le territoire d'Ivry - Commune, où, du moins, mieux encloses, Les tombes dorment à l'abri Du flot des multitudes bêtes Les dimanches, jeudis et fêtes. Le cimetière est trivial Dans la campagne révoltante, Mais je sais le coin lilial Où ton corps a planté sa tente. - Ami, je viens parler à toi. - Commence par prier pour moi. Bien pieusement je me signe Devant la croix de pierre et dis En sanglotant à chaque ligne Un très humble De Profundis. - Alors ta belle âme est sauvée? - Mais par quel désir éprouvée! Les fleurettes du jardinet Sont bleuâtres et rose tendre Et blanches, et l'on reconnaÃt Des soins qu'il est juste d'attendre. - Le désir, sans doute, de Dieu? Oui, rien n'est plus dur que ce feu. Les couronnes renouvelées Semblent d'agate et de cristal; Des feuilles d'arbres des allées Tournent dans un grand vent brutal. - Comme tu dois souffrir, pauvre âme! - Rien n'est plus doux que cette flamme. Voici le soir gris qui descend; Il faut quitter le cimetière, Et je m'éloigne en t'adressant Une invocation dernière - Ame vers Dieu, pensez à moi. - Commence par prier pour toi. XXII O Nouvelle-Forêt! nom de féerie et d'armes! Le mousquet a souvent rompu philtres et charmes Sous tes rameaux où le rossignol s'effarait. O Shakspeare! ô Cromwell! ô Nouvelle-Forêt! Nom désormais joli seulement, plus tragique Ni magique, mais, par une aimable logique, Encadrant Lymington, vieux bourg, le plus joli Et le plus vieux des bourgs jadis guerriers, d'un pli D'arbres sans nombre vains de leur grâce hautaine, Avec la mer qui rêve haut, pas très lointaine, Comme un puissant écho des choses d'autrefois. J'y vécus solitaire, ou presque, quelques mois, Solitaire et caché, - comme, tapi sous l'herbe, Tout ce passé dormant aux pieds du bois superbe - Non sans, non plus, dans l'ombre et le silence fiers, Moi, le cri sourd de mes avant-derniers hiers, Passion, ironie, atroce grosse joie! Non sans, non plus, sur la dive corde de soie Et d'or du coeur désormais pur, cette chanson, La meilleure! d'amour filial au frisson Béni certes. - O ses lettres dans la semaine Par la boÃte vitrée, et que fou je promène, Fou de plaisir, à travers bois, les relisant Cent fois. - Et cet Ivry-commune d'à -présent! XXIII Ta voix grave et basse Pourtant était douce Comme du velours, Telle, en ton discours, Sur de sombre mousse De belle eau qui passe. Ton rire éclatait Sans gêne et sans art, Franc, sonore et libre. Tel, au bois qui vibre, Un oiseau qui part Trillant son motet. Cette voix, ce rire Font dans ma mémoire Qui te voit souvent Et mort et vivant Comme un bruit de gloire Dans quelque martyre. Ma tristesse en toi S'égaie à ces sons Qui disent "Courage!" Au coeur que l'orage Emplit des frissons De quel triste émoi! Orage, ta rage, Tais-la, que je cause Avec mon ami Qui semble endormi, Mais qui se repose En un conseil sage... XXIV O mes morts tristement nombreux Qui me faites un dôme ombreux De paix, de prière et d'exemple, Comme autrefois le Dieu vivant Daigna vouloir qu'un humble enfant Se sanctifiât dans le temple. O mes morts penchés sur mon coeur Pitoyables à sa langueur, Père, mère, âmes angéliques, Et toi qui fus mieux qu'une soeur, Et toi, jeune homme de douceur Pour qui ces vers mélancoliques, Et vous tous, la meilleure part De mon âme, dont le départ Flétrit mon heure la meilleure, Amis que votre heure faucha, O mes morts, voyez que déjà Il se fait temps qu'aussi je meure. Car plus rien sur terre qu'exil! Et pourquoi Dieu retire-t-il Le pain lui-même de ma bouche, Sinon pour me rejoindre à vous Dans son sein redoutable et doux, Loin de ce monde âpre et farouche. Aplanissez-moi le chemin, Venez me prendre par la main, Soyez mes guides dans la gloire, Ou bien plutôt, - Seigneur vengeur! - Priez pour un pauvre pécheur Indigne encor du Purgatoire. Batignolles Un grand bloc de grès; quatre noms mon père Et ma mère et moi, puis mon fils bien tard, Dans l'étroite paix du plat cimetière Blanc et noir et vert, au long du rempart. Cinq tables de grès; le tombeau nu, fruste, En un carré long, haut d'un mètre et plus, Qu'une chaÃne entoure et décore juste, Au bas du faubourg qui ne bruit plus. C'est de là que la trompette de l'ange Fera se dresser nos corps ranimés Pour la vie enfin qui jamais ne change, O vous, père et mère et fils bien-aimés. A Georges Verlaine Ce livre ira vers toi comme celui d'Ovide S'en alla vers la Ville. Il fut chassé de Rome; un coup bien plus perfide Loin de mon fils m'exile. Te reverrai-je? Et quel? Mais quoi! moi mort ou non, Voici mon testament Crains Dieu, ne hais personne, et porte bien ton nom Qui fut porté dûment. Parallèlement Préface "Parallèlement" à Sagesse, Amour, et aussi à Bonheur qui va suivre et conclure. Après viendront, si Dieu le permet, des oeuvres impersonnelles avec l'intimité latérale d'un long Et coetera plus que probable. Ceci devait être dit pour répondre aux objections que pourrait soulever le ton particulier du présent fragment d'un ensemble en train. Dédicace Vous souvient-il, cocodette un peu mûre Qui gobergez vos flemmes de bourgeoise, Du temps joli quand, gamine un peu sure, Tu m'écoutais, blanc-bec fou qui dégoise? Gardâtes-vous fidèle la mémoire, O grasse en des jerseys de poult-de-soie, De t'être plu jadis à mon grimoire, Cour par écrit, postale petite oye? Avez-vous oublié, Madame Mère, Non, n'est-ce pas, même en vos bêtes fêtes, Mes fautes de goût, mais non de grammaire, Au rebours de tes chères lettres bêtes? Et quand sonna l'heure des justes noces, Sorte d'Ariane qu'on me dit lourde, Mes yeux gourmands et mes baisers féroces A tes nennis faisant l'oreille sourde? Rappelez-vous aussi, s'il est loisible A votre coeur de veuve mal morose, Ce moi toujours tout prêt, terrible, horrible, Ce toi mignon prenant goût à la chose, Et tout le train, tout l'entrain d'un manège Qui par malheur devint notre ménage. Que n'avez-vous, en ces jours-là , que n'ai-je Compris les torts de votre et de mon âge! C'est bien fâcheux me voici, lamentable Epave éparse à tous les flots du vice, Vous voici, toi, coquine détestable, Et ceci fallait que je l'écrivisse! Allégorie Un très vieux temple antique s'écroulant Sur le sommet indécis d'un mont jaune, Ainsi qu'un roi déchu pleurant son trône, Se mire, pâle, au tain d'un fleuve lent. Grâce endormie et regard somnolent, Une naïade âgée, auprès d'un aulne, Avec un brin de saule agace un faune Qui lui sourit, bucolique et galant. Sujet naïf et fade qui m'attristes, Dis, quel poète entre tous les artistes, Quel ouvrier morose t'opéra, Tapisserie usée et surannée, Banale comme un décor d'opéra, Factice, hélas! comme ma destinée? Les amies I. Sur le balcon Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles. Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles, Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde, Savouraient à longs traits l'émotion profonde Du soir et le bonheur triste des coeurs fidèles. Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples, Couple étrange qui prend pitié des autres couples, Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes. Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre, Emphatique comme un trône de mélodrame Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre. II. Pensionnaires L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize; Toutes deux dormaient dans la même chambre C'était par un soir très lourd de septembre Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise. Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise, La fine chemise au frais parfum d'ambre, La plus jeune étend les bras, et se cambre, Et sa soeur, les mains sur ses seins, la baise, Puis tombe à genoux, puis devient farouche Et tumultueuse et folle, et sa bouche Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises; Et l'enfant, pendant ce temps-là , recense Sur ses doigts mignons des valses promises. Et, rose, sourit avec innocence. III. Per amica silentia Les longs rideaux de blanche mousseline Que la lueur pâle de la veilleuse Fait fluer comme une vague opaline Dans l'ombre mollement mystérieuse, Les grands rideaux du grand lit d'Adeline Ont entendu, Claire, ta voix rieuse, Ta douce voix argentine et câline Qu'une autre voix enlace, furieuse. "Aimons, aimons!" disaient vos voix mêlées, Claire, Adeline, adorables victimes Du noble voeu de vos âmes sublimes. Aimez, aimez! ô chères Esseulées, Puisqu'en ces jours de malheur, vous encore, Le glorieux Stigmate vous décore. IV. Printemps Tendre, la jeune femme rousse, Que tant d'innocence émoustille, Dit à la blonde jeune fille Ces mots, tout bas, d'une voix douce "Sève qui monte et fleur qui pousse, Ton enfance est une charmille Laisse errer mes doigts dans la mousse Où le bouton de rose brille, Laisse-moi, parmi l'herbe claire, Boire les gouttes de rosée Dont la fleur tendre est arrosée, - Afin que le plaisir, ma chère, Illumine ton front candide Comme l'aube l'azur timide." V. Eté Et l'enfant répondit, pâmée Sous la fourmillante caresse De sa pantelante maÃtresse "Je me meurs, ô ma bien-aimée! Je me meurs ta gorge enflammée Et lourde me soûle et m'oppresse; Ta forte chair d'où sort l'ivresse Est étrangement parfumée; Elle a, ta chair, le charme sombre Des maturités estivales, - Elle en a l'ambre, elle en a l'ombre; Ta voix tonne dans les rafales, Et ta chevelure sanglante Fuit brusquement dans la nuit lente." VI. Sappho Furieuse, les yeux caves et les seins roides, Sappho, que la langueur de son désir irrite, Comme une louve court le long des grèves froides, Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite, Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées, Arrache ses cheveux immenses par poignées; Puis elle évoque, en des remords sans accalmies, Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire De ses amours chantés en vers que la mémoire De l'âme va redire aux vierges endormies Et voilà qu'elle abat ses paupières blêmies Et saute dans la mer où l'appelle la Moire, - Tandis qu'au ciel éclate, incendiant l'eau noire, La pâle Séléné qui venge les Amies. Filles I. A la princesse Roukhine "Capellos de Angelos." Friandise espagnole. C'est une laide de Boucher Sans poudre dans sa chevelure, Follement blonde et d'une allure Vénuste à tous nous débaucher. Mais je la crois mienne entre tous, Cette crinière tant baisée, Cette cascatelle embrasée Qui m'allume par tous les bouts. Elle est à moi bien plus encor Comme une flamboyante enceinte Aux entours de la porte sainte, L'alme, la dive toison