Poureffaroucher les Ă©tourneaux, les cris du faucon, son principal prĂ©dateur, sont diffusĂ©s par haut-parleur dans des zones ciblĂ©es. Comment faire fuir les oiseaux des fraisiers ? De l'huile de cade pour Ă©loigner les oiseaux des fruitiers Pour Ă©viter que les oiseaux ne dĂ©vorent vos fruits, mettez de l'huile de cade sur un chiffon que vous pourrez accrocher dans vos arbres. Les Ă©tourneaux sansonnets volent en petites escadrilles pour se jeter Ă  bec perdu sur les cerises. Des sifflements entrecoupĂ©s d’un pot-pourri de tonalitĂ©s garantissent un dĂ©noyautage
 Que faire ? PubliĂ© 14 juin 2020 Ă  11h51 Temps de lecture 3 min L’étourneau sansonnet picore la drupe et se gave sur l’arbre. Il n’y a pas de noyaux de cerises dans un nid d’étourneaux sa nichĂ©e n’est pas frugivore. Les oisillons se nourrissent Ă  la becquĂ©e de vers. Les adultes non plus ne sont pas frugivores mais omnivores, ils mangent de tout invertĂ©brĂ©s, colĂ©optĂšres, escargots, limaces, vers de terre, araignĂ©es, cochenilles, cerises, abricots, figues, quetsches, mirabelles, sureau, raisin
 L’étourneau bienfaiteur PerchĂ©s sur le dos, ils dĂ©parasitent les ruminants bovins, chevaux, moutons
 et grands mammifĂšres cerfs, chevreuils, sangliers
. En dehors des pĂ©riodes de fructification, ils marchent par petits groupes de dix Ă  la conquĂȘte des prĂ©s et des pelouses pour extirper les parasites cousin, ver du hanneton, ver blanc
. L’étourneau a le bec sucrĂ© Ils ne rĂ©sistent pas aux cerises Ă  clafoutis car ils prĂ©fĂšrent les fruits juteux qui se dĂ©noyautent facilement. Reconnaissons qu’une flopĂ©e de petites escadrilles d’étourneaux tournicotant sur un cerisier Montmorency Ă©nervent les bouches gourmandes. Que vont devenir nos tartes, nos confitures, nos cerises Ă  l’eau-de-vie, nos clafoutis, etc. ? Bonne annĂ©e 2020 Cette annĂ©e, la fructification est exceptionnelle en quantitĂ© et en qualitĂ©. Il y en a pour tout le monde. SincĂšrement, cette annĂ©e nous ne devrions pas faire queues de cerises » ! Ce ne sera pas la guigne aux bigarreaux ! Villes dortoirs AttirĂ©s par la lumiĂšre, les Ă©tourneaux, au moment des migrations, investissent les centres-villes pour se rĂ©chauffer car il fait 4Âș C de plus qu’à la campagne. Leurs fientes dĂ©gagent une mauvaise odeur. Seuls les cris du geai ou d’un rapace sont capables de les effrayer. Et encore ! Sur nos gardes La vigilance est tout de mĂȘme de mise, ne baissons pas la garde et il est conseillĂ©, pour les annĂ©es Ă  suivre, de prĂ©parer une bonne dĂ©fense dont voici quelques astuces pour repousser les chapardeurs. Monter la garde. C’est sans doute la solution la plus radicale pour les effrayer. Encore faut-il pouvoir faire le planton du matin au soir sous le cerisier. Suspendre des CD. Ils rĂ©flĂ©chissent la lumiĂšre, Ă©blouissent les volatiles et les perturbent sous les rayons du soleil. xxx Hareng. Un poisson dĂ©shydratĂ© pendu au bout d’une gaule. L’étourneau aurait-il du nez ? Ou s’agit-il de la forme du poisson qui reprĂ©senterait le vol d’un rapace ? Concert de conserves. Le cliquetis des boĂźtes de conserve qui s’entrechoquent provoquant des sursauts. Seulement le sansonnet est capable d’imiter le cliquetis des conserves. Un papier d’aluminium autour des conserves serait plus effrayant. Une radio causante. Attention le sansonnet est mĂ©lomane, il aime chanter la ritournelle et il est un excellent imitateur. PrĂ©fĂ©rez un programme causant chaĂźne d’infos. La parole humaine effarouche les Ă©tourneaux pendant un certain temps. AprĂšs, ils s’habituent aux paroles. Pensez aussi aux dĂ©cibels Ă©mis dans le voisinage. Effaroucheur cerf-volant. AccrochĂ© au bout d’une perche, le cerf-volant effectue un va-et-vient qui rappelle le vol d’un rapace avant de se jeter sur sa proie. Efficace lorsque l’épouvantail est unique dans le secteur. Filet anti-oiseaux. TrĂšs efficace pour protĂ©ger les petits arbres ou les petits fruits. S’agissant d’un arbre consĂ©quent, la pose s’avĂšre difficile, compliquĂ©e et dangereuse. Partager les gains. C’est la quantitĂ© qui sauve ! Il faut parfois cĂ©der quelques cerises lorsqu’elles sont abondantes. Lire aussi Trois applications pour vous aider Ă  jardiner Quand avez-vous le droit de tondre la pelouse de votre jardin ? Chenille de la pyrale les buis vont ĂȘtre sauvĂ©s par les mĂ©sanges
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Rendez-vous avec les oiseaux du 5 dĂ©cembre 2018 Ă  La Meauffe Nous sommes 6 ce matin au lieu-dit "La Germainerie" Ă  La Meauffe. La mĂ©tĂ©o n'est une nouvelle fois guĂšre engageante avec ce temps grisĂątre qui procure peu de lumiĂšre et ne favorise guĂšre l'observation. La pluie nous sera Ă©pargnĂ©e le temps de la sortie. Plate-forme de l'ancienne carriĂšre Nous sommes sur un site particulier puisqu'il s'agit de l'emplacement d'une ancienne carriĂšre et de fours Ă  chaux dont l'exploitation est arrĂȘtĂ©e depuis de nombreuses annĂ©es. Une partie du site est un espace naturel sensible gĂ©rĂ© par le dĂ©partement, les fours Ă  chaux Ă©tant un lieu exceptionnel de reproduction des chauves-souris. La balade dĂ©bute en longeant l'ancienne plate-forme de la carriĂšre fortement compactĂ©e, elle a depuis Ă©tĂ© recouverte d'une vĂ©gĂ©tation pionniĂšre trĂšs carctĂ©ristique avec notamment de la cardĂšre. Cette zone en friche est peu frĂ©quentĂ©e en ce moment, tout comme la zone de broussailles et de ronces qui la jouxte, trĂšs riche au printemps en fauvettes principalement. Il faut donc regarder en l'air pour observer quelques oiseaux grand cormoran, mouette rieuse venant de la baie des Veys, pinson des arbres, pigeon ramier, canard colvert, hĂ©ron cendrĂ©, choucas des tours, corbeau freux et corneille noire. Cependant, des cris qui, Ă  l'amorce, feraient penser Ă  un pic vert nous intriguent ce sont trois limicoles au loin qui se poursuivent ou alarment de la prĂ©sence d'un intrus. Chevalier Ă  coup sĂ»r mais lequel? Tout laisse penser que ce sont des chevaliers aboyeurs certainement posĂ©s sur les rives vaseuses de la Vire. Le terme d'aboyeur correspond tout Ă  fait Ă  ce cri peu discret. Un pipit farlouse alarmĂ© s'envole. Rougegorge familier en bord de Vire Nous nous arrĂȘtons au bord du plan d'eau qui s'est formĂ© dans l'excavation de la carriĂšre. Peu d'oiseaux sont prĂ©sents Ă  part quelques mĂ©sanges bleue et charbonniĂšre. Nous pĂ©nĂ©trons dans une des galeries des fours Ă  chaux. Une ouverture donne vision sur une zone boisĂ©e humide traversĂ©e par un ruisseau on entend la mĂ©sange nonnette et le grimpereau des jardins. Au niveau d'une plate-forme, nous distinguons avec difficultĂ© quelques grives mauvis qui se rĂ©vĂšleront ensuite trĂšs prĂ©sentes sur tout le secteur visitĂ©. Un rougegorge familier est tout proche et le chant de l'accenteur mouchet sort du bois voisin. Haut dans les frondaisons, la mĂ©sange Ă  longue queue pousse ses petits cris rĂ©pĂ©tĂ©s ; elle n'est pas la seule. En longeant le chemin qui mĂšne vers la riviĂšre, les deux roitelets apparaissent , un roitelet Ă  triple-bandeau et quelques roitelets huppĂ©s. Nous passons sous un pont de chemin de fer pour rejoindre la Vire. Nous entendons de loin le gazouillis sans fin des Ă©tourneaux sansonnets perchĂ©s dans un peuplier Ă  proximitĂ© d'une ferme en rive gauche. On observe dans la vĂ©gĂ©tation des rives les mouvement du troglodyte mignon et de quelques mĂ©sanges. Un martin-pĂȘcheur Ă©tait perchĂ© sur la rive opposĂ©e. Jamais familier, il s'envole et va se percher une centaine de mĂštres plus loin. Un pic Ă©peiche crie puis va se percher un peu plus loin. Ce peut ĂȘtre un jeune puisque la calotte a paru bien colorĂ©e de rouge. Au bord du plan d'eau, peu d'oiseaux. Le chemin de halage a Ă©tĂ© modifiĂ© et retracĂ© quelques mĂštres Ă  droite Ă  cause de l'Ă©rosion naturelle des berges. La rangĂ©e d'arbres connue se trouve maintenant Ă  gauche du chemin. Un grimpereau des jardins explore successivement les troncs de ces arbres. Au-delĂ  d'une grande prairie humide, on aperçoit un vaste verger de pommiers et comme par hasard quelques grives litornes dĂ©collent et nous survolent. Cette espĂšce de grosse grive est familiĂšre des vergers et aussi des prairies grasses. La rangĂ©e de peupliers oĂč le gui prospĂšre accueille une ou deux grives draines spĂ©cialistes de cette plante c'est le cri roulĂ© et fort qui permet d'identifier l'espĂšce. En vol, le dessous des ailes est blanc et l'oiseau ferme longuement ses ailes. Une lĂ©gĂšre pluie et la montre nous font rebrousser chemin. Au retour, nous apercevons posĂ© et en vol un chardonneret Ă©lĂ©gant isolĂ©. C'est curieux parce que cet oiseau explore souvent en groupes ce type de milieu. Une buse variable sera le seul rapace observĂ© en deux heures. Nous regagnons les voitures. L'Ă©change entre les participants se poursuit et permet de voir en vol plusieurs espĂšces, quelques tarins des aulnes, bouvreuils pivoines 3 et aussi d'entendre un verdier d'Europe. La prĂ©sence de ces oiseaux mangeurs de graines montrent bien l'attractivitĂ© de ces zones peu entretenues ou en Ă©volution libre prairies humides, friches, buissons, fourrĂ©s, boisement humide sont des sources d'alimentation pour les granivores et aussi pour les insectivores puisque nous entendrons aussi le pouillot vĂ©loce, hivernant dans les bosquets de saules. MalgrĂ© la lumiĂšre basse et le temps chagrin, 36 espĂšces ont Ă©tĂ© observĂ©es. Elles ont Ă©tĂ©, cependant, plus souvent entendues que vues. On retrouve Ă©videmment la base des oiseaux communs de Normandie mais le nombre relativement Ă©levĂ© d'espĂšces permet une nouvelle fois de constater la richesse d'une zone constituĂ©e de milieux diffĂ©rents et relativement prĂ©servĂ©s. Une autre visite au printemps sera intĂ©ressante parce qu'on trouvera dans la liste les oiseaux migrateurs, comme les fauvettes spĂ©cialistes des fourrĂ©s et buissons et d'une strate arbustive basse et les pouillots Vue sur zone boisĂ©e humide dans une galerie de four Ă  chaux . Liste des espĂšces accenteur mouchet, alouette des champs, bouvreuil pivoine, buse variable, canard colvert, chardonneret Ă©lĂ©gant, chevalier aboyeur, choucas des tours, corbeau freux, corneille noire, Ă©tourneau sansonnet, geai des chĂȘnes, grand cormoran, grimpereau des jardins, grive draine, grive litorne, grive mauvis, grive musicienne, hĂ©ron cendrĂ©, martin-pĂȘcheur, mĂ©sange Ă  longue queue, mĂ©sange bleue, mĂ©sange charbonniĂšre, mĂ©sange nonnette, mouette rieuse, pic Ă©peiche, pie bavarde, pipit farlouse, pouillot vĂ©loce, poule d'eau, roitelet Ă  triple-bandeau, roitelet huppĂ©, rougegorge familier, tarin des aulnes, troglodyte mignon, verdier d'Europe. EspĂšce remarquable en rouge Animation publique du 25 novembre 2018 Ă  Saint-LĂŽ Cette animation aurait pu tomber Ă  l'eau, des pluies abondantes Ă©tant tombĂ©es pendant la nuit et au matin mais heureusement, une accalmie se produit dĂšs le dĂ©but de l'animation. 9 personnes sont prĂ©sentes, pour la plupart adhĂ©rentes. Les prĂ©visions mĂ©tĂ©orologiques ont sans doute fait renoncer d'autres personnes. Future maison du technopĂŽle quelques jours avant. Nous sommes sur le site de l'Agglo 21, site amĂ©nagĂ© pour accueillir des entreprises. Pour l'instant, deux parcelles sont occupĂ©es et construites ou en voie de l'ĂȘtre, l'une par le CFA-Groupe FIM et l'autre par la future maison du technopĂŽle en chantier actuellement. Ce site comprend donc des zones construites, des zones viabilisĂ©es, parkings bitumĂ©s sĂ©parĂ©s par des murets et des haies de feuillus desservis par une rue et de vastes zones Ă  nu ou en friche. Sur les parcelles encore en friche, plus ou moins compactĂ©es, on trouve toutes sortes de plantes pionniĂšres dont les graines vont particuliĂšrement intĂ©resser les oiseaux chĂ©nopode, armoise, sĂ©neçon, molĂšne, tanaisie, cirse, chardon et diverses apiacĂ©es. En limite de cette zone de 2 hectares, des haies traditionnelles du bocage sur talus chĂȘne et frĂȘne principalement bordent des prairies ou quelques cultures. Rougegorge sur groupe FIM, bĂątiment perchoir Une trentaine de canards colverts survole le groupe, provenant du plan d'eau voisin et se dirigeant vers le nord. Une mĂ©sange charbonniĂšre s'agite dans un jeune chĂȘne. Les mĂ©sanges circulent rĂ©guliĂšrement dans ces jeunes Ă©lĂ©ments Ă  la recherche de quelque araignĂ©e ou petits insectes. Les mĂ©sanges bleues sont aussi prĂ©sentes mais en petit nombre. Le pied des jeunes haies de charmes ou d'Ă©rables sont explorĂ©s par les rougegorges familiers, les accenteurs mouchets et aussi les merles noirs et les grives musiciennes. Deux d'entre elles trĂšs discrĂštes et farouches passent d'une haie Ă  l'autre et rejoignent vite le couvert. On entend l'inquiĂ©tude du troglodyte mignon qui se montre Ă  peine. Le dĂ©placement d'un groupe fait facilement rĂ©agir les oiseaux. Les chĂ©nopodes ont poussĂ© et fanĂ© et forment des touffes qui Ă©mergent d'une partie fortement compactĂ©e. Une vĂ©gĂ©tation dispersĂ©e finit en effet par sortir tout de mĂȘme de cette partie compactĂ©e. C'est lĂ  que les pipits farlouses se rassemblent Ă  la recherche de quelques graines tombĂ©es. Un pied de chĂ©nopode commun peut fournir 70 000 graines qui font le bonheur de nombreux oiseaux Ă  l'arriĂšre saison. Zone compactĂ©e Ă  chĂ©nopodes pour les pipits Nous continuons Ă  traverser la zone. Deux bergeronnettes de Yarrell picorent sur une rue bitumĂ©e. Nous suivons des friches herbeuses il y a un peu d'agitation non loin d'une aubĂ©pine. Quelques grives musiciennes l'une d'elles s'essaiera au chant Ă  couvert et des merles s'affairent Ă  manger ses fruits qui peuvent attirer aussi l'accenteur le rougegorge ou la charbonniĂšre quand ils sont bien mĂ»rs. Des groupes de chardonnerets Ă©lĂ©gants descendent dans la vĂ©gĂ©tation sur les cirses et les laiterons. Nous descendons un peu en contrebas un hĂ©ron cendrĂ© est posĂ© sur une vaste prairie un autre individu le rejoint un peu plus tard. Notre passage fait fuir une bande de quelques grives litornes, reconnaissables Ă  leur grande taille, leur longue queue grise et leur vol un peu lourd. Nous entamons la descente vers le plan d'eau. Au loin puis au-dessus de nous des vanneaux huppĂ©s nous survolent sensibles aux vagues de froid nordiques, ils sont visibles tĂŽt cet automne. StationnĂ©s Ă  l'entrĂ©e de la prairie au hĂ©ron , nous observons l'envol bref vers une haie plus lointaine de grives mauvis, pas loin d'une centaine et de deux geais des chĂȘnes qui se dissimulent dans le vol des grives et aussi quelques Ă©tourneaux. Bergeronnette de Yarrell Le groupe parvient au plan d'eau des RuiniĂšres dont le niveau est trĂšs bas. On peut imaginer que le niveau a Ă©tĂ© abaissĂ© pour effectuer des travaux sur la zone humide aval les saules qui formaient un des deux bosquets du secteur ont Ă©tĂ© complĂštement arasĂ©s. NĂ©ammoins, on y voit Ă  proximitĂ© des espĂšces familiĂšres des lieux, mĂ©sange nonnette, mĂ©sange Ă  longue queue et roitelet Ă  triple-bandeau. Les mouettes rieuses et le grand cormoran sont eux aussi des habituĂ©s du plan d'eau pour le repos le plus souvent. On entend un cri d'envol connu puis on distingue sur l'oiseau en vol le croupion blanc typique du chevalier culblanc. Cette espĂšce de limicole hiverne au bord de piĂšces d'eau plus ou moins importantes, du moment qu'elles ont des rives vaseuses pour se nourrir. dans un jardin proche, nous avons le temps de scruter les Ă©volutions fantaisistes d'un roitelet huppĂ© dans un cerisier. Nous remontons ensuite vers notre point de dĂ©part. Presqu'arrivĂ©s au parking, nous sommes survolĂ©s par deux linottes mĂ©lodieuses qui, elles aussi, aiment ces zones plus ou moins nues oĂč plantes rudĂ©rales et adventices fournissent des graines. Le bruant zizi est Ă  peine visible perchĂ© dans un jeune chĂȘne heureusement, il pousse son chant, sorte de cri roulĂ©. Buse variable sur son poteau Nous opĂ©rons un bref rĂ©capitulatif des espĂšces observĂ©es 32 espĂšces ont Ă©tĂ© vues, quelques espĂšces des espaces bĂątis, d'autres des espaces agricoles et enfin des espĂšces forestiĂšres. Cette sortie a permis de constater l'intĂ©rĂȘt en hiver de zones comme celles-ci pour les espĂšces mangeuses de petites graines la linotte mĂ©lodieuse, le chardonneret Ă©lĂ©gant, le pipit farlouse et le bruant zizi. Pendant la palabre qui termine toute sortie, nous apercevons une buse perchĂ©e sur la clĂŽture du terrain de rugby voisin , seul rapace de la matinĂ©e ces zones dĂ©gagĂ©es entourĂ©es de haies perchoirs sont idĂ©ales pour la chasse . Un bouvreuil pivoine discret est entendu. Liste des espĂšces accenteur mouchet, bergeronnette de Yarrell, bruant zizi, buse variable, canard colvert, chardonneret Ă©lĂ©gant, chevalier culblanc, corneille noire, Ă©tourneau sansonnet, geai des chĂȘnes, grand cormoran, grive litorne, grive mauvis, grive litorne, hĂ©ron cendrĂ©, linotte mĂ©lodieuse, merle noir, mĂ©sange Ă  longue queue, mĂ©sange bleue, mĂ©sange charbonniĂšre, mĂ©sange nonnette, moineau domestique, mouette rieuse, pigeon ramier, pinson des arbres, pipit farlouse, rougegorge familier, roitelet Ă  triple-bandeau, roitelet huppĂ©, troglodyte mignon, vanneau huppĂ©. De nombreux chardonnerets dans les jumelles Reconnaissez-les derriĂšre leurs jumelles Patrick Poitevin Prochaines sorties Mercredi 5 dĂ©cembre 2018 LA MEAUFFE Prospection pour l'atlas des hivernants RDV 8h45 bas du parking des remparts, rue des noyers, Saint-LĂŽ ou 9h00 mairie de la Meauffe Mercredi 9 janvier 2018 SAINT-LÔ Les oiseaux de la baie des Veys DĂ©part 9h parking de la place Sainte-Croix Saint-LĂŽ pour se rendre Ă  Geffosses-Fontenay Rendez-vous avec les oiseaux du 14 novembre 2018 Ă  Saint-Pierre de SĂ©milly Les adhĂ©rents s'Ă©taient donnĂ© rendez-vous sur la place du village. Un soleil radieux magnifiait les couleurs automnales entourant les deux Ă©tangs de Saint-Pierre de SĂ©milly. Quelques chardonnerets Ă©lĂ©gants circulent ainsi que des choucas des tours trĂšs prĂ©sents dans le village et sur le chĂąteau voisin et un groupe d'une cinquantaine d'Ă©tourneaux en vol vers l'ouest. Un premier rougegorge familier est vu puis un autre entendu en descendant le petit chemin qui surplombe le premier Ă©tang. Au bas de ce chemin, de grands platanes, des chĂȘnes et des chĂątaigniers centenaires attirent les oiseaux la sittelle torchepot circule haut dans les feuillages, la mĂ©sange Ă  longue queue en petit groupe Ă©galement, une mĂ©sange bleue est aussi entendue ainsi qu'une bergeronnette des ruisseaux familiĂšre de ces zones humides et des pinsons des arbres . Il est temps de jeter un oeil sur l'Ă©tang alors que rĂ©sonne le premier chant sonore du troglodyte mignon. Les foulques macroules sont prĂ©sentes mais en nombre rĂ©duit quelques couples se reproduisent sur les Ă©tangs Ă  la saison de reproduction mais des groupes plus importants peuvent ĂȘtre observĂ©s pendant la pĂ©riode de migration ou pendant certaines pĂ©riodes de froid. La poule d'eau est prĂ©sente Ă©galement mais assez discrĂšte sous les branchages retombant dans l'eau. Un petit groupe de mouettes rieuses est au repos posĂ©es sur l'eau ou des branches basses, certaines sont des immatures reconnaissables Ă  l'extrĂ©mitĂ© de la queue noire. Dans le groupe, nous distinguerons plus tard un goĂ©land argentĂ© immature 3Ăšme annĂ©e. 2 grands cormorans familiers des lieux nous survolent ; les grands futaies de hĂȘtres leur servent de perchoir de repos ou de dortoir 11 ont Ă©tĂ© vus un peu plus tĂŽt en vol. Le dortoir n'est pas stable, les cormorans pouvant frĂ©quenter d'autres dortoirs plus importants et certainement plus sĂ©curisants. Une aigrette garzette survole l'Ă©tang puis va se poser discrĂštement sur la rive. Nous dĂ©nombrons 79 canards colverts cet effectif est stable puisqu'il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© enregistrĂ© les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Un verdier d'Europe pousse son cri roulĂ© au loin, du cĂŽtĂ© du village. Nous continuons le tour des Ă©tangs le pic Ă©peiche et le pic vert se manifestent par leurs cris plus ou moins proches. Il faut dire que ces deux pics trouvent ici tout le vieux bois qui peut les intĂ©resser. En queue du deuxiĂšme Ă©tang envasĂ© et un peu envahi par la vĂ©gĂ©tation, le pouillot vĂ©loce se balade dans les saules en poussant son cri sifflĂ©. Est-ce un pic noir qui pousse son cri long et plaintif entendu au loin? Cela y ressemble mais ce n'est pas certain car un geai des chĂȘnes criaille Ă  proximitĂ©, un peu aprĂšs c'est peut-ĂȘtre lui l'auteur de cette manifestation sonore qui Ă©nerve les corneilles noires. Nous empruntons un sentier escarpĂ© qui nous mĂšne vers les restes du chĂąteau mĂ©diĂ©val XI Ăšme siĂšcle bonne idĂ©e parce qu'un roitelet Ă  triple-bandeau s'active dans la vĂ©gĂ©tation grimpant sur les murailles! Nous redescendons vers la route en passant prĂšs du dĂ©versoir du premier Ă©tang qui, habituellement Ă  cette saison, est difficilement franchissable les pinsons sont assez nombreux. Il est vrai que le sol est couvert d'un tapis de faĂźnes particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©es par l'espĂšce. Un grimpereau des jardins est entendu mais reste invisible et une mĂ©sange charbonniĂšre cherche quelque araignĂ©e sous les feuilles de chĂątaigniers ou de hĂȘtres. Nous remontons la route vers le chĂąteau Renaissance, une belle bĂątisse avec d'intĂ©ressantes fenĂȘtres Ă  meneaux. LĂ  nous entendons quelques moineaux qui trouvent sĂ»rement leur nourriture auprĂšs de la ferme, nous apercevons briĂšvement une bergeronnette des ruisseaux perchĂ© sur le faĂźte d'un toit puis une bergeronnette grise ou de Yarrell. Le chĂąteau est aussi frĂ©quentĂ© par des pigeons domestiques et quelques pigeons ramiers. Aigrette garzette, mouette rieuse et colvert L'atmosphĂšre se rĂ©chauffant permet aux buses variables de s'Ă©lever un peu et tournoyer dans le ciel Ă  faible hauteur. Des mĂ©sanges Ă  longue queue profitent d'une aubĂ©pine et quelques accenteurs explorent le sol d'une allĂ©e. C'est au bout de 2 heures que se manifeste le premier merle noir ; cette grande discrĂ©tion de l'espĂšce prouve bien l'effet du virus qui touche actuellement ses populations. Nous constatons de plus l'absence des grives musicienne et draine, elles aussi vraisemblablement affectĂ©es par ce virus. La sortie s'achĂšve riche de ses Ă©changes qui ne sont pas toujours ornithologiques d'ailleurs et c'est tant mieux. Il est temps d'Ă©tablir le bilan. MalgrĂ© l'absence des grives et du bouvreuil pivoine, 35 espĂšces ont pu ĂȘtre observĂ©es et prĂšs de 200 oiseaux dĂ©comptĂ©s. La conjonction de milieux bĂątis, de milieux boisĂ©s et de zones humides amĂšne une grande diversitĂ© d'espĂšces et la proximitĂ© de l'hiver explique le grand nombre d'oiseaux observĂ©s groupes de canards, de mouettes notamment . A noter que le lendemain, une visite permet de repĂ©rer la grande aigrette coutumiĂšre des lieux mais pas vue ce jour. Mouettes rieuses Images Patrick Potevin Liste des espĂšces accenteur mouchet, aigrette garzette, bergeronnette grise ou de Yarrell, bergeronnette des ruisseaux, buse variable, canard colvert, chardonneret Ă©lĂ©gant, choucas des tours, corneille noire,Ă©tourneau sansonnet, foulque macroule, geai des chĂȘnes, goĂ©land argentĂ©, grand cormoran, grimpereau des jardins, hĂ©ron cendrĂ©, merle noir, mĂ©sange Ă  longue queue, mĂ©sange bleue, mĂ©sange charbonniĂšre, moineau domestique, mouette rieuse, pic Ă©peiche, pic vert, pie bavarde, pigeon ramier, pinson des arbres, pouillot vĂ©loce, poule d'eau, rougegorge familier, sittelle torchepot, tourterelle turque, troglodyte mignon,verdier d'Europe Les Ă©vĂ©nements Ă  venir RĂ©union des adhĂ©rents Mardi 20 novembre 2018 20h salle Alain Fournier , maison des associations, rue des charmilles, Saint-LĂŽ Prochaines sorties Dimanche 25 novembre 2018 SAINT-LÔ Animation publique Les oiseaux hivernants d'une zone en cours d'amĂ©nagement Rendez-vous 9h30 rue des ronchettes, parking de l'agglo 21 Saint-LĂŽ Mercredi 5 dĂ©cembre 2018 LA MEAUFFE Rendez-vous avec les oiseaux sortie mensuelle des adhĂ©rents Prospection des hivernants de la carte atlas. 9h00 mairie de La Meauffe. 8h45 covoiturage, parking au pied des remparts, rue des noyers, Saint-LĂŽ prĂ©voir un peu d'avance, nous partons Ă  8h45 Animation du 28 octobre 2018 Ă  MarchĂ©sieux Les prĂ©visions mĂ©tĂ©orologiques annoncĂ©es ont certainement dissuadĂ© certaines personnes de se rendre au rendez-vous fixĂ© Ă  la maison des marais Ă  11h. 12 personnes sont nĂ©ammoins prĂ©sentes dont 4 jeunes qui ont bien contribuĂ© Ă  l'animation de la balade. La sortie a pu se dĂ©rouler malgrĂ© la gĂȘne provoquĂ©e par un vent assez soutenu par moments. Une trĂšs lĂ©gĂšre averse a malgrĂ© tout fait rebrousser chemin au groupe. Une quinzaine d'espĂšces ont Ă©tĂ© observĂ©es c'est un nombre assez restreint causĂ© Ă  la fois par des conditions mĂ©tĂ©orologiques peu favorables et aussi par une heure tardive. 4 espĂšces liĂ©es au marais ont Ă©tĂ© observĂ©es le pipit farlouse, petit passereau au bec fin d'insectivore souvent au sol pour chercher sa nourriture, le traquet pĂątre, passereau un peu rondelet perchĂ© souvent Ă  dĂ©couvert sur une vĂ©gĂ©tation maigre ou un piquet, le canard colvert qui trouve dans les limes un peu d'eau libre pour se nourrir et se reposer et l'alouette des champs oiseau au vol souvent Ă©levĂ© auxquels les parcelles labourĂ©es ou humides conviennent en hiver peuvent ĂȘtre observĂ©s dans des milieux diffĂ©rents de celui-ci. L'alouette des champs et le pipit farlouse se reproduisent dans le marais mais il est plus probable qu'on est Ă  faire ici Ă  des migrateurs venus du nord de l'Europe. 2 espĂšces de rapaces ont Ă©tĂ© notĂ©es ; le faucon crĂ©cerelle en vol du Saint-Esprit et une buse variable houspillĂ©e par une corneille. Dans cette zone de jonction entre marais et bocage, la prĂ©sence de ces deux espĂšces n'est pas surprenante. Toutes les deux ont besoin de perchoirs plus ou moins Ă©lĂ©vĂ©s et de zones dĂ©couvertes pour chasser leurs proies. Aucun Ă©chassier de type hĂ©ron hĂ©ron cendrĂ© ou aigrette n'a Ă©tĂ© vu pendant la sortie. 3 espĂšces de grive se sont manifestĂ©es 1 sĂ©dentaire la grosse grive draine reconnaissable Ă  son vol trĂšs onduleux et un peu lourd et deux hivernantes , la grive mauvis et la grive litorne une petite bande de 10 de cette derniĂšre espĂšce passe au loin. On distingue la longue queue grise de l'oiseau en vol. Ces trois espĂšces ne sont pas particuliĂšrement liĂ©es aux zones humides la draine est trĂšs liĂ©e au peuplier et les deux autres apprĂ©cient les terres fraĂźches qui leur permettent de trouver le sinvertĂ©vrĂ©s dont elles se nourrissent? Souvent un verger de pommiers une aubĂšpĂźne en fruits suffisent Ă  les rassasier. Cette sortie relativement courte a permis de constater les interactions des oiseaux entre un milieu bocager composĂ©e de grandes parcelles bordĂ©es de haies et le marais, zone dĂ©couverte offrant peu d'abris et de perchoirs mais un potentiel de nourriture important pour certaines espĂšces . Liste des espĂšces accenteur mouchet, alouette des champs, bergeronnette grise ou de Yarrell, buse variable, canard colvert, choucas des tours, corneille noire, Ă©tourneau sansonnet, faucon crĂ©cerelle, grive draine, grive litorne, grive mauvis, mouette rieuse, pigeon ramier, pinson des espĂšces notĂ©es avant la sortie bouvreuil pivoine, merle noir, mĂ©sange bleue, rougegorge familier, troglodyte mignon Rendez-vous avec les oiseaux du 3 octobre Ă  Cricqueville-en-Bessin 14 Nous avons mis en place depuis quelques mois des sorties mensuelles pour les adhĂ©rents, intitulĂ©es "Rendez-vous avec les oiseaux". Elles se dĂ©roulent en gĂ©nĂ©ral le premier mercredi de chaque mois. DestinĂ©es en premier lieu aux nouveaux adhĂ©rents, elles permettent, en compagnie d'observateurs plus aguerris, de s'initier ou de progresser dans la connaissance des oiseaux, de crĂ©er des liens avec d'autres adhĂ©rents et surtout d'Ă©changer sur la nature. Ces sorties se veulent un peu informelles, chaque participant y contribue Ă  sa maniĂšre. Ca passe? Ce rendez-vous s'est dĂ©roulĂ© sur les falaises du Bessin Ă  l'ouest du site historique de la Pointe du Hoc. Ce site est un lieu privilĂ©giĂ© de l'observation de la migration post-nuptiale des oiseaux marins notamment. Des observateurs y sont postĂ©s lĂ  trĂšs rĂ©guliĂšrement pendant cette pĂ©riode de septembre Ă  novembre pour dĂ©nombrer le passage. Ce matin, Gilbert Vimard, un des observateurs attitrĂ©s du site est prĂ©sent il nous apportera avec Alain Brodin de prĂ©cieuses informations sur les techniques d'observation, les oiseaux observĂ©s et leur migration. C'est dĂ©jĂ  passĂ©! Une belle douceur rĂšgne ce matin avec un vent faible cependant peu favorable Ă  la migration. Ce qui surprend dans un premier temps est que les oiseaux passent assez loin du rivage. Seule, une pratique rĂ©guliĂšre et ancienne du guet Ă  la mer permet de repĂ©rer l'arrivĂ©e des oiseaux et leur identification. Comme ce matin, le passage est faible, il est possible de s'attarder sur chaque espĂšce. Le mouvement des oiseaux se fait logiquement d'est en ouest mais on peut observer Ă©galement des mouvements inverses. En arrivant, nous observons sur les chaumes deux faucons crĂ©cerelles, l'un Ă©tant posĂ© sur une courte tige de maĂŻs coupĂ©e. A peine arrivĂ©s sur la falaise, nous entendons crier un faucon pĂšlerin et nous le voyons dĂ©boucher sur notre gauche avec une proie dans les serres qu'il est impossible d'identifier. Ce peut ĂȘtre un limicole comme un passereau. La falaise offre un large champ de vision de la pointe du Hoc Ă  l'est jusqu'Ă  la pointe de Barfleur au nord-ouest. Les cormorans passent plus prĂšs du rivage Nous allons observer successivement le passage de plusieurs espĂšces en vol direct vers l'ouest. La bernache cravant passe par groupes plus ou moins importants il en sera observĂ© 87 dans la matinĂ©e. La plus grande partie appartient Ă  la sous-espĂšce bernache Ă  ventre sombre Branta bernicla bernicla qui niche dans la toundra sibĂ©rienne. On peut voir posĂ© au loin un grĂšbe huppĂ© cette espĂšce peut ĂȘtre nombreuse Ă  cet endroit. Les sternes passent aussi on peut les distinguer de loin par leurs longues ailes pointues, leur vol parfois irrĂ©gulier et la brillance du gris des ailes qui paraĂźt presque blanc dans le soleil. L'espĂšce la plus commune au passage est la sterne caugek avec son bec noir Ă  l'extrĂ©mitĂ© jaune, le vol est assez puissant et Ă  une certaine hauteur. Le cri grinçant de l'oiseau est typique. L'autre espĂšce aperçue, de loin, est la sterne pierre-garin plus petite que la caugek, au bec rouge terminĂ© par du noir. Les observateurs expĂ©rimentĂ©s la distinguent au vol et Ă  la morphologie filets de la queue plus longs de la sterne arctique qui lui ressemble beaucoup mais a le bec entiĂšrement rouge. HĂ©ron cendrĂ© sur le platier Le site est idĂ©al pour s'initier aux labbes, ces gros oiseaux marins de tonalitĂ© sombre qui parasitent les autres espĂšces d'oiseaux pĂ©lagiques oiseaux qui vivent en mer. Ce matin, nous observerons 3 espĂšces diffĂ©rentes. Le grand labbe est un oiseau au corps puissant un peu plus compact que le goĂ©land argentĂ© qui se distingue par sa tĂąche blanche sur les primaires visible gĂ©nĂ©ralement de loin. Deux autres labbes passeront ensemble au large le labbe parasite et le labbe pomarin. Le labbe parasite est plutĂŽt fin avec une allure qui pourrait rappeler un rapace on peut le voit harceler en vol sternes et mouettes pour subtiliser leurs proies. Le labbe pomarin est proche du parasite mais difficile Ă  distinguer de celui-ci. Une des espĂšces les plus abondantes ce matin est le fou de Bassan qui passe rĂ©guliĂšrement au large en groupes plus ou moins denses composĂ©s de jeunes, d'immatures et d'adultes. L'observation Ă  cette pĂ©riode correspond plus Ă  une migration d'oiseaux britanniques que de trajets quotidiens vers les zones de pĂȘche. Une autre espĂšce sera un tant soit peu observĂ© est la macreuse noire, en vol de quelques individus. Les groupes sont constituĂ©s pour l'essentiel de mĂąles. C'est la fin de la pĂ©riode de mue. Si Ă  l'approche d'un bateau, un oiseau plonge, cela signifie qu'il est en mue. D'autres oiseaux marins seront observĂ©s cependant dont les mouettes rieuses et des mouettes mĂ©lanocĂ©phales proche de la rieuse qui paraĂźt blanche de loin Ă  cause de son manteau gris clair. L'adulte n'a pas de noir sur les ailes. N'oublions pas les cormorans et goĂ©lands. Un huĂźtrier-pie crie ; posĂ© dans les rochers, il s'envole vers l'est. Le seul autre canard que la macreuse noire observĂ© ce matin est le tadorne de Belon 3 volent vers l'ouest. Reviennent-ils de la mer de Wadden oĂč les tadornes se rendent chaque annĂ©e pour muer? L'observation au guet Ă  la mer se termine nous faisons un petit tour sur le plateau pour observer les passereaux prĂ©sents. 2 tariers pĂątres sont perchĂ©s au-dessus des buissons qui dominent la falaise. Alouette des champs, pipit farlouse, linotte mĂ©lodieuse et bergeronnette grise ou Yarrell dĂ©collent du chaume de maĂŻs. Sur le platier au pied de la falaise, aigrette garzette et hĂ©ron cendrĂ© se regardent de travers en concurrence pour la recherche de nourriture. La corneille noire se nourrit aussi dans les rochers et les algues. Un phoque veau marin s'approche du rivage une importante colonie existe en Baie des Veys. La sortie se termine par un dernier coup d'oeil vers le large. Les mouvements d'oiseaux ont considĂ©rablement baissĂ© et concernent les oiseaux marins habituels, cormorans et laridĂ©s. Merci Ă  Gilbert et Alain pour le partage des connaissances. EspĂšces observĂ©es 26 accenteur mouchet, alouette des champs, bernache cravant, corneille noire, faucon crĂ©cerelle, faucon pĂšlerin, fou de Bassan, goĂ©land argentĂ©, goĂ©land marin, grand cormoran, grĂšbe huppĂ©, grand labbe, hĂ©ron cendrĂ©, labbe parasite, labbe pomarin, huĂźtrier-pie, linotte mĂ©lodieuse, macreuse noire, mouette mĂ©lanocĂ©phale, mouette rieuse, pipit farlouse, rougegorge familier, sterne caugek, sterne pierregarin, tadorne de Belon, tarier pĂątre. Programme annuel des rendez-vous Date ThĂšme Lieu Horaire Lieu de rendez-vous 14/11/2018 Les oiseaux des Ă©tangs de Saint-Pierre oiseaux des zones humides Saint-Pierre-de-SĂ©milly Les Ă©tangs 9h00 Place de l’église Saint-Pierre de SĂ©milly 05/12/2018 Oiseaux des anciens fours Ă  chaux oiseaux bocagers des buissons La Meauffe La Germainerie 9h00 Parking de la mairie La Meauffe ou 8h45 parking rue des noyers sous les remparts Saint-LĂŽ 09/01/2019 Oiseaux hivernants de la baie des Veys limicoles, hĂ©rons et laridĂ©s Geffosses-Fontenay 9h00 9h00 Place Sainte-Croix Saint-LĂŽ pour covoiturage. 06/02/2019 A l’écoute des premiers chanteurs Agneaux Parc de la PaliĂšre 9h00 9h00 parking de la Mairie Agneaux 03/04/2019 Nidification de la cigogne blanche et oiseaux du marais Saint-Fromond ChĂąteau de la RiviĂšre 9h00 Parking piscine Saint-LĂŽ pour covoiturage 9H30 sur place au chĂąteau de la RiviĂšre ?/05/2019 Les oiseaux du marais au printemps. Le coucou est-il arrivĂ© ? Le Hommet d’Arthenay Marais du Hommet ou de la Garderie 9h00 Parking piscine Saint-LĂŽ pour covoiturage 05/06/2019 A la recherche de l’engoulevent MilliĂšres Plan d’eau des bruyĂšres 19h00 Parking piscine Saint-LĂŽ pour covoiturage PrĂ©voir pique-nique Date ThĂšme Lieu Horaire Lieu de rendez-vous 14/11/2018 Les oiseaux des Ă©tangs de Saint-Pierre oiseaux des zones humides Saint-Pierre-de-SĂ©milly Les Ă©tangs 9h00 Place de l’église Saint-Pierre de SĂ©milly 05/12/2018 Oiseaux des anciens fours Ă  chaux oiseaux bocagers des buissons La Meauffe La Germainerie 9h00 Parking de la mairie La Meauffe ou 8h45 parking rue des noyers sous les remparts Saint-LĂŽ 09/01/2019 Oiseaux hivernants de la baie des Veys limicoles, hĂ©rons et laridĂ©s Geffosses-Fontenay 9h00 9h00 Place Sainte-Croix Saint-LĂŽ pour covoiturage. 06/02/2019 A l’écoute des premiers chanteurs Agneaux Parc de la PaliĂšre 9h00 9h00 parking de la Mairie Agneaux 03/04/2019 Nidification de la cigogne blanche et oiseaux du marais Saint-Fromond ChĂąteau de la RiviĂšre 9h00 Parking piscine Saint-LĂŽ pour covoiturage 9H30 sur place au chĂąteau de la RiviĂšre ?/05/2019 Les oiseaux du marais au printemps. Le coucou est-il arrivĂ© ? Le Hommet d’Arthenay Marais du Hommet ou de la Garderie 9h00 Parking piscine Saint-LĂŽ pour covoiturage 05/06/2019 A la recherche de l’engoulevent MilliĂšres Plan d’eau des bruyĂšres 19h00 Parking piscine Saint-LĂŽ pour covoiturage PrĂ©voir pique-nique Animation du 23 septembre 2018 au PĂŽle hippique de Saint-LĂŽ Le seul nid d'hirondelle rustique se trouvait dans le bĂątiment de droite 2018 Un temps pluvieux et venteux s'Ă©tant installĂ© la veille sur la rĂ©gion, il fallait craindre le pire pour cette animation. Elle a pu pourtant se dĂ©rouler presque normalement en prĂ©sence de 7 personnes qui avaient vaillamment dĂ©fiĂ© les Ă©lĂ©ments. La pluie n'a vĂ©ritablement gĂȘnĂ© l'observation qu'en fin de sortie oĂč il a fallu s'abriter sous de vieux arbres ou dans les Ă©curies du haras. Le site du pĂŽle hippique est un refuge de nature GONm et tout au long de la sortie, nous verrons quels amĂ©nagements ou mesures d'entretien favorables Ă  la vie sauvage ont Ă©tĂ© mis en place. MalgrĂ© la mĂ©tĂ©o mĂ©diocre, les oiseaux se sont tout de mĂȘme manifestĂ©s et les participants ont pu observer 28 espĂšces ce chiffre correspond sensiblement au nombre d'espĂšces qu'il est envisageable de rencontrer Ă  chaque visite. C'est sous les cris rĂ©pĂ©tĂ©s d'une corneille noire certainement dĂ©rangĂ©e par un intrus et perchĂ©e Ă  sommet d'un conifĂšre que dĂ©bute la sortie. Les pas se portent vers la partie centrale du haras qui offre une vue dĂ©gagĂ©e sur les bĂątiments, les pelouses et les allĂ©es. Le cri d'un oiseau en vol "pi-pit pi-pit " permet de repĂ©rer au-dessus de nous un pipit farlouse volant vers le sud, certainement en migration. Nous observons les nids abandonnĂ©s des hirondelles de fenĂȘtre installĂ©s sur les sabliĂšres des bĂątiments. Les hirondelles de fenĂȘtre ont quittĂ© le site depuis 10 jours Ă  eu prĂšs. Une autre hirondelle est vue en vol celle-ci est une hirondelle de cheminĂ©e volant avec difficultĂ© contre le vent en direction du sud. Les hirondelles les plus tardives dans leur migration sont souvent observĂ©es Ă  l'unitĂ© ou par deux ou trois. Le flux migratoire de ces espĂšces va se tarir peu Ă  peu en fin septembre. Perchoir idĂ©al pour le faucon crĂ©cerelle 2017 Un faucon crĂ©cerelle est en chasse sur les pelouses ou les allĂ©es il plonge d'un des ses perchoirs pour attraper quelque proie ce peut ĂȘtre un micro-mammifĂšre ou un gros insecte. Il retourne se percher sur le rebord de l'encadrement d'une ouverture du bĂątiment des Ă©curies. Une bergeronnette grise devait arpenter une des pelouses Ă  la recherche d'insectes et de larves car on l'entend pousser son cri Ă  l'envol et on la voit disparaĂźtre rapidement Ă  nos regards. Rougequeue noir de septembre 2017 au mĂȘme endroit qu'en 2018 Un envol rapide d'un toit vers une cheminĂ©e puis une antenne permet de repĂ©rer un oiseau bien dressĂ© hochant de la tĂȘte et de la queue. C'est le rougequeue noir qui est identifiable Ă  sa queue rousse le mĂąle est gris noir sombre alors que la femelle est beige clair. Ce peut ĂȘtre ici une femelle ou un jeune. Cette espĂšce se reproduit au haras elle utilise une cavitĂ© pour nicher. EspĂšce migratrice partielle, elle repartira bientĂŽt plus au sud. Quelques pigeons ramiers et domestiques circulent ici et lĂ , les pigeons ramiers de façon isolĂ©e ici et les domestiques en groupes de quelques individus. On peut entendre le cri Ă©nervĂ© des choucas des tours en vol qui, installĂ©s sur les cheminĂ©es et bĂątiments Ă©levĂ©s de la ville, gagnent la campagne pour se nourrir. Bergeronnette grise et jeune en juillet 2018 Nous quittons la partie centrale du haras pour suivre les allĂ©es pĂ©riphĂ©riques. Nous arrivons Ă  une zone plantĂ©e en rĂ©sineux principalement. Nous observons deux pinsons des arbres dans des buissons bas oĂč ils se sont rĂ©fugiĂ©s Ă  notre approche. On entend quelques cris, celui du rougegorge familier du troglodyte mignon cachĂ© dans une haie dense et aussi du grimpereau des jardins. Une tourterelle turque chante sur une cheminĂ©e ses trois notes habituelles. La tourterelle turque est un oiseau typique des villes et des fermes elle semble subir l'omniprĂ©sence du pigeon ramier. On note la prĂ©sence du merle noir qui pousse son cri d'alarme parce qu'il est dĂ©rangĂ©. Les oiseaux comme les merles et les grives sont trĂšs discrets Ă  cette pĂ©riode parce qu'ils muent. AprĂšs ĂȘtre passĂ©s entre le jardin partagĂ© et le local du marĂ©chal-ferrant, nous pĂ©nĂ©trons dans une autre zone boisĂ©e en vieux arbres feuillus. Nous apercevons deux accenteurs mouchets sur un mur ils font la navette entre le sommet du mur et la prairie Ă  la recherche de petits insectes ou de graines de plantes rudĂ©rales. Trois grives draines nous survolent l'une d'elles a poussĂ© son cri roulĂ© en s'envolant. La draine dissĂ©mine les graines du gui dont elles mangent les baies. Son nom latin est Turdus viscivorus viscum=gui, mot qui a donnĂ© l'adjectif visqueux. Le rire du pic vert retentit par deux fois, une fois Ă©mis d'un arbre Ă©levĂ© du parc et une seconde fois de la campagne voisine. Les mĂ©sanges jusqu'Ă  prĂ©sent discrĂštes se manifestent par leurs cris qui sont voisins et parfois sources d'erreur. La mĂ©sange charbonniĂšre accompagne souvent son cri de 3 notes sifflĂ©es faciles Ă  identifier cette espĂšce recommence Ă  chanter en septembre. La mĂ©sange bleue a un rĂ©pertoire beaucoup moins variĂ©. Les deux espĂšces se cĂŽtoient souvent mais ne se concurrencent pas pour la nourriture parce qu'elles ne la cherchent pas Ă  la mĂȘme hauteur dans la vĂ©gĂ©tation. Une grive musicienne s'Ă©chappe d'un fourrĂ©. Un pic a forĂ© une cavitĂ© bien visible dans un hĂȘtre. Pic Ă©peiche? Rassemblement de jeunes hirondelles de fenĂȘtre 2018 La pluie se met Ă  tomber un peu plus dru. On se met un peu Ă  l'abri pour observer des pinsons qui recherchent de la nourriture sur les pans de toit et aussi un des rares nids d'hirondelle rustique du haras. Une mĂ©sange Ă  longue queue passe. Nous nous mettons ensuite Ă  l'abri sous des cĂšdres et des pins le roitelet huppĂ© Regulus regulus est entendu ses cris sont trĂšs discrets. Nous entendons enfin un moineau domestique ils ne sont pas rares ici en pĂ©riode de reproduction mais les jeunes sont dispersĂ©s depuis longtemps. Nous en reverrons deux ensuite Ă  l'intĂ©rieur des Ă©curies. Un chardonneret Ă©lĂ©gant est aussi entendu mais reste invisible. Les chardonnerets sont souvent en bandes pendant cette pĂ©riode prĂ©-migratoire tout comme les linottes mĂ©lodieuses et les pinsons. Nid de moineau domestique sur une sabliĂšre 2018 Pendant le rĂ©sumĂ© des espĂšces observĂ©es, nous ajoutons deux espĂšces Ă  la liste aprĂšs l'observation de goĂ©lands argentĂ© et brun volant vers la Vire. Le brun a le dessus des ailes plus sombre que l'argentĂ© et a un liserĂ© blanc Ă  l'arriĂšre de l'aile souvent bien visible en vol. La balade se termine avec ce bilan de 28 espĂšces observĂ©es, un score trĂšs honorable pour une mĂ©tĂ©o trĂšs pluvieuse. Merci Ă  tous les participants pour leur Ă©coute et leur curiositĂ©. Merci Ă  JoĂ«lle pour la prise de notes bien pratique pour Ă©tablir ce compte-rendu. Comme aucune photo de groupe n'a Ă©tĂ© faite, nous citerons les prĂ©noms des participants JoĂ«lle, LoĂŻse, NadĂšge, Paul, Philippe, Quentin, ThĂ©rĂšse. Les images d'illustration ont toutes Ă©tĂ© prises au pĂŽle hippique en 2017 et 2018 par Jean-Yves Dilasser faucon crĂ©cerelle et rougequeue noir et par Philippe Gachet. Et aussi, les espĂšces observĂ©es par ordre d'apparition Ă  l'Ă©cran linotte mĂ©lodieuse, corneille noire, pigeon ramier, faucon crĂ©cerelle, pigeon domestique, hirondelle rustique, rougequeue noir, bergeronnette grise, pinson des arbres, choucas des tours, troglodyte mignon, rougegorge familier, accenteur mouchet, merle noir, grimpereau des jardins, tourterelle turque, grive draine, mouette rieuse, pic vert, mĂ©sange bleue, mĂ©sange charbonniĂšre, grive musicienne, mĂ©sange Ă  longue queue, roitelet huppĂ©, chardonneret Ă©lĂ©gant, moineau domestique, goĂ©land brun, goĂ©land argentĂ©. Hirondelle de fenĂȘtre au nid en aoĂ»t 2018 Prochaine sortie des adhĂ©rents Saint-LĂŽ, la migration des oiseaux marins mercredi 3 octobre 2018, 8h00 parking Place Sainte-Croix, dĂ©placement vers Cricqueville-en-Bessin 14 Prochaine animation publique MarchĂ©sieux Oiseaux entre marais et bocage 28 octobre 2018 11h Rv Ă  l'entrĂ©e de la maison des marais, animation organisĂ©e avec l'ADAME dans le cadre de la fĂȘte de la Citrouille. Animation du 6 juin 2018 Ă  Granville Les goĂ©lands nicheurs de Granville C'est aprĂšs quelques hĂ©sitations que nous nous sommes rendus de Saint-LĂŽ Ă  Granville. La mĂ©tĂ©o annoncĂ©e n'Ă©tait guĂšre rĂ©jouissante. Cependant, arrivĂ©s devant l'Ă©glise Saint-Paul, nous avons constatĂ© que certes le ciel Ă©tait gris presque brumeux mais qu'il ne pleuvait pas. Le lieu est idĂ©al pour dĂ©couvrir les goĂ©lands granvillais confortablement installĂ©s sur les toits et prĂšs des chapeaux de cheminĂ©e de la ville. Du parking, on surplombe toute la citĂ©, ce qui permet d'avoir un aperçu complet de cette occupation. Jacques prĂ©sente les diffĂ©rentes phases de la reproduction. Jacques nous a prĂ©sentĂ© le processus de nidification des trois espĂšces occupant l'espace sĂ©curisĂ© des toits de la ville goĂ©land argentĂ©, goĂ©land marin et, en trĂšs moindre mesure, le goĂ©land brun. Nous avons pu observer certaines des phases de la reproduction parades, couvaison et poussins plus ou moins dĂ©veloppĂ©s. Du point de vue qui est le nĂŽtre, le spectacle est garanti et nous pouvons observer de petites scĂšnes du quotidien du goĂ©land nicheur. Les goĂ©lands argentĂ©s semblent avoir un goĂ»t immodĂ©rĂ© pour les cables d'antenne de tĂ©lĂ©vision que certains malaxent pour faire les importants devant des importuns. Un de ces cables d'ailleurs sert de limite Ă  ne pas franchir pour un argentĂ©. Certains transportent des matĂ©riaux vers leur nid pour les retirer bizarrement ensuite. D'autres, peut-ĂȘtre cĂ©libataires, restent perchĂ©s de longues minutes Ă  proximitĂ© des nids et sont bruyamment houspillĂ©s par leurs titulaires ou bien prennent des brindilles dans leur bec sans but prĂ©cis. La variĂ©tĂ© des cris est importante et l'on passe facilement d'un silence relatif qui permet d'entendre les cris aigus des jeunes Ă  un brouhaha intense correspondant souvent Ă  un envol collectif. La tension retombe ensuite rapidement. Les nids sont installĂ©s de façon assez sommaire sur les cheminĂ©es et sur les toits plats ou Ă  pente modeste des bĂątiments. Jacques nous a ensuite prĂ©sentĂ© les opĂ©rations de stĂ©rilisation menĂ©es par la ville de Granville. Le rĂŽle de l'observateur expert est important parce qu'il permet d'Ă©viter les bavures, notamment la stĂ©rilisation des nids des goĂ©lands brun et marin qui sont exclus de la procĂ©dure. L'emplacement des nids est relevĂ© avec une grande prĂ©cision permettant d'Ă©viter les erreurs. Rougequeue noir mĂąle trĂšs urbain D'autres espĂšces sont observĂ©es pendant ce temps le rougequeue noir chante la femelle est trĂšs active allant des toits Ă  sa cavitĂ© dans un mur de soutĂšnement de ce quartier trĂšs minĂ©ral de la ville. Cette espĂšce est bien prĂ©sente dans tout Granville. Un couple d'Ă©tourneau sansonnet s'est installĂ© dans un chapeau de cheminĂ©e et nourrit. Les choucas des tours occupent eux aussi les cheminĂ©es. Le verdier d'Europe chante tout comme l'accenteur mouchet discrĂštement dans un recoin de jardin. Sont vus ou entendus Ă©galement tourterelle turque, merle noir, mĂ©sange charbonniĂšre et moineau. domestique. on observe aussi le ballet aĂ©rien des martinets noirs. Un arrĂȘt rapide sur le Cours Jonville permet de repĂ©rer un goĂ©land brun sur son nid installĂ© sur le rebord d'un vĂ©lux! Nous nous rendons ensuite dans la vieille ville, prĂšs du musĂ©e AnacrĂ©on, oĂč une large vue permet d'observer la zone portuaire et les toits de la partie basse de la ville. Une jeune tourterelle reconnaissable Ă  l'absence de collier noir sur le cou est perchĂ©e sur un fil tĂ©lĂ©phonique. Un pigeon ramier sur le faĂźte d'un toit cĂŽtoie un pigeon biset domestique ce qui permet au passage d'observer les diffĂ©rences entre ces deux espĂšces. Des goĂ©lands nichent dans le secteur en moindre nombre que du cĂŽtĂ© de l'Ă©glise on aperçoit un goĂ©land brun posĂ© sur une cheminĂ©e et aussi les goĂ©lands prĂ©sents sur le toit de la criĂ©e. Ces derniers ne sont lĂ  que pour se nourrir ou se reposer, leur prĂ©sence fluctue selon la hauteur de la mer. OĂč est la linotte mĂ©lodieuse? DerniĂšre Ă©tape sur le port. Un goĂ©land argentĂ© laisse tomber un bulot d'une certaine hauteur pour le casser. Finalement c'est une corneille noire qui rĂ©colte la mise. Quelques goĂ©lands marins circulent ici et lĂ . Un pipit maritime chante et se perche sur un fil. Une linotte mĂ©lodieuse vient grapiller quelques graines d'adventices qui poussent entre les interstices du pavĂ© le zĂ©ro-phyto a tout son intĂ©rĂȘt pour ces espĂšces granivores. Au loin une sterne pierregarin est entendue. Il y a certainement encore beaucoup de choses Ă  voir mais il faut s'arrĂȘter lĂ . Ce sera pour une prochaine fois. Un grand merci Ă  Jacques pour son Ă©rudition des espĂšces observĂ©es accenteur mouchet, bergeronnette grise, choucas des tours, corneille noire, Ă©tourneau sansonnet, goĂ©land argentĂ©, goĂ©land brun, goĂ©land marin, grive musicienne, linotte mĂ©lodieuse, martinet noir, merle noir, mĂ©sange charbonniĂšre, mĂ©sange bleue, pigeon biset domestique, pigeon ramier, pipit maritime, rougequeue noir, tourterelle turque, verdier d'Europe. Vigilance. Le nid avec deux jeunes se trouve derriĂšre l'adulte En quĂȘte de nourriture Adulte avec deux poussins sur le nid GoĂ©land brun nichant sur Velux. Vigie granvillaise GoĂ©land argentĂ© 3Ăšme annĂ©e PROCHAINEMENT 30 JUIN 2018 Ă  11 HEURES INAUGURATION DE LA RESERVE DES PRES DE L'ORANGE Ă  LA GOHANNIERE-TIREPIED 50 Le GONm a acquis une parcelle agricole de 20 ha dans la vallĂ©e de la SĂ©e ce printemps communes de Tirepied et la GohanniĂšre. L'inauguration aura lieu samedi 30 juin Ă  11 h sur place ruban coupĂ©, poirĂ© et petits fours. Ce sera l'occasion de prĂ©senter les grands axes de gestion de cette remarquable prairie entiĂšrement situĂ©e dans le lit majeur de la SĂ©e. Ensuite, pour ceux qui le souhaitent, nous pourrons piqueniquer et partager les mets rares sortis des sacs! MĂȘme si le temps est maussade, nous serons de toute façon Ă  l'abri dans le grand bĂątiment agricole disponible. Sortie 36 de l'A84 "le Parc" puis direction BrĂ©cey. A la sortie du bourg de Tirepied vers BrĂ©cey, juste aprĂšs la mairie Ă  droite, c'est lĂ ! En espĂ©rant vous voir nombreux pour fĂȘter la naissance d'une rĂ©serve d'un nouveau genre! IdĂ©alepour faire fuir les Ă©tourneaux protĂ©ger stabulation d'Ă©levage, table d'affouragement, silo de mais ectñ€© Ne laissez plus les Ă©tourneaux envahir vos fermes. version de cris Ă©tourneaux. Ă©tourneau ñ€“sansonnet ; Merle amĂ©ricain; Corneille en danger; Ă©pervier (rapace) Moineaux ñ€“ passereaux; Geai bleu; Grand corbeau; Pie bavarde; Table d'alimentation souillĂ© par
Une culture bien entretenue est susceptible de garantir la sĂ©curitĂ© alimentaire de plus d’un. Malheureusement, dans bon nombre de champs ou plantations agricoles, on constate avec dĂ©solation que les oiseaux ou animaux nuisibles viennent brouter voire dĂ©truire les plantes avant ou aprĂšs leur fructification. Certains producteurs et productrices dĂ©senchantĂ©s par cet Ă©tat de chose, entreprennent des mesures palliatives pour effaroucher ces diffĂ©rentes bĂȘtes dĂ©vastatrices. YĂ©lian Martine AWELE Les oiseaux dĂ©prĂ©dateurs sont connus pour ravager les cultures. Les Ă©pouvantails contribuent Ă  les Ă©loigner des potagers. Les oiseaux en grandes bandes notamment les Ă©tourneaux sont plus faciles Ă  effaroucher. Les dĂ©gĂąts qu’ils causent sont souvent de taille. C’est pourquoi il est prĂ©fĂ©rable de bien disposer les dispositifs d’effarouchement sur toute la surface de la plantation afin qu’elle soit entiĂšrement protĂ©gĂ©e et qu’il n’y ait pas d’endroits accessibles. Pour faire fuir les oiseaux efficacement, le mieux est d’utiliser un effaroucheur visuel, en combinaison avec un effaroucheur sonore » fait savoir Alfred GODONOU Agriculteur. Les bandes en papier d’aluminium sont les effaroucheurs les plus simples Ă  utiliser » ajoute-t-il. Effarouchement visuel La solution classique consiste Ă  utiliser des CD. FixĂ©s dans les arbres, ils effraient les oiseaux avec les reflets du soleil. Toutefois, cette technique est peu efficace sur de long terme et nĂ©cessite une installation Ă  divers endroits pour ĂȘtre perçue par les volatiles. Effarouchement sonore Pour faire peur aux oiseaux, on remarque que l’effaroucheur sonore est une mĂ©thode qui fonctionne sur les parcelles plus grandes. En effet, il est possible de mettre en place des rĂ©pulsifs sonores qui imitent les cris d’animaux en dĂ©tresse ou de rapaces, pour effrayer les oiseaux ». Les effaroucheurs ultrasons Ă©mettent Ă©galement des bruits effrayants. Comment fabriquer un effaroucheur ? Il existe plusieurs façons d’utiliser le papier d’aluminium pour Ă©loigner les oiseaux. Lorsque les oiseaux dĂ©rangent les jardins, il suffit de placer des bandes de papier d’aluminium sous la surface de la terre ou autour des plantes qu’ils dĂ©rangent. Pour fabriquer un Ă©pouvantail, il faut bourrer le sac de jute ou de coton avec de la paille ou de vieux chiffons ; l’enfiler sur le piquet vertical et le lier solidement avec de la ficelle la tĂȘte est formĂ©e. Improviser un nez, une bouche, des yeux et des sourcils avec chutes de tissu, feutrine, boutons, fil et aiguille. NĂ©anmoins, spĂ©cifiquement pour la culture du haricot, le tissu ou linge rouge est utilisĂ© Ă  d’autres fins. Le producteur expose les rĂ©alitĂ©s que traduit cette utilisation. Quand on sĂšme le haricot avant que ça ne commence par pousser des fleurs, avant sa floraison ; nos aĂŻeux ont l’habitude de mettre des maĂŻs trĂšs rouges ou d’attacher des linges rouges vifs Ă  un bois qu’ils implantent au milieu de la plantation du haricot pour protĂ©ger la culture ». Il explique que pendant cette pĂ©riode prĂ©cisĂ©ment, quand on ne le fait pas, on met la culture en danger car au moment de sa fructification, si une femme en pĂ©riode de menstruation passe par mĂ©garde dans le champ, ça agit sur la fructification ou bien mĂȘme gatte la floraison et les plantes ne donnent plus de fruits comme cela se doit ». De mĂȘme, pour faire l’implant, on privilĂ©gie les piquets de neem pour le faire » conclut-il.
CeprĂ©dateur naturel de nombreux oiseaux fait fuir les merles, geais, pies mais il peut aussi attirer les vrais rapaces, ce qui va rendre la zone d’autant plus dangereuse Ă  leurs yeux. 5 - Effaroucheur sonore programmable. Pour les parcelles isolĂ©es (pas d'habitation Ă  moins de 200 mĂštres), AgriProTech propose sa gamme d’effaroucheurs sonores. La gamme AviTracÂź,
Des effaroucheurs ont Ă©tĂ© posĂ©s Ă  diffĂ©rents endroits d'Agen pour lutter contre les nuisances causĂ©es par les Ă©tourneaux. Cette pratique devrait s'Ă©tendre l'an prochain au cas des goĂ©lands. D'Ă©tranges cris d'oiseaux rĂ©sonnent depuis une semaine chaque soir place Foch, en face de la cathĂ©drale Saint-Caprais d'Agen. Entre les cris de rapaces et les cris d'oiseaux en dĂ©tresse, les Ă©tourneaux perchĂ©s dans les arbres fuient. En effet, des effaroucheurs numĂ©riques ont Ă©tĂ© installĂ©s afin de chasser ces volatiles en diffusant jusqu'Ă  8 sons diffĂ©rents chaque jour. La variĂ©tĂ© des cris dĂ©ployĂ©s les empĂȘche donc de s'habituer Ă  l'artifice et continue Ă  les effrayer. Depuis la mi-juin, les riverains agenais se plaignent du brouhaha que produisent les Ă©tourneaux qui, entre 20 heures et 22 h 30, aiment Ă  se poser dans les grands arbres feuillus de la ville pour s'y reposer et y passer la nuit. Si quelques cris d'oiseaux peuvent ĂȘtre agrĂ©ables Ă  entendre Ă  la tombĂ©e de la nuit, il s'agit ici de nuĂ©es d'environ 1 000 volatiles qui, chaque soir, entonnent leur chant quotidien et perturbent la tranquillitĂ© des habitants. Mais une deuxiĂšme plainte vient s'ajouter Ă  la premiĂšre celle des passants et des agents d'entretien de la ville qui doivent faire face aux dĂ©jections nausĂ©abondes laissĂ©es par ces centaines d'oiseaux. Thomas Zamboni, adjoint Ă  la sĂ©curitĂ© et Ă  la propretĂ© de la ville d'Agen, estime que la situation Ă©tait devenue impossible pour les services d'entretien Les Ă©tourneaux salissaient tellement les endroits oĂč ils venaient passer la nuit que les agents d'entretien devaient passer le nettoyeur haute pression chaque jour», dĂ©plore-t-il. C'est pourquoi l'Ă©lu a souhaitĂ© agir. Une idĂ©e lui est venue. Un soir, face Ă  l'Ă©glise Saint-Hilaire Ă  Agen, il observe le vol de centaines d'Ă©tourneaux. Et remarque alors qu'Ă  chaque gong de la cloche de l'Ă©glise, les volatiles quittent l'arbre dans lequel ils s'Ă©taient posĂ©s, effrayĂ©s. Ainsi lui est venue l'idĂ©e de placer des effaroucheurs aux endroits de la ville touchĂ©s par les nuisances de ces oiseaux. Deux appareils installĂ©s, et d'autres en prĂ©vision L'objectif Ă©tait de dĂ©ranger les Ă©tourneaux toutes les 15 minutes pour qu'ils ne nichent pas dans les lieux principaux de la ville et les polluent», dĂ©clare-t-il. L'efficacitĂ© de ces effaroucheurs est dĂ©jĂ  attestĂ©e la mise en service du premier appareil place Foch a grandement rĂ©duit les dĂ©gradations. Le deuxiĂšme appareil a Ă©tĂ© installĂ© hier sur la place du Poids-de-la-Ville. L'intĂ©rĂȘt de ces appareils va nĂ©anmoins au-delĂ  des simples nuisances causĂ©es par les Ă©tourneaux. L'annĂ©e prochaine, Thomas Zamboni compte Ă©tendre cette stratĂ©gie au cas des goĂ©lands, dont la ville tente de limiter la population depuis plusieurs annĂ©es. Les lieux visĂ©s seront essentiellement ceux oĂč les goĂ©lands viennent faire leurs nids et pondre». Comme les Ă©tourneaux, les goĂ©lands, en trop grande population, viennent dĂ©grader l'espace public agenais et dĂ©ranger les riverains. Installer ces appareils permettra donc Ă  la municipalitĂ© de rĂ©duire les dĂ©penses contre les dĂ©gradations provoquĂ©es par ces volatiles tout en redoublant d'efficacitĂ©.
Deseffaroucheurs pour faire fuir les étourneaux. Abonnés . Un effaroucheur a été installé place Foch, un autre hier place du Poids-de-la-Ville, comme le
Les MystĂšres de Paris - Partie III I. L'embuscade L'Ă©glise et le presbytĂšre de Bouqueval s'Ă©levaient Ă  mi-cĂŽte au milieu d'une chĂątaigneraie, d'oĂč l'on dominait le village. Fleur-de-Marie et l'abbĂ© gagnĂšrent un sentier sinueux qui conduisait Ă  la maison curiale, en traversant le chemin creux dont cette colline Ă©tait diagonalement coupĂ©e. La Chouette, le MaĂźtre d'Ă©cole et Tortillard, tapis dans une des anfractuositĂ©s de ce chemin, virent le prĂȘtre et Fleur-de-Marie descendre dans la ravine et en sortir par une pente escarpĂ©e. Les traits de la jeune fille Ă©tant cachĂ©s sous le capuchon de sa mante, la borgnesse ne reconnut pas son ancienne victime. – Silence, mon homme ! dit la vieille au MaĂźtre d'Ă©cole, la gosseline et le sanglier viennent de passer la traviole ; c'est bien elle, d'aprĂšs le signalement que nous a donnĂ© le grand homme en deuil tenue campagnarde, taille moyenne, jupe rayĂ©e de brun, mante de laine Ă  bordure noire. Elle reconduit comme ça tous les jours le sanglier Ă  sa cassine, et elle revient toute seule. Quand elle va repasser tout Ă  l'heure, lĂ , au bout du chemin, il faudra tomber dessus, l'enlever pour la porter dans la voiture. – Et si elle crie au secours ? reprit le MaĂźtre d'Ă©cole, on l'entendra Ă  la ferme, puisque vous dites que l'on en voit les bĂątiments d'ici ; car vous voyez
 vous autres, ajouta-t-il d'une voix sourde. – Bien sĂ»r que d'ici on voit les bĂątiments tout proche, dit Tortillard. Il y a un instant, j'ai grimpĂ© au haut du talus en me traĂźnant sur le ventre. J'ai entendu un charretier qui parlait Ă  ses chevaux dans cette cour lĂ -bas
 – Alors voilĂ  ce qu'il faut faire, reprit le MaĂźtre d'Ă©cole aprĂšs un moment de silence Tortillard va se mettre au guet Ă  l'entrĂ©e du sentier. Quand il verra la petite venir de loin, il ira au-devant d'elle en criant qu'il est fils d'une pauvre vieille femme qui s'est blessĂ©e en tombant dans le chemin creux, et il suppliera la jeune fille de venir Ă  son secours. – J'y suis, Fourline. La pauvre vieille, ça sera ta Chouette. Bien sorbonnĂ©. Mon homme, tu es toujours le roi des tĂȘtards ! Et aprĂšs, qu'est-ce que je ferai ? – Tu t'enfonceras bien dans le chemin creux du cĂŽtĂ© oĂč attend Barbillon avec le fiacre
 Je me cacherai tout prĂšs. Quand Tortillard t'aura amenĂ© la petite au milieu de la ravine, cesse de geindre et saute dessus, une main autour de son colas, et l'autre dans sa bavarde pour lui arquepincer le chiffon rouge et l'empĂȘcher de crier
 – Connu, Fourline
 comme pour la femme du canal Saint-Martin, quand nous l'avons fait flotter, aprĂšs lui avoir grinchi la nĂ©gresse qu'elle portait sous le bras ; mĂȘme jeu, n'est-ce pas ? – Oui, toujours du mĂȘme
 Pendant que tu tiendras ferme la petite, Tortillard accourra me chercher ; Ă  nous trois, nous embaluchonnons la jeune fille dans mon manteau, nous la portons Ă  la voiture de Barbillon, et de lĂ  plaine Saint-Denis, oĂč l'homme en deuil nous attend. – C'est ça qui est enflanquĂ© ! Tiens, vois-tu, Fourline, tu n'as pas ton pareil. Si j'avais de quoi, je te tirerais un feu d'artifice sur ta boule, et je t'illuminerais en verres de couleur Ă  la saint Charlot, patron du bĂ©quillard. Entends-tu ça, toi, moutard, si tu veux devenir passĂ©-singe, dĂ©visage mon gros tĂȘtard ; voilĂ  un homme !
 dit orgueilleusement la Chouette Ă  Tortillard. Puis, s'adressant au MaĂźtre d'Ă©cole – À propos, tu ne sais pas Barbillon a une peur de chien d'avoir une fiĂšvre cĂ©rĂ©brale. – Pourquoi ça ? – Il a butĂ©, il y a quelque temps, dans une dispute, le mari d'une laitiĂšre, qui venait tous les matins de la campagne, dans une petite charrette conduite par un Ăąne, vendre du lait dans la CitĂ©, au coin de la rue de la Vieille-Draperie, proche chez l'ogresse du Lapin-Blanc. Le fils de Bras-Rouge, ne comprenant pas l'argot, Ă©coutait la Chouette avec une sorte de curiositĂ© dĂ©sappointĂ©e. – Tu voudrais bien savoir ce que nous disons lĂ , hein ! moutard ? – Dame ! c'est sĂ»r
 – Si tu es gentil, je t'apprendrai l'argot. Tu as bientĂŽt l'Ăąge oĂč ça peut servir. Seras-tu content, fifi ? – Oh ! je crois bien ! Et puis j'aimerais mieux rester avec vous qu'avec mon vieux filou de charlatan, Ă  piler ses drogues et Ă  brosser son cheval. Si je savais oĂč il cache sa mort-aux-rats pour les hommes, je lui en mettrais dans sa soupe, pour n'ĂȘtre plus forcĂ© de trimer avec lui. La Chouette se prit Ă  rire et dit Ă  Tortillard en l'attirant Ă  elle – Venez tout de suite baiser maman loulou
 Es-tu drĂŽlet !