d'or! Et qui pourrait dire ce corps Sinon moi, son chantre et son prêtre, Et son esclave humble et son maÃtre Qui s'en damnerait sans remords, Son cher corps rare, harmonieux, Suave, blanc comme une rose Blanche, blanc de lait pur, et rose Comme un lys sous de pourpres cieux? Cuisses belles, seins redressants, Le dos, les reins, le ventre, fête Pour les yeux et les mains en quête Et pour la bouche et tous les sens? Mignonne, allons voir si ton lit A toujours sous le rideau rouge L'oreiller sorcier qui tant bouge Et les draps fous. O vers ton lit! II. Séguidille Brune encore non eue, Je te veux presque nue Sur un canapé noir Dans un jaune boudoir, Comme en mil huit cent trente. Presque nue et non nue A travers une nue De dentelles montrant Ta chair où va courant Ma bouche délirante. Je te veux trop rieuse Et très impérieuse, Méchante et mauvaise et Pire s'il te plaisait, Mais si luxurieuse! Ah, ton corps noir et rose Et clair de lune! Ah, pose Ton coude sur mon coeur, Et tout ton corps vainqueur, Tout ton corps que j'adore! Ah, ton corps; qu'il repose Sur mon âme morose Et l'étouffe s'il peut, Si ton caprice veut, Encore, encore, encore! Splendides, glorieuses, Bellement furieuses Dans leurs jeunes ébats, Fous mon orgueil en bas Sous tes fesses joyeuses! III. Casta Piana Tes cheveux bleus aux dessous roux, Tes yeux très durs qui sont trop doux, Ta beauté qui n'en est pas une, Tes seins que busqua, que musqua Un diable cruel et jusqu'à Ta pâleur volée à la lune, Nous ont mis dans tous nos états, Notre-Dame du galetas Que l'on vénère avec des cierges Non bénits, les Ave non plus Récités lors des angélus Que sonnent tant d'heures peu vierges. Et vraiment tu sens le fagot Tu tournes un homme en nigaud, En chiffre, en symbole, en un souffle, Le temps de dire ou de faire oui, Le temps d'un bonjour ébloui, Le temps de baiser ta pantoufle. Terrible lieu, ton galetas! On t'y prend toujours sur le tas A démolir quelque maroufle, Et, décanillés, ces amants, Munis de tous les sacrements, T'y penses moins qu'à ta pantoufle! T'as raison! Aime-moi donc mieux Que tous ces jeunes et ces vieux Qui ne savent pas la manière, Moi qui suis dans ton mouvement, Moi qui connais le boniment Et te voue une cour plénière! Ne fronce plus ces sourcils-ci, Casta, ni cette bouche-ci, Laisse-moi puiser tous tes baumes, Piana, sucrés, salés, poivrés, Et laisse-moi boire, poivrés, Salés, sucrés, tes sacrés baumes. IV. Auburn "Et des châtaignes aussi." Chanson de Malbrouk. Tes yeux, tes cheveux indécis, L'arc mal précis de tes sourcils, La fleur pâlotte de ta bouche, Ton corps vague et pourtant dodu, Te donnent un air peu farouche A qui tout mon hommage est dû. Mon hommage, ah, parbleu! tu l'as. Tous les soirs, quels joie et soulas, O ma très sortable châtaine, Quand vers mon lit tu viens, les seins Roides, et quelque peu hautaine, Sûre de mes humbles desseins. Les seins roides sous la chemise, Fière de la fête promise A tes sens partout et longtemps. Heureuse de savoir ma lèvre, Ma main, mon tout, impénitents De ces péchés qu'un fol s'en sèvre! Sûre de baisers savoureux Dans le coin des yeux, dans le creux Des bras et sur le bout des mammes, Sûre de l'agenouillement Vers ce buisson ardent des femmes Follement, fanatiquement! Et hautaine puisque tu sais Que ma chair adore à l'excès Ta chair et que tel est ce culte Qu'après chaque mort, - quelle mort! - Elle renaÃt, dans quel tumulte! Pour mourir encore et plus fort. Oui, ma vague, sois orgueilleuse Car radieuse ou sourcilleuse, Je suis ton vaincu, tu m'as tien Tu me roules comme la vague Dans un délice bien païen, Et tu n'es pas déjà si vague? V. A Mademoiselle*** Rustique beauté Qu'on a dans les coins, Tu sens bon les foins, La chair et l'été. Tes trente-deux dents De jeune animal Ne vont point trop mal A tes yeux ardents. Ton corps dépravant Sous tes habits courts, - Retroussés et lourds, Tes seins en avant, Tes mollets farauds, Ton buste tentant, - Gai, comme impudent, Ton cul ferme et gros, Nous boutent au sang Un feu bête et doux Qui nous rend tout fous, Croupe, rein et flanc. Le petit vacher Tout fier de son cas, Le maÃtre et ses gas, Les gas du berger, Je meurs si je mens, Je les trouve heureux, Tous ces culs-terreux, D'être tes amants. VI. A Madame*** Vos narines qui vont en l'air, Non loin de vos beaux yeux quelconques, Sont mignonnes comme ces conques Du bord de mer de bains de mer; Un sourire moins franc qu'aimable Découvre de petites dents, Diminutifs outrecuidants De celles d'un loup de la fable; Bien en chair, lente avec du chien, On remarque votre personne, Et votre voix fine résonne Non sans des agréments très bien; De la grâce externe et légère Et qui me laissait plutôt coi Font de vous un morceau de roi, O de roi non absolu, chère! Toujours est-il, regret ou non, Que je ne sais pourquoi mon âme Par ces froids pense à vous, Madame De qui je ne sais plus le nom. Révérence parler I. Prologue d'un livre dont il ne paraÃtra que les extraits ci-après Ce n'est pas de ces dieux foudroyés, Ce n'est pas encore une infortune Poétique autant qu'inopportune O lecteur de bon sens, ne fuyez! On sait trop tout le prix du malheur Pour le perdre en disert gaspillage. Vous n'aurez ni mes traits ni mon âge, Ni le vrai mal secret de mon coeur. Et de ce que ces vers maladifs Furent faits en prison, pour tout dire, On ne va pas crier au martyre. Que Dieu vous garde des expansifs! On vous donne un livre fait ainsi. Prenez-le pour ce qu'il vaut en somme. C'est l'oegri somnium d'un brave homme Etonné de se trouver ici. On y met, avec la "bonne foy", L'orthographe à peu près qu'on possède Regrettant de n'avoir à son aide Que ce prestige d'être bien soi. Vous lirez ce libelle tel quel, Tout ainsi que vous feriez d'un autre. Ce voeu bien modeste est le seul nôtre, N'étant guère après tout criminel. Un mot encore, car je vous dois Quelque lueur en définitive Concernant la chose qui m'arrive Je compte parmi les maladroits. J'ai perdu ma vie et je sais bien Que tout blâme sur moi s'en va fondre A cela je ne puis que répondre Que je suis vraiment né Saturnien. II. Impression fausse Dame souris trotte, Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte Grise dans le noir. On sonne la cloche, Dormez, les bons prisonniers! On sonne la cloche Faut que vous dormiez. Pas de mauvais rêve, Ne pensez qu'à vos amours. Pas de mauvais rêve Les belles toujours! Le grand clair de lune! On ronfle ferme à côté. Le grand clair de lune En réalité! Un nuage passe, Il fait noir comme en un four. Un nuage passe. Tiens, le petit jour! Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus. Dame souris trotte Debout, paresseux! III. Autre La cour se fleurit de souci Comme le front De tous ceux-ci Qui vont en rond En flageolant sur leur fémur Débilité Le long du mur Fou de clarté. Tournez, Samsons sans Dalila, Sans Philistin, Tournez bien la Meule au destin. Vaincu risible de la loi, Mouds tour à tour Ton coeur, ta foi Et ton amour! Ils vont! et leurs pauvres souliers Font un bruit sec, Humiliés, La pipe au bec. Pas un mot ou bien le cachot, Pas un soupir. Il fait si chaud Qu'on croit mourir. J'en suis de ce cirque effaré, Soumis d'ailleurs Et préparé A tous malheurs. Et pourquoi si j'ai contristé Ton voeu têtu, Société, Me choierais-tu? Allons, frères, bons vieux voleurs, Doux vagabonds, Filous en fleurs, Mes chers, mes bons, Fumons philosophiquement, Promenons-nous Paisiblement Rien faire est doux. IV. Réversibilité Totus in maligno positus. Entends les pompes qui font Le cri des chats. Des sifflets viennent et vont Comme en pourchas. Ah, dans ces tristes décors Les Déjà s sont les Encors! O les vagues Angélus! Qui viennent d'où? Vois s'allumer les Saluts Du fond d'un trou. Ah, dans ces mornes séjours Les Jamais sont les Toujours! Quels rêves épouvantés, Vous grands murs blancs! Que de sanglots répétés, Fous ou dolents! Ah, dans ces piteux retraits Les Toujours sont les Jamais! Tu meurs doucereusement, Obscurément, Sans qu'on veille, ô coeur aimant. Sans testament! Ah, dans ces deuils sans rachats Les Encors sont les Déjà s! V. Tantalized L'aile où je suis donnant juste sur une gare, J'entends de nuit mes nuits sont blanches la bagarre Des machines qu'on chauffe et des trains ajustés, Et vraiment c'est des bruits de nids répercutés A des cieux de fonte et de verre et gras de houille. Vous n'imaginez pas comme cela gazouille Et comme l'on dirait des efforts d'oiselets Vers des vols tout prochains à des cieux violets Encore et que le point du jour éclaire à peine. O ces wagons qui vont dévaler dans la plaine! VI. Invraisemblable mais vrai Las! je suis à l'Index et dans les dédicaces Me voici Paul V... pur et simple. Les audaces De mes amis, tant les éditeurs sont des saints, Doivent éliminer mon nom de leurs desseins, Extraordinaire et saponaire tonnerre D'une excommunication que je vénère Au point d'en faire des fautes de quantité! Vrai, si je n'étais pas forcément désisté Des choses, j'aimerais, surtout m'étant contraire, Cette pudeur du moins si rare de libraire. VII. Le dernier Dizain O Belgique qui m'as valu ce dur loisir, Merci! J'ai pu du moins réfléchir et saisir Dans le silence doux et blanc de tes cellules Les raisons qui fuyaient comme des libellules A travers les roseaux bavards d'un monde vain, Les raisons de mon être éternel et divin, Et les étiqueter comme en un beau musée Dans les cases en fin cristal de ma pensée. Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu! Ouvre enfin, car c'est bon pour une fois, sais-tu! Bruxelles, août 1873. - Mons, janvier 1875. Lunes I Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes, Remonter jusqu'aux jours bleuis des amours chastes Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux De baisers sur Sa main et non plus dans Leurs cous. Le Tibère effrayant que je suis à cette heure, Quoi que j'en aie, et que je rie ou que je pleure, Qu'il dorme! pour rêver, loin d'un cruel bonheur, Aux tendrons pâlots dont on ménageait l'honneur Es-fêtes, dans, après le bal sur la pelouse, Le clair de lune quand le clocher sonnait douze. II. A la manière de Paul Verlaine C'est à cause du clair de la lune Que j'assume ce masque nocturne Et de Saturne penchant son urne Et de ces lunes l'une après l'une. Des romances sans paroles ont, D'un accord discord ensemble et frais, Agacé ce coeur fadasse exprès O le son, le frisson qu'elles ont! Il n'est pas que vous n'ayez fait grâce A quelqu'un qui vous jetait l'offense Or, moi, je pardonne à mon enfance Revenant fardée et non sans grâce. Je pardonne à ce mensonge-là En faveur en somme du plaisir Très banal drôlement qu'un loisir Douloureux un peu m'inocula. III. Explication Je vous dis que ce n'est pas ce que l'on pensa. P. V. Le bonheur de saigner sur le coeur d'un ami, Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein, Le désir de parler à lui, bas à demi, Le rêve de rester ensemble sans dessein! Le malheur d'avoir tant de belle ennemies, La satiété d'être une machine obscène, L'horreur des cris impurs de toutes ces lamies, Le cauchemar d'une incessante mise en scène! Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaÃment, Ou pour l'autre, en ses bras, et baisant chastement La main qui ne trahit, la bouche qui ne ment! Vivre loin des devoirs et des saintes tourmentes Pour les seins clairs et pour les yeux luisants d'amantes, Et pour le... reste! vers telles morts infamantes! IV. Autre explication Amour qui ruisselais de flammes et de lait, Qu'est devenu ce temps, et comme est-ce qu'elle est, La constance sacrée au chrême des promesses? Elle ressemble une putain dont les prouesses Empliraient cent bidets de futurs foetus froids; Et le temps a crû mais pire, tels les effrois D'un polype grossi d'heure en heure et qui pète. Lâches, nous! de nous être ainsi lâchés! "Arrête! Dit quelqu'un de dedans le sein. C'est bien la loi. On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi, Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle! Et puis l'heure sévère, ombre de la mortelle, S'en vient déjà couvrir les trois quarts du cadran. Il faut, dès ce jourd'hui, renier le tyran Plaisir, et se complaire aux prudents hyménées, Quittant le souvenir des heures entraÃnées Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau. Ce sera bien." L'Amour "Ce ne serait pas beau." V. Limbes L'imagination, reine, Tient ses ailes étendues, Mais la robe qu'elle traÃne A des lourdeurs éperdues. Cependant que la Pensée, Papillon, s'envole et vole, Rose et noir clair, élancée Hors de la tête frivole. L'Imagination, sise En son trône, ce fier siège! Assiste, comme indécise, A tout ce preste manège, Et le papillon fait rage, Monte et descend, plane et vire On dirait dans un naufrage Des culbutes du navire. La reine pleure de joie Et de peine encore, à cause De son coeur qu'un chaud pleur noie, Et n'entend goutte à la chose. Psyché Deux pourtant se lasse. Son vol est la main plus lente Que cent tours de passe-passe Ont faite toute tremblante. Hélas, voici l'agonie! Qui s'en fût formé l'idée? Et tandis que, bon génie Plein d'une douceur lactée, La bestiole céleste S'en vient palpiter à terre, La Folle-du-Logis reste Dans sa gloire solitaire! VI. Lombes Deux femmes des mieux m'ont apparu cette nuit. Mon rêve était au bal, je vous demande un peu! L'une d'entre elles maigre assez, blonde, un oeil bleu, Un noir et ce regard mécréant qui poursuit. L'autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit, Seins joyeux d'être vus, dignes d'un demi-dieu! Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu De la main chaude, sous la traÃne qui bruit, Des bas de dos très beaux et d'une gaÃté folle Auxquels il ne manquait vraiment que la parole, Royale arrière-garde aux combats du plaisir. Et ces Dames - scrutez l'armorial de France - S'efforçaient d'entamer l'orgueil de mon désir, Et n'en revenaient pas de mon indifférence. Vouziers Ardennes, 13 avril-23 mai 1885 La dernière fête galante Pour une bonne fois séparons-nous, Très chers messieurs et si belles mesdames. Assez comme cela d'épithalames, Et puis là , nos plaisirs furent trop doux. Nul remords, nul regret vrai, nul désastre! C'est effrayant ce que nous nous sentons D'affinités avecque les moutons Enrubannés du pire poétastre. Séparons-nous, je vous le dis encore. O que nos coeurs qui furent trop bêlants, Dès ce jourd'hui réclament, trop hurlants, L'embarquement pour Sodome et Gomorrhe! Poème saturnien Ce fut bizarre et Satan dut rire. Ce jour d'été m'avait tout soûlé. Quelle chanteuse impossible à dire Et tout ce qu'elle a débagoulé! Ce piano dans trop de fumée Sous des suspensions à pétroles! Je crois, j'avais la bile enflammée, J'entendais de travers mes paroles. Je crois, mes sens étaient à l'envers, Ma bile avait des bouillons fantasques. O les refrains de cafés-concerts, Faussés par le plus plâtré des masques! Dans des troquets comme en ces bourgades, J'avais rôdé, suçant peu de glace. Trois galopins aux yeux de tribades Dévisageaient sans fin ma grimace. Je fus hué manifestement Par ces voyous, non loin de la gare, Et les engueulai si goulûment Que j'en faillis gober mon cigare. Je rentre une voix à mon oreille, Un pas fantôme. Aucun ou personne? On m'a frôlé. - La nuit sans pareille! Ah! l'heure d'un réveil drôle sonne. Attigny Ardennes 31 mai-1er juin 1885. L'impudent La misère et le mauvais oeil, Soit dit sans le calomnier, Ont fait à ce monstre d'orgueil Une âme de vieux prisonnier. Oui, jettatore, oui, le dernier Et le premier des gueux en deuil De l'ombre même d'un denier Qu'ils poursuivront jusqu'au cercueil. Son regard mûrit les enfants. Il a des refus triomphants. Même il est bête à sa façon. Beautés passant, au lieu de sous, Faites à ce mauvais garçon L'aumône seulement... de vous. L'impénitent Rôdeur vanné, ton oeil fané Tout plein d'un désir satané Mais qui n'est pas l'oeil d'un bélÃtre, Quand passe quelqu'un de gentil Lance un éclair comme une vitre. Ton blaire flaire, âpre et subtil, Et l'étamine et le pistil, Toute fleur, tout fruit, toute viande, Et ta langue d'homme entendu Pourlèche ta lèvre friande. Vieux faune en l'air guettant ton dû, As-tu vraiment bandé, tendu L'arme assez de tes paillardises? L'as-tu, drôle, braquée assez? Ce n'est rien que tu nous le dises. Quoi, malgré ces reins fricassés, Ce coeur éreinté, tu ne sais Que dévouer à la luxure Ton coeur, tes reins, ta poche à fiel, Ta rate et toute ta fressure! Sucrés et doux comme le miel, Damnants comme le feu du ciel, Bleus comme fleur, noirs comme poudre, Tu raffoles beaucoup des yeux De tout genre en dépit du Foudre. Les nez te plaisent, gracieux Ou simplement malicieux, Etant la force des visages, Etant aussi, suivant des gens, Des indices et des présages. Longs baisers plus clairs que des chants, Tout petits baisers astringents Qu'on dirait qui vous sucent l'âme, Bons gros baisers d'enfant, légers Baisers danseurs, telle une flamme, Baisers mangeurs, baisers mangés, Baisers buveurs, bus, enragés, Baisers languides et farouches, Ce que t'aimes bien, c'est surtout, N'est-ce pas? les belles boubouches. Les corps enfin sont de ton goût, Mieux pourtant couchés que debout, Se mouvant sur place qu'en marche, Mais de n'importe quel climat, Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche. Pour que ce goût les acclamât Minces, grands, d'aspect plutôt mat, Faudrait pourtant du jeune en somme Pieds fins et forts, tout légers bras Musculeux et les cheveux comme Ça tombe, longs, bouclés ou ras, - Sinon pervers et scélérats Tout à fait, un peu d'innocence En moins, pour toi sauver, du moins, Quelque ombre encore de décence? Nenni dà ! Vous, soyez témoins, Dieux la connaissant dans les coins, Que ces manières, de parts telles, Sont pour s'amuser mieux au fond Sans trop muser aux bagatelles. C'est ainsi que les choses vont Et que les raillards fieffés font. Mais tu te ris de ces morales, - Tel un monsieur plus que pressé Passe outre aux défenses murales. Et tu réponds, un peu lassé De te voir ainsi relancé, De ta voix que la soif dégrade Mais qui n'est pas d'un marmiteux "Qu'y peux-tu faire, camarade, Si nous sommes cet amiteux?" Le Sonnet de l'homme au sable Aussi, la créature était par trop toujours la même, Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix, Indifférente à tout, hormis au prestige suprême De la cire à moustache et de l'empois des faux-cols droits. Et j'ai ri, car je tiens la solution du problème Ce pouf était dans l'air dès le principe, je le vois; Quand la chair et le sang, exaspérés d'un long carême, Réclamèrent leur dû, - la créature était en bois. C'est le conte d'Hoffmann avec de la bêtise en marge. Amis qui m'écoutez, faites votre entendement large, Car c'est la vérité que ma morale, et la voici Si, par malheur, - puisse d'ailleurs l'augure aller au diable! - Quelqu'un de vous devait s'emberlificoter aussi, Qu'il réclame un conseil de révision préalable. Guitare Le pauvre du chemin creux chante et parle. Il dit "Mon nom est Pierre et non pas Charle, Et je m'appelle aussi Duchatelet. Une fois je vis, moi qu'on croit très laid, Passer vraiment une femme très belle. Si je la voyais telle, elle était telle. Nous nous mariâmes au vieux curé. On eut tout ce qu'on avait espéré, Jusqu'à l'enfant qu'on m'a dit vivre encore. Mais elle devint la pire pécore Même pas digne de cette chanson, Et certain beau soir quitta la maison En emportant tout l'argent du ménage Dont les trois quarts étaient mon apanage. C'était une voleuse, une sans-coeur, Et puis, par des fois, je lui faisais peur. Elle n'avait pas l'ombre d'une excuse, Pas un amant ou par rage ou par ruse. Il paraÃt qu'elle couche depuis peu Avec un individu qui tient lieu D'époux à cette femme de querelle. Faut-il la tuer ou prier pour elle?" Et le pauvre sait très bien qu'il priera, Mais le diable parierait qu'il tuera. Ballade de la vie en rouge L'un toujours vit la vie en rose, Jeunesse qui n'en finit plus, Seconde enfance moins morose, Ni voeux, ni regrets superflus. Ignorant tout flux et reflux, Ce sage pour qui rien ne bouge Règne instinctif tel un phallus. Mais moi je vois la vie en rouge. L'autre ratiocine et glose Sur des modes irrésolus, Soupesant, pesant chaque chose De mains gourdes aux lourds calus. Lui faudrait du temps tant et plus Pour se risquer hors de son bouge. Le monde est gris à ce reclus. Mais moi je vois la vie en rouge. Lui, cet autre, alentour il ose Jeter des regards bien voulus, Mais, sur quoi que son oeil se pose, Il s'exaspère où tu te plus, Oeil des philanthropes joufflus; Tout lui semble noir, vierge ou gouge, Les hommes, vins bus, livres lus. Mais moi je vois la vie en rouge. Envoi Prince et princesse, allez, élus, En triomphe par la route où je Trime d'ornières en talus. Mais moi, je vois la vie en rouge. Mains Ce ne sont pas des mains d'altesse, De beau prélat quelque peu saint, Pourtant une délicatesse Y laisse son galbe succint. Ce ne sont pas des mains d'artiste, De poète proprement dit, Mais quelque chose comme triste En fait comme un groupe en petit; Car les mains ont leur caractère, C'est tout un monde en mouvement Où le pouce et l'auriculaire Donnent les pôles de l'aimant. Les météores de la tête Comme les tempêtes du coeur, Tout s'y répète et s'y reflète Par un don logique et vainqueur. Ce ne sont pas non plus les palmes D'un rural ou d'un faubourien; Encore leurs grandes lignes calmes Disent "Travail qui ne doit rien." Elles sont maigres, longues, grises, Phalange large, ongle carré. Tels en ont aux vitraux d'églises Les saints sous le rinceau doré, Ou tels quelques vieux militaires Déshabitués des combats Se rappellent leurs longues guerres Qu'ils narrent entre haut et bas. Ce soir elles ont, ces mains sèches, Sous leurs rares poils hérissés, Des airs spécialement rêches, Comme en proie à d'âpres pensers. Le noir souci qui les agace, Leur quasi-songe aigre les font Faire une sinistre grimace A leur façon, mains qu'elles sont. J'ai peur à les voir sur la table Préméditer là , sous mes yeux, Quelque chose de redoutable, D'inflexible et de furieux. La main droite est bien à ma droite, L'autre à ma gauche, je suis seul. Les linges dans la chambre étroite Prennent des aspects de linceul, Dehors le vent hurle sans trêve, Le soir descend insidieux... Ah! si ce sont des mains de rêve, Tant mieux, - ou tant pis, - ou tant mieux. Les morts que... Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe Se vengent toujours. Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe Sous leurs grands coups sourds. Mieux vaut n'avoir jamais connu la vie, Mieux vaut la mort lente d'autres suivie, Tant le temps est long, tant les coups sont lourds. Les vivants qu'on fait pleurer comme on saigne Se vengent parfois. Ceux-là qu'ils ont pris, qu'un chacun les plaigne, Pris entre leurs doigts. Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte, Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate, Mieux vaut l'édredon d'Othello cent fois. O toi, persécuter, crains le vampire Et crains l'étrangleur Leur jour de colère apparaÃtra pire Que toute douleur. Tiens ton âme prête à ce jour ultime Qui surprendra l'assassin comme un crime Et fondra sur le vol comme un voleur. Sur le Point du Jour Sur le Point du Jour Le Point du Jour, le point blanc de Paris, Le seul point blanc, grâce à tant de bâtisse Et neuve et laide et que je t'en ratisse, Le Point du Jour aurore des paris! Le bonneteau fleurit "dessur" la berge, La bonne tôt s'y déprave, tant pis Pour elle et tant mieux pour le birbe gris Qui lui du moins la croit encore vierge. Il a raison le vieux, car voyez donc Comme est joli toujours le paysage Paris au loin, triste et gai, fol et sage, Et le Trocadéro, ce cas, au fond, Puis la verdure et le ciel et les types Et la rivière obscène et molle, avec Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec, Epatants ces metteurs-au-vent de tripes! Pierrot Gamin Ce n'est pas Pierrot en herbe Non plus que Pierrot en gerbe, C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot. Pierrot gamin, Pierrot gosse, Le cerneau hors de la cosse, C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot! Bien qu'un rien plus haut qu'un mètre, Le mignon drôle sait mettre Dans ses yeux l'éclair d'acier Qui sied au subtil génie De sa malice infinie De poète-grimacier. Lèvres rouge-de-blessure Où sommeille la luxure, Face pâle aux rictus fins, Longue, très accentuée, Qu'on dirait habituée A contempler toutes fins, Corps fluet et non pas maigre, Voix de fille et non pas aigre, Corps d'éphèbe en tout petit, Voix de tête, corps en fête, Créature toujours prête A soûler chaque appétit. Va, frère, va, camarade, Fais le diable, bats l'estrade Dans ton rêve et sur Paris Et par le monde, et sois l'âme Vile, haute, noble, infâme De nos innocents esprits! Grandis, car c'est la coutume, Cube ta riche amertume, Exagère ta gaieté, Caricature, auréole, La grimace et le symbole De notre simplicité! Ces passions Ces passions qu'eux seuls nomment encore amours Sont des amours aussi, tendres et furieuses, Avec des particularités curieuses Que n'ont pas les amours certes de tous les jours. Même plus qu'elles et mieux qu'elles héroïques, Elles se parent de splendeurs d'âme et de sang Telles qu'au prix d'elles les amours dans le rang Ne sont que Ris et Jeux ou besoins érotiques, Que vains proverbes, que riens d'enfants trop gâtés. - "Ah! les pauvres amours banales, animales, Normales! Gros goûts lourds ou frugales fringales, Sans compter la sottise et des fécondités!" - Peuvent dire ceux-là que sacre le haut Rite, Ayant conquis la plénitude du plaisir, Et l'insatiabilité de leur désir Bénissant la fidélité de leur mérite. La plénitude! Ils l'ont superlativement Baisers repus, gorgés, mains privilégiées Dans la richesse des caresses repayées, Et ce divin final anéantissement! Comme ce sont les forts et les forts, l'habitude De la force les rend invaincus au déduit. Plantureux, savoureux, débordant, le déduit! Je le crois bien qu'ils ont la pleine plénitude! Et pour combler leurs voeux, chacun d'eux tour à tour Fait l'action suprême, a la parfaite extase, - Tantôt la coupe ou la bouche et tantôt le vase - Pâmé comme la nuit, fervent comme le jour. Leurs beaux ébats sont grands et gais. Pas de ces crises Vapeurs, nerfs. Non, des jeux courageux, puis d'heureux Bras las autour du cou, pour de moins langoureux Qu'étroits sommeils à deux, tout coupés de reprises. Dormez, les amoureux! Tandis qu'autour de vous Le monde inattentif aux choses délicates, Bruit ou gÃt en somnolences scélérates, Sans même, il est si bête! être de vous jaloux. Et ces réveils francs, clairs, riants, vers l'aventure De fiers damnés d'un plus magnifique sabbat? Et salut, témoins purs de l'âme en ce combat Pour l'affranchissement de la lourde nature! Laeti et Errabundi Les courses furent intrépides Comme aujourd'hui le repos pèse! Par les steamers et les rapides. Que me veut cet at home obèse? Nous allions, - vous en souvient-il, Voyageur où ça disparu? - Filant légers dans l'air subtil, Deux spectres joyeux, on eût cru! Car les passions satisfaites Insolemment outre mesure Mettaient dans nos têtes des fêtes Et dans nos sens, que tout rassure, Tout, la jeunesse, l'amitié, Et nos coeurs, ah! que dégagés Des femmes prises en pitié Et du dernier des préjugés, Laissant la crainte de l'orgie Et le scrupule au bon ermite, Puisque quand la borne est franchie Ponsard ne veut plus de limite. Entre autres blâmables excès Je crois que nous bûmes de tout, Depuis les plus grands vins français Jusqu'à ce faro, jusqu'au stout, En passant par les eaux-de-vie Qu'on cite comme redoutables, L'âme au septième ciel ravie, Le corps, plus humble, sous les tables. Des paysages, des cités Posaient pour nos yeux jamais las; Nos belles curiosités Eussent mangé tous les atlas. Fleuves et monts, bronzes et marbres, Les couchants d'or, l'aube magique, L'Angleterre, mère des arbres, Fille des beffrois, la Belgique, La mer, terrible et douce au point, - Brochaient sur le roman très cher Que ne discontinuait point Notre âme, - et quid de notre chair?... Le roman de vivre à deux hommes Mieux que non pas d'époux modèles, Chacun au tas versant des sommes De sentiments forts et fidèles. L'envie aux yeux de basilic Censurait ce mode d'écot Nous dÃnions du blâme public Et soupions du même fricot. La misère aussi faisait rage Par des fois dans le phalanstère On ripostait par le courage, La joie et les pommes de terre. Scandaleux sans savoir pourquoi, Peut-être que c'était trop beau Mais notre couple restait coi Comme deux bons porte-drapeau, Coi dans l'orgueil d'être plus libres Que les plus libres de ce monde, Sourd aux gros mots de tous calibres, Inaccessible au rire immonde. Nous avions laissé sans émoi Tous impédiments dans Paris, Lui quelques sots bernés, et moi Certaine princesse Souris, Une sotte qui tourna pire... Puis soudain tomba notre gloire, Tels nous des maréchaux d'empire Déchus en brigands de la Loire, Mais déchus volontairement. C'était une permission, Pour parler militairement, Que notre séparation, Permission sous nos semelles, Et depuis combien de campagnes! Pardonnâtes-vous aux femelles? Moi j'ai peu revu ces compagnes, Assez toutefois pour souffrir. Ah, quel coeur faible que mon coeur! Mais mieux vaut souffrir que mourir Et surtout mourir de langueur. On vous dit mort, vous. Que le Diable Emporte avec qui la colporte La nouvelle irrémédiable Qui vient ainsi battre ma porte! Je n'y veux rien croire. Mort, vous, Toi, dieu parmi les demi-dieux! Ceux qui le disent sont des fous. Mort, mon grand péché radieux, Tout ce passé brûlant encore Dans mes veines et ma cervelle Et qui rayonne et qui fulgore Sur ma ferveur toujours nouvelle! Mort tout ce triomphe inouï Retentissant sans frein ni fin Sur l'air jamais évanoui Que bat mon coeur qui fut divin! Quoi, le miraculeux poème Et la toute-philosophie, Et ma patrie et ma bohème Morts? Allons donc! tu vis ma vie! Ballade de la Mauvaise Réputation $11Ballade de la Mauvaise Réputation Il eut des temps quelques argents Et régla ses camarades D'un sexe ou deux, intelligents Ou charmants, ou bien les deux grades, Si que dans les esprits malades Sa bonne réputation Subit que de dégringolades! Lucullus? Non. Trimalcion. Sous ses lambris, c'étaient des chants Et des paroles point trop fades. Eros et Bacchos indulgents Présidaient à ces sérénades Qu'accompagnaient des embrassades. Puis choeurs et conversation Cessaient pour des fins peu maussades. Lucullus? Non. Trimalcion. L'aube pointait et ces méchants La saluaient par cent aubades Qui réveillaient au loin les gens De bien, et par mille rasades. Cependant de vagues brigades - Zèle ou dénonciation - Verbalisaient chez des alcades. Lucullus? Non. Trimalcion. Envoi Prince, ô très haut marquis de Sade, Un souris pour votre scion Fier derrière sa palissade. Lucullus? Non. Trimalcion. Caprice $11Caprice O poète, faux pauvre et faux riche, homme vrai, Jusqu'en l'extérieur riche et pauvre pas vrai, Dès lors, comment veux-tu qu'on soit sûr de ton coeur? Tour à tour souple drôle et monsieur somptueux, Du vert clair plein d'"espère" au noir componctueux, Ton habit a toujours quelque détail blagueur. Un bouton manque. Un fil dépasse. D'où venue Cette tache - ah ça, malvenue ou bienvenue? - Qui rit et pleure sur le cheviot et la toile? Noeud noué bien et mal, soulier luisant et terne. Bref, un type à se pendre à la Vieille Lanterne Comme à marcher, gai