 Mais comment sais-tu qu'il a de la mort-aux-rats pour les hommes, ton maĂźtre ? – Tiens ! Je lui ai entendu dire ça, un jour que j'Ă©tais cachĂ© dans le cabinet noir de sa chambre oĂč il met ses bouteilles, ses machines d'acier, et oĂč il tripote dans ses petits pots
 – Tu l'as entendu quoi dire ?
 demanda la Chouette. – Je l'ai entendu dire Ă  un monsieur, en lui donnant une poudre dans un papier Quelqu'un qui prendrait ça en trois fois irait dormir sous terre
 sans qu'on sache ni pourquoi ni comment, et sans qu'il reste aucune trace
 » – Et qui Ă©tait ce monsieur ? demanda le MaĂźtre d'Ă©cole. – Un beau jeune monsieur, qui avait des moustaches noires et une jolie figure comme une dame
 Il est revenu une autre fois ; mais cette fois-lĂ , quand il est parti, je l'ai suivi par ordre de M. Bradamanti pour savoir oĂč il irait percher. Ce joli monsieur, il est entrĂ© rue de Chaillot, dans une belle maison. Mon maĂźtre m'avait dit N'importe oĂč ce monsieur ira, suis-le et attends-le Ă  la porte ; s'il ressort, resuis-le jusqu'Ă  ce qu'il ne ressorte plus de l'endroit oĂč il sera entrĂ©, ça prouvera qu'il demeure dans ce dernier lieu ; alors, Tortillard, mon garçon, tortille-toi pour savoir son nom
 ou sinon, moi, je te tortillerai les oreilles d'une drĂŽle de maniĂšre. » – Eh bien ? – Eh bien ! je m'ai tortillĂ© et j'ai su le nom du joli monsieur. – Et comment as-tu fait ? demanda le MaĂźtre d'Ă©cole. – Tiens
 moi pas bĂȘte, j'ai entrĂ© chez le portier de la maison de la rue de Chaillot, d'oĂč ce monsieur ne ressortait pas ; un portier poudrĂ© avec un bel habit brun Ă  collet jaune galonnĂ© d'argent
 Je lui ai dit comme ça Mon bon monsieur, je viens pour chercher cent sous que le maĂźtre d'ici m'a promis pour avoir retrouvĂ© son chien que je lui ai rendu, une petite bĂȘte noire qui s'appelle Trompette ; Ă  preuve que ce monsieur, qui est brun, qui a des moustaches noires, une redingote blanchĂątre et un pantalon bleu clair, m'a dit qu'il demeurait rue de Chaillot, n° 11, et qu'il se nommait Dupont. – Le monsieur dont tu parles est mon maĂźtre et s'appelle M. le vicomte de Saint-Remy ; il n'y a pas d'autre chien ici que toi-mĂȘme, mĂ©chant gamin ; ainsi, file, ou je t'Ă©trille pour t'apprendre Ă  vouloir me filouter cent sous », me rĂ©pond le portier en ajoutant Ă  ça un grand coup de pied. C'est Ă©gal, reprit philosophiquement Tortillard, je savais le nom du joli monsieur Ă  moustaches noires, qui venait chez mon maĂźtre chercher de la mort-aux-rats pour les hommes ; il s'appelle le vicomte de Saint-Remy, my, my, Saint-Remy, ajouta le fils de Bras-Rouge en fredonnant ces derniers mots, selon son habitude. – Tu veux donc que je te mange, petit momacque ? dit la Chouette en embrassant Tortillard ; est-il finaud ! Tiens, tu mĂ©riterais que je serais ta mĂšre, scĂ©lĂ©rat ! Ces mots firent une singuliĂšre impression sur le petit boiteux ; sa physionomie mĂ©chante, narquoise et rusĂ©e devint subitement triste ; il parut prendre au sĂ©rieux les dĂ©monstrations maternelles de la Chouette et rĂ©pondit – Et moi, je vous aime bien aussi, parce que vous m'avez embrassĂ© le premier jour oĂč vous ĂȘtes venue me chercher au CƓur-Saignant, chez mon pĂšre
 Depuis dĂ©funte maman, il n'y a que vous qui m'avez caressĂ©, tout le monde me bat ou me chasse comme un chien galeux ; tout le monde, jusqu'Ă  la mĂšre Pipelet, la portiĂšre. – Vieille loque ! Je lui conseille de faire la dĂ©goĂ»tĂ©e, dit la Chouette en prenant un air rĂ©voltĂ© dont Tortillard fut dupe, repousser un amour d'enfant comme celui-lĂ  !
 Et la borgnesse embrassa de nouveau Tortillard avec une affection grotesque. Le fils de Bras-Rouge, profondĂ©ment touchĂ© de cette nouvelle preuve d'affection, y rĂ©pondit avec expansion et s'Ă©cria, dans sa reconnaissance – Vous n'avez qu'Ă  ordonner, vous verrez comme je vous obĂ©irai bien
 comme je vous servirai !
 – Vrai ? Eh bien ! tu ne t'en repentiras pas
 – Oh ! je voudrais rester avec vous ! – Si tu es sage, nous verrons ça ; tu ne nous quitteras pas nous deux mon homme. – Oui, dit le MaĂźtre d'Ă©cole, tu me conduiras comme un pauvre aveugle, tu diras que tu es mon fils ; nous nous introduirons dans les maisons ; et, mille massacres ! ajouta le meurtrier avec colĂšre, la Chouette aidant, nous ferons encore de bons coups ; je montrerai Ă  ce dĂ©mon de Rodolphe
 qui m'a aveuglĂ©, que je ne suis pas au bout de mon rouleau !
 Il m'a ĂŽtĂ© la vue, mais il ne m'a pas ĂŽtĂ© la pensĂ©e du mal ; je serai la tĂȘte, Tortillard les yeux, et toi la main, la Chouette ; tu m'aideras, hein ? – Est-ce que je ne suis pas Ă  toi Ă  corde et Ă  potence, Fourline ? Est-ce que quand, en sortant de l'hĂŽpital, j'ai appris que tu m'avais fait demander chez l'ogresse par ce sinve de Saint-MandĂ©, j'ai pas couru tout de suite Ă  ton village, chez ces colasses de pays, en disant que j'Ă©tais ta largue ? Ces mots de la borgnesse rappelĂšrent un mauvais souvenir au MaĂźtre d'Ă©cole. Changeant brusquement de ton et de langage avec la Chouette, il s'Ă©cria d'une voix courroucĂ©e – Oui, je m'ennuyais, moi, tout seul, avec ces honnĂȘtes gens ; au bout d'un mois, je n'y pouvais plus tenir
 j'avais peur
 Alors j'ai eu l'idĂ©e de te faire dire de venir me trouver. Et bien m'en a pris ! ajouta-t-il d'un ton de plus en plus irritĂ©, le lendemain de ton arrivĂ©e, j'Ă©tais dĂ©pouillĂ© du reste de l'argent que ce dĂ©mon de l'allĂ©e des Veuves m'avait donnĂ©. Oui
 on m'a volĂ© ma ceinture pleine d'or pendant mon sommeil
 Toi seule tu as pu faire le coup voilĂ  pourquoi je suis maintenant Ă  ta merci
 Tiens, toutes les fois que je pense Ă  ça, je ne sais pourquoi je ne te tue pas sur la place
 vieille voleuse ! Et il fit un pas dans la direction de la borgnesse. – Prenez garde Ă  vous, si vous faites mal Ă  la Chouette ! s'Ă©cria Tortillard. – Je vous Ă©craserai tous les deux, toi et elle, mĂ©chantes vipĂšres que vous ĂȘtes ! s'Ă©cria le brigand avec rage. Et, en entendant le fils de Bras-Rouge parler auprĂšs de lui, il lui lança au hasard un si furieux coup de poing qu'il l'aurait assommĂ© s'il l'eĂ»t atteint. Tortillard, autant pour se venger que pour venger la Chouette, ramassa une pierre, visa le MaĂźtre d'Ă©cole et l'atteignit au front. Le coup ne fut pas dangereux, mais la douleur fut vive. Le brigand se leva furieux, terrible comme un taureau blessĂ© ; il fit quelques pas en avant et au hasard ; mais il trĂ©bucha. – Casse-cou ! cria la Chouette en riant aux larmes. MalgrĂ© les liens sanglants qui l'attachaient Ă  ce monstre, elle voyait, pour plusieurs raisons, et avec une sorte de joie fĂ©roce, l'anĂ©antissement de cet homme jadis si redoutable et si vain de sa force athlĂ©tique. La borgnesse justifiait ainsi Ă  sa maniĂšre cette effrayante pensĂ©e de La Rochefoucauld que nous trouvons toujours quelque chose de satisfaisant dans le malheur de nos meilleurs amis ». Le hideux enfant aux cheveux jaunes et Ă  la figure de fouine partageait l'hilaritĂ© de la borgnesse. À un nouveau faux pas du MaĂźtre d'Ă©cole, il s'Ă©cria – Ouvre donc l'Ɠil, mon vieux, ouvre donc !
 Tu vas de travers, tu festonnes
 Est-ce que tu n'y vois pas clair !
 Essuie donc mieux les verres de tes lunettes ! Dans l'impossibilitĂ© d'atteindre l'enfant, le meurtrier herculĂ©en s'arrĂȘta, frappa du pied avec rage, mit ses deux Ă©normes poings velus sur ses yeux et poussa un rugissement rauque comme un tigre muselĂ©. – Tu tousses, vieux ! dit le fils de Bras-Rouge. Tiens, voilĂ  de la fameuse rĂ©glisse ; c'est un gendarme qui me l'a donnĂ©e, faut pas que ça t'en dĂ©goĂ»te ! Et il ramassa une poignĂ©e de sable fin qu'il jeta au visage de l'assassin. FouettĂ©e Ă  la figure par cette pluie de gravier, le MaĂźtre d'Ă©cole souffrit plus cruellement de cette nouvelle insulte que du coup de pierre ; blĂȘmissant sous ses cicatrices livides, il Ă©tendit brusquement ses deux bras en croix par un mouvement de dĂ©sespoir inexprimable, et, levant vers le ciel sa face Ă©pouvantable, il s'Ă©cria d'une voix profondĂ©ment suppliante – Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! De la part d'un homme souillĂ© de tous les crimes, et devant qui naguĂšre tremblaient les plus dĂ©terminĂ©s scĂ©lĂ©rats, cet appel involontaire Ă  la commisĂ©ration divine avait quelque chose de providentiel. – Ah ! ah ! ah ! Fourline qui fait les grands bras, s'Ă©cria la Chouette en ricanant. La langue te tourne, mon homme, c'est le boulanger qu'il faut appeler Ă  ton secours. – Mais un couteau au moins, que je me tue !
 un couteau ! ! ! puisque tout le monde m'abandonne
, cria le misĂ©rable en se mordant les poings avec une furie sauvage. – Un couteau ? Tu en as un dans ta poche, Fourline, et qui a le fil. Le petit vieux de la rue du Roule et le marchand de bƓufs ont dĂ» en aller dire de bonnes nouvelles aux taupes. Le MaĂźtre d'Ă©cole, ainsi mis en demeure de s'exĂ©cuter, changea de conversation et reprit d'une voix sourde et lĂąche – Le Chourineur Ă©tait bon, lui
 il ne m'a pas volĂ©, il a eu pitiĂ© de moi. – Pourquoi m'as-tu dit que j'avais grinchi ton orient ! reprit la Chouette en contenant Ă  peine son envie de rire. – Toi seule tu es entrĂ©e dans ma chambre, dit le brigand ; on m'a volĂ© la nuit de ton arrivĂ©e, qui veux-tu que je soupçonne ? Ces paysans Ă©taient incapables de cela. – Pourquoi donc qu'ils ne grinchiraient pas comme d'autres, les paysans ? Parce qu'ils boivent du lait et qu'ils vont Ă  l'herbe pour leurs lapins ? – Enfin on m'a volĂ©, toujours. – Est-ce que c'est la faute de ta Chouette ? Ah çà, voyons, penses-y donc ! Est-ce que, si j'avais effarouchĂ© ta nature, je serais restĂ©e avec toi aprĂšs le coup ? Es-tu bĂȘte ! Bien sĂ»r que je te l'aurais rincĂ© ton argent, si je l'avais pu ; mais, foi de Chouette, tu m'aurais revue quand l'argent aurait Ă©tĂ© mangĂ© parce que tu me plais tout de mĂȘme avec tes yeux blancs, brigand ! Voyons, sois donc gentil, ne t'Ă©brĂšche pas comme ça tes quenottes en les grinçant. – On croirait qu'il casse des noix ! dit Tortillard. – Ah ! ah ! ah ! il a raison, le mĂŽme. Voyons, calme-toi, mon homme, et laisse-le rire, c'est de son Ăąge ! Mais avoue que t'es pas juste quand le grand homme en deuil, qui a l'air d'un croque-mort, m'a dit Il y a mille francs pour vous si vous enlevez une jeune fille qui est dans la ferme de Bouqueval, et si vous l'amenez Ă  un endroit de la plaine Saint-Denis que je vous indiquerai », rĂ©ponds, Fourline, est-ce que je ne t'ai pas tout de suite proposĂ© d'ĂȘtre du coup, au lieu de choisir quelqu'un qui aurait vu clair ? C'est donc comme qui dirait l'aumĂŽne que je te fais. Car, exceptĂ© pour tenir la petite pendant que nous l'embaluchonnerons avec Tortillard, tu me serviras comme une cinquiĂšme roue Ă  un omnibus. Mais, c'est Ă©gal, Ă  part que je t'aurais volĂ© si j'avais pu, j'aime Ă  te faire du bien. Je veux que tu doives tout Ă  ta Chouette chĂ©rie ; c'est mon genre, Ă  moi ! ! Nous donnerons deux cents balles Ă  Barbillon pour avoir conduit la voiture et ĂȘtre venu ici une fois, avec un domestique du grand monsieur en deuil, reconnaĂźtre l'endroit oĂč il fallait nous cacher pour attendre la petite
 et il nous restera huit cents balles Ă  nous deux pour nocer. Qu'est-ce que tu dis de ça ! Eh bien ! es-tu encore fĂąchĂ© contre ta vieille ? – Qui m'assure que tu me donneras quelque chose, une fois le coup fait ? dit le brigand avec une sombre dĂ©fiance. – Je pourrais ne te rien donner du tout, c'est vrai, car tu es dans ma poĂȘle, mon homme, comme autrefois la Goualeuse. Faut donc te laisser frire Ă  mon idĂ©e, en attendant qu'Ă  son tour le boulanger t'enfourne, eh ! eh ! eh !
 Eh bien ! Fourline, est-ce que tu boudes toujours ta Chouette ? ajouta la borgnesse en frappant sur l'Ă©paule du brigand, qui restait muet et accablĂ©. – Tu as raison, dit-il avec un soupir de rage concentrĂ©e ; c'est mon sort. Moi ! moi ! Ă  la merci d'un enfant et d'une femme qu'autrefois j'aurais tuĂ©s d'un souffle ! Oh ! si je n'avais pas si peur de la mort ! dit-il en retombant assis sur le talus. – Es-tu poltron, maintenant ! es-tu poltron ! dit la Chouette avec mĂ©pris. Parle donc tout de suite de ta muette, ça sera plus farce. Tiens, si tu n'as pas plus de courage que ça, je prends de l'air et je te lĂąche. – Et ne pouvoir me venger de cet homme qui, en me martyrisant ainsi, m'a mis dans l'affreuse position oĂč je me trouve et dont je ne sortirai jamais ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole dans un redoublement de rage. Oh ! j'ai bien peur de la mort ! oui
 j'en ai bien peur ; mais on me dirait On va te le donner entre tes deux bras, cet homme
 entre tes deux bras
 puis aprĂšs on vous jettera dans un abĂźme » ; je dirais Qu'on m'y jette
 oui » ; car je serais bien sĂ»r de ne pas le lĂącher avant d'arriver au fond avec lui. Et pendant que nous roulerions tous les deux, je le mordrais au visage, Ă  la gorge, au cƓur ; je le tuerais avec mes dents, enfin ! Je serais jaloux d'un couteau ! – À la bonne heure, Fourline, voilĂ  comme je t'aime. Sois calme
 nous le retrouverons, ce gueux de Rodolphe, et le Chourineur aussi. En sortant de l'hĂŽpital, j'ai Ă©tĂ© rĂŽder allĂ©e des Veuves
 tout Ă©tait fermĂ©. Mais j'ai dit au grand monsieur en deuil Dans le temps, vous vouliez nous payer pour faire quelque chose Ă  ce monstre de M. Rodolphe ; est-ce qu'aprĂšs l'affaire de la jeune fille que nous attendons, il n'y aurait pas Ă  monter un coup contre lui ? – Peut-ĂȘtre
 » m'a-t-il rĂ©pondu. Entends-tu, Fourline ? Peut-ĂȘtre
 Courage, mon homme ! nous en mangerons, du Rodolphe ; c'est moi qui te le dis, nous en mangerons ! – Bien vrai, tu ne m'abandonneras pas ? dit le brigand Ă  la Chouette d'un ton soumis mais dĂ©fiant. Maintenant, si tu m'abandonnais, qu'est-ce que je deviendrais ? – Ça, c'est vrai. Dis donc, Fourline, quelle farce si nous deux Tortillard, nous nous esbignions avec la voiture, et que nous te laissions lĂ , au milieu des champs, par cette nuit oĂč le froid va pincer dur ! C'est ça qui serait drĂŽle, hein, brigand ? À cette menace, le MaĂźtre d'Ă©cole frĂ©mit ; il se rapprocha de la Chouette et lui dit en tremblant – Non, non, tu ne feras pas ça, la Chouette
 ni toi non plus, Tortillard
 ça serait trop mĂ©chant. – Ah ! ah ! ah ! trop mĂ©chant
 est-il simple ! Et le petit vieux de la rue du Roule ! et le marchand de bƓufs ! et la femme du canal Saint-Martin ! et le monsieur de l'allĂ©e des Veuves ! Est-ce que tu crois qu'ils t'ont trouvĂ© caressant, avec ton grand couteau ? Pourquoi donc qu'Ă  ton tour on ne te ferait pas de farce ? – Eh bien ! je l'avouerai, dit sourdement le MaĂźtre d'Ă©cole ; voyons, j'ai eu tort de te soupçonner, j'ai eu tort aussi de vouloir battre Tortillard je t'en demande pardon, entends-tu
 et Ă  toi aussi, Tortillard
 oui, je vous demande pardon Ă  tous deux. – Moi, je veux qu'il demande pardon Ă  genoux d'avoir voulu battre la Chouette, dit Tortillard. – Gueux de momacque ! Est-il amusant ! dit la Chouette en riant ; il me donne pourtant envie de voir quelle frimousse tu feras comme ça, mon homme. Allons, Ă  genoux, comme si tu jaspinais d'amour Ă  ta Chouette ; dĂ©pĂȘche-toi, ou nous te lĂąchons ; et, je t'en prĂ©viens, dans une demi-heure il fera nuit. – Nuit ou jour qu'est-ce que ça lui fait ? dit Tortillard en goguenardant. Ce monsieur garde toujours ses volets fermĂ©s, il a peur de gĂąter son teint. – Me voici Ă  genoux. Je te demande pardon, la Chouette
 et Ă  toi aussi, Tortillard. Eh bien ! ĂȘtes-vous contents ? dit le brigand en s'agenouillant au milieu du chemin. Maintenant, vous ne m'abandonnerez pas, dites ? Ce groupe Ă©trange, encadrĂ© dans les talus du ravin, Ă©clairĂ© par les lueurs rougeĂątres du crĂ©puscule, Ă©tait hideux Ă  voir. Au milieu du chemin, le MaĂźtre d'Ă©cole, suppliant, Ă©tendait vers la borgnesse ses mains puissantes ; sa rude et Ă©paisse chevelure retombait comme une criniĂšre sur son front livide ; ses paupiĂšres rouges, dĂ©mesurĂ©ment Ă©cartĂ©es par la frayeur, laissaient alors voir la moitiĂ© de sa prunelle immobile, terne, vitreuse, morte
 le regard d'un cadavre. Ses formidables Ă©paules se courbaient humblement. Cet hercule s'agenouillait tremblant aux pieds d'une vieille femme et d'un enfant. La borgnesse, enveloppĂ©e d'un chĂąle de tartan rouge, la tĂȘte couverte d'un vieux bonnet de tulle noir qui laissait Ă©chapper quelques mĂšches de cheveux gris, dominait le MaĂźtre d'Ă©cole de toute sa hauteur. Le visage osseux, tannĂ©, ridĂ©, plombĂ©, de cette vieille au nez crochu exprimait une joie insultante et fĂ©roce ; son Ɠil fauve Ă©tincelait comme un charbon ardent ; un rictus sinistre retroussait ses lĂšvres ombragĂ©es de longs poils et montrait trois ou quatre grandes dents jaunes et dĂ©chaussĂ©es. Tortillard, vĂȘtu de sa blouse Ă  ceinture de cuir, debout sur un pied, s'appuyait au bras de la Chouette pour se maintenir en Ă©quilibre. La figure maladive et rusĂ©e de cet enfant, au teint aussi blafard que ses cheveux, exprimait en ce moment une mĂ©chancetĂ© railleuse et diabolique. L'ombre projetĂ©e par l'escarpement du ravin redoublait l'horreur de cette scĂšne, que l'obscuritĂ© croissante voilait Ă  demi. – Mais promettez-moi donc, au moins, de ne pas m'abandonner !
 rĂ©pĂ©ta le MaĂźtre d'Ă©cole, effrayĂ© du silence de la Chouette et de Tortillard, qui jouissaient de son effroi. Est-ce que vous n'ĂȘtes plus lĂ  ? ajouta le meurtrier en se penchant pour Ă©couter et avançant machinalement les bras. – Si, si, mon homme nous sommes lĂ  ; n'aie pas peur. T'abandonner ! plutĂŽt baiser la camarde ! Une fois pour toutes, il faut que je te rassure et que je te dise pourquoi je ne t'abandonnerai jamais. Écoute-moi bien j'ai toujours adorĂ© avoir quelqu'un Ă  qui faire sentir mes ongles
 bĂȘtes ou gens. Avant la PĂ©griotte que le boulanger me la renvoie ! car j'ai toujours mon idĂ©e
 de la dĂ©barbouiller avec du vitriol, avant la PĂ©griotte, j'avais un mĂŽme qui s'est refroidi Ă  la peine c'est pour cela que j'ai Ă©tĂ© au clou six ans ; pendant ce temps-lĂ  je faisais la misĂšre Ă  des oiseaux je les apprivoisais pour les plumer tout vifs
 mais je ne faisais pas mes frais, ils ne duraient rien. En sortant de prison, la Goualeuse est tombĂ©e sous ma griffe ; mais la petite gueuse s'est sauvĂ©e pendant qu'il y avait encore de quoi s'amuser sur sa peau. AprĂšs, j'ai eu un chien qui a pĂąti autant qu'elle ; j'ai fini par lui couper une patte de derriĂšre et une patte de devant ça lui faisait une si drĂŽle de dĂ©gaine que j'en riais, mais que j'en riais Ă  crever. Il faudra que je fasse ça Ă  un chien que je connais et qui m'a mordu », se dit Tortillard. – Quand je t'ai rencontrĂ©, mon homme, continua la Chouette, j'Ă©tais en train d'abĂźmer un chat
 Eh bien ! Ă  cette heure, c'est toi qui seras mon chat, mon chien, mon oiseau, ma PĂ©griotte ; tu seras
 ma bĂȘte de souffrance enfin
 Comprends-tu, mon homme ? Au lieu d'un oiseau ou d'un enfant Ă  tourmenter, comme qui dirait un loup ou un tigre, c'est ça qui est un peu chenu, hein ? – Vieille furie ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole en se relevant de rage. – Allons ! voilĂ  encore que tu boudes ta vieille !
 Eh bien ! quitte-la, tu es le maĂźtre. Je ne te prends pas en traĂźtre. – Oui, la porte est ouverte, file sans yeux, et toujours tout droit ! dit Tortillard en Ă©clatant de rire. – Oh ! mourir !
 mourir !
 cria le MaĂźtre d'Ă©cole en se tordant les bras. – Tu rabĂąches, mon homme, tu as dĂ©jĂ  dit ça. Toi, mourir ! tu blagues, tu es solide comme le Pont-Neuf ; laisse donc, tu vivras pour le bonheur de ta Chouette. Je te ferai de la misĂšre de temps en temps, parce que c'est ma jouissance, et qu'il faudra que tu gagnes le pain que je te donnerai ; mais si tu es gentil, tu m'aideras dans de bons coups, comme aujourd'hui, et dans d'autres meilleurs oĂč tu pourras servir ; tu seras ma bĂȘte, enfin ! Quand je te dirai Apporte, tu apporteras ; mords, tu mordras. AprĂšs ça, dis donc, mon homme, je ne veux pas te prendre de force, au moins ; si, au lieu de la vie que je te propose, t'aimes mieux avoir des rentes, rouler carrosse avec une jolie petite femme, ĂȘtre dĂ©corĂ© de la croix d'honneur, ĂȘtre nommĂ© grand curieux, et y voir clair au lieu d'ĂȘtre aveugle, faut pas te gĂȘner ; c'est facile, t'as qu'Ă  le dire, on te servira ça tout chaud
 N'est-ce pas Tortillard ? – Tout chaud, tout bouillant, tout de suite ! rĂ©pondit le fils de Bras-Rouge en ricanant. Mais, se penchant, tout Ă  coup vers la terre, il dit Ă  voix basse – J'entends marcher dans le sentier, cachons-nous
 Ça n'est pas la jeune fille, car on vient par le mĂȘme cĂŽtĂ© oĂč elle est venue. En effet, une paysanne robuste, dans la force de l'Ăąge, suivie d'un gros chien de ferme, et portant sur sa tĂȘte un panier couvert, parut au bout de quelques minutes, traversa le ravin et prit le sentier que suivaient le prĂȘtre et la Goualeuse. Nous rejoindrons ces deux personnages, et nous laisserons les trois complices embusquĂ©s dans le chemin creux. II. Le presbytĂšre Les derniĂšres lueurs du soleil s'Ă©teignaient lentement derriĂšre la masse importante du chĂąteau d'Écouen et des bois qui l'environnaient ; de tous cĂŽtĂ©s s'Ă©tendaient Ă  perte de vue des plaines immenses aux sillons bruns, durcis par la gelĂ©e
 vaste solitude dont le hameau de Bouqueval semblait l'oasis. Le ciel, d'une sĂ©rĂ©nitĂ© parfaite, se marbrait au couchant de longues traĂźnĂ©es de pourpre, signe certain de vent et de froid ; ces tons, d'abord d'un rouge vif, devenaient violets Ă  mesure que le crĂ©puscule envahissait l'atmosphĂšre. Le croissant de la lune, fin, dĂ©liĂ© comme la moitiĂ© d'un anneau d'argent, commençait Ă  briller doucement dans un milieu d'azur et d'ombre. Le silence Ă©tait absolu, l'heure solennelle. Le curĂ© s'arrĂȘta un moment sur la colline, pour jouir de l'aspect de cette belle soirĂ©e. AprĂšs quelques moment de recueillement, Ă©tendant sa main tremblante vers les profondeurs de l'horizon Ă  demi voilĂ© par la brume de soir, il dit Ă  Fleur-de-Marie, qui marchait pensive Ă  cĂŽtĂ© de lui – Voyez donc, mon enfant, cette immensitĂ© dont on n'aperçoit plus les bornes
 on n'entend pas le moindre bruit
 il me semble que le silence et l'infini nous donnent presque une idĂ©e de l'Ă©ternité  Je vous dis cela, Marie, parce que vous ĂȘtes sensible aux beautĂ©s de la crĂ©ation. Souvent j'ai Ă©tĂ© touchĂ© de l'admiration religieuse qu'elles vous inspiraient, Ă  vous
 qui en avez Ă©tĂ© si longtemps dĂ©shĂ©ritĂ©e. N'ĂȘtes-vous pas frappĂ©e comme moi du calme imposant qui rĂšgne Ă  cette heure ? La Goualeuse ne rĂ©pondit rien. ÉtonnĂ©, le curĂ© la regarda ; elle pleurait. – Qu'avez-vous donc, mon enfant ? – Mon pĂšre, je suis bien malheureuse ! – Malheureuse ? Vous
 maintenant malheureuse ? – Je sais que je n'ai pas le droit de me plaindre de mon sort, aprĂšs tout ce qu'on a fait pour moi
 et pourtant
 – Et pourtant ? – Ah ! mon pĂšre, pardonnez-moi ces chagrins ; ils offensent peut-ĂȘtre mes bienfaiteurs
 – Écoutez, Marie, nous vous avons souvent demandĂ© le motif de la tristesse dont vous ĂȘtes quelquefois accablĂ©e, et qui cause Ă  votre seconde mĂšre de vives inquiĂ©tudes
 Vous avez Ă©vitĂ© de nous rĂ©pondre ; nous avons respectĂ© votre secret en nous affligeant de ne pouvoir soulager vos peines. – HĂ©las ! mon pĂšre, je ne puis vous dire ce qui se passe en moi. Ainsi que vous, tout Ă  l'heure, je me suis sentie Ă©mue Ă  l'aspect de cette soirĂ©e calme et triste
 mon cƓur s'est brisé  et j'ai pleuré  – Mais qu'avez-vous, Marie ? Vous savez combien l'on vous aime
 Voyons, avouez-moi tout. D'ailleurs, je puis vous dire cela ; le jour approche oĂč Mme Georges et M. Rodolphe vous prĂ©senteront aux fonts du baptĂȘme, en prenant devant Dieu l'engagement de vous protĂ©ger toujours. – M. Rodolphe ? Lui
 qui m'a sauvĂ©e ! s'Ă©cria Fleur-de-Marie en joignant les mains ; il daignerait me donner cette nouvelle preuve d'affection ! Oh ! tenez, je ne vous cacherai rien, mon pĂšre, je crains trop d'ĂȘtre ingrate. – Ingrate ! Et comment ? – Pour me faire comprendre, il faut que je vous parle des premiers jours oĂč je suis venue Ă  la ferme. – Je vous Ă©coute ; nous causerons en marchant. – Vous serez indulgent, n'est-ce pas, mon pĂšre ? Ce que je vais vous dire est peut-ĂȘtre bien mal. – Le Seigneur vous a prouvĂ© qu'il Ă©tait misĂ©ricordieux. Prenez courage. – Lorsque j'ai su, en arrivant ici, que je ne quitterais pas la ferme et Mme Georges, dit Fleur-de-Marie aprĂšs un moment de recueillement, j'ai cru faire un beau rĂȘve. D'abord j'Ă©prouvais comme un Ă©tourdissement de bonheur ; Ă  chaque instant, je songeais Ă  M. Rodolphe. Bien souvent, toute seule et malgrĂ© moi, je levais les yeux au ciel comme pour l'y chercher et le remercier. Enfin
 je m'en accuse, mon pĂšre
 je pensais plus Ă  lui qu'Ă  Dieu ; car il avait fait pour moi ce que Dieu seul aurait pu faire. J'Ă©tais heureuse
 heureuse comme quelqu'un qui a Ă©chappĂ© pour toujours Ă  un grand danger. Vous et Mme Georges, vous Ă©tiez si bons pour moi que je me croyais plus Ă  plaindre qu'Ă  blĂąmer. Le curĂ© regarda la Goualeuse avec surprise ; elle continua – Peu Ă  peu, je me suis habituĂ©e Ă  cette vie si douce je n'avais plus peur, en me rĂ©veillant, de me retrouver chez l'ogresse ; je me sentais, pour ainsi dire, dormir avec sĂ©curitĂ© ; toute ma joie Ă©tait d'aider Mme Georges dans ses travaux, de m'appliquer aux leçons que vous me donniez, mon pĂšre
 et aussi de profiter de vos exhortations. Sauf quelques moments de honte, quand je songeais au passĂ©, je me croyais l'Ă©gale de tout le monde, parce que tout le monde Ă©tait bon pour moi, lorsqu'un jour
 Ici les sanglots interrompirent Fleur-de-Marie. – Voyons, calmez-vous, pauvre enfant, courage ! Et continuez. La Goualeuse, essuyant ses yeux, reprit – Vous vous souvenez, mon pĂšre, que, lors des fĂȘtes de la Toussaint, Mme Dubreuil, fermiĂšre de M. le duc de Lucenay Ă  Arnouville, est venue ici passer quelque temps avec sa fille. – Sans doute, et je vous ai vue avec plaisir faire connaissance avec Clara Dubreuil ; elle est douĂ©e des meilleures qualitĂ©s. – C'est un ange, mon pĂšre
 un ange
 Quand je sus qu'elle devait venir pendant quelques jours Ă  la ferme, mon bonheur fut bien grand, je ne songeais qu'au moment oĂč je verrais cette compagne si dĂ©sirĂ©e. Enfin elle arriva. J'Ă©tais dans ma chambre ; je devais la partager avec elle, je la parais de mon mieux ; on m'envoya chercher. J'entrai dans le salon, mon cƓur battait ; Mme Georges, me montrant cette jolie jeune personne, qui avait l'air aussi doux que modeste et bon, me dit Marie, voilĂ  une amie pour vous. Et j'espĂšre que vous et ma fille serez bientĂŽt comme deux sƓurs », ajouta Mme Dubreuil. À peine sa mĂšre avait-elle dit ces mots, que Mlle Clara accourut m'embrasser
 Alors, mon pĂšre, dit Fleur-de-Marie en pleurant, je ne sais ce qui se passa tout Ă  coup en moi
 mais quand je sentis le visage pur et frais de Clara s'appuyer sur ma joue flĂ©trie
 ma joue est devenue brĂ»lante de honte
 de remords
 je me suis souvenue de ce que j'Ă©tais
 Moi !
 moi, recevoir les caresses d'une jeune personne si honnĂȘte !
 Oh ! cela me semblait une tromperie
 une hypocrisie indigne
 – Mais, mon enfant
 – Ah ! mon pĂšre, s'Ă©cria Fleur-de-Marie en interrompant le curĂ© avec une exaltation douloureuse, lorsque M. Rodolphe m'a emmenĂ©e de la CitĂ©, j'avais dĂ©jĂ  vaguement la conscience de ma dĂ©gradation
 Mais croyez-vous que l'Ă©ducation, que les conseils, que les exemples que j'ai reçus de Mme Georges et de vous, en Ă©clairant tout Ă  coup mon esprit, ne m'aient pas, hĂ©las ! fait comprendre que j'avais Ă©tĂ© encore plus coupable que malheureuse ?
 Avant l'arrivĂ©e de Mlle Clara, lorsque ces pensĂ©es me tourmentaient, je m'Ă©tourdissais en tĂąchant de contenter Mme Georges et vous, mon pĂšre
 Si je rougissais du passĂ©, c'Ă©tait Ă  mes propres yeux
 Mais la vue de cette jeune personne de mon Ăąge, si charmante, si vertueuse, m'a fait songer Ă  la distance qui existerait Ă  jamais entre elle et moi
 Pour la premiĂšre fois, j'ai senti qu'il est des flĂ©trissures que rien n'efface
 Depuis ce jour, cette pensĂ©e ne me quitte plus
 MalgrĂ© moi, je m'y appesantis sans cesse ; depuis ce jour, enfin, je n'ai plus un moment de repos. La Goualeuse essuya ses yeux remplis de larmes. AprĂšs l'avoir regardĂ©e pendant quelques instants avec une tendre commisĂ©ration, le curĂ© reprit – RĂ©flĂ©chissez donc, mon enfant, que si Mme Georges voulait vous voir l'amie de Mlle Dubreuil, c'est qu'elle vous savait digne de cette liaison par votre bonne conduite. Les reproches que vous vous faites s'adressent presque Ă  votre seconde mĂšre. – Je le sais, mon pĂšre, j'avais tort, sans doute ; mais je ne pouvais surmonter ma honte et ma crainte
 Ce n'est pas tout
 il me faut du courage pour achever
 – Continuez, Marie ; jusqu'ici vos scrupules, ou plutĂŽt vos remords, prouvent en faveur de votre cƓur. – Une fois Clara Ă©tablie Ă  la ferme, je fus aussi triste que j'avais d'abord cru ĂȘtre heureuse en pensant au plaisir d'avoir une compagne de mon Ăąge ; elle, au contraire, Ă©tait toute joyeuse. On lui avait fait un lit dans ma chambre. Le premier soir, avant de se coucher, elle m'embrassa et me dit qu'elle m'aimait dĂ©jĂ , qu'elle se sentait beaucoup d'attrait pour moi ; elle me demanda de l'appeler Clara, comme elle m'appellerait Marie. Ensuite elle pria Dieu, en me disant qu'elle joindrait mon nom Ă  ses priĂšres, si je voulais joindre son nom aux miennes. Je n'osai pas lui refuser cela. AprĂšs avoir encore causĂ© quelque temps, elle s'endormit ; moi, je ne m'Ă©tais pas couchĂ©e ; je m'approchai d'elle ; je regardais en pleurant sa figure d'ange ; et puis, en pensant qu'elle dormait dans la mĂȘme chambre que moi
 que moi, qu'on avait trouvĂ©e chez l'ogresse avec des voleurs et des assassins
 je tremblais comme si j'avais commis une mauvaise action, j'avais de vagues frayeurs
 Il me semblait que Dieu me punirait un jour
 Je me couchai, j'eus des rĂȘves affreux, je revis les figures sinistres que j'avais presque oubliĂ©es, le Chourineur, le MaĂźtre d'Ă©cole, la Chouette, cette femme borgne qui m'avait torturĂ©e Ă©tant petite. Oh ! quelle nuit !
 mon Dieu ! quelle nuit ! quels rĂȘves ! dit la Goualeuse en frĂ©missant encore Ă  ce souvenir. – Pauvre Marie ! reprit le curĂ© avec Ă©motion ; que ne m'avez-vous fait plus tĂŽt ces tristes confidences ! Je vous aurais rassurĂ©e
 Mais continuez. – Je m'Ă©tais endormie bien tard Mlle Clara vint m'Ă©veiller en m'embrassant. Pour vaincre ce qu'elle appelait ma froideur et me prouver son amitiĂ©, elle voulut me confier un secret ; elle devait s'unir, lorsqu'elle aurait dix-huit ans accomplis, au fils d'un fermier de Goussainville, qu'elle aimait tendrement ; le mariage Ă©tait depuis longtemps arrĂȘtĂ© entre les deux familles. Ensuite, elle me raconta en peu de mots sa vie passĂ©e
 vie simple, calme, heureuse elle n'avait jamais quittĂ© sa mĂšre, elle ne la quitterait jamais ; car son fiancĂ© devait partager l'exploitation de la ferme avec M. Dubreuil. Maintenant, Marie, me dit-elle, vous me connaissez comme si vous Ă©tiez ma sƓur ; racontez-moi donc votre vie
 » À ces mots, je crus mourir de honte
 je rougis, je balbutiai. J'ignorais ce que Mme Georges avait dit de moi ; je craignais de la dĂ©mentir. Je rĂ©pondis vaguement qu'orpheline et Ă©levĂ©e par des personnes sĂ©vĂšres, je n'avais pas Ă©tĂ© trĂšs-heureuse pendant mon enfance, et que mon bonheur datait de mon sĂ©jour auprĂšs de Mme Georges. Alors, Clara, bien plus par intĂ©rĂȘt que par curiositĂ©, me demanda oĂč j'avais Ă©tĂ© Ă©levĂ©e Ă©tait-ce Ă  la ville, ou Ă  la campagne ? Comment se nommait mon pĂšre ? Elle me demanda surtout si je me rappelais d'avoir vu ma mĂšre. Chacune de ces questions m'embarrassait autant qu'elle me peinait ; car il me fallait y rĂ©pondre par des mensonges, et vous m'avez appris, mon pĂšre, combien il est mal de mentir
 Mais Clara n'imagina pas que je pouvais la tromper. Attribuant l'hĂ©sitation de mes rĂ©ponses au chagrin que me causaient les tristes souvenirs de mon enfance, Clara me crut, me plaignit avec une bontĂ© qui me navra. Ô mon pĂšre ! vous ne saurez jamais ce que j'ai souffert dans ce premier entretien ! Combien il me coĂ»tait de ne pas dire une parole qui ne fĂ»t hypocrite et fausse !
 – InfortunĂ©e ! Que la colĂšre de Dieu s'appesantisse sur ceux qui, en vous jetant dans une abominable voie de perditions, vous forceront peut-ĂȘtre de subir toute votre vie les inexorables consĂ©quences d'une premiĂšre faute ! – Oh ! oui, ceux-lĂ  ont Ă©tĂ© bien mĂ©chants, mon pĂšre, reprit amĂšrement Fleur-de-Marie, car ma honte est ineffaçable. Ce n'est pas tout ; Ă  mesure que Clara me parlait du bonheur qui l'attendait, de son mariage, de sa douce vie de famille, je ne pouvais m'empĂȘcher de comparer mon sort au sien ; car, malgrĂ© les bontĂ©s dont on me comble, mon sort sera toujours misĂ©rable ; vous et Mme Georges, en me faisant comprendre la vertu, vous m'avez fait aussi comprendre la profondeur de mon abjection passĂ©e ; rien ne pourra m'empĂȘcher d'avoir Ă©tĂ© le rebut de ce qu'il y a de plus vil au monde. HĂ©las ! puisque la connaissance du bien et du mal devait m'ĂȘtre si funeste, que ne me laissait-on Ă  mon malheureux sort ! – Oh ! Marie ! Marie !
 – N'est-ce pas, mon pĂšre
 ce que je dis est bien mal ? HĂ©las voilĂ  ce que je n'osais vous avouer
 Oui, quelquefois je suis assez ingrate pour mĂ©connaĂźtre les bontĂ©s dont on me comble, pour me dire Si l'on ne m'eĂ»t pas arrachĂ©e Ă  l'infamie, eh bien ! la misĂšre, les coups m'eussent tuĂ©e bien vite ; au moins je serais morte dans l'ignorance d'une puretĂ© que je regretterai toujours. » – HĂ©las ! Marie, cela est fatal ! Une nature, mĂȘme gĂ©nĂ©reusement douĂ©e par le CrĂ©ateur, n'eĂ»t-elle Ă©tĂ© plongĂ©e qu'un jour dans la fange dont on vous a tirĂ©e, en garde un stigmate ineffaçable
 Telle est l'immutabilitĂ© de la justice divine ! – Vous le voyez bien, mon pĂšre, s'Ă©cria douloureusement Fleur-de-Marie, je dois dĂ©sespĂ©rer jusqu'Ă  la mort ! – Vous devez dĂ©sespĂ©rer d'effacer de votre vie cette page dĂ©solante, dit le prĂȘtre d'une voix triste et grave, mais vous devez espĂ©rer en la misĂ©ricorde infinie du Tout-Puissant. Ici-bas, pour vous, pauvre enfant, larmes, remords, expiation, mais un jour, lĂ -haut, ajouta-t-il en Ă©levant sa main vers le firmament qui commençait Ă  s'Ă©toiler, lĂ -haut, pardon, fĂ©licitĂ© Ă©ternelle ! – Pitié  pitiĂ©, mon Dieu !
 je suis si jeune
 et ma vie sera peut-ĂȘtre encore si longue !
 dit la Goualeuse d'une voix dĂ©chirante, en tombant Ă  genoux aux pieds du curĂ© par un mouvement involontaire. Le prĂȘtre Ă©tait debout au sommet de la colline, non loin de laquelle s'Ă©levait le presbytĂšre ; sa soutane noire, sa figure vĂ©nĂ©rable, encadrĂ©e de longs cheveux blancs et doucement Ă©clairĂ©e par les derniĂšres clartĂ©s du crĂ©puscule, se dessinaient sur l'horizon, d'une transparence, d'une limpiditĂ© profondes or pĂąle au couchant, saphir au zĂ©nith. Le prĂȘtre levait au ciel une de ses mains tremblantes, et abandonnait l'autre Ă  Fleur-de-Marie, qui la couvrait de larmes. Le capuchon de sa mante grise, Ă  ce moment rabattu sur ses Ă©paules, laissait voir le profil enchanteur de la jeune fille, son charmant regard suppliant et baignĂ© de larmes
 son cou d'une blancheur Ă©blouissantes, oĂč se voyait l'attache soyeuse de ses jolis cheveux blonds. Cette scĂšne simple et grande offrait un contraste, une coĂŻncidence bizarre, avec l'ignoble scĂšne qui, presque au mĂȘme instant, se passait dans les profondeurs du chemin creux entre le MaĂźtre d'Ă©cole et la Chouette. CachĂ© dans les tĂ©nĂšbres d'un noir ravin, assailli de lĂąches terreurs, un effroyable meurtrier, portant la peine de ses forfaits, s'Ă©tait aussi agenouillé  mais devant sa complice, furie railleuse, vengeresse, qui le tourmentait sans merci et le poussait Ă  de nouveaux crimes
 sa complice
 cause premiĂšre des malheurs de Fleur-de-Marie. De Fleur-de-Marie que torturait un remords incessant. L'exagĂ©ration de sa douleur n'Ă©tait-elle pas concevable ? EntourĂ©e depuis son enfance d'ĂȘtres dĂ©gradĂ©s, mĂ©chants, infĂąmes ; quittant sa prison pour l'antre de l'ogresse, autre prison horrible ; n'Ă©tant jamais sortie des cours de sa geĂŽle ou des rues caverneuses de la CitĂ©, cette malheureuse jeune fille n'avait-elle pas vĂ©cu jusqu'alors dans l'ignorance profonde du beau et du bien, aussi Ă©trangĂšre aux sentiments nobles et religieux qu'aux splendeurs magnifiques de la nature ? Et voilĂ  que tout Ă  coup elle abandonne son cloaque infect pour une retraite charmante et rustique, sa vie immonde, pour partager une existence heureuse et paisible avec les ĂȘtres les plus vertueux ; les plus tendres, les plus compatissants Ă  ses infortunes
 Enfin tout ce qu'il y a d'admirable dans la crĂ©ature et dans la crĂ©ation se rĂ©vĂšle Ă  la fois et en un moment Ă  son Ăąme Ă©tonnĂ©e. À ce spectacle imposant, son esprit s'agrandit, son intelligence se dĂ©veloppe, ses nobles instincts s'Ă©veillent
 Et c'est parce que son esprit s'est agrandi, parce que son intelligence s'est dĂ©veloppĂ©e, parce que ses nobles instincts se sont Ă©veillĂ©s
 qu'ayant la conscience de la dĂ©gradation premiĂšre, elle ressent pour sa vie passĂ©e une douloureuse et incurable horreur, et comprend, hĂ©las ! ainsi qu'elle le dit, qu'il est des souillures qui ne s'effacent jamais
 – Ô malheur Ă  moi ! disait la Goualeuse dĂ©sespĂ©rĂ©e, ma vie tout entiĂšre, fĂ»t-elle aussi longue, aussi pure que la vĂŽtre, mon pĂšre, sera dĂ©sormais flĂ©trie par la conscience et par le souvenir du passé  Malheur Ă  moi ! – Bonheur pour vous, au contraire, Marie, bonheur pour vous, Ă  qui le Seigneur envoie ces remords pleins d'amertume, mais salutaires ! Ils prouvent la religieuse susceptibilitĂ© de votre Ăąme ! Tant d'autres, moins noblement bien douĂ©es que vous, eussent, Ă  votre place, vite oubliĂ© le passĂ© pour ne songer qu'Ă  jouir de la fĂ©licitĂ© prĂ©sente ! Une Ăąme dĂ©licate comme la vĂŽtre rencontre des souffrances lĂ  oĂč le vulgaire ne ressent aucune douleur ! Mais chacune de ces souffrances vous sera comptĂ©e lĂ -haut. Croyez-moi, Dieu ne vous a laissĂ© un moment dans la voie mauvaise que pour vous rĂ©server la gloire du repentir et la rĂ©compense Ă©ternelle due Ă  l'expiation ! Ne l'a-t-il pas dit lui-mĂȘme Ceux-lĂ  qui font le bien sans combat, et qui viennent Ă  moi le sourire aux lĂšvres, ceux-lĂ  sont mes Ă©lus ; mais ceux-lĂ  qui, blessĂ©s dans la lutte, viennent Ă  moi saignants et meurtris, ceux-lĂ  sont les Ă©lus d'entre mes Ă©lus !
 » Courage donc, mon enfant !
 soutien, appui, conseils, rien ne vous manquera
 Je suis bien vieux, mais Mme Georges, mais M. Rodolphe ont encore de longues annĂ©es Ă  vivre
 M. Rodolphe, surtout
 qui vous tĂ©moigne tant d'intĂ©rĂȘt
 qui suit vos progrĂšs avec une sollicitude si Ă©clairĂ©e
 Dites, Marie, dites, pourriez-vous jamais regretter de l'avoir rencontrĂ© ? La Goualeuse allait rĂ©pondre lorsqu'elle fut interrompue par la paysanne dont nous avons parlĂ©, qui, suivant la mĂȘme route que la jeune fille et l'abbĂ©, venait de les rejoindre. C'Ă©tait une des servantes de la ferme. – Pardon, excuse, monsieur le curĂ©, dit-elle au prĂȘtre, mais Mme Georges m'a dit d'apporter ce panier de fruits au presbytĂšre, et qu'en mĂȘme temps je ramĂšnerais Mlle Marie, car il se fait tard ; mais j'ai pris Turc avec moi, dit la fille de ferme en caressant un Ă©norme chien des PyrĂ©nĂ©es, qui eĂ»t dĂ©fiĂ© un ours au combat. Quoiqu'il n'y ait jamais de mauvaise rencontre dans le pays, c'est toujours plus prudent. – Vous avez raison, Claudine ; nous voici d'ailleurs arrivĂ©s au presbytĂšre ; vous remercierez Mme Georges pour moi. Puis, s'adressant tout bas Ă  la Goualeuse, le curĂ© lui dit d'un ton grave – Il faut que je me rende demain Ă  la confĂ©rence du diocĂšse ; mais je serai de retour sur les cinq heures. Si vous le voulez, mon enfant, je vous attendrai au presbytĂšre. Je vois, Ă  l'Ă©tat de votre esprit, que vous avez besoin de vous entretenir longuement encore avec moi. – Je vous remercie, mon pĂšre, rĂ©pondit Fleur-de-Marie ; demain je viendrai, puisque vous voulez bien me le permettre. – Mais nous voici arrivĂ©s Ă  la porte du jardin, dit le prĂȘtre ; laissez ce panier lĂ , Claudine, ma gouvernante le prendra. Retournez vite Ă  la ferme avec Marie ; car la nuit est presque venue et le froid augmente. À demain, Marie, Ă  cinq heures ! – À demain, mon pĂšre. L'abbĂ© rentra dans son jardin. La Goualeuse et Claudine, suivies de Turc, reprirent le chemin de la mĂ©tairie. III. La rencontre La nuit Ă©tait venue, claire et froide. Suivant les avis du MaĂźtre d'Ă©cole, la Chouette avait gagnĂ© avec ce brigand un endroit du chemin creux plus Ă©loignĂ© du sentier et plus rapprochĂ© du carrefour oĂč Barbillon attendait avec le fiacre. Tortillard, postĂ© en vedette, guettait le retour de Fleur-de-Marie, qu'il devait attirer dans ce guet-apens en la suppliant de venir Ă  son aide pour secourir une pauvre vieille femme. Le fils de Bras-Rouge avait fait quelques pas en dehors du ravin pour aller Ă  la dĂ©couverte, lorsque, prĂȘtant l'oreille, il entendit au loin la Goualeuse parler Ă  la paysanne qui l'accompagnait. La Goualeuse n'Ă©tant plus seule, tout Ă©tait manquĂ©. Tortillard se hĂąta de redescendre dans le ravin et de courir avertir la Chouette. – Il y a quelqu'un avec la jeune fille, dit-il d'une voix basse et essoufflĂ©e. – Que le bĂ©quilleur lui fauche le colas, Ă  cette petite gueuse ! s'Ă©cria la Chouette en fureur. – Avec qui est-elle ? demanda le MaĂźtre d'Ă©cole. – Sans doute avec la paysanne qui tout Ă  l'heure a passĂ© dans le sentier, suivie d'un gros chien. J'ai reconnu la voix d'une femme, dit Tortillard ; tenez
 entendez-vous
 entendez-vous le bruit de leurs sabots ?
 En effet, dans le silence de la nuit, les semelles de bois rĂ©sonnaient au loin sur la terre durcie par la gelĂ©e. – Elles sont deux
 Je peux me charger de la petite Ă  la mante grise ; mais l'autre ! Comment faire ? Fourline n'y voit pas
 et Tortillard est trop faible pour amortir cette camarade que le diable Ă©trangle ! Comment faire ? rĂ©pĂ©ta la Chouette. – Je ne suis pas fort ; mais si vous voulez, je me jetterai aux jambes de la paysanne qui a un chien, je m'y accrocherai des mains et des dents je ne lĂącherai pas, allez !
 Pendant ce temps-lĂ  vous entraĂźnerez bien la petite
 vous, la Chouette. – Et si elles crient, si elles regimbent, on les entendra de la ferme, reprit la borgnesse, et on aura le temps de venir Ă  leur secours avant que nous ayons rejoint le fiacre de Barbillon
 C'est pas dĂ©jĂ  si commode Ă  emporter une femme qui se dĂ©bat ! – Et elles ont un gros chien avec elles ! dit Tortillard. – Bah ! bah ! si ce n'Ă©tait que ça, d'un coup de soulier je lui casserai la gargoine, Ă  leur chien, dit la Chouette. – Elles approchent, reprit Tortillard en prĂȘtant de nouveau l'oreille au bruit de pas lointains, elles vont descendre dans le ravin. – Mais parle donc, Fourline, dit la Chouette au MaĂźtre d'Ă©cole ; qu'est-ce que tu conseilles, gros tĂȘtard ?
 Est-ce que tu deviens muet ? – Il n'y a rien Ă  faire aujourd'hui, rĂ©pondit le brigand. – Et les mille francs du monsieur en deuil, s'Ă©cria la Chouette, ils seront donc flambĂ©s ? Plus souvent !
 Ton couteau ! ton couteau, Fourline ! Je tuerai la camarade pour qu'elle ne nous gĂȘne pas ; quant Ă  la petite, nous deux, Tortillard et moi, nous viendrons bien Ă  bout de la bĂąillonner. – Mais l'homme en deuil ne s'attend pas Ă  ce que l'on tue quelqu'un
 – Eh bien ! nous mettrons ce sang-lĂ  en extra sur son mĂ©moire ; faudra bien qu'il nous paye, puisqu'il sera notre complice. – Les voilĂ  !
 Elles descendent, dit Tortillard Ă  voix basse. – Ton couteau, mon homme ! s'Ă©cria la Chouette aussi Ă  voix basse. – Oh ! la Chouette
, s'Ă©cria Tortillard avec effroi en Ă©tendant ses mains vers la borgnesse, c'est trop fort
 la tuer
 Oh ! non, non ! – Ton couteau ! je te dis
, rĂ©pĂ©ta tout bas la Chouette, sans faire attention aux supplications de Tortillard et en se dĂ©chaussant Ă  la hĂąte. Je vas ĂŽter mes souliers, ajouta-t-elle, pour les surprendre en marchant Ă  pas de loup derriĂšre elles ; il fait dĂ©jĂ  sombre ; mais je reconnaĂźtrai bien la petite Ă  sa mante, et je refroidirai l'autre. – Non ! dit le brigand, aujourd'hui c'est inutile ; il sera toujours temps demain. – Tu as peur, frileux ! dit la Chouette avec un mĂ©pris farouche
 – Je n'ai pas peur, rĂ©pondit le MaĂźtre d'Ă©cole ; mais tu peux manquer ton coup et tout perdre. Le chien qui accompagnait la paysanne, Ă©ventant sans doute les gens embusquĂ©s dans le chemin creux, s'arrĂȘta court, aboya avec furie et ne rĂ©pondit pas aux appels rĂ©itĂ©rĂ©s de Fleur-de-Marie. – Entends-tu leur chien ? Les voilà
 vite, ton couteau
 ou sinon !
 s'Ă©cria la Chouette d'un air menaçant. – Viens donc me le prendre
 de force ! dit le MaĂźtre d'Ă©cole. – C'est fini ! il est trop tard ! s'Ă©cria la Chouette aprĂšs avoir Ă©coutĂ© un moment avec attention, les voilĂ  passĂ©es
 Tu me payeras ça ! va, potence ! ajouta-t-elle furieuse, en montrant le poing Ă  son complice, mille francs de perdus par ta faute ! – Mille, deux mille, peut-ĂȘtre trois mille de gagnĂ©s, au contraire, reprit le MaĂźtre d'Ă©cole d'un ton d'autoritĂ©. Écoute-moi, la Chouette, ajouta-t-il, et tu verras si j'ai eu tort de te refuser mon couteau
 Tu vas retourner auprĂšs de Barbillon
 vous vous en irez tous les deux avec sa voiture au rendez-vous oĂč vous attend le monsieur en deuil
 vous lui direz qu'il n'y a rien Ă  faire aujourd'hui, mais que demain ce sera enlevé  – Et toi ? murmura la Chouette toujours courroucĂ©e. – Écoute encore la petite va seule tous les soirs reconduire le prĂȘtre ; c'est un hasard si aujourd'hui elle a rencontrĂ© quelqu'un ; il est probable que demain nous aurons meilleure chance demain donc tu reviendras Ă  cette heure, au carrefour, avec Barbillon et sa voiture. – Mais toi ? mais toi ? – Tortillard va me conduire Ă  la ferme oĂč demeure cette fille ; il dira que nous sommes Ă©garĂ©s, que je suis son pĂšre, un pauvre ouvrier mĂ©canicien, aveuglĂ© par accident ; que nous allions Ă  Louvres, chez un de nos parents qui pouvait nous donner quelques secours, et que nous nous sommes perdus dans les champs en voulant couper au court. Nous demanderons Ă  passer la nuit Ă  la ferme, dans un coin de l'Ă©table. Jamais ça ne se refuse. Ces paysans nous croiront et nous donneront Ă  coucher. Tortillard examinera bien les portes, les fenĂȘtres, les issues de la maison il y a toujours de l'argent chez ces gens-lĂ  Ă  l'approche des fermages. Moi qui ai eu des terres, ajouta-t-il avec amertume, je sais ça. Nous sommes dans la premiĂšre quinzaine de janvier
 c'est le bon moment, c'est le temps oĂč on paye les termes Ă©chus
 La ferme est situĂ©e, dites-vous, dans un endroit dĂ©sert ; une fois que nous en connaĂźtrons les entrĂ©es et les sorties, on pourra y revenir avec les amis c'est une affaire Ă  mitonner
 – Toujours tĂȘtard, et quelle sorbonne ! dit la Chouette en se radoucissant ; continue, Fourline. – Demain matin, au lieu de quitter la ferme, je me plaindrai d'une douleur qui m'empĂȘchera de marcher. Si on ne me croit pas, je montrerai la plaie que j'ai gardĂ©e depuis que j'ai brisĂ© ma manille, et dont je souffre toujours. Je dirai que c'est une brĂ»lure que je me suis faite avec une barre de fer rouge dans mon Ă©tat de mĂ©canicien ; on me croira. Ainsi je resterai Ă  la ferme une partie de la journĂ©e, pour que Tortillard ait encore le temps de tout bien examiner. Quand le soir arrivera, au moment oĂč la petite sortira, comme d'habitude, avec le prĂȘtre, je dirai que je suis mieux, et que je me trouve en Ă©tat de partir. Moi et Tortillard nous suivrons la jeune fille de loin, nous reviendrons l'attendre ici en dehors du ravin. Nous connaissant dĂ©jĂ , elle n'aura pas de dĂ©fiance en nous revoyant ; nous l'aborderons
 nous deux Tortillard
 et une fois qu'elle sera Ă  portĂ©e de mon bras, j'en rĂ©ponds ; elle est enflanquĂ©e, et les mille francs sont Ă  nous. Ce n'est pas tout
 dans deux ou trois jours nous pourrons donner l'affaire de la ferme au Barbillon ou Ă  d'autres, et partager ensuite avec eux s'il y a quelque chose, puisque c'est nous qui auront nourri le poupart. – Tiens, sans mirettes, t'as pas ton pareil, dit la Chouette en embrassant le MaĂźtre d'Ă©cole. Mais si par hasard la petite ne reconduit pas le prĂȘtre demain soir ? – Nous recommencerons aprĂšs-demain, c'est un de ces morceaux qui se mangent froids et lentement ; d'ailleurs ça fera des frais qui augmenteront la mĂ©moire du monsieur en deuil ; et puis, une fois dans la ferme, je saurai bien juger, d'aprĂšs ce que j'entendrai dire, si nous avons chance d'enlever la petite par le moyen que nous tentons ; sinon nous en chercherons un autre. – Ça va, mon homme ! Il est fameux, ton plan ! Dis donc, Fourline, quand tu seras tout Ă  fait infirme, faudra te faire grinche consultant ; tu gagneras autant d'argent qu'un rat de prison. Allons, embrasse ta Chouette, et dĂ©pĂȘche-toi
 ces paysans, ça se couche comme les poules. Je me sauve retrouver Barbillon ; demain Ă  quatre heures nous serons Ă  la croix du carrefour avec lui et sa roulante Ă  moins que d'ici lĂ  on ne l'arrĂȘte pour avoir escarpĂ© le mari de la laitiĂšre
 de la rue de la Vieille-Draperie. Mais, si ça n'est pas lui, ça sera un autre, puisque le faux fiacre appartient au monsieur en deuil, qui s'en est dĂ©jĂ  servi. Un quart d'heure aprĂšs notre arrivĂ©e au carrefour, je serai ici Ă  t'attendre. – C'est dit
 À demain, la Chouette. – Et moi, qui oubliais de donner de la cire Ă  Tortillard, s'il y a quelque empreinte Ă  prendre Ă  la ferme ! Tiens, sauras-tu bien t'en servir, fifi ? dit la borgnesse en donnant un morceau de cire Ă  Tortillard. – Oui, oui, allez ; papa m'a montrĂ©. J'ai pris pour lui l'empreinte de la serrure d'une petite cassette de fer que mon maĂźtre le charlatan garde dans son cabinet noir. – À la bonne heure, et pour qu'elle ne colle pas, n'oublie pas de mouiller la cire aprĂšs l'avoir bien Ă©chauffĂ©e dans ta main. – Connu, connu ! rĂ©pondit Tortillard. Mais vous voyez, je fais tout ce que vous me dites, et ça
 parce que vous m'aimez un petit peu ? n'est-ce pas, la Chouette ? – Si je t'aime !
 Je t'aime comme si je t'avais eu de feu le grand NapolĂ©on ! dit la Chouette en embrassant Tortillard, qui fut immodĂ©rĂ©ment flattĂ© de cette comparaison impĂ©riale. À demain, Fourline. – À demain, reprit le MaĂźtre d'Ă©cole. La Chouette alla rejoindre le fiacre. Le MaĂźtre d'Ă©cole et Tortillard sortirent du chemin creux et se dirigĂšrent du cĂŽtĂ© de la ferme ; la lumiĂšre qui brillait Ă  travers les fenĂȘtres leur servait de guide. Étrange fatalitĂ© qui rapprochait ainsi Anselme Duresnel de sa femme, qu'il n'avait pas vue depuis sa condamnation aux travaux forcĂ©s. IV. La veillĂ©e Est-il quelque chose de plus rĂ©jouissant Ă  voir que la cuisine d'une grande mĂ©tairie Ă  l'heure du repas du soir, dans l'hiver surtout ? Est-il quelque chose qui rappelle davantage le calme et le bien-ĂȘtre de la vie rustique ! On aurait pu trouver une preuve de ce que nous avançons dans l'aspect de la cuisine de la ferme de Bouqueval. Son immense cheminĂ©e, haute de six pieds, large de huit, ressemblait Ă  une grande baie de pierre ouverte sur une fournaise dans l'Ăątre noir flamboyait un vĂ©ritable bĂ»cher de hĂȘtre et de chĂȘne. Ce brasier Ă©norme envoyait autant de clartĂ© que de chaleur dans toutes les parties de la cuisine et rendait inutile la lumiĂšre d'une lampe suspendue Ă  la maĂźtresse poutre qui traversait le plafond. De grandes marmites et des casseroles de cuivre rouge rangĂ©es sur des tablettes Ă©tincelaient de propretĂ© ; une antique fontaine du mĂȘme mĂ©tal brillait comme un miroir ardent non loin d'une huche de noyer, soigneusement cirĂ©e, d'oĂč s'exhalait une appĂ©tissante odeur de pain tout chaud. Une table longue, massive, recouverte d'une nappe de grosse toile d'une extrĂȘme propretĂ©, occupait le milieu de la salle ; la place de chaque convive Ă©tait marquĂ©e par une de ces assiettes de faĂŻence, brunes au dehors, blanches au dedans, et par un couvert de fer luisant comme de l'argent. Au milieu de la table, une grande soupiĂšre remplie de potage aux lĂ©gumes fumait comme un cratĂšre et couvrait de sa vapeur savoureuse un plat formidable de choucroute au jambon et un autre plat non moins formidable de ragoĂ»t de mouton aux pommes de terre ; enfin un quartier de veau rĂŽti, flanquĂ© de deux salades d'hiver accostĂ©es de deux corbeilles de pommes et de deux fromages, complĂ©tait l'abondante symĂ©trie de ce repas. Trois ou quatre cruches de cidre pĂ©tillant, autant de miches de pain bis, grandes comme des meules de moulin, Ă©taient Ă  la discrĂ©tion des laboureurs. Un vieux chien de berger, griffon noir, presque Ă©dentĂ©, doyen Ă©mĂ©rite de la gent canine de la mĂ©tairie, devait Ă  son grand Ăąge et Ă  ses anciens services la permission de rester au coin du feu. Usant modestement et discrĂštement de ce privilĂšge, le museau allongĂ© sur ses deux pattes de devant, il suivait d'un Ɠil attentif les diffĂ©rentes Ă©volutions culinaires qui prĂ©cĂ©daient le souper. Ce chien vĂ©nĂ©rable rĂ©pondait au nom quelque peu bucolique de Lysandre. Peut-ĂȘtre l'ordinaire des gens de cette ferme, quoique fort simple, semblera-t-il un peu somptueux ; mais Mme Georges en cela fidĂšle aux vues de Rodolphe amĂ©liorait autant que possible le sort de ses serviteurs, exclusivement choisis parmi les gens les plus honnĂȘtes et les plus laborieux du pays. On les payait largement, on rendait leur sort trĂšs-heureux, trĂšs-enviable ; aussi, entrer comme mĂ©tayer Ă  la ferme de Bouqueval Ă©tait le but de tous les bons laboureurs de la contrĂ©e innocente ambition qui entretenait parmi eux une Ă©mulation d'autant plus louable qu'elle tournait au profit des maĂźtres qu'ils servaient, car on ne pouvait se prĂ©senter pour obtenir une des places vacantes Ă  la mĂ©tairie qu'avec l'appui des plus excellents antĂ©cĂ©dents. Rodolphe crĂ©ait ainsi sur une trĂšs-petite Ă©chelle une sorte de ferme modĂšle, non-seulement destinĂ©e Ă  l'amĂ©lioration des bestiaux et des procĂ©dĂ©s aratoires, mais surtout Ă  l'amĂ©lioration des hommes, et il atteignait ce but en intĂ©ressant les hommes Ă  ĂȘtre probes, actifs, intelligents. AprĂšs avoir terminĂ© les apprĂȘts du souper, et posĂ© sur la table un broc de vin vieux destinĂ© Ă  accompagner le dessert, la cuisiniĂšre de la ferme alla sonner la cloche. À ce joyeux appel, laboureurs, valets de ferme, laitiĂšres, filles de basse-cour, au nombre de douze ou quinze, entrĂšrent gaiement dans la cuisine. Les hommes avaient l'air mĂąle et ouvert ; les femmes Ă©taient avenantes et robustes, les jeunes filles alertes et gaies ; toutes ces physionomies placides respiraient la bonne humeur, la quiĂ©tude et le contentement de soi ; ils s'apprĂȘtaient avec une sensibilitĂ© naĂŻve Ă  faire honneur Ă  ce repas bien gagnĂ© par les rudes labeurs de la journĂ©e. Le haut de la table fut occupĂ© par un vieux laboureur Ă  cheveux blancs, au visage loyal, au regard franc et hardi, Ă  la bouche un peu moqueuse ; vĂ©ritable type du paysan de bon sens, de ces esprits fermes et droits, nets et lucides, rustiques et malins, qui sentent leur vieux Gaulois d'une lieue. Le pĂšre ChĂątelain ainsi se nommait ce Nestor, n'ayant pas quittĂ© la ferme depuis son enfance, Ă©tait alors employĂ© comme maĂźtre laboureur. Lorsque Rodolphe acheta la mĂ©tairie, le vieux serviteur lui fut justement recommandĂ© ; il le garda et l'investit, sous les ordres de Mme Georges, d'une sorte de surintendance des travaux de culture. Le pĂšre ChĂątelain exerçait sur ce personnel de la ferme une haute influence due Ă  son Ăąge, Ă  son savoir, Ă  son expĂ©rience. Tous les paysans se placĂšrent. AprĂšs avoir dit le Benedicite Ă  haute voix, le pĂšre ChĂątelain, suivant un vieil et saint usage, traça une croix sur un des pains avec la pointe de son couteau et en coupa un morceau reprĂ©sentant la part de la Vierge ou la part du pauvre il versa ensuite un verre de vin sous la mĂȘme invocation, et plaça le tout sur une assiette qui fut pieusement placĂ©e au milieu de la table. À ce moment les chiens de garde aboyĂšrent avec force ; le vieux Lysandre leur rĂ©pondit par un grognement sourd, retroussa sa lĂšvre et laissa voir deux ou trois crocs encore respectables. – Il y a quelqu'un le long des murs de la cour, dit le pĂšre ChĂątelain. À peine avait-il dit ces paroles que la cloche de la grande porte tinta. – Qui peut venir si tard ? dit le vieux laboureur, tout le monde est rentré  Va toujours voir, Jean-RenĂ©. Jean-RenĂ©, jeune garçon de ferme, remit avec regret dans son assiette une Ă©norme cuillerĂ©e de soupe brĂ»lante sur laquelle il soufflait d'une force Ă  dĂ©sespĂ©rer Éole, et sortit de la cuisine. – VoilĂ  depuis bien longtemps la premiĂšre fois que Mme Georges et Mlle Marie ne viennent pas s'asseoir au coin du feu pour assister Ă  notre souper, dit le pĂšre ChĂątelain ; j'ai une rude faim, mais je mangerai de moins bon appĂ©tit. – Mme Georges est montĂ©e dans la chambre de Mlle Marie, car, en revenant de reconduire M. le curĂ©, mademoiselle s'est trouvĂ©e un peu souffrante et s'est couchĂ©e, rĂ©pondit Claudine, la robuste fille qui avait ramenĂ© la Goualeuse du presbytĂšre, et ainsi renversĂ© sans le savoir les sinistres desseins de la Chouette. – Notre bonne Mlle Marie est seulement indisposĂ©e
 mais elle n'est pas malade, n'est-ce pas ? demanda le vieux laboureur avec inquiĂ©tude. – Non, non, Dieu merci ! pĂšre ChĂątelain ; Mme Georges a dit que ça ne serait rien, reprit Claudine ; sans cela elle aurait envoyĂ© chercher Ă  Paris M. David, ce mĂ©decin nĂšgre
 qui a dĂ©jĂ  soignĂ© Mlle Marie lorsqu'elle a Ă©tĂ© malade. C'est Ă©gal, c'est tout de mĂȘme bien Ă©tonnant, un mĂ©decin noir ! Si c'Ă©tait pour moi, je n'aurais pas du tout de confiance. Un mĂ©decin blanc, Ă  la bonne heure
 c'est chrĂ©tien. – Est-ce que M. David n'a pas guĂ©ri Mlle Marie qui Ă©tait languissante dans les premiers temps ? – Si, pĂšre ChĂątelain. – Eh bien ? – C'est Ă©gal, un mĂ©decin noir, ça a comme quelque chose d'effrayant. – Est-ce qu'il n'a pas remis sur pied la vieille Anique, qui, Ă  la suite d'une plaie aux jambes, ne pouvait tant seulement bouger de son lit depuis trois ans ? – Si, si, pĂšre ChĂątelain. – Eh bien ! ma fille ? – Oui, pĂšre ChĂątelain ; mais un mĂ©decin noir
 pensez donc
 tout noir, tout noir
 – Écoute, ma fille de quelle couleur est ta gĂ©nisse Musette ? – Blanche, pĂšre ChĂątelain, blanche comme un cygne et fameuse laitiĂšre ; on peut dire cela sans l'exposer Ă  rougir. – Et ta gĂ©nisse Rosette ? – Noire comme un corbeau, pĂšre ChĂątelain ; fameuse laitiĂšre aussi, faut ĂȘtre juste pour tout le monde. – Et le lait de cette gĂ©nisse noire, de quelle couleur est-il ? – Mais
 blanc, pĂšre ChĂątelain
 C'est tout simple, blanc comme neige. – Aussi blanc et aussi bon que celui de Musette ? – Mais, oui, pĂšre ChĂątelain. – Quoique Rosette soit noire ? – Quoique Rosette soit noire
 Qu'est-ce que ça fait au lait que la vache soit noire, rousse ou blanche ? – Ça ne fait rien ? – Rien de rien, pĂšre ChĂątelain. – Eh bien ! alors, ma fille, pourquoi ne veux-tu pas qu'un mĂ©decin noir soit aussi bon qu'un mĂ©decin blanc ? – Dame
 pĂšre ChĂątelain, c'Ă©tait par rapport Ă  la peau, dit la jeune fille aprĂšs un moment de cogitation profonde. Mais au fait, puisque Rosette la noire a d'aussi bon lait que Musette la blanche, la peau n'y fait rien. Ces rĂ©flexions physiognomoniques de Claudine sur la diffĂ©rence des races blanche et noire furent interrompues par le retour de Jean-RenĂ©, qui soufflait dans ses doigts avec autant de vigueur qu'il avait soufflĂ© sur sa soupe. – Oh ! quel froid ! quel froid il fait cette nuit
 il gĂšle Ă  pierre fendre, dit-il en entrant ; vaut mieux ĂȘtre dedans que dehors par un temps pareil. Quel froid ! – GelĂ©e commencĂ©e par un vent d'est sera rude et longue ; tu dois savoir ça, garçon. Mais qui a sonnĂ© ? demanda le doyen des laboureurs. – Un pauvre aveugle et un enfant qui le conduit, pĂšre ChĂątelain. V. L'hospitalitĂ© – Et qu'est-ce qu'il veut, cet aveugle ? demanda le pĂšre ChĂątelain Ă  Jean-RenĂ©. – Ce pauvre homme et son fils se sont Ă©garĂ©s en voulant aller Ă  Louvres par la traverse ; comme il fait un froid de loup et que la nuit est noire, car le ciel se couvre, l'aveugle et son enfant demandent Ă  passer la nuit Ă  la ferme, dans un coin de l'Ă©table. – Mme Georges est si bonne qu'elle ne refuse jamais l'hospitalitĂ© Ă  un malheureux ; elle consentira, bien sĂ»r, Ă  ce qu'on donne Ă  coucher Ă  ces pauvres gens
 mais il faut la prĂ©venir. Vas-y, Claudine. Claudine disparut. – Et oĂč attend-il ce brave homme ? demanda le pĂšre ChĂątelain. – Dans la petite grange. – Pourquoi l'as-tu mis dans la grange ? – S'il Ă©tait restĂ© dans la cour, les chiens l'auraient mangĂ© tout cru, lui et son petit. Oui, pĂšre ChĂątelain, j'avais beau dire Tout beau, MĂ©dor
 ici, Turc
 Ă  bas, Sultan !