proverbe, à la belle étoile. Gueux, mais pas comme ça, l'homme vrai, le seul vrai, Poète, va, si ton langage n'est pas vrai, Toi l'es, et ton langage, alors! Tant pis pour ceux Qui n'auront pas aimé, fous comme autant de tois, La lune pour chauffer les sans femmes ni toits, La mort, ah, pour bercer les coeurs malechanceux, Pauvres coeurs mal tombés, trop bons et très fiers, certes Car l'ironie éclate aux lèvres belles, certes, De vos blessures, coeurs plus blessés qu'une cible, Petits sacrés coeurs de Jésus plus lamentables, Va, poète, le seul des hommes véritables, Meurs sauvé, meurs de faim pourtant le moins possible. Ballade Sappho Ma douce main de maÃtresse et d'amant Passe et rit sur ta chère chair en fête, Rit et jouit de ton jouissement. Pour la servir tu sais bien qu'elle est faite, Et ton beau corps faut que je le dévête Pour l'enivrer sans fin d'un art nouveau Toujours dans la caresse toujours prête. Je suis pareil à la grande Sappho. Laisse ma tête errant et s'abÃmant A l'aventure, un peu farouche, en quête D'ombre et d'odeur et d'un travail charmant Vers les saveurs de ta gloire secrète. Laisse rôder l'âme de ton poète Partout par là , champ ou bois, mont ou vau, Comme tu veux et si je le souhaite. Je suis pareil à la grande Sappho. Je presse alors tout ton corps goulûment, Toute ta chair contre mon corps d'athlète Qui se bande et s'amollit par moment, Heureux du triomphe et de la défaite En ce conflit du coeur et de la tête. Pour la stérile étreinte où le cerveau Vient faire enfin la nature complète Je suis pareil à la grande Sappho. Envoi Prince ou princesse, honnête ou malhonnête, Qui qu'en grogne et quel que soit son niveau, Trop su poète ou divin proxénète, Je suis pareil à la grande Sappho. Chasteté Guerrière, militaire et virile en tout point, La sainte Chasteté que Dieu voit la première De toutes les vertus marchant dans sa lumière Après la Charité distante presque point Va d'un pas assuré mieux qu'aucune amazone A travers l'aventure et l'erreur du Devoir, Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir, Son corps robuste et beau digne d'emplir un trône, Son corps robuste et nu balancé noblement, Entre une tête haute et des jambes sereines, Du port majestueux qui sied aux seules reines, Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement. Elle sait ce qu'il faut qu'elle sache des choses, Entre autres que Jésus a fait l'homme de chair Et mis dans notre sang un charme doux-amer D'où doivent découler nos naissances moroses, Et que l'amour charnel est bénit en des cas. Elle préside alors et sourit à ces fêtes, Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes Et la mène à l'époux par des tours délicats. Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime, Guide pour le baiser et l'acte et le repos Leurs corps voluptueux aux fins de bons propos Et désormais va vivre entre eux, leur ange intime. Puis, au-dessus du Couple ou plutôt à côté, - Bien agir fait s'unir les voeux et les nivelle - Vers le Vierge et la Vierge isolés dans leur belle Thébaïde à chacun la sainte Chasteté, Sans quitter les Amants, par un charmant miracle, Vole et vient rafraÃchir l'Intacte et l'Impollu De gais parfums de fleurs comme s'il avait plu D'un bon orage sur l'un et l'autre habitacle, Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair La cellule du Moine et celle de la Nonne, Car s'il nous faut souffrir pour que Dieu nous pardonne Du moins Dieu veut punir, non torturer la chair. Elle dit à ces chers enfants de l'Innocence Dormez, veillez, priez. Priez surtout, afin Que vous n'ayez pas fait tous ces travaux en vain, Humilité, douceur et céleste ignorance! Enfin elle va chez la Veuve et chez le Veuf, Chez le vieux Débauché, chez l'Amoureuse vieille, Et leur tient des discours qui sont une merveille Et leur refait, à force d'art, un corps tout neuf. Et quand alors elle a fini son tour du monde, Tour du monde ubiquiste, invisible et présent, Elle court à son point de départ en faisant Tel grand détour, espoir d'espérance profonde; Et ce point de départ est un lieu bien connu, Eden même là sous le chêne et vers la rose, Puisqu'il paraÃt qu'il n'a pas à faire autre chose, Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu. Paul Verlaine Mai 1889.
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ፈщէшизωнα а шን ያоጳኮղըፍ εхθ зυгоնጹкոнጨΦ иቺጤгиսቾщ
Я γиպижат θպиዛаςегаλ щ ичаդεгупጂኇчխнтև ջΑցևኀ ψоշиւιб
Θቷեгէ γωцυհուΣусн ոψиսጹΧዚρаςеւօሉ ծխщуժΨիվቸтኤ ջыվθмоц
AileNoire - Vent d'Argent le Suprême. Alex0071 en possède 1 Carte de Référence . Ref. Edition Rareté Langue État Valeur Qté Echange Vente; DP11-FR015: Pack Du Duelliste Crow: R: FRA: Jouée: 0.15 € 1: Oui: Cote Arpenteurs : 9.00 €-- 37 arpenteurs recherchent cette carte * * Connectez-vous pour trouver ces arpenteurs. Proposer un Echange. Connectez-vous ou créez Est-il dans le jeu ? Merci bien ;. oui il est bien 2800 en attak,2000 en defense ,quand il est invoqué par synchro il peut tuer jusqu'a 2 monstres ayant une defense inferieur a son attak, de plus une fois par tour un monstre aile noire ne peut pas etre detruit en combat voila j'espere t'en avoir dit assez Pour obtenir "Aile Noire - Vent d'Argent Suprême" en 3 exemplaire il faut finir les 4 cœurs avec Crow. Vous ne le trouverez pas dans un booster au magasin. Cool, j'en suis à 3 coeur avec lui =. Victime de harcèlement en ligne comment réagir ?
DP11FR015 Aile Noire - Vent d'Argent le Suprême Rare ←. DP11-FR017 Attaque Tourbillonnante de Rapace Commune →. Dragon Ailes Sombres existe aussi en : LED3-FR028 Dragon Ailes Sombres Commune Pack du Duelliste Les Duellistes Légendaires 3 Abysse Dragon Blanc (LED3) Commune 1,00 € En stock ; LC5D-FR135 Dragon Ailes Sombres Commune Collection
Agrandir l'image Aile Noire - Vent d'Argent le Suprême SR [LC5D] Référence YLC5D-FR134 État Nouveau produit Carte à l'unité Yugioh. Collection Légendaire 5DS. Aile Noire - Vent d'Argent le Suprême SR LC5D-FR134. Plus de détails 2 Produits Attention dernières pièces disponibles ! Donnez votre avis En achetant ce produit vous pouvez gagner jusqu'à grâce à notre programme de fidélité. Votre panier totalisera qui pourront être convertis en bon de réduction. Envoyer à un ami Imprimer En savoir plus Carte à l'unité Yugioh. Collection Légendaire 5DS. Aile Noire - Vent d'Argent le Suprême SR LC5D-FR134. Avis
2Aile Noire - Vent d'Argent le Suprême 2 Blackwing - Silverwind the Ascendant: 2 Dragon Ailes Sombres 2 Black-Winged Dragon: 2 Aile Noire - Maître Des Armures 2 Blackwing Armor Master: 2 Aile Noire - Arsenal Aérien 2 Blackwing Armed Wing: Retour aux Decks. Description. Deck de Crow Hogan sur Yu-Gi-Oh Tag Force 5. Main Deck . Extra Deck. Stats Il y a
Blackwing - Silverwind the Ascendant Japanese BF(ブラックフェザー)-孤(こ)高(こう)のシルバー・ウィンド Base BF-孤高のシルバー・ウィンド Kana ブラックフェザー-ここうのシルバー・ウィンド Rōmaji Burakku Fezā - Kokō no Shirubā Windo Translated Black Feather - Silverwind the Aloof Yugioh-Card database 8476 ja - rulings en fr de it pt es ko YGOrganization database Gallery Rulings Errata Artworks Tips Trivia Appearances English sets Worldwide ReleaseNumberSetRarity2009-11-17SOVR-EN041Stardust OverdriveUltra RareUltimate Rare2011-05-27DP11-EN015Duelist Pack CrowRare2014-10-23LC5D-EN134Legendary Collection 5D's Mega PackSuper RareSearch categories Other languages Language NameLore French Aile Noire - Vent d'Argent le Suprême 1 Syntoniseur "Aile Noire" + 2 monstres non-Syntoniseur ou plusLorsque cette carte est Invoquée par Synchronisation vous pouvez cibler max. 2 monstres face recto sur le Terrain avec une DEF inférieure à l'ATK de cette carte ; détruisez les cibles. Vous ne pouvez pas mener votre Battle Phase le tour où vous activez cet effet. Durant chacun des tours de votre adversaire, le premier monstre "Aile Noire" que vous contrôlez qui va être détruit au combat n'est pas détruit. German Schwarzflügel - Silberwind der Aszendent 1 „Schwarzflügel“-Empfänger- + 2 oder mehr Nicht-Empfänger-MonsterWenn diese Karte als Synchrobeschwörung beschworen wird Du kannst bis zu 2 offene Monster auf dem Spielfeld wählen, deren DEF niedriger sind als die ATK dieser Karte; zerstöre die gewählten Ziele. Du kannst in dem Spielzug, in dem du diesen Effekt aktivierst, keine Battle Phase durchführen. Während jedes Spielzugs deines Gegners wird das erste „Schwarzflügel“-Monster, das du kontrollierst und das durch Kampf zerstört würde, nicht zerstört. Italian Alanera - Alargento il Dominatore 1 Tuner "Alanera" + 2 o più mostri non-TunerQuando questa carta viene Synchro Evocata puoi scegliere come bersaglio fino a 2 mostri scoperti sul Terreno con DEF inferiore all'ATK di questa carta; distruggi quei bersagli. Non puoi effettuare la tua Battle Phase nel turno in cui attivi questo effetto. Durante ogni turno del tuo avversario, il primo mostro "Alanera" che controlli che sta per essere distrutto in battaglia, invece non viene distrutto. Portuguese Asanegra - Vento Prateado, o Ascendente 1 Regulador "Asanegra" + 2 ou mais monstros não-ReguladoresQuando este card for Invocado por Invocação-Sincro você pode escolher até 2 monstros com a face para cima no campo com DEF menor que o ATK deste card; destrua os alvos. Você não pode conduzir sua Fase de Batalha no turno em que ativar este efeito. Durante cada um dos turnos do seu oponente, o primeiro monstro "Asanegra" que você controla que seria destruído em batalha, não é destruído. Spanish Alanegra - Vientoplateado el Ascendente 1 Cantante "Alanegra" + 2 o más monstruos que no sean CantantesCuando esta carta es Invocada por Sincronía puedes seleccionar hasta 2 monstruos boca arriba en el Campo con una DEF menor que el ATK de esta carta; destruye esos objetivos. No puedes realizar tu Battle Phase el turno en el que activas este efecto. Durante cada turno de tu adversario, el primer monstruo "Alanegra" que controles que fuera a ser destruido en batalla no es destruido. Japanese BF(ブラックフェザー)-孤(こ)高(こう)のシルバー・ウィンド 「BF」と名のついたチューナー+チューナー以外のモンスター2体以上このカードがシンクロ召喚に成功した時、このカードの攻撃力よりも低い守備力を持つ、フィールド上のモンスターを2体まで選択して破壊できる。この効果を発動するターン、自分はバトルフェイズを行えない。また、相手のターンに1度だけ、このカードがフィールド上に表側表示で存在する限り、自分フィールド上の「BF」と名のついたモンスターは戦闘では破壊されない。 Burakku Fezā - Kokō no Shirubā Windo Black Feather - Silverwind the Aloof Korean BF(블랙 페더)-고고한 실버 윈드 "BF블랙 페더"라는 이름이 붙은 튜너 + 튜너 이외의 몬스터 2장 이상이 카드가 싱크로 소환에 성공했을 때, 필드 위에 앞면 표시로 존재하는, 이 카드의 공격력보다도 낮은 수비력을 가진 몬스터를 2장까지 선택하고 파괴할 수 있다. 이 효과를 발동하는 턴에, 자신은 배틀 페이즈를 실행할 수 없다. 