 » J'ai jamais vu des dĂ©chaĂźnĂ©s pareils. Et pourtant, Ă  la ferme, on ne les dresse pas Ă  mordre sur le pauvre, comme dans bien des endroits
 – Ma foi, mes enfants, la part du pauvre aura Ă©tĂ© ce soir rĂ©servĂ©e pour tout de bon
 Serrez-vous un peu
 Bien ! Mettons deux couverts de plus, l'un pour l'aveugle, l'autre pour son fils ; car sĂ»rement Mme Georges leur laissera passer la nuit ici. – C'est tout de mĂȘme Ă©tonnant que les chiens soient furieux comme ça, dit Jean-RenĂ© ; il y avait surtout Turc, que Claudine a emmenĂ© en allant ce soir au presbytĂšre
 il Ă©tait comme un possĂ©dé  En le flattant pour l'apaiser, j'ai senti les poils de son dos tout hĂ©rissĂ©s
 on aurait dit d'un porc-Ă©pic. Qu'est-ce que vous dites de cela, hein ! pĂšre ChĂątelain, vous qui savez tout ? – Je dis, mon garçon, moi qui sais tout, que les bĂȘtes en savent encore plus long que moi
 Lors de l'ouragan de cet automne, qui avait changĂ© la petite riviĂšre en torrent, quand je m'en revenais Ă  nuit noire, avec mes chevaux de labour, assis sur le vieux cheval rouan, que le diable m'emporte si j'aurais su oĂč passer Ă  guĂ©, car on n'y voyait pas plus que dans un four !
 Eh bien ! j'ai laissĂ© la bride sur le cou du vieux rouan, et il a trouvĂ© tout seul ce que nous n'aurions trouvĂ© ni les uns ni les autres
 Qui est-ce qui lui a appris cela ? – Oui, pĂšre ChĂątelain, qui est-ce qui lui a appris cela, au vieux cheval rouan ? – Celui qui apprend aux hirondelles Ă  faire leur nid sur les toits, et aux bergeronnettes Ă  faire leur nid au milieu des roseaux, mon garçon
 Eh bien ! Claudine, dit le vieil oracle Ă  la laitiĂšre qui rentrait portant sous ses deux bras deux paires de draps bien blancs qui jetaient une suave odeur de sauge et de verveine, eh bien ! Mme Georges a ordonnĂ© de faire souper et coucher ici ce pauvre aveugle et son fils, n'est-ce pas ? – VoilĂ  des draps pour faire leurs lits dans la petite chambre au bout du corridor, dit Claudine. – Allons, va les chercher, Jean-René  Toi, ma fille, approche deux chaises du feu, ils se rĂ©chaufferont un moment avant de se mettre Ă  table
 car le froid est dur cette nuit. On entendit de nouveau les aboiements furieux des chiens et la voix de Jean-RenĂ© qui tĂąchait de les apaiser. La porte de la cuisine s'ouvrit brusquement le MaĂźtre d'Ă©cole et Tortillard entrĂšrent avec prĂ©cipitation, comme s'ils eussent Ă©tĂ© poursuivis. – Prenez donc garde Ă  vos chiens ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole avec frayeur ; ils ont manquĂ© nous mordre. – Ils m'ont arrachĂ© un morceau de ma blouse, dit Tortillard encore pĂąle d'effroi. – Excusez, mon brave homme, dit Jean-RenĂ© en fermant la porte ; mais je n'ai jamais vu nos chiens si mĂ©chants
 C'est, bien sĂ»r, le froid qui les agace
 Ces bĂȘtes n'ont pas de raison ; elles veulent peut-ĂȘtre mordre pour se rĂ©chauffer ! – Allons, Ă  l'autre maintenant ! dit le laboureur en arrĂȘtant le vieux Lysandre au moment oĂč, grondant d'un air menaçant, il allait s'Ă©lancer sur les nouveaux venus. Il a entendu les autres chiens aboyer de furie, il veut faire comme eux. Veux-tu aller te coucher tout de suite, vieux sauvage !
 Veux-tu
 À ces mots du pĂšre ChĂątelain, accompagnĂ©s d'un coup de pied significatif, Lysandre regagna, toujours grondant, sa place de prĂ©dilection au coin du foyer. Le MaĂźtre d'Ă©cole et Tortillard restaient Ă  la porte de la cuisine, n'osant pas avancer. EnveloppĂ© d'un manteau bleu Ă  collet de fourrure, son chapeau enfoncĂ© sur le bonnet noir qui lui cachait presque entiĂšrement le front, le brigand tenait la main de Tortillard, qui se pressait contre lui en regardant les paysans avec dĂ©fiance ; l'honnĂȘtetĂ© de ces physionomies dĂ©routait et effrayait presque le fils de Bras-Rouge. Les natures mauvaises ont aussi leurs rĂ©pulsions et leurs sympathies. Les traits du MaĂźtre d'Ă©cole Ă©taient si hideux que les habitants de la ferme restĂšrent un instant frappĂ©s, les uns de dĂ©goĂ»t, les autres d'effroi. Cette impression n'Ă©chappa pas Ă  Tortillard ; la frayeur des paysans le rassura, et il fut fier de l'Ă©pouvante qu'inspirait son compagnon. Ce premier mouvement passĂ©, le pĂšre ChĂątelain, ne songeant qu'Ă  remplir les devoirs de l'hospitalitĂ©, dit au MaĂźtre d'Ă©cole – Mon brave homme, avancez prĂšs du feu, vous vous rĂ©chaufferez d'abord. Vous souperez ensuite avec nous, car vous arrivez au moment oĂč nous allions nous mettre Ă  table. Tenez, asseyez-vous lĂ . Mais Ă  quoi ai-je la tĂȘte ! ajouta le pĂšre ChĂątelain ; ce n'est pas Ă  vous, mais Ă  votre fils que je dois m'adresser, puisque, malheureusement, vous ĂȘtes aveugle. Voyons, mon enfant, conduis ton pĂšre auprĂšs de la cheminĂ©e. – Oui, mon bon monsieur, rĂ©pondit Tortillard d'un ton nasillard, patelin et hypocrite ; que le bon Dieu vous rende votre bonne charitĂ© !
 Suis-moi, pauvre papa, suis-moi
 prends bien garde. Et l'enfant guida les pas du brigand. Tous deux arrivĂšrent prĂšs de la cheminĂ©e. D'abord Lysandre gronda sourdement ; mais, ayant flairĂ© un instant le MaĂźtre d'Ă©cole, il poussa tout Ă  coup cette sorte d'aboiement lugubre qui fait dire communĂ©ment que les chiens hurlent Ă  la mort. Enfer ! se dit le MaĂźtre d'Ă©cole. Est-ce donc le sang qu'ils flairent, ces maudits animaux ? J'avais ce pantalon-lĂ  pendant la nuit de l'assassinat du marchand de bƓufs
 » – Tiens, c'est Ă©tonnant, dit tout bas Jean-RenĂ©, le vieux Lysandre qui hurle Ă  la mort en sentant le bonhomme ! Alors il arriva une chose Ă©trange. Les cris de Lysandre Ă©taient si perçants, si plaintifs que les autres chiens l'entendirent la cour de la ferme n'Ă©tant sĂ©parĂ©e de la cuisine que par une fenĂȘtre vitrĂ©e, et, selon l'habitude de la race canine, ils rĂ©pĂ©tĂšrent Ă  l'envi ces gĂ©missements lamentables. Quoique peu superstitieux, les mĂ©tayers s'entre-regardĂšrent presque avec effroi. En effet, ce qui se passait Ă©tait singulier. Un homme qu'ils n'avaient pu envisager sans horreur entrait dans la ferme. Les animaux jusqu'alors paisibles devenaient furieux et jetaient ces clameurs sinistres qui, selon les croyances populaires, prĂ©disent les approches de la mort. Le brigand lui-mĂȘme, malgrĂ© son endurcissement, malgrĂ© son audace infernale, tressaillit un moment en entendant ces hurlements funĂšbres, mortuaires
 qui Ă©clataient Ă  son arrivĂ©e, Ă  lui
 assassin. Tortillard, sceptique, effrontĂ© comme un enfant de Paris, corrompu pour ainsi dire Ă  la mamelle, resta seul indiffĂ©rent Ă  l'effet moral de cette scĂšne. DĂ©livrĂ© de la crainte d'ĂȘtre mordu, cet avorton railleur se moqua de ce qui atterrait les habitants de la ferme et de ce qui faisait frissonner le MaĂźtre d'Ă©cole. La premiĂšre stupeur passĂ©e, Jean-RenĂ© sortit, et l'on entendit bientĂŽt les claquements de son fouet, qui dissipĂšrent les lugubres pressentiments de Turc, de Sultan et de MĂ©dor. Peu Ă  peu les visages contristĂ©s des laboureurs se rassĂ©rĂ©nĂšrent. Au bout de quelques moments l'Ă©pouvantable laideur du MaĂźtre d'Ă©cole leur inspira plus de pitiĂ© que d'horreur ; ils plaignirent le petit boiteux de son infirmitĂ©, lui trouvĂšrent une mine futĂ©e trĂšs-intĂ©ressante et le louĂšrent beaucoup des soins empressĂ©s qu'il prodiguait Ă  son pĂšre. L'appĂ©tit des laboureurs, un moment oubliĂ©, se rĂ©veilla avec une nouvelle Ă©nergie, et l'on n'entendit pendant quelques instants que le bruit des fourchettes. Tout en s'escrimant de leur mieux sur leurs mets rustiques, mĂ©tayers et mĂ©tayĂšres remarquaient avec attendrissement les prĂ©venances de l'enfant pour l'aveugle, auprĂšs duquel on l'avait placĂ©. Tortillard lui prĂ©parait ses morceaux, lui coupait son pain, lui versait Ă  boire avec une attention toute filiale. Ceci Ă©tait le beau cĂŽtĂ© de la mĂ©daille, voici le revers Autant par cruautĂ© que par l'esprit d'imitation naturel Ă  son Ăąge, Tortillard trouvait une jouissance cruelle Ă  tourmenter le MaĂźtre d'Ă©cole, Ă  l'exemple de la Chouette, qu'il Ă©tait fier de copier ainsi, et qu'il aimait avec une sorte de dĂ©vouement. Comment cet enfant pervers sentait-il le besoin d'ĂȘtre aimĂ© ? Comment se trouvait-il heureux du semblant d'affection que lui tĂ©moignait la borgnesse ? Comment pouvait-il, enfin, s'Ă©mouvoir au lointain souvenir des caresses de sa mĂšre ? C'Ă©tait encore une de ces frĂ©quentes et nombreuses anomalies qui, de temps Ă  autre, protestent heureusement contre l'unitĂ© dans le vice. Nous l'avons dit, Ă©prouvant, ainsi que la Chouette, un charme extrĂȘme Ă  avoir, lui chĂ©tif, pour bĂȘte de souffrance un tigre muselé  Tortillard, assis Ă  la table des laboureurs, eut la mĂ©chancetĂ© de vouloir raffiner son plaisir en forçant le MaĂźtre d'Ă©cole Ă  supporter ses mauvais traitements sans sourciller. Il compensa donc chacune de ses attentions ostensibles pour son pĂšre supposĂ© par un coup de pied souterrain particuliĂšrement adressĂ© Ă  une plaie trĂšs-ancienne que le MaĂźtre d'Ă©cole, comme beaucoup de forçats, avait Ă  la jambe droite, Ă  l'endroit oĂč pesait l'anneau de sa chaĂźne pendant son sĂ©jour au bagne. Il fallut Ă  ce brigand un courage d'autant plus stoĂŻque pour cacher sa souffrance Ă  chaque atteinte de Tortillard que ce petit monstre, afin de mettre sa victime dans une position plus difficile encore, choisissait pour ses attaques tantĂŽt le moment oĂč le MaĂźtre d'Ă©cole buvait, tantĂŽt le moment oĂč il parlait. NĂ©anmoins l'impassibilitĂ© de ce dernier ne se dĂ©mentit pas ; il contint merveilleusement sa colĂšre et sa douleur, pensant et le fils de Bras-Rouge y comptait bien qu'il serait trĂšs-dangereux pour le succĂšs de ses desseins de laisser deviner ce qui se passait sous la table. – Tiens, pauvre papa, voilĂ  une noix tout Ă©pluchĂ©e, dit Tortillard en mettant dans l'assiette du MaĂźtre d'Ă©cole un de ces fruits soigneusement dĂ©tachĂ© de sa coque. – Bien, mon enfant, dit le pĂšre ChĂątelain ; puis, s'adressant au brigand Vous ĂȘtes sans doute bien Ă  plaindre, brave homme ; mais vous avez un si bon fils
 que cela doit vous consoler un peu ! – Oui, oui, mon malheur est grand ; et sans la tendresse de mon cher enfant
 je
 Le MaĂźtre d'Ă©cole ne put retenir un cri aigu. Le fils de Bras-Rouge avait cette fois rencontrĂ© le vif de la plaie ; la douleur fut intolĂ©rable. – Mon Dieu !
 Qu'as-tu donc, pauvre papa ? s'Ă©cria Tortillard d'une voix larmoyante, et, se levant, il se jeta au cou du MaĂźtre d'Ă©cole. Dans son premier mouvement de colĂšre et de rage, le brigand voulut Ă©touffer le petit boiteux entre ses bras d'Hercule et le pressa si violemment contre sa poitrine que l'enfant, perdant sa respiration, laissa entendre un sourd gĂ©missement. Mais, rĂ©flĂ©chissant aussitĂŽt qu'il ne pouvait se passer de Tortillard, le MaĂźtre d'Ă©cole se contraignit et le repoussa sur sa chaise. Dans tout ceci les paysans ne virent qu'un Ă©change de tendresses paternelles et filiales la pĂąleur et la suffocation de Tortillard leur parurent causĂ©es par l'Ă©motion de ce bon fils. – Qu'avez-vous donc, mon brave ? demanda le pĂšre ChĂątelain. Votre cri de tout Ă  l'heure a fait pĂąlir votre enfant
 Pauvre petit
 Tenez, il peut Ă  peine respirer ! – Ce n'est rien, rĂ©pondit le MaĂźtre d'Ă©cole en reprenant son sang-froid. Je suis de mon Ă©tat serrurier-mĂ©canicien ; il y a quelque temps, en travaillant au marteau une barre de fer rougie, je l'ai laissĂ©e tomber sur mes jambes, et je me suis fait une brĂ»lure si profonde qu'elle n'est pas encore cicatrisĂ©e
 Tout Ă  l'heure je me suis heurtĂ© au pied de la table, et je n'ai pu retenir un cri de douleur. – Pauvre papa ! dit Tortillard, remis de son Ă©motion et jetant un regard diabolique sur le MaĂźtre d'Ă©cole, pauvre papa ! C'est pourtant vrai, mes bons messieurs, on n'a jamais pu le guĂ©rir de sa jambe
 HĂ©las ! non, jamais ! Oh ! je voudrais bien avoir son mal, moi
 pour qu'il ne l'ait plus, ce pauvre papa
 Les femmes regardĂšrent Tortillard avec attendrissement. – Eh bien ! mon brave homme, reprit le pĂšre ChĂątelain, il est malheureux pour vous que vous ne soyez pas venu Ă  la ferme il y a trois semaines, au lieu d'y venir ce soir. – Pourquoi cela ? – Parce que nous avons eu ici, pendant quelques jours, un docteur de Paris qui a un remĂšde souverain pour les maux de jambe. Une bonne vieille femme du village ne pouvait pas marcher depuis trois ans ; le docteur lui a mis de son onguent sur ses blessures. À prĂ©sent, elle court comme un Basque, et elle se promet, au premier jour, d'aller Ă  pied remercier son sauveur, allĂ©e des Veuves, Ă  Paris
 Vous voyez que d'ici il y a un bon bout de chemin. Mais qu'est-ce que vous avez donc ? Encore cette maudite blessure ? Ces mots, allĂ©e des Veuves », rappelaient de si terribles souvenirs au MaĂźtre d'Ă©cole, qu'il n'avait pu s'empĂȘcher de tressaillir et de contracter ses traits hideux. – Oui, rĂ©pondit-il en se remettant, encore un Ă©lancement
 – Bon papa, sois tranquille, je te bassinerai bien soigneusement ta jambe ce soir, dit Tortillard. – Pauvre petit ! dit Claudine, aime-t-il son pĂšre ! – C'est vraiment dommage, reprit le pĂšre ChĂątelain en s'adressant au MaĂźtre d'Ă©cole, que ce digne mĂ©decin ne soit pas ici ; mais, j'y pense, il est aussi charitable que savant ; en retournant Ă  Paris, faites-vous conduire chez lui par votre petit garçon, il vous guĂ©rira, j'en suis sĂ»r ; son adresse n'est pas difficile Ă  retenir allĂ©e des Veuves, n° 17. Si vous oubliez le numĂ©ro
 peu importe, ils ne sont pas beaucoup de mĂ©decins dans cet endroit-lĂ , et surtout de mĂ©decins nĂšgres
 car figurez-vous qu'il est nĂšgre, cet excellent docteur David. Les traits du MaĂźtre d'Ă©cole Ă©taient tellement couturĂ©s de cicatrices que l'on ne put s'apercevoir de sa pĂąleur. Il pĂąlit pourtant
 pĂąlit affreusement en entendant d'abord citer le numĂ©ro de la maison de Rodolphe, et ensuite parler de David
 le docteur noir
 De ce Noir qui, par ordre de Rodolphe, lui avait infligĂ© un supplice Ă©pouvantable, dont Ă  chaque instant il subissait des terribles consĂ©quences. La journĂ©e Ă©tait funeste au MaĂźtre d'Ă©cole. Le matin, il avait endurĂ© les tortures de la Chouette et du fils de Bras-Rouge ; il arrive Ă  la ferme, les chiens hurlent Ă  la mort Ă  son aspect homicide et veulent le dĂ©vorer ; enfin le hasard le conduit dans une maison oĂč quelques jours auparavant se trouvait son bourreau. SĂ©parĂ©ment, ces circonstances auraient suffi pour exciter tour Ă  tour la rage ou la crainte de ce brigand ; mais, se prĂ©cipitant dans l'espace de quelques heures, elles lui portĂšrent un coup violent. Pour la premiĂšre fois de sa vie, il Ă©prouva une sorte de terreur superstitieuse
 il se demanda si le hasard amenait seul des incidents si Ă©tranges. Le pĂšre ChĂątelain, ne s'Ă©tant pas aperçu de la pĂąleur du MaĂźtre d'Ă©cole, reprit – Du reste, mon brave homme, lorsque vous partirez, on donnera l'adresse du docteur Ă  votre fils, et ce sera obliger M. David que le mettre Ă  mĂȘme de rendre service Ă  quelqu'un il est si bon, si bon ! C'est dommage qu'il ait toujours l'air triste
 Mais, tenez, buvons un coup Ă  la santĂ© de votre futur sauveur. – Merci, je n'ai plus soif, dit le MaĂźtre d'Ă©cole d'un air sombre. – Bois donc, cher bon papa, bois donc, ça te fera du bien
 Ă  ton pauvre estomac, ajouta Tortillard en mettant le verre dans les mains de l'aveugle. – Non, non, je ne veux plus boire, dit celui-ci. – Ce n'est plus du cidre que je vous ai versĂ©, mais du vieux vin, dit le laboureur. Il y a bien des bourgeois qui n'en boivent pas de pareil. Dame ! ce n'est pas une ferme comme une autre que celle-ci. Qu'est-ce que vous dites de notre ordinaire ? – Il est trĂšs-bon, rĂ©pondit machinalement le MaĂźtre d'Ă©cole de plus en plus absorbĂ© dans de sinistres pensĂ©es. – Eh bien ! c'est tous les jours comme ça bon travail et bon repas, bonne conscience et bon lit ; en quatre mots, voilĂ  notre vie nous sommes sept cultivateurs ici, et, sans nous vanter, nous faisons autant de besogne que quatorze, mais on nous paye comme quatorze. Aux simples laboureurs, cent cinquante Ă©cus par an ; aux laitiĂšres et aux filles de ferme, soixante Ă©cus ! Et Ă  partager entre nous un cinquiĂšme des produits de la ferme. Dame ! vous comprenez que nous ne laissons pas la terre un brin se reposer, car la pauvre vieille nourriciĂšre, tant plus elle produit, tant plus nous avons. – Votre maĂźtre ne doit guĂšre s'enrichir en vous avantageant de la sorte, dit le MaĂźtre d'Ă©cole. – Notre maĂźtre !
 Oh ! ça n'est pas un maĂźtre comme les autres. Il a une maniĂšre de s'enrichir qui n'est qu'Ă  lui. – Que voulez-vous dire ? demanda l'aveugle, qui dĂ©sirait engager la conversation pour Ă©chapper aux noires idĂ©es qui le poursuivaient ; votre maĂźtre est donc bien extraordinaire ? – Extraordinaire en tout, mon brave homme ; mais, tenez, le hasard vous a amenĂ© ici, puisque ce village est Ă©loignĂ© de tout grand chemin. Vous n'y reviendrez sans doute jamais ; vous ne le quitterez pas du moins sans savoir ce qu'est notre maĂźtre et ce qu'il fait de cette ferme ; en deux mots, je vas vous dire ça, Ă  condition que vous le rĂ©pĂ©terez Ă  tout le monde. Vous verrez, c'est aussi bon Ă  dire qu'Ă  entendre. – Je vous Ă©coute, reprit le MaĂźtre d'Ă©cole. VI. Une ferme modĂšle – Et vous ne serez pas fĂąchĂ© de m'avoir entendu, dit le pĂšre ChĂątelain au MaĂźtre d'Ă©cole. Figurez-vous qu'un jour notre maĂźtre s'est dit Je suis trĂšs-riche, c'est bon ; mais, comme ça ne me fait pas dĂźner deux fois, si je faisais dĂźner ceux qui ne dĂźnent pas du tout, et dĂźner mieux de braves gens qui ne mangent pas Ă  leur faim ?
 Ma foi, ça me va vite Ă  l'Ɠuvre ! » Et notre maĂźtre s'est mis Ă  l'Ɠuvre. Il a achetĂ© cette ferme, qui alors n'avait pas un grand faire-valoir, et n'employait guĂšre plus de deux charrues je sais cela, je suis nĂ© ici. Notre maĂźtre a augmentĂ© les terres, vous saurez tout Ă  l'heure pourquoi. À la tĂȘte de la ferme il a mis une digne femme aussi respectable que malheureuse, c'est toujours comme ça qu'il choisit, et il lui a dit Cette maison sera, comme la maison du bon Dieu, ouverte aux bons, fermĂ©e aux mĂ©chants ; on en chassera les mendiants paresseux, mais on y donnera toujours l'aumĂŽne du travail Ă  ceux qui ont bon courage cette aumĂŽne-lĂ  n'humilie pas qui la reçoit et profite Ă  qui la donne le riche qui ne la fait pas est un mauvais riche. » C'est notre maĂźtre qui dit ça ; par ma foi ! il a raison, mais il fait mieux que de dire, il agit. Autrefois il y avait un chemin direct d'ici Ă  Écouen qui raccourcissait d'une bonne lieue ; mais, dame ! il Ă©tait si effondrĂ©, qu'on n'y pouvait plus passer, c'Ă©tait la mort aux chevaux et aux voitures ; quelques corvĂ©es et un peu d'argent fournis par un chacun des fermiers du pays auraient remis la route en Ă©tat ; mais, tant plus un chacun avait envie de voir cette route en Ă©tat, tant plus un chacun renĂąclait Ă  fournir argent et corvĂ©e. Notre maĂźtre, voyant ça, dit Le chemin sera fait ; mais, comme ceux qui pourraient y contribuer n'y contribuent pas, comme c'est environ un chemin de luxe, il profitera un jour Ă  ceux qui ont chevaux et voitures ; mais il profitera d'abord Ă  ceux qui n'ont que leurs deux bras, du cƓur et pas de travail. » Ainsi, par exemple, un gaillard robuste frappe-t-il Ă  la ferme en disant J'ai faim et je manque d'ouvrage. – Mon garçon, voilĂ  une bonne soupe, une pioche, une pelle on va vous conduire au chemin d'Écouen, faites chaque jour deux toises de cailloutis, et chaque soir vous aurez quarante sous, une toise vingt sous, une demi-toise, dix sous, sinon rien. » Moi, Ă  la brune, en revenant des champs, je vais inspecter le chemin et m'assurer de ce que chacun a fait. – Et quand on pense qu'il y a eu deux sans-cƓur assez gredins pour manger la soupe et voler la pioche et la pelle ! dit Jean-RenĂ© avec indignation, ça dĂ©goĂ»terait de faire le bien. – Ça, c'est vrai, dirent quelques laboureurs. – Allons donc, mes enfants ! reprit le pĂšre ChĂątelain. Voire
 on ne ferait donc ni plantations ni semailles, parce qu'il y a des chenilles, des charançons, et autres mauvaises bestioles rongeuses de feuilles ou grugeuses de grain ? Non, non, on Ă©crase les vermines ; le bon Dieu, qui n'est pas chiche, fait pousser de nouveaux bourgeons, de nouveaux Ă©pis, le dommage est rĂ©parĂ©, et l'on ne s'aperçoit tant seulement pas que les bĂȘtes malfaisantes ont passĂ© par lĂ . N'est-ce pas, mon brave homme ? dit le vieux laboureur au MaĂźtre d'Ă©cole. – Sans doute, sans doute, reprit celui-ci, qui semblait depuis quelques moments rĂ©flĂ©chir profondĂ©ment. – Quant aux femmes et aux enfants, il y a aussi du travail pour eux et pour leurs forces, ajouta le pĂšre ChĂątelain. – Et malgrĂ© ça, dit Claudine la laitiĂšre, le chemin n'avance pas vite. – Dame, ma fille, ça prouve qu'heureusement dans le pays les braves gens ne manquent pas d'ouvrage. – Mais Ă  un infirme, Ă  moi, par exemple, dit tout Ă  coup le MaĂźtre d'Ă©cole, est-ce qu'on ne m'accorderait pas la charitĂ© d'une place dans un coin de la ferme, un morceau de pain et un abri, pour le peu de temps qui me reste Ă  vivre ? Oh ! si cela se pouvait, mes bonnes gens, je passerais ma vie Ă  remercier votre maĂźtre. Le brigand parlait alors sincĂšrement. Il ne se repentait pas pour cela de ses crimes ; mais l'existence paisible, heureuse, des laboureurs excitait d'autant plus son envie qu'il songeait Ă  l'avenir effrayant que lui rĂ©servait la Chouette ; avenir qu'il avait Ă©tĂ© loin de prĂ©voir et qui lui faisait regretter davantage encore d'avoir, en rappelant sa complice auprĂšs de lui, perdu pour jamais la possibilitĂ© de vivre auprĂšs des honnĂȘtes gens chez lesquels le Chourineur l'avait placĂ©. Le pĂšre ChĂątelain regarda le MaĂźtre d'Ă©cole avec Ă©tonnement. – Mais, mon pauvre homme, lui dit-il, je ne vous croyais pas tout Ă  fait sans ressources. – HĂ©las ! mon Dieu, si
 j'ai perdu la vue par un accident de mon mĂ©tier. Je vais Ă  Louvres chercher des secours chez un parent Ă©loignĂ© ; mais vous comprenez, quelquefois les gens sont si Ă©goĂŻstes, si durs
, dit le MaĂźtre d'Ă©cole. – Oh ! il n'y a pas d'Ă©goĂŻsme qui tienne, reprit le pĂšre ChĂątelain ; un bon et honnĂȘte ouvrier comme vous, malheureux comme vous avec un enfant si gentil, si bon, ça attendrirait des pierres. Mais le maĂźtre qui vous employait avant votre accident, comment ne fait-il rien pour vous ? – Il est mort, dit le MaĂźtre d'Ă©cole aprĂšs un moment d'hĂ©sitation ; et c'Ă©tait mon seul protecteur. – Mais l'hospice des aveugles ? – Je n'ai pas l'Ăąge d'y entrer. – Pauvre homme ! vous ĂȘtes bien Ă  plaindre ! – Eh bien ! vous croyez que si je ne trouve pas Ă  Louvres les secours que j'espĂšre, votre maĂźtre, que je respecte dĂ©jĂ  sans le connaĂźtre, n'aura pas pitiĂ© de moi ? – Malheureusement, voyez-vous, la ferme n'est pas un hospice. Ordinairement, ici, on accorde aux infirmes de passer une nuit ou un jour Ă  la ferme, puis on leur donne un secours, et que le bon Dieu les ait en aide ! – Ainsi je n'ai aucun espoir d'intĂ©resser votre maĂźtre Ă  mon triste sort ? dit le brigand avec un soupir de regret. – Je vous dis la rĂšgle, mon brave homme ; mais notre maĂźtre est si compatissant, si gĂ©nĂ©reux, qu'il est capable de tout. – Vous croyez ? s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole. Il serait possible qu'il consentit Ă  me laisser vivre ici dans un coin ? Je serais heureux de si peu ! – Je vous dis que notre maĂźtre est capable de tout. S'il consent Ă  vous garder Ă  la ferme, vous n'auriez pas Ă  vous cacher dans un coin ; vous seriez traitĂ© comme nous donc !
 comme aujourd'hui. On trouverait de quoi occuper votre enfant selon ses forces ; bons conseils et bons exemples ne lui manqueraient point ; notre vĂ©nĂ©rable curĂ© l'instruirait avec les autres enfants du village, et il grandirait dans le bien, comme on dit. Mais pour ça, tenez, il faudrait demain matin parler tout franchement Ă  Notre-Dame-de-Bon-Secours. – Comment ? dit le MaĂźtre d'Ă©cole. – Nous appelons ainsi notre maĂźtresse. Si elle s'intĂ©resse Ă  vous, votre affaire est sĂ»re. En fait de charitĂ©, notre maĂźtre ne sait rien refuser Ă  notre dame. – Oh ! alors je lui parlerai, je lui parlerai ! s'Ă©cria joyeusement le MaĂźtre d'Ă©cole, se voyant dĂ©jĂ  dĂ©livrĂ© de la tyrannie de la Chouette. Cette espĂ©rance trouva peu d'Ă©cho chez Tortillard, qui ne se sentait nullement disposĂ© Ă  profiter des offres du vieux laboureur et Ă  grandir dans le bien sous les auspices d'un vĂ©nĂ©rable curĂ©. Le fils de Bras-Rouge avait des penchants trĂšs-peu rustiques et l'esprit trĂšs-peu tournĂ© Ă  la bucolique ; d'ailleurs, fidĂšle aux traditions de la Chouette, il aurait vu avec un vif dĂ©plaisir le MaĂźtre d'Ă©cole se soustraire Ă  leur commun despotisme il voulait donc rappeler Ă  la rĂ©alitĂ© le brigand, qui s'Ă©garait dĂ©jĂ  parmi de champĂȘtres et riantes illusions. – Oh ! oui, rĂ©pĂ©ta le MaĂźtre d'Ă©cole, je lui parlerai, Ă  Notre-Dame-de-Bon-Secours
 elle aura pitiĂ© de moi, et
 Tortillard donna en ce moment et sournoisement un vigoureux coup de pied au MaĂźtre d'Ă©cole et l'atteignit au bon endroit. La souffrance interrompit et abrĂ©gea la phrase du brigand, qui rĂ©pĂ©ta, aprĂšs un tressaillement douloureux – Oui, j'espĂšre que cette bonne dame aura pitiĂ© de moi. – Pauvre bon papa, reprit Tortillard ; mais tu comptes pour rien ma bonne tante, Mme la Chouette, qui t'aime si fort. Pauvre tante la Chouette !
 Oh ! elle ne t'abandonnera pas comme ça, vois-tu ! Elle serait plutĂŽt capable de venir te rĂ©clamer ici avec notre cousin M. Barbillon. – Ce brave homme a des parents chez les poissons et les oiseaux, dit tout bas Jean-RenĂ© d'un air prodigieusement malicieux, en donnant un coup de coude Ă  Claudine, sa voisine. – Grand sans-cƓur, allez ! de rire de ces malheureux, rĂ©pondit tout bas la fille de ferme, en donnant Ă  son tour Ă  Jean-RenĂ© un coup de coude Ă  lui briser trois cĂŽtes. – Mme la Chouette est une de vos parentes ? demanda le laboureur au MaĂźtre d'Ă©cole. – Oui, c'est une de nos parentes, rĂ©pondit-il avec un morne et sombre accablement. Dans le cas oĂč il trouverait Ă  la ferme un refuge inespĂ©rĂ©, il craignait que la borgnesse ne vĂźnt par mĂ©chancetĂ© le dĂ©noncer ; il craignait aussi que les noms Ă©tranges de ses prĂ©tendus parents, Mme la Chouette et M. Barbillon, citĂ©s par Tortillard, n'Ă©veillassent les soupçons ; mais Ă  cet endroit ses craintes furent vaines ; Jean-RenĂ© seul y vit le texte d'une plaisanterie faite Ă  voix basse et trĂšs-mal accueillie par Claudine. – C'est une parente que vous allez trouver Ă  Louvres ? demanda le pĂšre ChĂątelain. – Oui, dit le brigand, mais je crois que mon fils se trompe en comptant trop sur elle. – Oh ! mon pauvre papa, je ne me trompe pas
 va
 Elle est si bonne, ma tante la Chouette !