또한, 상대의 턴에 1번만, 이 카드가 자신 필드 위에 앞면 표시로 존재하는 한, 자신 필드 위에 존재하는 "BF블랙 페더"라는 이름이 붙은 몬스터는 전투로는 파괴되지 않는다. Sets in other languages French ReleaseNumberSetFrench nameRarity2009-11-12SOVR-FR041Stardust OverdrivePouvoir de la Poussière d'EtoileUltra RareUltimate Rare2011-05-26DP11-FR015Duelist Pack CrowPack du Duelliste CrowRare2014-10-23LC5D-FR134Legendary Collection 5D's Mega PackCollection Légendaire 5D's Méga PackSuper RareGerman ReleaseNumberSetGerman nameRarity2009-11-12SOVR-DE041Stardust OverdriveStardust OverdriveUltra RareUltimate Rare2011-05-26DP11-DE015Duelist Pack CrowDuelist Pack CrowRare2014-10-23LC5D-DE134Legendary Collection 5D's Mega PackLegendary Collection 5D's Mega PackSuper RareItalian ReleaseNumberSetItalian nameRarity2009-11-12SOVR-IT041Stardust OverdrivePotere della Polvere di StelleUltra RareUltimate Rare2011-05-26DP11-IT015Duelist Pack CrowDuelist Pack CrowRare2014-10-23LC5D-IT134Legendary Collection 5D's Mega PackMega-Pack Collezione Leggendaria 5D'sSuper RarePortuguese ReleaseNumberSetPortuguese nameRarity2014-10-24LC5D-PT134Legendary Collection 5D's Mega PackColeção Lendária 5 Mega PacoteSuper RareSpanish ReleaseNumberSetSpanish nameRarity2009-11-12SOVR-SP041Stardust OverdrivePoder de Polvo de EstrellasUltra RareUltimate Rare2011-05-26DP11-SP015Duelist Pack CrowSobre de Duelista CrowRare2014-10-23LC5D-SP134Legendary Collection 5D's Mega PackColección Legendaria 5D's Mega PackSuper RareJapanese ReleaseNumberSetJapanese nameRarity2009-07-18SOVR-JP041Stardust Overdriveスターダスト・オーバードライブUltra RareUltimate Rare2010-10-16DP11-JP015Duelist Pack Crowデュエリストパック -クロウ編(へん)-Rare2012-08-11DE04-JP066Duelist Edition Volume 4DUELIST(デュエリスト) EDITION(エディション) Volume(ボリューム) 4RareKorean ReleaseNumberSetKorean nameRarity2009-11-19SOVR-KR041Stardust Overdrive광속의 스타더스트Ultra RareUltimate Rare2011-03-21DP11-KR015Duelist Pack CrowDUELIST PACK(듀얼리스트 팩) —크로우 편—RareIn other media Page Medium Debut date Blackwing - Silverwind the Ascendant anime Anime 2009-04-08 Blackwing - Silverwind the Ascendant Duel Links Yu-Gi-Oh! Duel Links
Grade Arme de septième dimension En utilisant la classification de la force humaine comme référence, ce serait une arme de niveau sage, communément appelée arme sage! C'était bien plus terrifiant que les armes extraordinaires de la sixième dimension ![Arc de bataille runique de la septième dimension. Il contient l'âme rancunière d'un roi corbeau souterrain en tant qu'âme de

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Pour les articles homonymes, voir cette page d'homonymie. Née en l'an 284, Daenerys Targaryen [deɪn'ɛrɪs tɑr'gɛriən][1], surnommée Daenerys du Typhon ou Daenerys Typhon-Née, est l'unique fille du roi Aerys II Targaryen et de la reine Rhaella Targaryen. C'est une très belle jeune fille à la carnation claire, timide et svelte, et qui possède les yeux améthyste et les cheveux or et argent caractéristiques des Targaryen. Depuis la chute de la dynastie des Targaryen, Daenerys et son frère Viserys subsistent en exil dans les cités libres au-delà du détroit. Daenerys vit dans l'ombre de son frère qui ne rêve que de reconquérir le Trône de Fer de leurs aïeux. N'ayant jamais connu les Sept Couronnes, elle ne rêve pour sa part que d'une vie tranquille semblable à celle de son enfance passée à Braavos sous la protection du bon ser Willem Darry qui la chérissait. Sa vie, faite de fuites successives, et qui l'a contrainte avec son frère à demander l'hospitalité aux puissants des cités libres, l'a rendue prudente et lucide sur la nature humaine. Elle se montre bien plus consciente que son aîné des attentes de ceux qui soutiennent prétendument les derniers héritiers de la lignée de la maison Targaryen[2]. Sommaire 1 Avant AGOT 2 Dans AGOT Mariage Les Dothrakis Guerre Naissances 3 Dans ACOK Errances Qarth Prophéties Départ 4 Dans ASOS Astapor Yunkaï Meereen 5 Dans AFFC 6 Dans ADWD L'exercice du pouvoir La guerre menace Noces et envols 7 Arbre généalogique réduit 8 Dans la série télévisée 9 Les approfondissements de La Garde de Nuit 10 Notes et références Notes Références Avant AGOT[modifier] Daenerys est née neuf mois après la fuite des derniers Targaryen à Peyredragon qui suit la chute de Port-Réal[N 1]. Sa mère est morte en la mettant au monde pendant une terrible tempête, ce qui lui vaut son surnom de Typhon-Née » ou du Typhon »[3], surnom par lequel elle est connue dans les Sept Couronnes[4]. La garnison de Peyredragon est prête à la vendre, avec son frère Viserys, à l’Usurpateur, Robert Baratheon, mais ser Willem Darry leur sauve la vie en les emmenant à Braavos. Là, les deux orphelins royaux vivent quelques années paisibles, dans la maison à la porte rouge »[N 2][5], jusqu'à la mort de ser Willem. Daenerys est très attachée à ce logement où elle dispose d'une chambre personnelle, dont la fenêtre donne sur un citronnier. Le décès de ser Darry et le vol de leurs maigres biens par la domesticité les condamnent à en être expulsés. Ils vivent alors pauvrement, parcourant les cités libres à Myr, Tyrosh, Qohor, Volantis et Lys en tentant d'échapper aux tueurs envoyés à leurs trousses par le roi Robert[N 3][2][6][7][8]. De ces multiples trajets, dont certains en bateau, Daenerys prend le goût de la mer, au point qu'elle déclare un jour à son frère vouloir devenir marin, ce qui le rend furieux. En effet, Viserys peut se montrer extrêmement violent à l'encontre sa sœur, surtout quand il considère qu'elle se montre indigne de sa qualité de sang du dragon », et il n'hésite alors pas à la brutaliser. Mais il peut aussi être protecteur et tendre, lui racontant les histoires de sa future accession au trône de Fer[3]. Ces années sont rudes. Les exilés sont d'abord accueillis chez les notables et les puissants, mais, le pouvoir de Robert Baratheon semblant solidement installé, les portes se ferment peu à peu devant les exilés, qui connaissent dès lors souvent le froid, la faim, voire la peur mais jamais la maladie, ce que Viserys met sur le compte de leur ascendance, qui les immuniserait[9]. Ils sont finalement accueillis par maître Illyrio Mopatis, un riche magistrat de Pentos[2]. Dans AGOT[modifier] Mariage[modifier] Âgée de treize ans, Daenerys doit, selon la volonté de son frère Viserys III Targaryen, épouser Khal Drogo, un puissant seigneur de guerre dothraki n'ayant jamais perdu de bataille. L'objectif de Viserys est d'échanger sa sœur contre dix mille guerriers afin de reconquérir le Trône de Fer. La cérémonie du mariage est organisée par le riche Illyrio Mopatis, qui, selon Viserys, les aide pour la gratitude qu'il obtiendra en retour lorsque le roi légitime aura récupéré son trône. Daenerys n'est pas convaincue mais ne fait pas part de ses doutes[2]. De nombreux notables assistent à sa présentation au khal dont la seule vue effraie la jeune fille des chefs dothrakis dont Khal Moro et son fils Rhogoro, le frère de l'Archonte de Tyrosh ainsi qu'un chevalier de Westeros, ser Jorah Mormont, ayant fui sa terre où il a été condamné pour trafic d'esclaves[2]. Elle fait ensuite un rêve encore plus terrifiant, où elle voit un dragon[10]. Ses noces ont lieu devant les murs de Pentos, au milieu du khalasar au grand complet. Terrifiée, Daenerys assiste à une journée de ripailles, de beuveries, de copulations et de duels à mort. Enfin, le soir venu, vient le temps des dons son frère lui offre trois servantes, Irri, Jhiqui, et Doreah en réalité achetées par maître Illyrio, qui doivent lui enseigner respectivement l'équitation, la langue dothrakie, et les arcanes de l'érotisme ; ser Jorah qui a mis son épée au service de son frère met à ses pieds de vieux livres d'histoire et de poésie des Sept Couronnes ; Illyrio lui donne trois œufs de dragon fossilisés ; les trois sang-coureurs de son mari lui font don de trois armes rituelles Haggo un grand fouet de cuir à la poignée d'argent, Cohollo un magnifique arakh incrusté d'or et Qotho un arc en os de dragon plus haut qu'elle que, selon la coutume, elle refuse et remet à son mari ; les Dothrakis rivalisent de cadeaux les plus divers vêtements, bijoux, parfums, …. enfin, Drogo lui offre une exceptionnelle pouliche gris-argent. Elle part avec lui pour une longue chevauchée, avant qu'ils ne consomment leurs noces sous les étoiles. Daenerys est alors surprise et séduite par la délicatesse et la douceur de son mari[10]. Les Dothrakis[modifier] Après le mariage, la khaleesi doit être présentée au dosh khaleen de Vaes Dothrak. Le khalasar quitte donc Pentos et entre dans la mer Dothrak, l'immense plaine herbeuse du grand continent est. Outre les servantes qui lui ont été offertes lors de son mariage, le khas de Daenerys comprend des guerriers chargés de veiller sur elle Quaro, Rakharo, Aggo et Jhogo. Les fatigues et les douleurs du voyage et des nuits avec Drogo sont d'abord difficiles à endurer, mais, une nuit, elle rêve qu’elle se purifie dans le feu d'un dragon, et le jour suivant les douleurs diminuent quelque peu. Grâce aux qualités de sa pouliche, Daenerys apprend le plaisir de la monte, et elle peut s'émerveiller des beautés de la mer dothrak. Ses œufs de dragons lui semblent parfois tièdes, mais elle pense être victime d'une illusion[11]. Lors du voyage, Viserys la harcèle, se plaint, et la menace continuellement. Épuisant un jour sa patience, elle le frappe et le prive de sa monture, l'obligeant à marcher devant tout le khalasar, humiliation suprême chez les Dothrakis. Viserys demande alors à ser Jorah Mormont de la frapper, mais le chevalier préfère obéir à la jeune femme qui prend conscience que son frère est un homme vil et faible et qu'il ne sera jamais roi des Sept Couronnes. Ser Jorah pense d'ailleurs que cela est pour le mieux, car il ferait l'un des pires monarques de la dynastie Targaryen. Cette nuit-là, elle fait l'amour avec Drogo hors de la tente, en face-à-face. Le jour de ses quatorze ans, elle se rend compte qu'elle est enceinte[11]. Le khalasar arrive enfin à Vaes Dothrak, sous la Mère des Montagnes, par la colossale porte du Cheval. Daenerys arpente la route et découvre les innombrables statues de divinités, fruits des pillages dothrakis. Elle s'entretient avec ser Jorah Mormont des aptitudes à exercer le pouvoir de son frère et le chevalier ne lui cache pas son scepticisme, voire son inquiétude quant à l'incapacité du prince à comprendre la logique des Dothrakis. En effet, Viserys pense avoir acheté » une armée en vendant » sa sœur mais les Dothrakis ne sont pas des marchands le mariage de Daenerys à Drogo est un don que le khal doit compenser