 Tu sais bien, c'est elle qui t'a envoyĂ© l'eau avec laquelle je bassine ta jambe
 et la maniĂšre de s'en servir
 C'est elle qui m'a dit Fais pour ton pauvre papa ce que je ferais moi-mĂȘme, et le bon Dieu te bĂ©nira
 » Oh ! ma tante la Chouette
 elle t'aime, mais elle t'aime si fort que
 – C'est bien, c'est bien, dit le MaĂźtre d'Ă©cole en interrompant Tortillard, ça ne m'empĂȘchera pas, en tout cas, de parler demain matin Ă  la bonne dame d'ici
 et d'implorer son appui auprĂšs du respectable propriĂ©taire de cette ferme ; mais, ajouta-t-il pour changer de conversation et mettre un terme aux imprudents propos de Tortillard, mais, Ă  propos du propriĂ©taire de cette ferme, on m'avait promis de me dire ce qu'il y a de particulier dans l'organisation de la mĂ©tairie oĂč nous sommes. – C'est moi qui vous ai promis cela, dit le pĂšre ChĂątelain, et je vais remplir ma promesse. Notre maĂźtre, aprĂšs avoir ainsi imaginĂ© ce qu'il appelle l'aumĂŽne du travail, s'est dit Il y a des Ă©tablissements et des prix pour encourager l'amĂ©lioration des chevaux, des bestiaux, des charrues et de bien d'autres choses encore
 Ma foi !
 m'est avis qu'il serait un brin temps de moyenner aussi de quoi amĂ©liorer les hommes
 Bonnes bĂȘtes, c'est bien ; bonnes gens, ça serait mieux, mais plus difficile. Lourde avoine et prĂ© dru, eau vive et air pur, soins constants et sĂ»r abri, chevaux et bestiaux viendront comme Ă  souhait et vous donneront contentement ; mais, pour les hommes, voire ! c'est autre chose on ne met pas un homme en grand-vertu comme un bƓuf en grand-chair. L'herbage profite au bƓuf, parce que l'herbage, savoureux au goĂ»t, lui plaĂźt en l'engraissant ; eh bien ! m'est avis que, pour que les bons conseils profitent bien Ă  l'homme, faudrait faire qu'il trouve son compte Ă  les suivre
 » – Comme le bƓuf trouve son compte Ă  manger de bonne herbe, n'est-ce pas, pĂšre ChĂątelain ? – Justement, mon garçon. – Mais, pĂšre ChĂątelain, dit un autre laboureur, on a parlĂ© dans les temps d'une maniĂšre de ferme oĂč des jeunes voleurs, qui avaient eu, malgrĂ© ça, une trĂšs-bonne conduite tout de mĂȘme, apprenaient l'agriculture, et Ă©taient soignĂ©s, choyĂ©s comme de petits princes ? – C'est vrai, mes enfants ; il y a du bon lĂ -dedans ; c'est humain et charitable de ne jamais dĂ©sespĂ©rer des mĂ©chants ; mais faudrait faire aussi espĂ©rer les bons. Un honnĂȘte jeune homme, robuste et laborieux, ayant envie de bien faire et de bien apprendre, se prĂ©senterait Ă  cette ferme de jeunes ex-voleurs, qu'on lui dirait – Mon gars, as-tu un brin volĂ© et vagabondĂ© ? – Non. – Eh bien ! il n'y a pas de place ici pour toi. – C'est pourtant vrai ce que vous dites lĂ , pĂšre ChĂątelain, dit Jean-RenĂ©. On fait pour des coquins ce qu'on ne fait pas pour les honnĂȘtes gens ; on amĂ©liore les bĂȘtes et non pas les hommes. – C'est pour donner l'exemple et remĂ©dier Ă  ça, mon garçon, que notre maĂźtre, comme je l'apprends Ă  ce brave homme, a Ă©tabli cette ferme
 Je sais bien, a-t-il dit, que lĂ -haut il y a des rĂ©compenses pour les honnĂȘtes gens ; mais lĂ -haut
 dame ! c'est bien haut, c'est bien loin ; et d'aucuns il faut les plaindre, mes enfants n'ont point la vue et l'haleine assez longue pour atteindre lĂ  ; et puis oĂč trouveraient-ils le temps de regarder lĂ -haut ? Pendant le jour, de l'aurore au coucher du soleil, courbĂ©s sur la terre, ils la bĂȘchent et la rebĂȘchent pour un maĂźtre ; la nuit, ils dorment harassĂ©s sur leur grabat
 Le dimanche, ils s'enivrent au cabaret pour oublier les fatigues d'hier et celles de demain. C'est qu'aussi ces fatigues sont stĂ©riles pour eux, pauvres gens ! AprĂšs un travail forcĂ©, leur pain est-il moins noir, leur couche moins dure, leur enfant moins malingre, leur femme moins Ă©puisĂ©e Ă  le nourrir ?
 le nourrir !
 elle qui ne mange pas Ă  sa faim ! Non ! non ! non ! AprĂšs ça, je sais bien, mes enfants, que noir est leur pain, mais c'est du pain ; dur est leur grabat, mais c'est un lit ; chĂ©tifs sont leurs enfants, mais ils vivent. Les malheureux supporteraient peut-ĂȘtre allĂšgrement leur sort, s'ils croyaient qu'un chacun est comme eux. Mais ils vont Ă  la ville ou au bourg le jour du marchĂ©, et lĂ  ils voient du pain blanc, d'Ă©pais et chauds matelas, des enfants fleuris comme des rosiers de mai, et si rassasiĂ©s, si rassasiĂ©s, qu'ils jettent du gĂąteau Ă  des chiens. Dame !
 alors, quand ils reviennent Ă  leur hutte de terre, Ă  leur pain noir, Ă  leur grabat, ces pauvres gens se disent, en voyant leur petit enfant souffreteux, maigre, affamĂ©, Ă  qui ils auraient bien voulu apporter un de ces gĂąteaux que les petits riches jetaient aux chiens Puisqu'il faut qu'il y ait des riches et des pauvres, pourquoi ne sommes-nous pas nĂ©s riches ? C'est injuste
 Pourquoi chacun n'a-t-il pas son tour ? » Sans doute, mes enfants, ce qu'ils disent lĂ  est dĂ©raisonnable
 et ne sert pas Ă  leur faire paraĂźtre leur joug plus lĂ©ger ; et pourtant ce joug dur et pesant, qui quelquefois blesse, Ă©crase, il leur faut le porter sans relĂąche, et cela sans espoir de se reposer jamais
 et de connaĂźtre un jour, un seul jour, le bonheur que donne l'aisance
 Toute la vie comme ça, dame ! ça paraĂźt long
 long comme un jour de pluie sans un seul petit rayon de soleil. Alors on va Ă  l'ouvrage avec tristesse et dĂ©goĂ»t. Finalement la plupart des gagĂ©s se disent À quoi bon travailler mieux et davantage ! Que l'Ă©pi soit lourd ou lĂ©ger, ça m'est tout un ! À quoi bon me crever de beau zĂšle ? Restons strictement honnĂȘtes ; le mal est puni, ne faisons pas le mal ; le bien est sans rĂ©compense, ne faisons pas le bien
 Ayons les qualitĂ©s des bonnes bĂȘtes de somme patience, force et docilité  » Ces pensers-lĂ  sont malsains, mes enfants ; de cette insouciance Ă  la fainĂ©antise il n'y a pas loin, et de la fainĂ©antise au vice il y a moins loin encore
 Malheureusement, ceux-lĂ  qui, ni bons ni mĂ©chants, ne font ni bien ni mal, sont le plus grand nombre ; c'est donc ceux-lĂ , a dit notre maĂźtre, qu'il faut amĂ©liorer, ni plus ni moins que s'ils avaient l'honneur d'ĂȘtre des chevaux, des bĂȘtes Ă  cornes ou Ă  laine
 Faisons qu'ils aient intĂ©rĂȘt Ă  ĂȘtre actifs, sages, laborieux, instruits et dĂ©vouĂ©s Ă  leurs devoirs
 prouvons-leur qu'en devenant meilleurs ils deviendront matĂ©riellement plus heureux
 tout le monde y gagnera
 Pour que les bons conseils leur profitent, donnons-leur ici-bas comme qui dirait un brin l'avant-goĂ»t du bonheur qui attend les justes lĂ -haut
 »Son plan bien arrĂȘtĂ©, notre maĂźtre a fait savoir dans les environs qu'il lui fallait six laboureurs et autant de femmes ou filles de ferme, mais il voulait choisir ce monde-lĂ  parmi les meilleurs sujets du pays, d'aprĂšs les renseignements qu'il ferait prendre chez les maires, chez les curĂ©s ou ailleurs. On devait ĂȘtre payĂ© comme nous le sommes, c'est-Ă -dire comme des princes, nourri mieux que des bourgeois, et partager entre tous les travailleurs un cinquiĂšme des produits de la rĂ©colte ; on resterait deux ans Ă  la ferme, pour faire ensuite place Ă  d'autres laboureurs choisis aux mĂȘmes conditions ; aprĂšs cinq ans rĂ©volus, on pourrait se reprĂ©senter s'il y avait des vacances
 Aussi, depuis la fondation de la ferme, laboureurs et journaliers se disent dans les environs Soyons actifs, honnĂȘtes, laborieux, faisons-nous remarquer par notre bonne conduite, et nous pourrons un jour avoir une des places de la ferme de Bouqueval ; lĂ  nous vivrons comme en paradis durant deux ans ; nous nous perfectionnerons dans notre Ă©tat ; nous emporterons un bon pĂ©cule et par lĂ -dessus, en sortant d'ici, c'est Ă  qui voudra nous engager, puisque pour entrer ici il faut un brevet d'excellent sujet. – Je suis dĂ©jĂ  retenu pour entrer Ă  la ferme d'Arnouville, chez M. Dubreuil, dit Jean-RenĂ©. – Et moi, je suis engagĂ© pour Gonesse, reprit un autre laboureur. – Vous le voyez, mon brave homme, Ă  cela tout le monde gagne les fermiers des environs profitent doublement il n'y a que douze places d'hommes et de femmes Ă  donner, mais il se forme peut-ĂȘtre cinquante bons sujets dans le canton pour y prĂ©tendre ; or ceux qui n'auront pas eu les places n'en resteront pas moins bons sujets, n'est-ce pas ? Et, comme on dit, les morceaux en seront et en resteront toujours bons, car si on n'a pas la chance une fois, on espĂšre l'avoir une autre ; en fin de compte, ça fait nombre de braves gens de plus. Tenez
 parlant par respect, pour un cheval ou pour un bĂ©tail qui gagne le prix de vitesse, de force ou de beautĂ©, on fait cent Ă©lĂšves capables de disputer ce prix. Eh bien ! ceux de ces cent Ă©lĂšves qui ne l'ont pas remportĂ©, ce prix, n'en restent pas moins bons et vaillants
 Hein ? mon brave homme, quand je vous disais que notre ferme n'Ă©tait pas une ferme ordinaire, et que notre maĂźtre n'Ă©tait pas un maĂźtre ordinaire ? – Oh ! non, sans doute
 s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole, et plus sa bontĂ©, sa gĂ©nĂ©rositĂ© me semblent grandes, plus j'espĂšre qu'il prendra en pitiĂ© mon triste sort. Un homme qui fait le bien si noblement, avec tant d'intelligence, ne doit pas regarder Ă  un bienfait de plus ou de moins. – Au contraire, il y regarde, mon brave, dit le pĂšre ChĂątelain ; mais pour avoir Ă  se glorifier d'une bonne action nouvelle ; ce m'est avis que nous nous reverrons, bien sĂ»r, Ă  la ferme, et que ce n'est pas la derniĂšre fois que vous vous asseyez Ă  cette table ! – N'est-ce pas ? Tenez, malgrĂ© moi j'espĂšre
 Oh ! si vous saviez comme je suis heureux et reconnaissant ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole. – Je n'en doute pas, il est si bon, notre maĂźtre ! – Mais que je sache au moins son nom et aussi celui de la Dame-de-Bon-Secours, dit vivement le MaĂźtre d'Ă©cole, que je puisse bĂ©nir d'avance ces nobles noms. – Je comprends votre impatience, dit le laboureur. Ah ! dame, vous vous attendez peut-ĂȘtre Ă  des noms Ă  grand fracas ? Ah bien oui ! ce sont des noms simples et doux comme des saints. Notre-Dame-de-Bon-Secours s'appelle Mme Georges
 notre maĂźtre s'appelle M. Rodolphe. – Ma femme !
 mon bourreau !
 murmura le brigand, foudroyĂ© par cette rĂ©vĂ©lation. VII. La nuit Rodolphe ! ! ! Mme Georges ! ! ! Le MaĂźtre d'Ă©cole ne pouvait se croire abusĂ© par une fortuite ressemblance de noms ; avant de le condamner Ă  un terrible supplice, Rodolphe lui avait dit porter Ă  Mme Georges un vif intĂ©rĂȘt. Enfin, la prĂ©sence rĂ©cente du nĂšgre David dans cette ferme prouvait au MaĂźtre d'Ă©cole qu'il ne se trompait pas. Il reconnut quelque chose de providentiel, de fatal, dans cette derniĂšre rencontre qui renversait les espĂ©rances qu'il avait un moment fondĂ©es sur la gĂ©nĂ©rositĂ© du maĂźtre de cette ferme. Son premier mouvement fut de fuir. Rodolphe lui inspirait une invincible terreur ; peut-ĂȘtre se trouvait-il Ă  cette heure Ă  la ferme
 À peine remis de sa stupeur, le brigand se leva de table, prit la main de Tortillard et s'Ă©cria d'un air Ă©garĂ© – Allons-nous-en
 conduis-moi
 sortons d'ici ! Les laboureurs se regardĂšrent avec surprise. – Vous en aller
 maintenant ! Vous n'y pensez pas, mon pauvre homme, dit le pĂšre ChĂątelain. Ah çà ! quelle mouche vous pique ? Est-ce que vous ĂȘtes fou ? Tortillard saisit adroitement cet Ă -propos, poussa un long soupir, et, mettant son index sur son front, il donna ainsi Ă  entendre aux laboureurs que la raison de son prĂ©tendu pĂšre n'Ă©tait pas fort saine. Le vieux laboureur lui rĂ©pondit par un signe d'intelligence et de compassion. – Viens, viens, sortons ! rĂ©pĂ©ta le MaĂźtre d'Ă©cole en cherchant Ă  entraĂźner l'enfant. Tortillard, absolument dĂ©cidĂ© Ă  ne pas quitter un bon gĂźte pour courir les champs par cette froidure, dit d'une voix dolente – Mon Dieu ! pauvre papa, c'est ton accĂšs qui te reprend ; calme-toi, ne sors pas par le froid de la nuit
 ça te ferait mal
 J'aimerais mieux, vois-tu, avoir le chagrin de te dĂ©sobĂ©ir que de te conduire hors d'ici Ă  cette heure. Puis, s'adressant aux laboureurs N'est-ce pas, mes bons messieurs, que vous m'aiderez Ă  empĂȘcher mon pauvre papa de sortir ? – Oui, oui, sois tranquille, mon enfant, dit le pĂšre ChĂątelain, nous n'ouvrirons pas Ă  ton pĂšre
 Il sera bien forcĂ© de coucher Ă  la ferme ! – Vous ne me forcerez pas Ă  rester ici ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole ; et puis d'ailleurs je gĂȘnerais votre maĂźtre
 M. Rodolphe
 Vous m'avez dit que la ferme n'Ă©tait pas un hospice. Ainsi, encore une fois, laissez-moi sortir
 – GĂȘner notre maĂźtre ! Soyez tranquille
 Malheureusement, il n'habite pas la ferme, il n'y vient pas aussi souvent que nous le voudrions
 Mais serait-il ici que vous ne le gĂȘneriez pas du tout
 Cette maison n'est pas un hospice, c'est vrai, mais je vous ai dit que les infirmes aussi Ă  plaindre que vous pouvaient y passer un jour et une nuit. – Votre maĂźtre n'est pas ici ce soir ? demanda le MaĂźtre d'Ă©cole d'un ton moins effrayĂ©. – Non ; il doit venir, selon son habitude, dans cinq ou six jours. Ainsi, vous le voyez, vos craintes n'ont pas de sens. Il n'est pas probable que notre bonne dame descende maintenant, sans cela elle vous rassurerait. N'a-t-elle pas ordonnĂ© qu'on fasse votre lit ici ? Du reste, si vous ne la voyez pas ce soir, vous lui parlerez demain avant votre dĂ©part
 Vous lui ferez votre petite supplique, afin qu'elle intĂ©resse notre maĂźtre Ă  votre sort et qu'il vous garde Ă  la ferme
 – Non, non ! dit le brigand avec terreur, j'ai changĂ© d'idĂ©e
 mon fils a raison ma parente de Louvres aura pitiĂ© de moi
 J'irai la trouver. – Comme vous voudrez, dit complaisamment le pĂšre ChĂątelain, croyant avoir affaire Ă  un homme dont le cerveau Ă©tait un peu fĂȘlĂ©. Vous partirez demain matin. Quant Ă  continuer votre route ce soir avec ce pauvre petit, n'y comptez pas ; nous y mettrons bon ordre. Quoique Rodolphe ne fĂ»t pas Ă  Bouqueval, les terreurs du MaĂźtre d'Ă©cole Ă©taient loin de se calmer. Bien qu'affreusement dĂ©figurĂ©, il craignait encore d'ĂȘtre reconnu par sa femme qui d'un moment Ă  l'autre pouvait descendre ; et, dans ce cas, il Ă©tait persuadĂ© qu'elle le dĂ©noncerait et le ferait arrĂȘter, car il avait toujours pensĂ© que Rodolphe, en lui infligeant un chĂątiment aussi terrible, avait voulu surtout satisfaire Ă  la haine et Ă  la vengeance de Mme Georges. Mais le brigand ne pouvait quitter la ferme ; il se trouvait Ă  la merci de Tortillard. Il se rĂ©signa donc ; et, pour Ă©viter d'ĂȘtre surpris par sa femme, il dit au laboureur – Puisque vous m'assurez que cela ne gĂȘnera pas votre maĂźtre ni votre dame
 j'accepte l'hospitalitĂ© que vous m'offrez ; mais, comme je suis trĂšs-fatiguĂ©, je vais, si vous le permettez, aller me coucher ; je voudrais repartir demain matin au point du jour. – Oh ! demain matin, Ă  votre aise ! On est matinal ici ; et, de peur que vous ne vous Ă©gariez de nouveau, on vous mettra dans votre route. – Moi, si vous voulez, j'irai conduire ce pauvre homme au bout du chemin, dit Jean-RenĂ©, puisque Madame m'a dit de prendre la carriole pour aller chercher demain des sacs d'argent chez le notaire, Ă  Villiers-le-Bel. – Tu mettras ce pauvre aveugle dans sa route, mais tu iras sur tes jambes, dit le pĂšre ChĂątelain. Madame a changĂ© d'avis tantĂŽt ; elle a rĂ©flĂ©chi, avec raison, que ce n'Ă©tait pas la peine d'avoir Ă  la ferme et Ă  l'avance une si grosse somme ; il sera temps d'aller lundi prochain Ă  Villiers-le-Bel ; jusque-lĂ , l'argent est aussi bien chez le notaire qu'ici. – Madame sait mieux que moi ce qu'elle a Ă  faire, mais qu'est-ce qu'il y a Ă  craindre ici pour l'argent, pĂšre ChĂątelain ? – Rien, mon garçon, Dieu merci ! Mais c'est Ă©gal, j'aimerais mieux avoir ici cinq cents sacs de blĂ© que dix sacs d'Ă©cus. – Voyons, reprit le pĂšre ChĂątelain en s'adressant au brigand et Ă  Tortillard, venez, mon brave homme, et toi, suis-moi, mon petit enfant, ajouta-t-il en prenant un flambeau. Puis, prĂ©cĂ©dant les deux hĂŽtes de la ferme, il les conduisit dans une petite chambre du rez-de-chaussĂ©e, oĂč ils arrivĂšrent aprĂšs avoir traversĂ© un long corridor sur lequel s'ouvraient plusieurs portes. Le laboureur posa la lumiĂšre sur une table et dit au MaĂźtre d'Ă©cole – Voici votre gĂźte ; que le bon Dieu vous donne une nuit franche, mon brave homme ! Quant Ă  toi, mon enfant, tu dormiras bien, c'est de ton Ăąge. Le brigand alla s'asseoir, sombre et pensif, sur le bord du lit auprĂšs duquel il fut conduit par Tortillard. Le petit boiteux fit un signe d'intelligence au laboureur au moment oĂč celui-ci sortit de la chambre, et le rejoignit dans le corridor. – Que veux-tu, mon enfant ? lui demanda le pĂšre ChĂątelain. – Mon Dieu ! mon bon monsieur, je suis bien Ă  plaindre ! Quelquefois mon pauvre papa a des attaques pendant la nuit, c'est comme des convulsions je ne puis le secourir Ă  moi tout seul si j'Ă©tais obligĂ© d'appeler du secours, est-ce qu'on m'entendrait d'ici ? – Pauvre petit ! dit le laboureur avec intĂ©rĂȘt, sois tranquille
 Tu vois bien cette porte-lĂ , Ă  cĂŽtĂ© de l'escalier ? – Oui, mon bon monsieur, je la vois. – Eh bien ! un de nos valets de ferme couche toujours lĂ , tu n'aurais qu'Ă  aller l'Ă©veiller, la clef est Ă  sa porte ; il viendrait t'aider Ă  secourir ton pĂšre. – HĂ©las ! monsieur, ce garçon de ferme et moi nous ne viendrions peut-ĂȘtre pas Ă  bout de mon pauvre papa si ses convulsions le prenaient
 Est-ce que vous ne pourriez pas venir aussi, vous qui avez l'air si bon
 si bon ? – Moi, mon enfant, je couche, ainsi que les autres laboureurs, dans un corps de logis tout au fond de la cour. Mais rassure-toi, Jean-RenĂ© est vigoureux, il abattrait un taureau par les cornes. D'ailleurs, s'il fallait quelqu'un pour vous aider, il irait avertir notre vieille cuisiniĂšre elle couche au premier Ă  cĂŽtĂ© de notre dame et de notre demoiselle
 et au besoin la bonne femme sert de garde-malade, tant elle est soigneuse. – Oh ! merci, merci ! mon digne monsieur, je vas prier le bon Dieu pour vous, car vous ĂȘtes bien charitable d'avoir comme cela pitiĂ© de mon pauvre papa. – Bien, mon enfant
 Allons, bonsoir ; il faut espĂ©rer que tu n'auras besoin du secours de personne pour contenir ton pĂšre. Rentre, il t'attend peut-ĂȘtre. – J'y cours. Bonne nuit, monsieur. – Dieu te garde, mon enfant !
 Et le vieux laboureur s'Ă©loigna. À peine eut-il le dos tournĂ© que le petit boiteux lui fit ce geste suprĂȘmement moqueur et insultant, familier aux gamins de Paris geste qui consiste Ă  se frapper la nuque du plat de la main gauche, et Ă  plusieurs reprises, en lançant chaque fois en avant la main droite tout ouverte. Avec une astuce diabolique, ce dangereux enfant venait de surprendre une partie des renseignements qu'il voulait avoir pour servir les sinistres projets de la Chouette et du MaĂźtre d'Ă©cole. Il savait dĂ©jĂ  que le corps du logis oĂč il allait coucher n'Ă©tait habitĂ© que par Mme Georges, Fleur-de-Marie, une vieille cuisiniĂšre et un garçon de ferme. Tortillard, en rentrant dans la chambre qu'il occupait avec le MaĂźtre d'Ă©cole, se garda bien de s'approcher de lui. Ce dernier l'entendit et lui dit Ă  voix basse – D'oĂč viens-tu encore, gredin ? – Vous ĂȘtes bien curieux, sans yeux
 – Oh ! tu vas me payer tout ce que tu m'as fait souffrir et endurer ce soir, enfant de malheur ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole et il se leva furieux, cherchant Tortillard Ă  tĂątons, en s'appuyant aux murailles pour se guider. Je t'Ă©toufferai, va, mĂ©chante vipĂšre !
 – Pauvre papa
 nous sommes donc bien gai, que nous jouons Ă  colin-maillard avec notre petit enfant chĂ©ri ? dit Tortillard en ricanant et en Ă©chappant le plus facilement du monde aux poursuites du MaĂźtre d'Ă©cole. Celui-ci, d'abord emportĂ© par un mouvement de colĂšre irrĂ©flĂ©chi, fut bientĂŽt obligĂ©, comme toujours, de renoncer Ă  atteindre le fils de Bras-Rouge. ForcĂ© de subir sa persĂ©cution effrontĂ©e jusqu'au moment oĂč il pourrait se venger sans pĂ©ril, le brigand, dĂ©vorant son courroux impuissant, se jeta sur son lit en blasphĂ©mant. – Pauvre papa
 est-ce que tu as une rage de dents
 que tu jures comme ça ? Et M. le curĂ©, qu'est-ce qu'il dirait s'il t'entendait ?
 il te mettrait en pĂ©nitence
 – Bien ! bien ! reprit le brigand d'une voix sourde et contrainte aprĂšs un long silence, raille-moi, abuse de mon malheur
 lĂąche que tu es
 C'est beau, va ! C'est gĂ©nĂ©reux ! – Oh ! c'te balle ! gĂ©nĂ©reux ! Que ça de toupet ! s'Ă©cria Tortillard en Ă©clatant de rire. Excusez !
 avec ça que vous mettiez des mitaines pour ficher des volĂ©es Ă  tout le monde Ă  tort et Ă  travers, quand vous n'Ă©tiez pas borgne de chaque Ɠil ! – Mais je ne t'ai jamais fait de mal
 Ă  toi
 pourquoi me tourmentes-tu ainsi ? – Parce que vous avez dit des sottises Ă  la Chouette d'abord
 Et quand je pense que Monsieur voulait se donner le genre de rester ici en faisant le cĂąlin avec les paysans
 monsieur voulait peut-ĂȘtre se mettre au lait d'Ăąnesse ? – Gredin que tu es ! Si j'avais eu la possibilitĂ© de rester Ă  cette ferme, que le tonnerre Ă©crase maintenant ! tu m'en aurais presque empĂȘchĂ© avec tes insolences. – Vous ! rester ici ! En voilĂ  une farce ! Et qu'est-ce qui aurait Ă©tĂ© la bĂȘte de souffrance de Mme la Chouette ? Moi peut-ĂȘtre ? Merci, je sors d'en prendre. – MĂ©chant avorton ! – Avorton ! tiens, raison de plus ; je dis comme ma tante la Chouette, il n'y a rien de plus amusant que de vous faire rager Ă  mort, vous qui me tueriez d'un coup de poing
 c'est bien plus dĂ©licat que si vous Ă©tiez faible
 Vous Ă©tiez joliment drĂŽle, allez, ce soir, Ă  table
 Dieu de Dieu ! quelle comĂ©die je me donnais Ă  moi tout seul
 un vrai pourtour de la GaĂźtĂ© ! À chaque coup de pied que je vous allongeais en sourdine, la colĂšre vous portait le sang Ă  la tĂȘte et vos yeux blancs devenaient rouges au bord ; il ne leur manquait qu'un peu de bleu au milieu ; avec ça ils auraient Ă©tĂ© tricolores
 deux vrais cocardes de sergent de ville, quoi ! – Allons, voyons, tu aimes Ă  rire, tu es gai
 bah !
 c'est de ton Ăąge ; je ne me fĂąche pas, dit le MaĂźtre d'Ă©cole d'un ton affectueux et dĂ©gagĂ©, espĂ©rant apitoyer Tortillard ; mais, au lieu de rester lĂ  Ă  me blaguer, tu ferais mieux de te souvenir de ce que t'a dit la Chouette, que tu aimes tant ; tu devrais tout examiner, prendre des empreintes. As-tu entendu ? Ils ont parlĂ© d'une grosse somme d'argent qu'ils auront ici lundi
 Nous y reviendrions avec les amis et nous ferions un bon coup. Bah ! j'Ă©tais bien bĂȘte de vouloir rester ici
 j'en aurais eu assez au bout de huit jours, de ces bonasses de paysans
 n'est-ce pas, mon garçon ? dit le brigand pour flatter Tortillard. – Vous m'auriez fait de la peine, parole d'honneur ! dit le fils de Bras-Rouge en ricanant. – Oui, oui, il y a un bon coup Ă  faire ici
 Et quand mĂȘme il n'y aurait rien Ă  voler, je reviendrai dans cette maison avec la Chouette pour me venger, dit le brigand d'une voix altĂ©rĂ©e par la fureur et par la haine ; car c'est, bien sĂ»r, ma femme qui a excitĂ© contre moi cet infernal Rodolphe ; et en m'aveuglant ne m'a-t-il pas mis Ă  la merci de tout le monde
 de la Chouette, d'un gamin comme toi ?
 Eh bien ! puisque je ne peux pas me venger sur lui
 je me vengerai sur ma femme !
 Oui, elle payera pour tous
 quand je devrais mettre le feu Ă  cette maison et m'ensevelir moi-mĂȘme sous ses dĂ©combres
 Oh ! je voudrais
 je voudrais
 ! – Vous voudriez bien la tenir, votre femme, hein, vieux ? Et dire qu'elle est Ă  dix pas de vous
 c'est ça qu'est vexant ! Si je voulais, je vous conduirais Ă  la porte de sa chambre
 moi
 car je sais oĂč elle est, sa chambre
 je le sais, je le sais, je le sais, ajouta Tortillard en chantonnant, selon son habitude. – Tu sais oĂč est sa chambre ! s'Ă©cria le MaĂźtre d'Ă©cole avec une joie fĂ©roce, tu le sais ?
 – Je vous vois venir, dit Tortillard ; je vas vous faire faire le beau sur vos pattes de derriĂšre, comme un chien Ă  qui on montre un os
 Attention, vieux Azor ! – Tu sais oĂč est la chambre de ma femme ? rĂ©pĂ©ta le brigand en se tournant du cĂŽtĂ© oĂč il entendait la voix de Tortillard. – Oui, je le sais ; et ce qu'il y a de fameux, c'est qu'un seul garçon de ferme couche dans le corps de logis oĂč nous sommes ; je sais oĂč est sa porte, la clef est aprĂšs crac ! un tour, et il est enfermé  Allons, debout, vieux Azor ! – Qui t'a dit cela ? s'Ă©cria le brigand en se levant involontairement. – Bien, Azor
 À cĂŽtĂ© de la chambre de votre femme couche une vieille cuisiniĂšre
 un autre tour de clef, et nous sommes maĂźtres de la maison, maĂźtres de votre femme et de la jeune fille Ă  la mante grise que nous venions enlever
 Maintenant, la patte, vieux Azor, faites le beau pour ce maĂźtre ! Tout de suite. – Tu mens, tu mens !
 Comment saurais-tu cela ? – Moi boiteux, mais moi pas bĂȘte
 Tout Ă  l'heure j'ai inventĂ© de dire Ă  ce vieux bibard de laboureur que la nuit vous aviez quelquefois des convulsions, et je lui ai demandĂ© oĂč je pourrais trouver du secours si vous aviez votre attaque
 Alors il m'a rĂ©pondu que, si ça vous prenait, je pourrais Ă©veiller le valet et la cuisiniĂšre, et il m'a enseignĂ© oĂč ils couchaient
 l'un en bas, l'autre en haut
 au premier, Ă  cĂŽtĂ© de votre femme, votre femme, votre femme !
 Et Tortillard de rĂ©pĂ©ter son chant monotone. AprĂšs un long silence, le MaĂźtre d'Ă©cole lui dit d'une voix calme, avec une sincĂšre et effrayante rĂ©solution – Écoute
 J'ai assez de la vie
 Tout Ă  l'heure
 eh bien ! oui
 je l'avoue
 j'ai eu une espĂ©rance qui me fait maintenant paraĂźtre mon sort plus affreux encore
 La prison, le bagne, la guillotine, ne sont rien auprĂšs de ce que j'endure depuis ce matin
 et cela, j'aurai Ă  l'endurer toujours
 Conduis-moi Ă  la chambre de ma femme ; j'ai lĂ  mon couteau
 je la tuerai
 On me tuera aprĂšs, ça m'est Ă©gal
 La haine m'Ă©touffe
 Je serai vengé  ça me soulagera
 Ce que j'endure, c'est trop, c'est trop ! pour moi devant qui tout tremblait. Tiens, vois-tu
 si tu savais ce que je souffre
 tu aurais pitiĂ© de moi
 Depuis un instant il me semble que mon crĂąne va Ă©clater
 mes veines battent Ă  se rompre
 mon cerveau s'embarrasse
 – Un rhume de cerveau, vieux ?
 connu
 Éternuez
 ça le purge
, dit Tortillard en Ă©clatant encore de rire. Voulez-vous une prise ? Et, frappant brusquement sur le dos de sa main gauche fermĂ©e, comme il eĂ»t frappĂ© sur le couvercle d'une tabatiĂšre, il chantonna J'ai du bon tabac dans ma tabatiĂšre ; J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas. – Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! ils veulent me rendre fou ! s'Ă©cria le brigand, devenu vĂ©ritablement presque insensĂ© par une sorte d'Ă©rĂ©thisme de vengeance sanguinaire, ardente, implacable, qui cherchait en vain Ă  s'assouvir. L'exubĂ©rance des forces de ce monstre ne pouvait ĂȘtre Ă©galĂ©e que par leur impuissance. Qu'on se figure un loup affamĂ©, furieux, hydrophobe, harcelĂ© pendant tout un jour par un enfant Ă  travers les barreaux de sa case, et sentant Ă  deux pas de lui une victime qui satisferait Ă  la fois et sa faim et sa rage. Au dernier sarcasme de Tortillard, le brigand perdit presque la tĂȘte. À dĂ©faut de victime, il voulut, dans sa frĂ©nĂ©sie, rĂ©pandre son propre sang
 le sang l'Ă©touffait. Un moment il fut dĂ©cidĂ© Ă  se tuer, il aurait eu Ă  la main un pistolet armĂ©, qu'il n'eĂ»t pas hĂ©sitĂ©. Il fouilla dans sa poche, en tira un long couteau-poignard, l'ouvrit, le leva pour s'en frapper
 Mais, si rapides que fussent ses mouvements, la rĂ©flexion, la peur, l'instinct vital les devancĂšrent. Le courage manqua au meurtrier, son bras armĂ© retomba sur ses genoux. Tortillard avait suivi ses mouvements d'un Ɠil attentif ; lorsqu'il vit le dĂ©noĂ»ment inoffensif de cette vellĂ©itĂ© tragique, il s'Ă©cria en ricanant – Garçon, un duel !
 plumez les canards
 Le MaĂźtre d'Ă©cole, craignant de perdre la raison dans un dernier et inutile Ă©clat de fureur, ne voulut pas, si cela se peut dire, entendre cette nouvelle insulte de Tortillard, qui raillait si insolemment la lĂąchetĂ© de cet assassin reculant devant le suicide. DĂ©sespĂ©rant d'Ă©chapper Ă  ce qu'il appelait, par une sorte de fatalitĂ© vengeresse, la cruautĂ© de cet enfant maudit, le brigand voulut tenter un dernier effort en s'adressant Ă  la cupiditĂ© du fils de Bras-Rouge. – Oh ! lui dit-il d'une voix presque suppliante, conduis-moi Ă  la porte de ma femme ; tu prendras tout ce que tu voudras dans sa chambre, et puis tu te sauveras ; tu me laisseras seul
 tu crieras au meurtre, si tu veux ! On m'arrĂȘtera, on me tuera sur la place
 tant mieux !
 je mourrai vengĂ©, puisque je n'ai pas le courage d'en finir
 Oh ! conduis-moi
 conduis-moi ; il y a, bien sĂ»r, chez elle, de l'or, des bijoux je te dis que tu prendras tout
 pour toi tout seul
 entends-tu ?
 pour toi tout seul
 je ne te demande que de me conduire Ă  la porte, prĂšs d'elle. – Oui
 j'entends bien ; vous voulez que je vous mĂšne Ă  sa porte
 et puis Ă  son lit
 et puis que je vous dise oĂč frapper, et puis que je vous guide le bras, n'est-ce pas ? Vous voulez enfin me faire servir de manche Ă  votre couteau !
 vieux monstre ! reprit Tortillard avec une expression de mĂ©pris, de colĂšre et d'horreur qui, pour la premiĂšre fois de la journĂ©e, rendit sĂ©rieuse sa figure de fouine, jusqu'alors railleuse et effrontĂ©e. On me tuerait plutĂŽt
 entendez-vous
 que de me forcer Ă  vous conduire chez votre femme. – Tu refuses ? Le fils de Bras-Rouge ne rĂ©pondit rien. Il s'approcha pieds nus, et sans ĂȘtre entendu, du MaĂźtre d'Ă©cole, qui, assis sur son lit, tenait toujours son grand couteau Ă  la main ; puis, avec une adresse et une prestesse merveilleuses, Tortillard lui enleva cette arme et fut d'un bond Ă  l'autre bout de la chambre. – Mon couteau ! mon couteau ! s'Ă©cria le brigand en Ă©tendant les bras. – Non, car vous seriez capable de demander demain matin Ă  parler Ă  votre femme et de vous jeter sur elle pour la tuer
 puisque vous avez assez de la vie, comme vous dites, et que vous ĂȘtes assez poltron pour ne pas oser vous tuer vous-mĂȘme
 – Il dĂ©fend ma femme contre moi maintenant ! s'Ă©cria le bandit, dont la pensĂ©e commençait Ă  s'obscurcir. C'est donc le dĂ©mon que ce petit monstre ! OĂč suis-je ? Pourquoi la dĂ©fend-il ? – Pour te faire bisquer
, dit Tortillard ; et sa physionomie reprit son masque d'impudente raillerie. – Ah ! c'est comme ça ! murmura le MaĂźtre d'Ă©cole dans un complet Ă©garement, eh bien ! je vais mettre le feu Ă  la maison !
 nous brĂ»lerons tous !
 tous !
 j'aime mieux cette fournaise-lĂ  que l'autre
 La chandelle ?
 la chandelle ?
 – Ah ! ah ! ah ! s'Ă©cria Tortillard en Ă©clatant de rire de nouveau ; si on ne t'avait pas soufflĂ© ta chandelle
 Ă  toi
 et pour toujours
 tu verrais que la nĂŽtre est Ă©teinte depuis une heure
 Et Tortillard de dire en chantonnant Ma chandelle est morte, Je n'ai plus de feu
 Le MaĂźtre d'Ă©cole poussa un sourd gĂ©missement, Ă©tendit les bras et tomba de toute sa hauteur sur le carreau, la face contre terre, frappĂ© d'un coup de sang, et il resta sans mouvement. – Connu, vieux ! dit Tortillard ; c'est une frime pour me faire venir auprĂšs de toi et pour me ficher une ratapiole
 Quand tu auras assez fait la planche sur le carreau, tu te relĂšveras. Et le fils de Bras-Rouge, dĂ©cidĂ© Ă  ne pas s'endormir, de crainte d'ĂȘtre surpris Ă  tĂątons par le MaĂźtre d'Ă©cole, resta assis sur sa chaise, les yeux attentivement fixĂ©s sur le brigand, persuadĂ© que celui-ci lui tendait un piĂšge, et ne le croyant nullement en danger. Pour s'occuper agrĂ©ablement, Tortillard tira mystĂ©rieusement de sa poche une petite bourse de soie rouge et compta lentement et avec des regards de convoitise et de jubilation dix-sept piĂšces d'or qu'elle contenait. Voici la source des richesses mal acquises de Tortillard On se souvient que Mme d'Harville allait ĂȘtre surprise par son mari lors du fatal rendez-vous qu'elle avait accordĂ© au commandant. Rodolphe, en donnant une bourse Ă  la jeune femme, lui avait dit de monter au cinquiĂšme Ă©tage chez les Morel, sous le prĂ©texte de leur apporter des secours. Mme d'Harville gravissait rapidement l'escalier, tenant la bourse Ă  la main, lorsque Tortillard, descendant de chez le charlatan, guigna la bourse de l'Ɠil, fit semblant de tomber en passant auprĂšs de la marquise, la heurta et, dans le choc, lui enleva subtilement la bourse. Mme d'Harville, Ă©perdue, entendant les pas de son mari, s'Ă©tait hĂątĂ©e d'arriver au cinquiĂšme, sans pouvoir se plaindre du vol audacieux du petit boiteux. AprĂšs avoir comptĂ© et recomptĂ© son or, Tortillard, n'entendant plus aucun bruit dans la ferme, alla pieds nus, l'oreille au guet, abritant sa lumiĂšre dans sa main, prendre des empreintes de quatre portes qui ouvraient sur le corridor, prĂȘt Ă  dire, si on le surprenait hors de sa chambre, qu'il allait chercher du secours pour son pĂšre. En rentrant, Tortillard trouva le MaĂźtre d'Ă©cole toujours Ă©tendu par terre
 Un moment inquiet, il prĂȘta l'oreille, il entendit le brigand respirer librement il crut qu'il prolongeait indĂ©finiment sa ruse. – Toujours du mĂȘme, donc, vieux ! lui dit-il. Un hasard avait sauvĂ© le MaĂźtre d'Ă©cole d'une congestion cĂ©rĂ©brale sans doute mortelle. Sa chute avait occasionnĂ© un salutaire et abondant saignement de nez. Il tomba ensuite dans une sorte de torpeur fiĂ©vreuse, moitiĂ© sommeil, moitiĂ© dĂ©lire ; et il fit alors ce rĂȘve Ă©trange, ce rĂȘve Ă©pouvantable !
 VIII. Le rĂȘve Tel est le rĂȘve du MaĂźtre d'Ă©cole. Il revoit Rodolphe dans la maison de l'allĂ©e des Veuves. Rien n'est changĂ© dans le salon oĂč le brigand a subi son horrible supplice. Rodolphe est assis derriĂšre la table oĂč se trouvent les papiers du MaĂźtre d'Ă©cole et le petit saint-esprit de lapis qu'il a donnĂ© Ă  la Chouette. La figure de Rodolphe est grave, triste. À sa droite, le nĂšgre David, impassible, silencieux, se tient debout ; Ă  sa gauche est le Chourineur ; il regarde cette scĂšne d'un air Ă©pouvantĂ©. Le MaĂźtre d'Ă©cole n'est plus aveugle, mais il voit Ă  travers un sang limpide qui remplit la cavitĂ© de ses orbites. Tous les objets lui paraissent colorĂ©s d'une teinte rouge. Ainsi que les oiseaux de proie planent immobiles dans les airs au-dessus de la victime qu'ils fascinent avant de la dĂ©vorer, une chouette monstrueuse, ayant pour tĂȘte le hideux visage de la borgnesse, plane au-dessus du MaĂźtre d'Ă©cole
 Elle attache incessamment sur lui un Ɠil rond, flamboyant, verdĂątre. Ce regard continu pĂšse sur sa poitrine d'un poids immense. De mĂȘme qu'en s'habituant Ă  l'obscuritĂ© on finit par y distinguer des objets d'abord imperceptibles, le MaĂźtre d'Ă©cole s'aperçoit qu'un immense lac de sang le sĂ©pare de la table oĂč siĂšge Rodolphe. Ce juge inflexible prend peu Ă  peu, ainsi que le Chourineur et le nĂšgre, des proportions colossales
 Ces trois fantĂŽmes atteignent en grandissant les frises du plafond, qui s'Ă©lĂšve Ă  mesure. Le lac de sang est calme, uni comme un miroir rouge. Le MaĂźtre d'Ă©cole voit s'y reflĂ©ter sa hideuse image. Mais bientĂŽt cette image s'efface sous le bouillonnement des flots qui s'enflent. De leur surface agitĂ©e s'Ă©lĂšve comme l'exhalaison fĂ©tide d'un marĂ©cage, d'un brouillard livide de cette couleur violĂątre particuliĂšre aux lĂšvres des trĂ©passĂ©s. Mais Ă  mesure que ce brouillard monte, monte
 les figures de Rodolphe, du Chourineur et du nĂšgre continuent de grandir, de grandir d'une maniĂšre incommensurable, et dominent toujours cette vapeur sinistre. Au milieu de cette vapeur, le MaĂźtre d'Ă©cole voit apparaĂźtre des spectres pĂąles, des scĂšnes meurtriĂšres dont il est l'acteur
 Dans ce fantastique mirage, il voit d'abord un petit vieillard Ă  crĂąne chauve il porte une redingote brune et un garde-vue de soie verte ; il est occupĂ©, dans une chambre dĂ©labrĂ©e, Ă  compter et Ă  ranger des piles de piĂšces d'or, Ă  la lueur d'une lampe. Au travers de la fenĂȘtre, Ă©clairĂ©e par une lune blafarde, qui blanchit la cime de quelques grands arbres agitĂ©s par le vent, le MaĂźtre d'Ă©cole se voit lui-mĂȘme en dehors
 collant Ă  la vitre son horrible visage. Il suit les moindres mouvements du petit vieillard avec des yeux flamboyant
 puis il brise un carreau, ouvre la croisĂ©e, saute d'un bond sur sa victime et lui enfonce un long couteau entre les deux Ă©paules. L'action est si rapide, le coup si prompt, si sĂ»r, que le cadavre du vieillard reste assis sur la chaise
 Le meurtrier veut retirer son couteau de ce corps mort. Il ne le peut pas
 Il redouble d'efforts
 Ils sont vains. Il veut alors abandonner son couteau
 Impossible. La main de l'assassin tient au manche du poignard, comme la lame du poignard tient au cadavre de l'assassinĂ©. Le meurtrier entend alors rĂ©sonner des Ă©perons et retentir des sabres sur les dalles d'une piĂšce voisine. Pour s'Ă©chapper Ă  tout prix, il veut emporter avec lui le corps chĂ©tif du vieillard, dont il ne peut dĂ©tacher ni son couteau ni sa main
 Il ne peut y parvenir. Ce frĂȘle petit cadavre pĂšse comme une masse de plomb. MalgrĂ© ses Ă©paules d'Hercule, malgrĂ© ses efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s, le MaĂźtre d'Ă©cole ne peut mĂȘme pas soulever ce poids Ă©norme. Le bruit de pas retentissants et de sabres traĂźnants se rapproche de plus en plus
 La clef tourne dans la serrure. La porte s'ouvre
 La vision disparaĂźt
 Et alors la chouette bat des ailes, en criant – C'est le vieux richard de la rue du Roule
 Ton dĂ©but d'assassin
 d'assassin
 d'assassin !
 Un moment obscurcie, la vapeur qui couvre le lac de sang redevient transparente et laisse apercevoir un autre spectre
 Le jour commence Ă  poindre, le brouillard est Ă©pais et sombre
 Un homme, vĂȘtu comme le sont les marchands de bestiaux, est Ă©tendu mort sur la berge d'un grand chemin. La terre foulĂ©e, le gazon arrachĂ©, prouvent que la victime a fait une rĂ©sistance dĂ©sespĂ©rĂ©e
 Cet homme a cinq blessures saignantes Ă  la poitrine
 Il est mort, et pourtant il siffle ses chiens, il appelle Ă  son secours, en criant – À moi ! À moi !
 Mais il siffle, mais il appelle par ses cinq larges plaies dont les bords bĂ©ants s'agitent comme des lĂšvres qui parlent
 Ces cinq appels, ces cinq sifflements simultanĂ©s, sortant de ce cadavre par la bouche de ses blessures, sont effrayants Ă  entendre
 À ce moment, la chouette agite ses ailes et parodie les gĂ©missements funĂšbres de la victime en poussant cinq Ă©clats de rire, mais d'un rire strident, farouche comme le rire des fous, et elle s'Ă©crie – Le marchand de bƓufs de Poissy
 Assassin !
 Assassin !
 Assassin !
 Des Ă©chos souterrains prolongĂ©s rĂ©pĂštent d'abord trĂšs-haut les rires sinistres de la chouette, puis ils semblent aller se perdre dans les entrailles de la terre. À ce bruit, deux grands chiens noirs comme l'Ă©bĂšne, aux yeux Ă©tincelants comme des tisons et toujours attachĂ©s sur le MaĂźtre d'Ă©cole, commencent Ă  aboyer et Ă  tourner
 Ă  tourner
 Ă  tourner autour de lui avec une rapiditĂ© vertigineuse. Ils le touchent presque, et leurs abois sont si lointains qu'ils paraissent apportĂ©s par le vent du matin. Peu Ă  peu les spectres pĂąlissent, s'effacent comme des ombres et disparaissent dans la vapeur livide qui monte toujours. Une nouvelle exhalaison couvre la surface du lac de sang et s'y superpose. C'est une sorte de brume verdĂątre, transparente ; on dirait la coupe verticale d'un canal rempli d'eau. D'abord on voit le lit du canal recouvert d'une vase Ă©paisse composĂ©e d'innombrables reptiles ordinairement imperceptibles Ă  l'Ɠil, mais qui, grossis comme si on les voyait au microscope, prennent des aspects monstrueux, des proportions Ă©normes relativement Ă  leur grosseur rĂ©elle. Ce n'est plus de la bourbe, c'est une masse compacte vivante, grouillante, un enchevĂȘtrement inextricable qui fourmille et pullule, si pressĂ©, si serrĂ©, qu'une sourde et imperceptible ondulation soulĂšve Ă  peine le niveau de cette vase ou plutĂŽt de ce banc d'animaux impurs. Au-dessus coule lentement, lentement, une eau fangeuse, Ă©paisse, morte, qui charrie dans son cours pesant des immondices incessamment vomis par les Ă©gouts d'une grande ville, des dĂ©bris de toutes sortes, des cadavres d'animaux
 Tout Ă  coup, le MaĂźtre d'Ă©cole entend le bruit d'un corps qui tombe lourdement Ă  l'eau. Dans son brusque reflux, cette eau lui jaillit au visage
 À travers une foule de bulles d'air qui remontent Ă  la surface du canal, il y voit s'y engouffrer rapidement une femme qui se dĂ©bat
 qui se dĂ©bat
 Et il se voit, lui et la Chouette, se sauver prĂ©cipitamment des bords du canal Saint-Martin, en emportant une caisse enveloppĂ©e de toile noire. NĂ©anmoins, il assiste Ă  toutes les phases de l'agonie de la victime que lui et la Chouette viennent de jeter dans le canal. AprĂšs cette premiĂšre immersion, il voit la femme remonter Ă  fleur d'eau et agiter prĂ©cipitamment ses bras comme quelqu'un qui, ne sachant pas nager, essaye en vain de se sauver. Puis il entend un grand cri. Ce cri extrĂȘme, dĂ©sespĂ©rĂ©, se termine par le bruit sourd, saccadĂ© d'une ingurgitation involontaire
 et la femme redescend une seconde fois au-dessous de l'eau. La chouette, qui plane toujours immobile, parodie le rĂąle convulsif de la noyĂ©e, comme elle a parodiĂ© les gĂ©missements du marchand de bestiaux. Au milieu d'Ă©clats de rire funĂšbres, la chouette rĂ©pĂšte – Glou
 glou
 glou
 Les Ă©chos souterrains redisent ces cris. SubmergĂ©e une seconde fois, la femme suffoque et fait, malgrĂ© elle, un violent mouvement d'aspiration ; mais, au lieu d'air, c'est encore de l'eau qu'elle aspire
 Alors sa tĂȘte se renverse en arriĂšre, son visage s'injecte et bleuit, son cou devient livide et gonflĂ©, ses bras se roidissent et, dans une derniĂšre convulsion, la noyĂ©e agonisante agite ses pieds, qui reposaient sur la vase. Elle est alors entourĂ©e d'un nuage de bourbe noirĂątre qui remonte avec elle Ă  la surface de l'eau. À peine la noyĂ©e exhale-t-elle son dernier souffle qu'elle est dĂ©jĂ  couverte d'une myriade de reptiles microscopiques, vorace et horrible vermine de la bourbe
 Le cadavre reste un moment Ă  flot, oscille encore quelque peu, puis s'abĂźme lentement, horizontalement, les pieds plus bas que la tĂȘte, et commence Ă  suivre entre deux eaux le courant du canal. Quelquefois le cadavre tourne sur lui-mĂȘme, et son visage se trouve en face du MaĂźtre d'Ă©cole ; alors le spectre le regarde fixement de ses deux gros yeux glauques, vitreux, opaques
 ses lĂšvres violettes s'agitent
 Le MaĂźtre d'Ă©cole est loin de la noyĂ©e, et pourtant elle lui murmure Ă  l'oreille Glou
 glou
 glou
 » en accompagnant ces mots bizarres du bruit singulier que fait un flacon submergĂ© en se remplissant d'eau. La chouette rĂ©pĂšte Glou
 glou
 glou
 » en agitant ses ailes, et s'Ă©crie – La femme du canal Saint-Martin !
 Assassin !
 Assassin !
 Assassin !
 Les Ă©chos souterrains lui rĂ©pondent
 mais, au lieu de se perdre peu Ă  peu dans les entrailles de la terre, ils deviennent de plus en plus retentissants et semblent se rapprocher. Le MaĂźtre d'Ă©cole croit entendre ces Ă©clats de rire retentir d'un pĂŽle Ă  l'autre. La vision de la noyĂ©e disparaĂźt. Le lac de sang, au delĂ  duquel le MaĂźtre d'Ă©cole voit toujours Rodolphe, devient d'un noir bronzĂ© ; puis il rougit et se change bientĂŽt en une fournaise liquide telle que du mĂ©tal en fusion ; puis ce lac de feu s'Ă©lĂšve, monte
 monte
 vers le ciel ainsi qu'une trombe immense. BientĂŽt, c'est un horizon incandescent comme du fer chauffĂ© Ă  blanc. Cet horizon immense, infini, Ă©blouit et brĂ»le Ă  la fois les regards du MaĂźtre d'Ă©cole ; clouĂ© Ă  sa place, il ne peut en dĂ©tourner la vue. Alors, sur ce fond de lave ardente, dont la rĂ©verbĂ©ration le dĂ©vore, il voit lentement passer et repasser un Ă  un les spectres noirs et gigantesques de ses victimes. – La lanterne magique du remords
 du remords !
 du remords ! s'Ă©crie la chouette en battant des ailes et en riant aux Ă©clats. MalgrĂ© les douleurs intolĂ©rables que lui cause cette contemplation incessante, le MaĂźtre d'Ă©cole a toujours les yeux attachĂ©s sur les spectres qui se meuvent dans la nappe enflammĂ©e. Il Ă©prouve alors quelque chose d'Ă©pouvantable. Passant par tous les degrĂ©s d'une torture sans nom, Ă  force de regarder ce foyer torrĂ©fiant, il sent ses prunelles, qui ont remplacĂ© le sang dont ses orbites Ă©taient remplies, devenir chaudes, brĂ»lantes, se fondre Ă  cette fournaise, fumer, bouillonner, et enfin se calciner dans leurs cavitĂ©s comme dans deux creusets de fer rouge. Par une effroyable facultĂ©, aprĂšs avoir vu autant que senti les transformations successives de ses prunelles en cendres, il retombe dans les tĂ©nĂšbres de sa premiĂšre cĂ©citĂ©. Mais voilĂ  que tout Ă  coup ses douleurs intolĂ©rables s'apaisent par enchantement. Un souffle aromatique d'une fraĂźcheur dĂ©licieuse a passĂ© sur ses orbites brĂ»lantes encore. Ce souffle est un suave mĂ©lange des senteurs printaniĂšres qu'exhalent les fleurs champĂȘtres baignĂ©es d'une humide rosĂ©e. Le MaĂźtre d'Ă©cole entend autour de lui un bruissement lĂ©ger comme celui de la brise qui se joue dans le feuillage, comme celui d'une source d'eau vive qui ruisselle et murmure sur son lit de cailloux et de mousse. Des milliers d'oiseaux gazouillent de temps Ă  autre les plus mĂ©lodieuses fantaisies ; s'ils se taisent, des voix enfantines d'une angĂ©lique puretĂ© chantent des paroles Ă©tranges, inconnues, des paroles pour ainsi dire ailĂ©es, que le MaĂźtre d'Ă©cole entend monter aux cieux avec un lĂ©ger frĂ©missement. Un sentiment de bien-ĂȘtre moral, d'une mollesse, d'une langueur indĂ©finissables, s'empare peu Ă  peu de lui. Épanouissement de cƓur, ravissement d'esprit, rayonnement d'Ăąme dont aucune impression physique, si enivrante qu'elle soit, ne saurait donner une idĂ©e ! Le MaĂźtre d'Ă©cole se sent doucement planer dans une sphĂšre lumineuse, Ă©thĂ©rĂ©e ; il lui semble qu'il s'Ă©lĂšve Ă  une distance incommensurable de l'humanitĂ©. AprĂšs avoir goĂ»tĂ© quelques moments cette fĂ©licitĂ© sans nom, il se retrouve dans le tĂ©nĂ©breux abĂźme de ses pensĂ©es habituelles. Il rĂȘve toujours, mais il n'est plus que le brigand musclĂ© qui blasphĂšme et se damne dans des accĂšs de fureur impuissante. Une voix retentit, sonore, solennelle. C'est la voix de Rodolphe ! Le MaĂźtre d'Ă©cole frĂ©mit d'Ă©pouvante ; il a vaguement la conscience de rĂȘver, mais l'effroi que lui inspire Rodolphe est si formidable qu'il fait, mais en vain, tous ses efforts pour Ă©chapper Ă  cette nouvelle vision. La voix parle
 il Ă©coute. L'accent de Rodolphe n'est pas courroucĂ© ; il est rempli de tristesse, de compassion. – Pauvre misĂ©rable, dit-il au MaĂźtre d'Ă©cole, l'heure du repentir n'a pas encore sonnĂ© pour vous. Dieu seul sait quand elle sonnera. La punition de vos crimes est incomplĂšte encore. Vous avez souffert, vous n'avez pas expiĂ© ; la destinĂ©e poursuit son Ɠuvre de haute justice. Vos complices sont devenus vos tourmenteurs ; une femme, un enfant vous domptent, vous torturent
 En vous infligeant un chĂątiment terrible comme vos crimes, je vous l'avais dit
 je vous l'avais dit ! rappelez-vous mes paroles Tu as criminellement abusĂ© de ta force
 je paralyserai ta force
 Les plus vigoureux, les plus fĂ©roces tremblaient devant toi
 tu trembleras devant les plus faibles ! Vous avez quittĂ© l'obscure retraite oĂč vous pouviez vivre pour le repentir et pour l'expiation
 Vous avez eu peur du silence et de la solitude
 Tout Ă  l'heure vous avez un moment enviĂ© la vie paisible des laboureurs de cette ferme mais il Ă©tait trop tard
 trop tard ! Presque sans dĂ©fense, vous vous rejetez au milieu d'une tourbe de scĂ©lĂ©rats et d'assassins, et vous avez craint de demeurer plus longtemps auprĂšs d'honnĂȘtes gens chez lesquels on vous avait placé  Vous avez voulu vous Ă©tourdir par de nouveaux forfaits
 Vous avez jetĂ© un farouche dĂ©fi Ă  celui qui avait voulu vous mettre hors d'Ă©tat de nuire Ă  vos semblables, et ce criminel dĂ©fi a Ă©tĂ© vain. MalgrĂ© votre audace, malgrĂ© votre scĂ©lĂ©ratesse, malgrĂ© votre force, vous ĂȘtes enchaĂźnĂ©. La soif du crime vous dĂ©vore
 vous ne pouvez la satisfaire
 Tout Ă  l'heure, dans un Ă©pouvantable et sanguinaire Ă©rĂ©thisme, vous avez voulu tuer votre femme ; elle est lĂ , sous le mĂȘme toit que vous ; elle dort sans dĂ©fense ; vous avez un couteau, sa chambre est Ă  deux pas ; aucun obstacle ne vous empĂȘche d'arriver jusqu'Ă  elle, rien ne peut la soustraire Ă  votre rage
 rien que votre impuissance ! Le rĂȘve de tout Ă  l'heure, celui que maintenant vous rĂȘvez, vous pourraient ĂȘtre d'un grand enseignement. Ils pourraient vous sauver
 Les images mystĂ©rieuses de ce songe ont un sens profond
 Le lac de sang oĂč vous sont apparues vos victimes
 c'est le sang que vous avez versĂ©. La lave ardente qui l'a remplacé  c'est le remords dĂ©vorant qui aurait dĂ» vous consumer afin qu'un jour Dieu, prenant en pitiĂ© vos longues tortures, vous appelĂąt Ă  lui
 et vous fĂźt goĂ»ter les douceurs ineffables du pardon. Mais il n'en sera point ainsi. Non ! non ! ces avertissements seront inutiles ; loin de vous repentir, vous regretterez chaque jour, avec d'horribles blasphĂšmes, le temps oĂč vous commettiez vos crimes
 HĂ©las ! de cette lutte continuelle entre vos ardeurs sanguinaires et l'impossibilitĂ© de les satisfaire, entre vos habitudes d'oppression fĂ©roce et la nĂ©cessitĂ© de vous soumettre Ă  des ĂȘtres aussi faibles que cruels, il rĂ©sultera pour vous un sort si affreux, si horrible Oh ! pauvre misĂ©rable ! » Et la voix de Rodolphe s'altĂ©ra. Et il se tut un moment, comme si l'Ă©motion et l'effroi l'eussent empĂȘchĂ© de continuer. Le MaĂźtre d'Ă©cole sentit ses cheveux se hĂ©risser sur son front. Quel Ă©tait donc ce sort qui apitoyait mĂȘme son bourreau ? – Le sort qui vous attend est si Ă©pouvantable, reprit Rodolphe, que Dieu, dans sa vengeance inexorable et toute-puissante, voudrait vous faire expier Ă  vous seul les crimes de tous les hommes qu'il n'imaginerait pas un supplice plus effroyable. Malheur, malheur Ă  vous ! La fatalitĂ© veut que vous sachiez l'effroyable chĂątiment qui vous attend, et elle veut que vous ne fassiez rien pour vous y soustraire. Que l'avenir vous soit connu ! Il sembla au MaĂźtre d'Ă©cole que la vue lui Ă©tait rendue. Il ouvrit les yeux
 il vit
 Mais ce qu'il vit le frappa d'une telle Ă©pouvante qu'il jeta un cri perçant et s'Ă©veilla en sursaut de ce rĂȘve horrible. IX. La lettre Neuf heures du matin sonnaient Ă  l'horloge de la ferme de Bouqueval, lorsque Mme Georges entra doucement dans la chambre de Fleur-de-Marie. Le sommeil de la jeune fille Ă©tait si lĂ©ger qu'elle s'Ă©veilla presque Ă  l'instant. Un brillant soleil d'hiver, dardant ses rayons Ă  travers les persiennes et les rideaux de toile perse doublĂ©e de guingan rose, rĂ©pandait une teinte vermeille dans la chambre de la Goualeuse et donnait Ă  son pĂąle et doux visage les couleurs qui lui manquaient. – Eh bien ! mon enfant, dit Mme Georges en s'asseyant sur le lit de la jeune fille et en la baisant au front, comment vous trouvez-vous ? – Mieux, madame
 je vous remercie. – Vous n'avez pas Ă©tĂ© rĂ©veillĂ©e ce matin de trĂšs-bonne heure ? – Non, madame. – Tant mieux. Ce malheureux aveugle et son fils, auxquels on a donnĂ© hier Ă  coucher, ont voulu quitter la ferme au point du jour ; je craignais que le bruit qu'on a fait en ouvrant les portes ne vous eĂ»t Ă©veillĂ©e. – Pauvres gens ! Pourquoi sont-ils partis si tĂŽt ? – Je ne sais ; hier soir, en vous laissant un peu calmĂ©e, je suis descendue Ă  la cuisine pour les voir ; mais tous deux s'Ă©taient trouvĂ©s si fatiguĂ©s qu'ils avaient demandĂ© la permission de se retirer. Le pĂšre ChĂątelain m'a dit que l'aveugle paraissait ne pas avoir la tĂȘte trĂšs-saine ; et tous nos gens ont Ă©tĂ© frappĂ©s des soins touchants que l'enfant de ce malheureux lui donnait. Mais dites-moi, Marie, vous avez eu un peu de fiĂšvre ; je ne veux pas que vous vous exposiez au froid aujourd'hui vous ne sortirez pas du salon. – Madame, pardonnez-moi ; il faut que je me rende ce soir, Ă  cinq heures, au presbytĂšre ; M. le curĂ© m'attend. – Cela serait imprudent ; vous avez, j'en suis sĂ»re, passĂ© une mauvaise nuit. Vos yeux sont fatiguĂ©s, vous avez mal dormi. – Il est vrai
 j'ai encore eu des rĂȘves effrayants. J'ai revu en songe la femme qui m'a tourmentĂ©e quand j'Ă©tais enfant ; je me suis rĂ©veillĂ©e en sursaut tout Ă©pouvantĂ©e. C'est une faiblesse ridicule dont j'ai honte. – Et moi cette faiblesse m'afflige, puisqu'elle vous fait souffrir, pauvre petite ! dit Mme Georges avec un tendre intĂ©rĂȘt, en voyant les yeux de la Goualeuse se remplir de larmes. Celle-ci, se jetant au cou de sa mĂšre adoptive, cacha son visage dans son sein. – Mon Dieu ! qu'avez-vous, Marie ? Vous m'effrayez ! – Vous ĂȘtes si bonne pour moi, madame, que je me reproche de ne pas vous avoir confiĂ© ce que j'ai confiĂ© Ă  M. le curĂ© ; demain il vous dira tout lui-mĂȘme il me coĂ»terait trop de vous rĂ©pĂ©ter cette confession. – Allons, allons, enfant, soyez raisonnable ; je suis sĂ»re qu'il y a plus Ă  louer qu'Ă  blĂąmer dans ce grand secret que vous avez dit Ă  notre bon abbĂ©. Ne pleurez pas ainsi, vous me faites mal. – Pardon, madame ; mais je ne sais pourquoi, depuis deux jours, par instants mon cƓur se brise
 MalgrĂ© moi les larmes me viennent aux yeux
 J'ai de noirs pressentiments
 Il me semble qu'il va m'arriver quelque malheur. – Marie
 Marie
 je vous gronderai si vous vous affectez ainsi de terreurs imaginaires. N'est-ce donc pas assez des chagrins rĂ©els qui nous accablent ? – Vous avez raison, madame ; j'ai tort, je tĂącherai de surmonter cette faiblesse
 Si vous saviez, mon Dieu ! combien je me reproche de ne pas ĂȘtre toujours gaie, souriante, heureuse
 comme je devrais l'ĂȘtre ! HĂ©las ! ma tristesse doit vous paraĂźtre de l'ingratitude ! Mme Georges allait rassurer la Goualeuse, lorsque Claudine entra, aprĂšs avoir frappĂ© Ă  la porte. – Que voulez-vous, Claudine ? – Madame, c'est Pierre qui arrive d'Arnouville dans le cabriolet de Mme Dubreuil ; il apporte cette lettre pour vous, il dit que c'est trĂšs-pressĂ©. Mme Georges lut tout haut ce qui suit Ma chĂšre madame Georges, vous me rendriez bien service, et vous pourriez me tirer d'un grand embarras, en venant tout de suite Ă  la ferme Pierre vous emmĂšnerait et vous reconduirait cette aprĂšs-dĂźnĂ©e. Je ne sais vraiment oĂč donner de la tĂȘte. M. Dubreuil est Ă  Pontoise pour la vente de ses laines ; j'ai donc recours Ă  vous et Ă  Marie. Clara embrasse sa bonne petite sƓur et l'attend avec impatience. TĂąchez de venir Ă  onze heures pour dĂ©jeuner. Votre bien sincĂšre amie. Femme DUBREUIL. » – De quoi peut-il ĂȘtre question ? dit Mme Georges Ă  Fleur-de-Marie. Heureusement le ton de la lettre de Mme Dubreuil prouve qu'il ne s'agit pas de quelque chose de grave
 – Vous accompagnerai-je, madame ? demanda la Goualeuse. – Cela n'est peut-ĂȘtre pas prudent, car il fait trĂšs-froid. Mais, aprĂšs tout, reprit Mme Georges, cela vous distraira ; en vous enveloppant bien, cette petite course ne vous sera que favorable
 – Mais, madame, dit la Goualeuse en rĂ©flĂ©chissant, M. le curĂ© m'attend ce soir, Ă  cinq heures, au presbytĂšre. – Vous avez raison ; nous serons de retour avant cinq heures, je vous le promets. – Oh ! merci, madame ; je serai si contente de revoir Mlle Clara
 – Encore ! dit Mme Georges d'un ton de doux reproche, Mlle Clara !
 Est-ce qu'elle dit Mlle Marie en parlant de vous ? – Non, madame
, rĂ©pondit la Goualeuse en baissant les yeux. C'est que moi
 je
 – Vous ! vous ĂȘtes une cruelle enfant qui ne songez qu'Ă  vous tourmenter ; vous oubliez dĂ©jĂ  les promesses que vous m'avez faites tout Ă  l'heure encore. Habillez-vous vite et bien chaudement. Nous pourrons arriver avant onze heures Ă  Arnouville. Puis, sortant avec Claudine, Mme Georges lui dit – Que Pierre attende un moment, nous serons prĂȘtes dans quelques minutes. X. Reconnaissance Une demi-heure aprĂšs cette conversation, Mme Georges et Fleur-de-Marie montaient dans un de ces grands cabriolets dont se servent les riches fermiers des environs de Paris. BientĂŽt cette voiture, attelĂ©e d'un vigoureux cheval de trait conduit par Pierre, roula rapidement sur le chemin gazonnĂ© qui, de Bouqueval, conduit Ă  Arnouville. Les vastes bĂątiments et les nombreuses dĂ©pendances de la ferme exploitĂ©e par M. Dubreuil tĂ©moignaient de l'importance de cette magnifique propriĂ©tĂ© que Mlle CĂ©sarine de Noirmont avait apportĂ©e en mariage Ă  M. le duc de Lucenay. Le bruit retentissant du fouet de Pierre avertit Mme Dubreuil de l'arrivĂ©e de Fleur-de-Marie et de Mme Georges. Celles-ci, en descendant de voiture, furent joyeusement accueillies par la fermiĂšre et par sa fille. Mme Dubreuil avait cinquante ans environ ; sa physionomie Ă©tait douce et affable ; les traits de sa fille, jolie brune aux yeux bleus, aux joues fraĂźches et vermeilles, respiraient la candeur et la bontĂ©. À son grand Ă©tonnement, lorsque Clara vint lui sauter au cou, la Goualeuse vit son amie vĂȘtue comme elle en paysanne, au lieu d'ĂȘtre habillĂ©e en demoiselle. – Comment, vous aussi, Clara, vous voici dĂ©guisĂ©e en campagnarde ? dit Mme Georges en embrassant la jeune fille. – Est-ce qu'il ne faut pas qu'elle imite en tout sa sƓur Marie ? dit Mme Dubreuil. Elle n'a pas eu de cesse qu'elle n'ait eu aussi son casaquin de drap, sa jupe de futaine, tout comme votre Marie
 Mais il s'agit bien des caprices de ces petites filles, ma pauvre Mme Georges ! dit Mme Dubreuil en soupirant ; venez, que je vous conte tous mes embarras. En arrivant dans le salon avec sa mĂšre et Mme Georges, Clara s'assit auprĂšs de Fleur-de-Marie, lui donna la meilleure place au coin du feu, l'entoura de mille soins, prit ses mains dans les siennes pour s'assurer si elles n'Ă©taient plus froides, l'embrassa encore et l'appela sa mĂ©chante petite sƓur, en lui faisant tout bas de doux reproches sur le long intervalle qu'elle mettait entre ses visites. Si l'on se souvient de l'entretien de la pauvre Goualeuse et du curĂ©, on comprendra qu'elle devait recevoir ces caresses tendres et ingĂ©nues avec un mĂ©lange d'humilitĂ©, de bonheur et de crainte. – Et que vous arrive-t-il, donc, ma chĂšre madame Dubreuil ? dit Mme Georges, et Ă  quoi pourrais-je vous ĂȘtre utile ? – Mon Dieu ! Ă  bien des choses. Je vais vous expliquer cela. Vous ne savez pas, je crois, que cette ferme appartient en propre Ă  Mme la duchesse de Lucenay. C'est Ă  elle que nous avons directement affaire
 sans passer par les mains de l'intendant de M. le duc. – En effet, j'ignorais cette circonstance. – Vous allez savoir pourquoi je vous en instruis
 C'est donc Ă  Mme la duchesse ou Ă  Mme Simon, sa premiĂšre femme de chambre, que nous payons les fermages. Mme la duchesse est si bonne, si bonne, quoiqu'un peu vive, que c'est un vrai plaisir d'avoir des rapports avec elle ; Dubreuil et moi nous nous mettrions dans le feu pour l'obliger
 Dame ! c'est tout simple je l'ai vue petite fille, quand elle venait ici avec son pĂšre, feu M. le prince de Noirmont
 Encore derniĂšrement elle nous a demandĂ© six mois de fermage d'avance
 Quarante mille francs, ça ne se trouve pas sous le pas d'un cheval, comme on dit
 mais nous avions cette somme en rĂ©serve, la dot de notre Clara, et du jour au lendemain Mme la duchesse a eu son argent en beaux louis d'or. Ces grandes dames, ça a tant besoin de luxe ! Pourtant il n'y a guĂšre que depuis un an que Mme la duchesse est exacte Ă  toucher ses fermages aux Ă©chĂ©ances ; autrefois elle paraissait n'avoir jamais besoin d'argent
 Mais maintenant c'est bien diffĂ©rent ! – Jusqu'Ă  prĂ©sent, ma chĂšre madame Dubreuil, je ne vois pas encore Ă  quoi je puis vous ĂȘtre bonne. – M'y voici, m'y voici ; je vous disais cela pour vous faire comprendre que Mme la duchesse a toute confiance en nous
 Sans compter qu'Ă  l'Ăąge de douze ou treize ans elle a Ă©tĂ©, avec son pĂšre pour compĂšre, marraine de Clara
 qu'elle a toujours comblĂ©e
 Hier soir donc, je reçois par un exprĂšs cette lettre de Mme la duchesse Il faut absolument, ma chĂšre madame Dubreuil, que le petit pavillon du verger soit en Ă©tat d'ĂȘtre occupĂ© aprĂšs-demain soir faites-y transporter tous les meubles nĂ©cessaires, tapis, rideaux, etc. Enfin, que rien n'y manque, et qu'il soit surtout aussi confortable que possible
 » – Confortable ! vous entendez, madame Georges et c'est soulignĂ© encore ! dit Mme Dubreuil, en regardant son amie d'un air Ă  la fois mĂ©ditatif et embarrassĂ© ; puis elle continua Faites faire du feu jour et nuit dans le pavillon pour en chasser l'humiditĂ©, car il y a longtemps qu'on ne l'a habitĂ©. Vous traiterez la personne qui viendra s'y Ă©tablir comme vous me traiteriez moi-mĂȘme ; une lettre que cette personne vous remettra vous instruira de ce que j'attends de votre zĂšle toujours si obligeant. J'y compte cette fois encore, sans crainte d'en abuser ; je sais combien vous ĂȘtes bonne et dĂ©vouĂ©e. Adieu, ma chĂšre madame Dubreuil. Embrassez ma jolie filleule, et croyez Ă  mes sentiments bien affectionnĂ©s. NOIRMONT DE LUCENAY. » P. S. La personne dont il s'agit arrivera aprĂšs-demain dans la soirĂ©e. Surtout n'oubliez pas, je vous prie, de rendre le pavillon aussi confortable que possible. » – Vous voyez ; encore ce diable de mot soulignĂ© ! dit Mme Dubreuil en remettant dans sa poche la lettre de la duchesse de Lucenay. – Eh bien ! rien de plus simple, reprit Mme Georges. – Comment, rien de plus simple !
 Vous n'avez donc pas entendu ? Mme la duchesse veut surtout que le pavillon soit aussi confortable que possible ; c'est pour ça que je vous ai priĂ©e de venir. Nous deux Clara, nous nous sommes tuĂ©es Ă  chercher ce que voulait dire confortable, et nous n'avons pu y parvenir
 Clara a pourtant Ă©tĂ© en pension Ă  Villiers-le-Bel, et a remportĂ© je ne sais combien de prix d'histoire et de gĂ©ographie
 eh bien ! c'est Ă©gal, elle n'est pas plus avancĂ©e que moi au sujet de ce mot baroque ; il faut que ce soit un mot de la cour ou du grand monde
 Mais c'est Ă©gal, vous concevez combien c'est embarrassant Mme la duchesse veut surtout que le pavillon soit confortable, elle souligne le mot, elle le rĂ©pĂšte deux fois, et nous ne savons pas ce que cela veut dire ! – Dieu merci ! je puis expliquer ce grand mystĂšre, dit Mme Georges en souriant confortable, dans cette occasion, veut dire un appartement commode, bien arrangĂ©, bien clos, bien chaud ; une habitation, enfin, oĂč rien ne manque de ce qui est nĂ©cessaire et mĂȘme superflu
 – Ah ! mon Dieu ! je comprends ; mais alors je suis encore plus embarrassĂ©e ! – Comment cela ? – Mme la duchesse parle de tapis, de meubles et de beaucoup d'et cĂŠtera, mais nous n'avons pas de tapis ici, nos meubles sont des plus communs ; et puis enfin je ne sais pas si la personne que nous devons attendre est un monsieur ou une dame, et il faut que tout soit prĂȘt demain soir
 Comment faire ? comment faire ? Ici il n'y a aucune ressource. En vĂ©ritĂ©, madame Georges, c'est Ă  en perdre la tĂȘte. – Mais, maman, dit Clara, si tu prenais les meubles qui sont dans ma chambre, en attendant qu'elle soit remeublĂ©e j'irais passer trois ou quatre jours Ă  Bouqueval avec Marie. – Ta chambre ! ta chambre ! mon enfant, est-ce que c'est assez beau ! dit Mme Dubreuil en haussant les Ă©paules, est-ce que c'est assez
 assez confortable ? comme dit Mme la duchesse
 Mon Dieu ! mon Dieu ! oĂč va-t-on chercher des mots pareils ! – Ce pavillon est donc ordinairement inhabitĂ© ? demanda Mme Georges. – Sans doute ; c'est cette petite maison blanche qui est toute seule au bout du verger. M. le prince l'a fait bĂątir pour Mme la duchesse quand elle Ă©tait demoiselle ; lorsqu'elle venait Ă  la ferme avec son pĂšre, c'est lĂ  qu'ils se reposaient. Il y a trois jolies chambres, et au bout du jardin une laiterie suisse, oĂč Mme la duchesse, Ă©tant enfant, s'amusait Ă  jouer Ă  la laitiĂšre ; depuis son mariage, nous ne l'avons vue Ă  la ferme que deux fois, et chaque fois elle a passĂ© quelques heures dans le petit pavillon. La premiĂšre fois, il y a de cela six ans, elle est venue Ă  cheval avec
 Puis, comme si la prĂ©sence de Fleur-de-Marie et de Clara l'empĂȘchait d'en dire davantage, Mme Dubreuil reprit – Mais je cause, je cause, et tout cela ne me sort pas d'embarras
 Venez donc Ă  mon secours, ma pauvre madame Georges, venez donc Ă  mon secours ! – Voyons, dites-moi comment Ă  cette heure est meublĂ© ce pavillon ? – Il l'est Ă  peine ; dans la piĂšce principale, une natte de paille sur le carreau, un canapĂ© de jonc, des fauteuils pareils, une table, quelques chaises, voilĂ  tout. De lĂ  Ă  ĂȘtre confortable il y a loin, comme vous le voyez. – Eh bien ! moi, Ă  votre place, voici ce que je ferais il est onze heures, j'enverrais Ă  Paris un homme intelligent. – Notre prend-garde-Ă -tout, il n'y en a pas de plus actif. – À merveille
 en deux heures au plus tard il est Ă  Paris ; il va chez un tapissier de la ChaussĂ©e-d'Antin, peu importe lequel ; il lui remet la liste que je vais vous faire, aprĂšs avoir vu ce qui manque dans le pavillon, et il lui dira que, coĂ»te que coĂ»te
 – Oh ! bien sĂ»r
 pourvu que Mme la duchesse soit contente, je ne regarderai Ă  rien
 – Il lui dira donc que, coĂ»te que coĂ»te, il faut que ce qui est notĂ© sur cette liste soit ici ce soir ou dans la nuit, ainsi que trois ou quatre garçons tapissiers pour tout mettre en place. – Ils pourront venir par la voiture de Gonesse, elle part Ă  huit heures du soir de Paris. – Et comme il ne s'agit que de transporter des meubles, de clouer des tapis et de poser des rideaux, tout peut ĂȘtre facilement prĂȘt demain soir. – Ah ! ma bonne madame Georges, de quel embarras vous me sauvez !