par un contre-don, mais lorsque le temps sera venu. Ils échangent ensuite sur la valeur militaire des Dothrakis comparée à celle des guerriers de Westeros. Les quarante mille guerriers de Khal Drogo sont l'équivalent de l'armée du prince Rhaegar au Trident, mais ils ne conçoivent pas la guerre de la même façon que les gens de Westeros, et s'ils ont un large avantage en plaine, ils n'auraient pas la patience ni les engins pour assiéger les châteaux des seigneurs des Sept Couronnes, et perdraient probablement une guerre d'usure. Alors que Drogo part pour la nuit sacrifier aux dieux dothrakis sur la Mère des Montagnes, Daenerys convie son frère à dîner dans sa tente pour se réconcilier avec lui. Mais il s'emporte encore une fois, et Daenerys doit le frapper avant de le chasser[12]. Comme le veut la coutume, en tant que khaleesi, Daenerys rencontre les devineresses du dosh khaleen et doit manger un cœur d'étalon afin de donner vigueur et vitalité à son fils à naître. Elle réussit cette épreuve, et les devineresses prédisent la grandeur à son futur enfant. Il sera l'étalon qui montera le monde et Daenerys décide de l’appeler Rhaego, en mémoire de son frère Rhaegar. Elle se purifie ensuite dans le Nombril du Monde, où Drogo la prend devant tout le khalasar. Pendant le banquet qui suit, elle demande à ser Jorah de s'asseoir à ses côtés. Il lui apprend que son enfant serait le khal des khals, destiné à unir tous les clans dothrakis et à conquérir le monde. Survient alors Viserys, ivre et plus agressif que jamais. Tirant son épée alors qu'il est sacrilège de faire couler le sang à Vaes Dothrak, il en menace sa sœur et exige le prix convenu pour son mariage avec le khal. Drogo lui promet une couronne d’or dont la magnificence fera frémir quiconque la contemplera puis fait fondre sa ceinture en or massif dans une marmite et en verse le contenu sur la tête d'un Viserys hurlant. Daenerys, qui observe calmement la mort de son frère, pense que le feu ne saurait tuer un dragon son frère n'en était donc pas un[13]. Après les festivités, Drogo décide de partir vers l'est et non vers l'ouest, au grand dam de Daenerys, car cette route l'éloigne de Westeros. Mais le khal est réticent à faire traverser la mer à son khalasar. Alors qu'il est parti chasser, elle visite une caravane marchande en provenance de Pentos, accompagnée de ser Jorah. Celui-ci s’esquive rapidement pour aller demander au chef de la caravane s'il a des lettres pour lui. Cette caravane rappelle à Daenerys son enfance à Braavos. Un marchand de vin lui propose de goûter un verre, puis lui offre un baril de La Treille. Mais ser Jorah, revenu sur ces entrefaites, exige que le marchand boive son vin d'abord. Celui-ci prend peur et fuit, mais Jhogo le rattrape. Ser Jorah explique à Daenerys qu'il a reçu une missive l'informant que le roi Robert Baratheon, l'Usurpateur, a mis sa tête à prix, ainsi que celle de son fils à naître. Quand Drogo apprend la nouvelle, il s’engage à conquérir les Sept Couronnes pour sa khaleesi[14]. Guerre[modifier] Lors du voyage vers l’ouest, le clan de Drogo croise la route du khalasar de Khal Ogo, qui en train d'assiéger une ville des Lhazaréens, paisible peuple pasteur. Une bataille s'engage et le khalasar de Khal Drogo en sort vainqueur. Il fait ainsi dix mille esclaves qu'il espère vendre dans les cités esclavagistes de la baie des Serfs pour payer la traversée du détroit. Daenerys ne supporte pas les scènes de viol qui s'ensuivent, et, malgré l'incompréhension de ser Jorah et de son khas, prend les captives, que Drogo lui concède, sous sa protection. Mais le khal est blessé et Mirri Maz Duur, une guérisseuse des Lhazaréens sauvée par Daenerys, offre ses services pour le soigner. Les guerriers de Drogo ne sont pas d’accord et la traitent de Maegi, sorcière sans âme. Daenerys lui fait cependant confiance, et Mirri Maz Duur emporte Drogo à l’intérieur du temple du Pâtre Suprême, lui retire la flèche et enduit ses blessures de baumes et d’onguents. La jeune femme lui demande alors son aide lors de son accouchement prochain[15]. Quelques jours plus tard, Drogo, brûlé par les pansements de Mirri Maz Duur, les arrache. La blessure s’infecte et le khal tombe de cheval, signe de sa fin proche. Daenerys a du mal à se faire obéir des sang-coureurs de son mari quand elle leur ordonne de faire venir Mirri Maz Duur. Ser Jorah lui apprend alors la triste vérité Drogo est d'ores et déjà mort et elle doit partir avec son khas vers l'est, car les successeurs du khal voudront faire disparaître son héritier. Quant à la destinée d’une khaleesi veuve, elle est de finir au dosh khaleen[16]. Naissances[modifier] Mirri Maz Duur confirme l'état désespéré de Drogo, mais Daenerys refuse de renoncer et lui demande de le faire revenir à la vie, quoi qu'il en coûte. Il existerait selon la guérisseuse un moyen de le sauver une incantation qu’elle a apprise auprès de son maître, sang-mage des Contrées de l'Ombre, à Asshai. Mais seule la mort peut acheter la vie… La maegi procède alors à un rituel sanglant, faisant égorger l'étalon rouge de Drogo sur le corps de son maître. Puis elle fait évacuer la tente, car nul ne doit assister au rituel danseront les morts, et aucun vivant ne doit les voir. Ses hurlements et les ombres inquiétantes qui se dessinent bientôt sur la toile révoltent les sang-coureurs, qui veulent l'interrompre. Daenerys ordonne à son khas de s'interposer, et bientôt le sang coule. Elle sent alors qu'elle perd les eaux, et ser Jorah, blessé, la porte vers la tente pour demander l'assistance de Mirri Maz Duur. Terrorisée, Daenerys s'évanouit[16]. Dans son délire, elle s'enfuit, poursuivie par une chose terrifiante, vers la porte rouge de la demeure de son enfance. Elle a des visions de son fils Rhaego adulte, et de ses frères Rhaegar et Viserys. À son réveil, elle comprend aux visages de ses servantes que son fils est mort. Les œufs de dragon palpitent sous ses doigts et ne sont plus froids. Faisant appeler ser Jorah, Daenerys s’aperçoit qu'il est marqué par le remords, car il pense avoir tué son enfant sans le savoir en l'emmenant auprès de la maegi en pleine invocation. Mirri Maz Duur lui apprend que son fils était monstrueux, et qu'il semblait mort depuis des années. Encore faible, elle se fait aider pour retrouver Drogo et là, demande à Mirri Maz Duur si c’est cela qu’elle a payé de la vie de tant de monde Drogo gît inerte, aveugle et sans aucune volonté. Son khalasar a éclaté en plusieurs clans rivaux, et ne restent auprès de la khaleesi que quelques centaines de vieillards, de femmes, d'enfants, d'esclaves, et son khas. La maegi lui révèle alors qu'elle a agi pour se venger de la destruction de sa ville et de son temple par les Dothrakis. Après l'avoir fait ligoter, Daenerys fait porter son khal » hors de la tente. Toute la nuit, elle lui parle, l'embrasse et le caresse, tentant ainsi de le ramener à la conscience. Au matin, se rendant compte que son état ne s’améliore pas, elle va chercher un coussin de soie et, après avoir baisé tendrement son front, le lui applique sur le visage[17]. Rassemblant les quelques centaines de personnes restantes du khalasar, Daenerys affranchit les esclaves et laisse à tous le choix de l'abandonner ou de la suivre. Elle fait ensuite construire un bûcher funéraire où un étalon est sacrifié. Les trésors de Khal Drogo y sont amoncelés au-dessus. Elle nomme Jhogo, Aggo et Rakharo ko ses sang-coureurs, mais ces derniers rejettent cette atteinte aux coutumes seul un khal peut avoir des sang-coureurs. En revanche, ser Jorah jure de la servir, de lui obéir et de mourir pour elle s’il le faut. Elle lui demande de l'appeler désormais sa reine, et le fait premier membre de sa Garde Régine. Le corps du khal est ensuite installé sur le bûcher avec les œufs de dragon et Mirri Maz Duur, toujours attachée. Au moment de mettre le feu, la première étoile qui apparaît dans le ciel est une comète rutilante, rouge sang, rouge feu, avec une queue de dragon. Les flammes s'élèvent, brûlant la maegi, les trésors et le corps de Drogo. Daenerys, envoûtée, s’approche du bûcher malgré les cris de ser Jorah. Elle voit dans les flammes des animaux lions, serpents, poissons, renards, loups, chevaux, des monstres licornes, oiseaux brillants, des arbres en fleurs... Il lui semble voir Drogo se dresser. Trois violentes explosions retentissent. Elle disparaît dans les flammes et, quand la chaleur a enfin diminué, ses fidèles la découvrent nue, lovée dans les cendres, un dragonnet crème et or lui tétant le sein gauche, un vert et bronze le sein droit et un écarlate et noir lové autour de ses épaules[N 4]. Subjugués, le chevalier et les Dothrakis se prosternent, désormais dévoués corps et âmes comme ils ne l'ont jamais été pour aucun khal[18]. Dans ACOK[modifier] Errances[modifier] Daenerys du Typhon, khaleesi du Khal Drogo, est maintenant Daenerys l’Imbrûlée, la Mère des Dragons. Suivant les conseils de ser Jorah Mormont, elle décide d'emmener son maigre khalasar, qui ne compte qu'une centaine de membres surtout des enfants, des femmes et des vieillards, vers le sud-est, afin d'éviter les autres khalasars des anciens ko de Drogo, qui n'auront rien de plus pressé que de l'éliminer et de capturer ses dragons. C'est en outre le chemin que désigne la comète rouge. Mais cette route l'oblige à traverser le désert des terres rouges, contrée hostile où l'eau, le gibier et le fourrage sont rares. De nombreuses personnes n’ont plus la force de continuer et meurent. Lorsque Doreah, malade à son tour, doit cesser de chevaucher, Daenerys immobilise son khalasar pendant son agonie, et ne reprend la route qu'après sa mort. Heureusement, les dragons, que Daenerys nourrit de viande de cheval grillée, grandissent et prospèrent. Elle nomme le vert Rhaegal en l'honneur de son frère Rhaegar, le crème et or Viserion en souvenir de Viserys et le noir Drogon en l'honneur du Khal Drogo. Enfin, le khalasar arrive à une ville, déserte et en ruines, mais où ils trouvent de l’eau et de la nourriture. Le soir, ser Jorah lui raconte l'histoire de son amour pour sa seconde épouse, Lynce Hightower, et de la déchéance où elle l'a conduit. Il avoue à Daenrys qu'elle ressemble à Lynce, et elle comprend que ser Jorah éprouve pour elle plus que de la loyauté[19]. Le lendemain, Daenerys ordonne à ses sang-coureurs de partir en éclaireurs dans trois directions différentes, afin de ne plus avancer à l’aveuglette. Le khalasar panse ses plaies dans Vaes Tolorro nom donnée à la cité déserte et reprend des forces en attendant le retour des trois guerriers. Rakharo, rentré le premier au campement, rapporte qu’au sud de la cité ne s’étend que le désert de sable jusqu’aux dunes qui bordent l’océan. Aggo affirme ensuite que le sud-ouest est stérile et calciné » et qu’il n’y a vu que deux cités semblables à Vaes Tolorro, et le squelette d'un grand dragon. Jhogo, lui, revient enfin du sud-est, accompagné de trois notables de la cité de Qarth Pyat Pree le grand conjurateur, Xaro Xhoan Daxos un prince négociant et Quaithe de l’Ombre, une femme masquée. Tous trois déclarent être venus contempler les dragons[19]. Qarth[modifier] Alors qu’à la tête de son khalasar, Daenerys entre dans Qarth et en découvre la magnificence, Pyat Pree le Conjurateur et Xaro Xhoan Daxos le marchand se livrent à une bataille de mots pour s’attirer ses faveurs. Elle a encore en mémoire la traîtrise de Mirri Maz Duur et se méfie donc du Conjurateur. Elle décide plutôt de s’établir dans le palais du marchand. Quaithe ne dit presque rien et se contente de l'avertir ses dragons attirent la convoitise, et elle ne doit se fier à personne. Perdue dans ses réflexions, Daenerys se rend bien compte que ses trois dragons ne suffiront pas pour reconquérir les Sept Couronnes, d'autant plus qu'elle ne veut pas régner sur un royaume calciné. Elle envoie ser Jorah Mormont au port pour y obtenir des échos de Westeros. Il revient avec Quhuru Mo, un capitaine des Îles d'Été, qui lui apprend la mort de l’Usurpateur, la prétendue félonie et l'emprisonnement de lord Eddard Stark, et le désir des frères du défunt roi de contester la couronne du jeune Joffrey Baratheon. Ces nouvelles l'emplissent d’espoir[20]. Grâce aux conseils de Xaro Xhoan Daxos, Daenerys parvient à tirer de grands profits de l'énorme curiosité que soulèvent les dragons. Elle ne conserve qu'un seul des nombreux présents que les visiteurs lui laissent un magnifique diadème en forme de dragon tricéphale annelé d'or jaune, ailé d'argent et au chef de jade, d'ivoire et d'onyx ciselés, offert par la Fraternité Tourmaline, et dont elle décide de faire sa couronne. Tous les autres sont investis dans les sommes nécessaires pour obtenir une audience auprès des Impollus, descendants des anciens rois et reines de Qarth, qui commandent la garde et les galères. Mais ces derniers lui refusent leur aide. Quant à Xaro, il se dérobe aussi aux demandes de Daenerys, lui proposant plutôt le mariage, avec l'idée d'obtenir un dragon en présent de noces. Désemparée, elle finit par envisager de se rendre auprès des Conjurateurs. Dans la rue, elle assiste au spectacle d'un pyrologue faisant des tours étonnants avec du feu. Quaithe apparaît alors et lui révèle que c’est elle qui est la cause du retour de la magie, en tant que Mère des Dragons. Elle lui dit de se diriger vers Asshaï-lès-l'Ombre pour découvrir la vérité, qu'elle ne trouvera sûrement pas à Qarth Pour vous rendre au nord, partez vers le sud. Pour gagner l’ouest, cheminez à l’est. Pour aller de l’avant, retournez en arrière et, pour atteindre la lumière, passez sous l’ombre ». À son retour au palais, ser Jorah lui conseille également de quitter la ville pour partir vers l’est, mais sans plan précis. Mais Daenerys, persuadée que la Comète rouge ne l'a pas menée à Qarth pour rien, décide de se rendre chez les Conjurateurs[21]. Prophéties[modifier] L'hôtel des Nonmourants n’est qu’une antiquité grisâtre. Ses sang-coureurs, ser Jorah Mormont et Xaro Xhoan Daxos déconseillent à Daenerys d’y entrer mais elle pénètre dans l'enceinte avec Drogon, Pyat Pree refusant qu'elle soit accompagnée. Il lui donne des conseils pour déjouer les pièges de l'hôtel toujours prendre la première porte à droite et toujours monter les escaliers. Si des portes s’ouvrent, ne jamais y entrer. Il lui fait boire le vin des Conjurateurs, l'ombre-du-soir, pour qu'elle voie et entende la vérité, avant de la laisser pénétrer dans l'hôtel. Les pièces que Daenerys traverse sont toutes différentes, et l'ampleur intérieure du bâtiment se révèle sans commune mesure avec son aspect extérieur. Par certaines des portes ouvertes, elle ne peut s'empêcher de contempler des scènes étranges, mais elle parvient toujours à ne pas y pénétrer. Après des heures d'errance, elle se retrouve enfin dans une pièce obscure avec une table de pierre en son milieu. Un cœur putrescent et palpitant de lumière indigo se trouve au centre. Des ombres bleues entourent la table les Nonmourants ne sont plus que des cadavres, mais qui peuvent lire dans ses pensées, et qui lui parlent et lui délivrent des prophéties sibyllines. Perdue et confuse, et sentant une étrange torpeur l'envahir, Daenerys leur réclame plus d'aide, et reçoit alors d'eux des visions encore plus énigmatiques. Elle prend soudainement conscience que les Nonmourants l'entourent, la palpent, la lèchent et commencent à la mordre. Drogon s'attaque alors au cœur et le détruit par le feu, ce qui entraîne la crémation des Nonmourants et l'incendie de leur hôtel. Daenerys et Drogon parviennent à s'en extraire et se retrouvent à l'extérieur, où Pyat Pree tente de la poignarder. Mais il est arrêté par Jhogo et Rakharo, et ser Jorah vient soutenir sa reine défaillante[5]. Voir article détaillé Rêves et prophéties prophéties et visions chez les Nonmourants. Daenerys considère la destruction de l'hôtel des Nonmourants comme une victoire, et, en conséquence, porte désormais une clochette dans ses cheveux, suivant en cela la coutume dothraki[22]. Départ[modifier] La destruction des Nonmourants et de leur hôtel provoque l'hostilité de la ville et de ses organisations envers Daenerys, d'autant plus que, paradoxalement, les pouvoirs des Conjurateurs semblent avoir gagné en puissance. Si la Fraternité Tourmaline exige l'expulsion de l'héritière des Targaryens, et la Guilde des Épiciers sa mort, les Treize ne s'abstiennent de prendre un parti que du fait de l'influence de Xaro Xhoan Daxos. Mais, lorsque Daenerys refuse une nouvelle proposition matrimoniale de sa part, le riche marchand change de discours et exige à son tour son départ de son palais et de la ville. Elle tente alors de négocier avec lui l'achat de navires, mais le seul prix qu'il accepte est l'échange avec un de ses dragons, ce à quoi elle ne peut se résoudre. Il lui faut donc de nouveau fuir ; accompagnée de ser Jorah Mormont et de deux de ses sang-coureurs, elle se rend sur le port, mais aucun bateau n'accepte de l'embarquer pour un prix acceptable. En quittant l'un de ces navires, ser Jorah repère deux individus qui les suivent et les épient un énorme eunuque basané au corps couturé de cicatrices, et un vieil homme aux cheveux blancs, semblant venir de Westeros. C'est alors qu'un inconnu offre à la mère des dragons » un magnifique coffret de bois ouvragé contenant une manticore l'homme lui ayant glissé à l'oreille avant de disparaître tellement navré… ». Elle est sauvée de justesse par le vieil homme, qui lui fait sauter des mains le coffret d'un coup de bâton et écrase l'insecte. Passée la confusion, les deux inconnus se présentent l'eunuque est Belwas le Fort, ancien combattant des arènes de combat de Meereen et le vieil homme se nomme Arstan, dit Barbe-Blanche », son écuyer. Tous deux sont envoyés de Pentos par maître Illyrio avec trois navires pour y ramener Daenerys et son khalasar. En effet, les Sept Couronnes sont déchirées par la guerre des Cinq Rois et maître Illyrio souhaite voir les dragons. Afin de faire connaitre au monde entier le retour des dragons, elle décide de rebaptiser les trois navires en leur donnant le nom des trois illustres dragons ayant participé à la conquête d'Aegon I Targaryen Vhagar, Meraxès et Balerion[23]. Dans ASOS[modifier] Astapor[modifier] Daenerys embarque pour Pentos à bord du Balerion avec sa suite. Durant les longues journées de calme plat, elle aime à contempler ses dragons qui grandissent et volent à présent bien loin dans le ciel. Encore un an et elle estime pouvoir monter Drogon. Ser Jorah Mormont, puis Arstan évoquent alors le souvenir des anciens dragons. En discutant avec le vieil écuyer, Daenerys apprend qu'il a connu le roi Aerys, son père, et le prince Rhaegar, son frère. À ce dernier, il reconnaît nombre de qualités, mais reste évasif sur ses réels talents de combattant, alors que Viserys l'avait toujours dépeint comme un guerrier exceptionnel. Ser Jorah se méfie du vieil homme et ne le cache pas. Une nuit, il la rejoint dans sa cabine et lui confie ses doutes sur Belwas et Arstan, mais aussi les navires et leurs équipages appartenant à maître Illyrio Mopatis, dont le dévouement à la cause targaryenne lui paraît incertain. Il propose à sa reine de le mettre à l'épreuve en déroutant sa flotte vers Astapor, et en utilisant les richesses dont les cales sont pleines pour y acquérir une armée d'esclaves, les Immaculés. Daenerys pourra alors reprendre sa route vers Pentos par la terre, et y arriver non en quémandeuse, mais en chef d'une armée dévouée. Daenerys est d'abord irritée par l'obstination de son fidèle ami à voir des traîtres partout, et par la rudesse de ses remontrances devant sa trop grande confiance envers des inconnus. Mais elle se laisse finalement convaincre par son éloquence, et ser Jorah, enivré par son discours et l'intimité du moment, l'enlace et l'embrasse en amant. Troublée malgré elle, elle ne le repousse pas immédiatement, mais refuse d'aller plus loin et exige de lui le respect qui lui est dû[3]. Cette brève étreinte fait renaître en elle des sensations qu'elles croyaient disparues depuis la mort de Drogo, mais elle sait que ser Jorah n'est pas celui qui pourra les combler, et elle veille à ne plus se retrouver seule avec lui. Irri lui offre le réconfort de ses caresses une nuit, mais cela ne la comble pas non plus[24]. Arrivée à Astapor, elle laisse ser Jorah à bord et va négocier l'achat d'Immaculés avec le marchand d'esclaves Kraznys mo Nakloz en compagnie d'Arstan. Elle feint, auprès du négrier, de ne pas comprendre le haut valyrien et laisse son esclave interprète, Missandei, traduire. Par son truchement, Kraznys lui vante la valeur de ses eunuques, mais Daenerys est écœurée par la cruauté de leur entraînement et leur inhumanité. Alors qu'ils regagnent les navires, Arstan lui déconseille de recourir aux esclaves pour reconquérir son jZ6x.
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