 Je n'aurais jamais pensĂ© Ă  cela
 Vous ĂȘtes ma providence
 Vous allez avoir la bontĂ© de me faire la liste de ce qu'il faut pour que le pavillon soit
 – Confortable ?
 oui, sans doute. – Ah ! mon Dieu
 une autre difficultĂ© !
 Encore une fois, nous ne savons pas si c'est un monsieur ou une dame que nous attendons. Dans sa lettre, Mme la duchesse dit Une personne » ; c'est bien embrouillĂ© !
 – Agissez comme si vous attendiez une femme, ma chĂšre madame Dubreuil ; si c'est un homme, il ne s'en trouvera que mieux. – Vous avez raison
 toujours raison
 Une servante de ferme vint annoncer que le dĂ©jeuner Ă©tait servi. – Nous dĂ©jeunerons tout Ă  l'heure, dit Mme Georges ; mais, pendant que je vais Ă©crire la liste de ce qui est nĂ©cessaire, faites prendre la mesure des trois piĂšces en hauteur et en Ă©tendue, afin qu'on puisse d'avance disposer les rideaux et les tapis. – Bien, bien
 je vais aller dire tout cela Ă  mon prend-garde-Ă -tout. – Madame, reprit la servante de ferme, il y a aussi lĂ  cette laitiĂšre de Stains son mĂ©nage est dans une petite charrette traĂźnĂ©e par un Ăąne ! Dame
 il n'est pas lourd, son mĂ©nage ! – Pauvre femme !
 dit Mme Dubreuil avec intĂ©rĂȘt. – Quelle est donc cette femme ? demanda Mme Georges. – Une paysanne de Stains, qui avait quatre vaches et qui faisait un petit commerce en allant vendre tous les matins son lait Ă  Paris. Son mari Ă©tait marĂ©chal-ferrant ; un jour, ayant besoin d'acheter du fer, il accompagne sa femme, convenant avec elle de venir la reprendre au coin de la rue oĂč d'habitude elle vendait son lait. Malheureusement la laitiĂšre s'Ă©tait Ă©tablie dans un vilain quartier, Ă  ce qu'il paraĂźt ; quand son mari revient, il la trouve aux prises avec des mauvais sujets ivres qui avaient eu la mĂ©chancetĂ© de renverser son lait dans le ruisseau. Le forgeron tĂąche de leur faire entendre raison, ils le maltraitent ; il se dĂ©fend, et dans la rixe il reçoit un coup de couteau qui l'Ă©tend roide mort. – Ah ! quelle horreur !
 s'Ă©cria Mme Georges. Et a-t-on arrĂȘtĂ© l'assassin ? – Malheureusement non ; dans le tumulte il s'est Ă©chappĂ© ; la pauvre veuve assure qu'elle le reconnaĂźtrait bien, car elle l'a vu plusieurs fois avec d'autres de ses camarades, habituĂ©s de ce quartier ; mais jusqu'ici toutes les recherches ont Ă©tĂ© inutiles pour le dĂ©couvrir. Bref, depuis la mort de son mari, la laitiĂšre a Ă©tĂ© obligĂ©e, pour payer diverses dettes, de vendre ses vaches et quelques morceaux de terre qu'elle avait ; le fermier du chĂąteau de Stains m'a recommandĂ© cette brave femme comme une excellente crĂ©ature, aussi honnĂȘte que malheureuse, car elle a trois enfants dont le plus ĂągĂ© n'a que douze ans ; j'avais justement une place vacante, je la lui ai donnĂ©e, et elle vient s'Ă©tablir Ă  la ferme. – Cette bontĂ© de votre part ne m'Ă©tonne pas, ma chĂšre madame Dubreuil. – Dis-moi, Clara, reprit la fermiĂšre, veux-tu aller installer cette brave femme dans son logement, pendant que je vais prĂ©venir le prend-garde-Ă -tout de se prĂ©parer Ă  partir pour Paris ? – Oui, maman ; Marie va venir avec moi. – Sans doute ; est-ce que vous pouvez vous passer l'une de l'autre ? dit la fermiĂšre. – Et moi, reprit Mme Georges en s'asseyant devant une table, je vais commencer ma liste pour ne pas perdre de temps, car il faut que nous soyons de retour Ă  Bouqueval Ă  quatre heures. – À quatre heures !
 vous ĂȘtes donc bien pressĂ©e ? dit Mme Dubreuil. – Oui, il faut que Marie soit au presbytĂšre Ă  cinq heures. – Oh ! s'il s'agit du bon abbĂ© Laporte
 c'est sacrĂ©, dit Mme Dubreuil. Je vais donner les ordres en consĂ©quence
 Ces deux enfants ont bien
 bien des choses Ă  se dire
 Il faut leur donner le temps de se parler. – Nous partirons donc Ă  trois heures, ma chĂšre madame Dubreuil. – C'est entendu
 Mais que je vous remercie donc encore !
 quelle bonne idĂ©e j'ai eue de vous prier de venir Ă  mon aide ! dit Mme Dubreuil. Allons, Clara ; allons, Marie !
 Pendant que Mme Georges Ă©crivait, Mme Dubreuil sortit d'un cĂŽtĂ©, les deux jeunes filles d'un autre, avec la servante qui avait annoncĂ© l'arrivĂ©e de la laitiĂšre de Stains. – OĂč est-elle, cette pauvre femme ? demanda Clara. – Elle est avec ses enfants, sa petite charrette et son Ăąne, dans la cour des granges, mademoiselle. – Tu vas la voir, Marie, la pauvre femme, dit Clara en prenant le bras de la Goualeuse ; comme elle est pĂąle et comme elle a l'air triste avec son grand deuil de veuve ! La derniĂšre fois qu'elle est venue voir maman, elle m'a navrĂ©e ; elle pleurait Ă  chaudes larmes en parlant de son mari, et puis tout Ă  coup ses larmes s'arrĂȘtaient, et elle entrait dans des accĂšs de fureur contre l'assassin. Alors
 elle me faisait peur, tant elle avait l'air mĂ©chant ; mais au fait, son ressentiment est bien naturel !
 l'infortunĂ©e !
 Comme il y a des gens malheureux !
 n'est-ce pas, Marie ? – Oh ! oui, oui
 sans doute
, rĂ©pondit la Goualeuse en soupirant d'un air distrait. Il y a des gens bien malheureux, vous avez raison, mademoiselle
 – Allons ! s'Ă©cria Clara en frappant du pied avec une impatience chagrine, voilĂ  encore que tu me dis vous
 et que tu m'appelles mademoiselle ; mais tu es donc fĂąchĂ©e contre moi, Marie ? – Moi, grand Dieu ! – Eh bien ! alors, pourquoi me dis-tu vous ?
 Tu le sais, ma mĂšre et Mme Georges t'ont dĂ©jĂ  rĂ©primandĂ©e pour cela. Je t'en prĂ©viens, je te ferai encore gronder tant pis pour toi
 – Clara, pardon, j'Ă©tais distraite
 – Distraite
 quand tu me revois aprĂšs plus de huit grands jours de sĂ©paration ? dit tristement Clara. Distraite
 cela serait dĂ©jĂ  bien mal ; mais non, non, ce n'est pas cela tiens, vois-tu, Marie
 je finirai par croire que tu es fiĂšre. Fleur-de-Marie devint pĂąle comme une morte et ne rĂ©pondit pas
 À sa vue, une femme portant le deuil de veuve avait poussĂ© un cri de colĂšre et d'horreur. Cette femme Ă©tait la laitiĂšre qui, chaque matin, vendait du lait Ă  la Goualeuse lorsque celle-ci demeurait chez l'ogresse du tapis-franc. XI. La laitiĂšre La scĂšne que nous allons raconter se passait dans une des cours de la ferme, en prĂ©sence des laboureurs et des femmes de service qui rentraient de leurs travaux pour prendre leur repas de midi. Sous un hangar, on voyait une petite charrette attelĂ©e d'un Ăąne, et contenant le rustique et pauvre mobilier de la veuve ; un petit garçon de douze ans, aidĂ© de deux enfants moins ĂągĂ©s, commençait Ă  dĂ©charger cette voiture. La laitiĂšre, complĂštement vĂȘtue de noir, Ă©tait une femme de quarante ans environ, Ă  la figure rude, virile et rĂ©solue ; ses paupiĂšres Ă©taient rougies par des larmes rĂ©centes. En apercevant Fleur-de-Marie, elle jeta d'abord un cri d'effroi ; mais bientĂŽt la douleur, l'indignation, la colĂšre, contractĂšrent ses traits ; elle se prĂ©cipita sur la Goualeuse, la prit brutalement par le bras et s'Ă©cria en la montrant aux gens de la ferme – VoilĂ  une malheureuse qui connaĂźt l'assassin de mon pauvre mari
 Je l'ai vue vingt fois parler Ă  ce brigand ! Quand je vendais du lait au coin de la rue de la Vieille-Draperie, elle venait m'en acheter pour un sou tous les matins ; elle doit savoir quel est le scĂ©lĂ©rat qui a fait le coup, comme toutes ses pareilles, elle est de la clique de ces bandits
 Oh ! tu ne m'Ă©chapperas pas, coquine que tu es !
 s'Ă©cria la laitiĂšre exaspĂ©rĂ©e par d'injustes soupçons ; et elle saisit l'autre bras de Fleur-de-Marie, qui, tremblante, Ă©perdue, voulait fuir. Clara, stupĂ©faite de cette brusque agression, n'avait pu jusqu'alors dire un mot ; mais, Ă  ce redoublement de violence, elle s'Ă©cria en s'adressant Ă  la veuve – Mais vous ĂȘtes folle !
 le chagrin vous Ă©gare !
 vous vous trompez !
 – Je me trompe !
 reprit la paysanne avec une ironie amĂšre, je me trompe ! Oh ! que non !
 je ne me trompe pas
 Tenez, regardez comme la voilĂ  dĂ©jĂ  pĂąle
 la misĂ©rable !
 comme ses dents claquent !
 La justice te forcera de parler ; tu vas venir avec moi chez M. le maire
 entends-tu ?
 Oh ! il ne s'agit pas de rĂ©sister
 j'ai une bonne poigne
 je t'y porterai plutĂŽt
 – Insolente que vous ĂȘtes ! s'Ă©cria Clara exaspĂ©rĂ©e, sortez d'ici
 Oser ainsi manquer Ă  mon amie, Ă  ma sƓur ! – Votre sƓur
 mademoiselle, allons donc ! C'est vous, vous qui ĂȘtes folle ! rĂ©pondit grossiĂšrement la veuve. Votre sƓur !
 une fille des rues, que, durant six mois, j'ai vue traĂźner dans la CitĂ© ! À ces mots, les laboureurs firent entendre de longs murmures contre Fleur-de-Marie ; ils prenaient naturellement parti pour la laitiĂšre, qui Ă©tait de leur classe, et dont le malheur les intĂ©ressait. Les trois enfants, entendant leur mĂšre Ă©lever la voix, accoururent auprĂšs d'elle et l'entourĂšrent en pleurant, sans savoir de quoi il s'agissait. L'aspect de ces pauvres petits, aussi vĂȘtus de deuil, redoubla la sympathie qu'inspirait la veuve et augmenta l'indignation des paysans contre Fleur-de-Marie. Clara, effrayĂ©e de ces dĂ©monstrations presque menaçantes, dit aux gens de la ferme d'une voix Ă©mue – Faites sortir cette femme d'ici ; je vous rĂ©pĂšte que le chagrin l'Ă©gare. Marie, Marie, pardon ! Mon Dieu, cette folle ne sait pas ce qu'elle dit
 La Goualeuse, pĂąle, la tĂȘte baissĂ©e pour Ă©chapper Ă  tous les regards, restait muette, anĂ©antie, inerte, et ne faisait pas un mouvement pour Ă©chapper aux rudes Ă©treintes de la robuste laitiĂšre. Clara, attribuant cet abattement Ă  l'effroi qu'une pareille scĂšne devait inspirer Ă  son amie, dit de nouveau aux laboureurs – Vous ne m'entendez donc pas ? Je vous ordonne de chasser cette femme
 Puisqu'elle persiste dans ses injures, pour la punir de son insolence, elle n'aura pas ici la place que ma mĂšre lui avait promise ; de sa vie elle ne remettra les pieds Ă  la ferme. Aucun laboureur ne bougea pour obĂ©ir aux ordres de Clara ; l'un d'eux osa mĂȘme dire – Dame
 mademoiselle, si c'est une fille des rues et qu'elle connaisse l'assassin du mari de cette pauvre femme
 faut qu'elle vienne s'expliquer chez le maire
 – Je vous rĂ©pĂšte que vous n'entrerez jamais Ă  la ferme, dit Clara Ă  la laitiĂšre, Ă  moins qu'Ă  l'instant vous ne demandiez pardon Ă  mademoiselle Marie de vos grossiĂšretĂ©s. – Vous me chassez, mademoiselle !
 Ă  la bonne heure, rĂ©pondit la veuve avec amertume. Allons, mes pauvres orphelins, ajouta-t-elle en embrassant ses enfants, rechargez la charrette, nous irons gagner notre pain ailleurs, le bon Dieu aura pitiĂ© de nous ; mais au moins, en nous en allant, nous emmĂšnerons chez M. le maire cette malheureuse, qui va ĂȘtre bien forcĂ©e de dĂ©noncer l'assassin de mon pauvre mari
 puisqu'elle connaĂźt toute la bande !
 Parce que vous ĂȘtes riche, mademoiselle, reprit-elle en regardant insolemment Clara, parce que vous avez des amies dans ces crĂ©atures-là
 faut pas pour cela
 ĂȘtre si dure aux pauvres gens ! – C'est vrai, dit un laboureur, la laitiĂšre a raison
 – Pauvre femme ! – Elle est dans son droit
 – On a assassinĂ© son mari
 faut-il pas qu'elle soit contente ? – On ne peut pas l'empĂȘcher de faire son possible pour dĂ©couvrir les brigands qui ont fait le coup. – C'est une injustice de la renvoyer. – Est-ce que c'est sa faute, Ă  elle, si l'amie de Mlle Clara se trouve ĂȘtre
 une fille des rues ? – On ne met pas Ă  la porte une honnĂȘte femme
 une mĂšre de famille
 Ă  cause d'une malheureuse pareille ! Et les murmures devenaient menaçants, lorsque Clara s'Ă©cria – Dieu soit loué  voici ma mĂšre
 En effet, Mme Dubreuil, revenant du pavillon du verger, traversait la cour. – Eh bien ! Clara, eh bien ! Marie, dit la fermiĂšre en approchant du groupe, venez-vous dĂ©jeuner ? Allons, mes enfants, il est dĂ©jĂ  tard ! – Maman, s'Ă©cria Clara, dĂ©fendez ma sƓur des insultes de cette femme, et elle montra la veuve ; de grĂące, renvoyez-la d'ici. Si vous saviez toutes les insolences qu'elle a l'audace de dire Ă  Marie
 – Comment ? Elle oserait ?
 – Oui, maman
 Voyez, pauvre petite sƓur, comme elle est tremblante
 elle peut Ă  peine se soutenir
 Ah ! c'est une honte qu'une telle scĂšne se passe chez nous
 Marie, pardonne-nous, je t'en supplie ! – Mais qu'est-ce que cela signifie ? demanda Mme Dubreuil en regardant autour d'elle d'un air inquiet, aprĂšs avoir remarquĂ© l'accablement de la Goualeuse. – Madame sera juste, elle
 bien sĂ»r
, murmurĂšrent les laboureurs. – VoilĂ  Mme Dubreuil ; c'est toi qui vas ĂȘtre mise Ă  la porte, dit la veuve Ă  Fleur-de-Marie. – Il est donc vrai ! s'Ă©cria Mme Dubreuil Ă  la laitiĂšre, qui tenait toujours Fleur-de-Marie par le bras, vous osez parler de la sorte Ă  l'amie de ma fille ! Est-ce ainsi que vous reconnaissez mes bontĂ©s ? Voulez-vous laisser cette jeune personne tranquille ! – Je vous respecte, madame, et j'ai de la reconnaissance pour vos bontĂ©s, dit la veuve en abandonnant le bras de Fleur-de-Marie ; mais avant de m'accuser et de me chasser de chez vous avec mes enfants, interrogez donc cette malheureuse. Elle n'aura peut-ĂȘtre pas le front de nier que je la connais et qu'elle me connaĂźt aussi. – Mon Dieu, Marie, entendez-vous ce que dit cette femme ? demanda Mme Dubreuil au comble de la surprise. – T'appelles-tu, oui ou non, la Goualeuse ? dit la laitiĂšre Ă  Marie. – Oui, dit la malheureuse Ă  voix basse d'un air atterrĂ© et sans regarder Mme Dubreuil ; oui, on m'appelait ainsi
 – Ah ! voyez-vous ! s'Ă©criĂšrent les laboureurs courroucĂ©s, elle l'avoue ! elle l'avoue !
 – Elle l'avoue
 mais quoi ? Qu'avoue-t-elle ? s'Ă©cria Mme Dubreuil, Ă  demi effrayĂ©e de l'aveu de Fleur-de-Marie. – Laissez-la rĂ©pondre, madame, reprit la veuve, elle va encore avouer qu'elle Ă©tait dans une maison infĂąme de la rue aux FĂšves, dans la CitĂ©, oĂč je lui vendais pour un sou de lait tous les matins ; elle va encore avouer qu'elle a souvent parlĂ© de moi Ă  l'assassin de mon pauvre mari. Oh ! elle le connaĂźt bien, j'en suis sĂ»re
 un jeune homme pĂąle qui fumait toujours et qui portait une casquette, une blouse et de grands cheveux ; elle doit savoir son nom
 est-ce vrai ? RĂ©pondras-tu, malheureuse ! s'Ă©cria la laitiĂšre. – J'ai pu parler Ă  l'assassin de votre mari, car il y a malheureusement plus d'un meurtrier dans la CitĂ©, dit Fleur-de-Marie d'une voix dĂ©faillante, mais je ne sais pas de qui vous voulez me parler. – Comment
 que dit-elle ? s'Ă©cria Mme Dubreuil avec effroi. Elle a parlĂ© Ă  des assassins
 – Les crĂ©atures comme elle ne connaissent que ça
, rĂ©pondit la veuve. D'abord stupĂ©faite d'une si Ă©trange rĂ©vĂ©lation, confirmĂ©e par les derniĂšres paroles de Fleur-de-Marie, Mme Dubreuil, comprenant tout alors, se recula avec dĂ©goĂ»t et horreur, attira violemment et brusquement Ă  elle sa fille Clara, qui s'Ă©tait approchĂ©e de la Goualeuse pour la soutenir, et s'Ă©cria – Ah ! quelle abomination ! Clara, prenez garde ! N'approchez pas de cette malheureuse. Mais comment Mme Georges a-t-elle pu la recevoir chez elle ? Comment a-t-elle osĂ© me la prĂ©senter, et souffrir que ma fille
 Mon Dieu ! mon Dieu ! mais c'est horrible, cela ! C'est Ă  peine si je peux croire ce que je vois ! Mais non, non, Mme Georges est incapable d'une telle indignitĂ© ! Elle aura Ă©tĂ© trompĂ©e comme nous. Sans cela
 Oh ! ce serait infĂąme de sa part ! Clara, dĂ©solĂ©e, effrayĂ©e de cette scĂšne cruelle, croyait rĂȘver. Dans sa candide ignorance, elle ne comprenait pas les terribles rĂ©criminations dont on accablait son amie ; son cƓur se brisa, ses yeux se remplirent de larmes en voyant la stupeur de la Goualeuse, muette, atterrĂ©e comme une criminelle devant les juges. – Viens, viens, ma fille, dit Mme Dubreuil Ă  Clara ; puis se retournant vers Fleur-de-Marie Et vous, indigne crĂ©ature, le bon Dieu vous punira de votre infĂąme hypocrisie. Oser souffrir que ma fille
 un ange de vertu, vous appelle son amie, sa sƓur
 son amie !
 sa sƓur !
 vous
 le rebut de ce qu'il y a de plus vil au monde ! Quelle effronterie ! Oser vous mĂȘler aux honnĂȘtes gens, quand vous mĂ©ritez sans doute d'aller rejoindre vos semblables en prison ! – Oui, oui, s'Ă©criĂšrent les laboureurs ; il faut qu'elle aille en prison ; elle connaĂźt l'assassin. – Elle est peut-ĂȘtre sa complice, seulement ! – Vois-tu qu'il y a une justice au ciel ! dit la veuve en montrant le poing Ă  la Goualeuse. – Quant Ă  vous, ma brave femme, dit Mme Dubreuil Ă  la laitiĂšre, loin de vous renvoyer, je reconnaĂźtrai le service que vous me rendez en dĂ©voilant cette malheureuse. – À la bonne heure ! Notre maĂźtresse est juste, elle
, murmurĂšrent les laboureurs. – Viens, Clara, reprit la fermiĂšre, Mme Georges va nous expliquer sa conduite, ou sinon je ne la revois de ma vie ; car si elle n'a pas Ă©tĂ© trompĂ©e, elle se conduit envers nous d'une maniĂšre affreuse. – Mais, ma mĂšre, voyez donc cette pauvre Marie
 – Qu'elle crĂšve de honte si elle veut, tant mieux ! MĂ©prise-la
 Je ne veux pas que tu restes un moment auprĂšs d'elle. C'est une de ces crĂ©atures auxquelles une jeune fille comme toi ne parle pas sans se dĂ©shonorer. – Mon Dieu ! mon Dieu ! maman, dit Clara en rĂ©sistant Ă  sa mĂšre qui voulait l'emmener, je ne sais pas ce que cela signifie
 Marie peut bien ĂȘtre coupable, puisque vous le dites ; mais, voyez, elle est dĂ©faillante ; ayez pitiĂ© d'elle au moins. – Oh ! mademoiselle Clara, vous ĂȘtes bonne, vous me pardonnez. C'est bien malgrĂ© moi, croyez-moi, que je vous ai trompĂ©e. Je me le suis bien souvent reprochĂ©, dit Fleur-de-Marie en jetant sur sa protectrice un regard de reconnaissance ineffable. – Mais, ma mĂšre, vous ĂȘtes donc sans pitiĂ© ? s'Ă©cria Clara d'une voix dĂ©chirante. – De la pitiĂ© pour elle ? Allons donc ! Sans Mme Georges qui va nous en dĂ©barrasser, je ferais mettre cette misĂ©rable Ă  la porte de la ferme comme une pestifĂ©rĂ©e, rĂ©pondit durement Mme Dubreuil. Et elle entraĂźna sa fille, qui, se retournant une derniĂšre fois vers la Goualeuse, s'Ă©cria – Marie, ma sƓur ! je ne sais pas de quoi l'on t'accuse, mais je suis sĂ»re que tu n'es pas coupable, et je t'aime toujours. – Tais-toi, tais-toi ! dit Mme Dubreuil en mettant sa main sur la bouche de sa fille, tais-toi ; heureusement que tout le monde est tĂ©moin qu'aprĂšs cette odieuse rĂ©vĂ©lation tu n'es pas restĂ©e un moment seule avec cette fille perdue. N'est-ce pas, mes amis ? – Oui, oui, madame, dit le laboureur, nous sommes tĂ©moins que Mlle Clara n'est pas restĂ©e un moment avec cette fille, qui est bien sĂ»r une voleuse, puisqu'elle connaĂźt des assassins. Mme Dubreuil entraĂźna Clara. La Goualeuse resta seule au milieu du groupe menaçant qui s'Ă©tait formĂ© autour d'elle. MalgrĂ© les reproches dont l'accablait Mme Dubreuil, la prĂ©sence de la fermiĂšre et de Clara avait quelque peu rassurĂ© Fleur-de-Marie sur les suites de cette scĂšne ; mais, aprĂšs le dĂ©part des deux femmes, se trouvant Ă  la merci des paysans, les forces lui manquĂšrent ; elle fut obligĂ©e de s'appuyer sur le parapet du profond abreuvoir des chevaux de la ferme. Rien de plus touchant que la pose de cette infortunĂ©e. Rien de plus menaçant que les paroles, que l'attitude des paysans qui l'entouraient. Assise presque debout sur cette margelle de pierre, la tĂȘte baissĂ©e, cachĂ©e entre ses deux mains, son cou et son sein voilĂ©s par les bouts carrĂ©s du mouchoir d'indienne rouge qui entourait son petit bonnet rond, la Goualeuse, immobile, offrait l'expression la plus saisissante de la douleur et de la rĂ©signation. À quelques pas d'elle, la veuve de l'assassinĂ©, triomphante et encore exaspĂ©rĂ©e contre Fleur-de-Marie par les imprĂ©cations de Mme Dubreuil, montrait la jeune fille Ă  ses enfants et aux laboureurs avec des gestes de haine et de mĂ©pris. Les gens de la ferme, groupĂ©s en cercle, ne dissimulaient pas les sentiments hostiles qui les animaient ; leurs rudes et grossiĂšres physionomies exprimaient Ă  la fois l'indignation, le courroux, et une sorte de raillerie brutale et insultante ; les femmes se montraient les plus furieuses, les plus rĂ©voltĂ©es. La beautĂ© touchante de la Goualeuse n'Ă©tait pas une des moindres causes de leur acharnement contre elle. Hommes et femmes ne pouvaient pardonner Ă  Fleur-de-Marie d'avoir Ă©tĂ© jusqu'alors traitĂ©e d'Ă©gal Ă  Ă©gal par leurs maĂźtres. Et puis encore quelques laboureurs d'Arnouville n'ayant pu justifier d'assez bons antĂ©cĂ©dents pour obtenir Ă  la ferme de Bouqueval une de ces places si enviĂ©es dans le pays, il existait chez ceux-lĂ , contre Mme Georges, un sourd mĂ©contentement dont sa protĂ©gĂ©e devait se ressentir. Les premiers mouvements des natures incultes sont toujours extrĂȘmes
 Excellents ou dĂ©testables. Mais ils deviennent horriblement dangereux lorsqu'une multitude croit ses brutalitĂ©s autorisĂ©es par les torts rĂ©els ou apparents de ceux que poursuit sa haine ou sa colĂšre. Quoique la plupart des laboureurs de cette ferme n'eussent peut-ĂȘtre pas tous les droits possibles Ă  afficher une susceptibilitĂ© farouche Ă  l'endroit de la Goualeuse, ils semblaient contagieusement souillĂ©s par sa seule prĂ©sence ; leur pudeur se rĂ©voltait en songeant Ă  quelle classe avait appartenu cette infortunĂ©e, qui de plus avouait qu'elle parlait souvent Ă  des assassins. En fallait-il davantage pour exalter la colĂšre de ces campagnards, encore excitĂ©s par l'exemple de Mme Dubreuil ? – Il faut la conduire chez le maire, s'Ă©cria l'un. – Oui, oui ; et si elle ne veut pas marcher, on la poussera. – Et ça ose s'habiller comme nous autres honnĂȘtes filles de campagne, ajouta une des plus laides maritornes de la ferme. – Avec son air de sainte-nitouche, reprit une autre, on lui aurait donnĂ© le bon Dieu sans confession. – Est-ce qu'elle n'avait pas le front d'aller Ă  la messe ? – L'effrontĂ©e !
 Pourquoi ne pas communier tout de suite ? – Et il lui fallait frayer avec les maĂźtres encore ! – Comme si nous Ă©tions de trop petites gens pour elle ! – Heureusement chacun a son tour. – Oh ! il faudra bien que tu parles et que tu dĂ©nonces l'assassin ! s'Ă©cria la veuve. Vous ĂȘtes tous de la mĂȘme bande
 Je ne suis pas mĂȘme bien sĂ»re de ne pas t'avoir vue ce jour-lĂ  avec eux. Allons, allons, il ne s'agit pas de pleurnicher, maintenant que tu es reconnue. Montre-nous ta face, elle est belle Ă  voir ! Et la veuve abaissa brutalement les deux mains de la jeune fille, qui cachait son visage baignĂ© de larmes. La Goualeuse, d'abord Ă©crasĂ©e de honte, commençait Ă  trembler d'effroi en se trouvant seule Ă  la merci de ces forcenĂ©s ; elle joignit les mains, tourna vers la laitiĂšre ses yeux suppliants et craintifs et dit de sa voix douce – Mon Dieu, madame, il y a deux mois que je suis retirĂ©e Ă  la ferme de Bouqueval
 je n'ai donc pu ĂȘtre tĂ©moin du malheur dont vous parlez, et
 La timide voix de Fleur-de-Marie fut couverte par ces cris furieux – Menons-la chez M. le maire
 elle s'expliquera. – Allons ! en marche, la belle ! Et le groupe menaçant se rapprochant de plus en plus de la Goualeuse, celle-ci, croisant ses mains par un mouvement machinal, regardait de cĂŽtĂ© et d'autre avec Ă©pouvante et semblait implorer du secours. – Oh ! reprit la laitiĂšre, tu as beau chercher autour de toi, Mlle Clara n'est plus lĂ  pour te dĂ©fendre ; tu ne nous Ă©chapperas pas. – HĂ©las ! madame, dit-elle toute tremblante, je ne veux pas vous Ă©chapper ; je ne demande pas mieux que de rĂ©pondre Ă  ce qu'on me demandera
 puisque cela peut vous ĂȘtre utile
 Mais quel mal ai-je fait Ă  toutes les personnes qui m'entourent et me menacent ?
 – Tu nous a fait que tu as eu le front d'aller avec nos maĂźtres, quand nous, qui valons mille fois mieux que toi, nous n'y allons pas
 VoilĂ  ce que tu nous as fait. – Et puis, pourquoi as-tu voulu que l'on chasse d'ici cette pauvre veuve et ses enfants ? dit un autre. – Ce n'est pas moi, c'est Mlle Clara qui voulait
 – Laisse-nous donc tranquilles, reprit le laboureur en l'interrompant, tu n'as pas seulement demandĂ© grĂące pour elle tu Ă©tais contente de lui voir ĂŽter son pain ! – Non, non, elle n'a pas demandĂ© grĂące ! – Est-elle mauvaise ! – Une pauvre veuve
 mĂšre de trois enfants ! – Si je n'ai pas demandĂ© sa grĂące, dit Fleur-de-Marie, c'est que je n'avais pas la force de dire un mot
 – Tu avais bien la force de parler Ă  des assassins ! Ainsi qu'il arrive toujours dans les Ă©motions populaires, ces paysans, plus bĂȘtes que mĂ©chants, s'irritaient, s'excitaient, se grisaient au bruit de leurs propres paroles, et s'animaient en raison des injures et des menaces qu'ils prodiguaient Ă  leur victime. Ainsi le populaire arrive quelquefois, Ă  son insu, par une exaltation progressive, Ă  l'accomplissement des actes les plus injustes et les plus fĂ©roces. Le cercle menaçant des mĂ©tayers se rapprochait de plus en plus de Fleur-de-Marie ; tous gesticulaient en parlant ; la veuve du forgeron ne se possĂ©dait plus. Seulement sĂ©parĂ©e du profond abreuvoir par le parapet oĂč elle s'appuyait, la Goualeuse eut peur d'ĂȘtre renversĂ©e dans l'eau et s'Ă©cria, en Ă©tendant vers eux des mains suppliantes – Mais, mon Dieu ! que voulez-vous de moi ? Par pitiĂ©, ne me faites pas de mal !
 Et comme la laitiĂšre, gesticulant toujours, s'approchait de plus en plus et lui mettait ses deux poings presque sur le visage, Fleur-de-Marie s'Ă©cria, en se renversant en arriĂšre avec effroi – Je vous en supplie, madame, n'approchez pas autant ; vous allez me faire tomber Ă  l'eau. Ces paroles de Fleur-de-Marie Ă©veillĂšrent chez ces gens grossiers une idĂ©e cruelle. Ne pensant qu'Ă  faire une de ces plaisanteries de paysans, qui souvent vous laissent Ă  moitiĂ© mort sur place, un des plus enragĂ©s s'Ă©cria – Un plongeon !
 donnons-lui un plongeon ! – Oui
 oui
 À l'eau !
 Ă  l'eau !
 rĂ©pĂ©ta-t-on avec des Ă©clats de rire et des applaudissements frĂ©nĂ©tiques. – C'est ça, un bon plongeon !
 Elle n'en mourra pas ! – Ça lui apprendra Ă  venir se mĂȘler aux honnĂȘtes gens ! – Oui, oui
 À l'eau ! Ă  l'eau ! – Justement on a cassĂ© la glace ce matin. – La fille des rues se souviendra des braves gens de la ferme d'Arnouville ! En entendant ces cris inhumains, ces railleries barbares, en voyant l'exaspĂ©ration de toutes ces figures stupidement irritĂ©es qui s'avançaient pour l'enlever, Fleur-de-Marie se crut morte. À son premier effroi succĂ©da bientĂŽt une sorte de contentement amer elle entrevoyait l'avenir sous de si noires couleurs qu'elle remercia mentalement le ciel d'abrĂ©ger ses peines ; elle ne prononça plus un mot de plainte, se laissa glisser Ă  genoux, croisa religieusement ses deux mains sur sa poitrine, ferma les yeux et attendit en priant. Les laboureurs, surpris de l'attitude et de la rĂ©signation muette de la Goualeuse, hĂ©sitĂšrent un moment Ă  accomplir leurs projets sauvages ; mais, gourmandĂ©s sur leur faiblesse par la partie fĂ©minine de l'assemblĂ©e, ils recommencĂšrent de vocifĂ©rer pour se donner le courage d'accomplir leurs mĂ©chants desseins. Deux des plus furieux allaient saisir Fleur-de-Marie, lorsqu'une voix Ă©mue, vibrante, leur cria – ArrĂȘtez ! Au mĂȘme instant, Mme Georges, qui s'Ă©tait frayĂ© un passage au milieu de cette foule, arriva auprĂšs de la Goualeuse, toujours agenouillĂ©e, la prit dans ses bras, la releva en s'Ă©criant – Debout, mon enfant !
 debout, ma fille chĂ©rie ! On ne s'agenouille que devant Dieu. L'expression, l'attitude de Mme Georges furent si courageusement impĂ©rieuses que la foule recula et resta muette. L'indignation colorait vivement les traits de Mme Georges, ordinairement pĂąles. Elle jeta sur les laboureurs un regard ferme et leur dit d'une voix haute et menaçante – Malheureux !
 n'avez-vous pas honte de vous porter Ă  de telles violences contre cette malheureuse enfant !
 – C'est une
 – C'est ma fille ! s'Ă©cria Mme Georges en interrompant un des laboureurs. M. l'abbĂ© Laporte, que tout le monde bĂ©nit et vĂ©nĂšre, l'aime et la protĂšge, et ceux qu'il estime doivent ĂȘtre respectĂ©s par tout le monde. Ces simples paroles imposĂšrent aux laboureurs. Le curĂ© de Bouqueval Ă©tait, dans le pays, regardĂ© comme un saint ; plusieurs paysans n'ignoraient pas l'intĂ©rĂȘt qu'il portait Ă  la Goualeuse. Pourtant quelques sourds murmures se firent encore entendre ; Mme Georges en comprit le sens et s'Ă©cria – Cette malheureuse fille fĂ»t-elle la derniĂšre des crĂ©atures, fĂ»t-elle abandonnĂ©e de tous, votre conduite envers elle n'en serait pas moins odieuse. De quoi voulez-vous la punir ? Et de quel droit d'ailleurs ? Quelle est votre autoritĂ© ? La force ? N'est-il pas lĂąche, honteux Ă  des hommes de prendre pour victime une jeune fille sans dĂ©fense ! Viens, Marie, viens, mon enfant bien-aimĂ©e, retournons chez nous ; lĂ , du moins, tu es connue et apprĂ©ciĂ©e
 Mme Georges prit le bras de Fleur-de-Marie ; les laboureurs, confus et reconnaissant la brutalitĂ© de leur conduite, s'Ă©cartĂšrent respectueusement. La veuve seule s'avança et dit rĂ©solument Ă  Mme Georges – Cette fille ne sortira pas d'ici qu'elle n'ait fait sa dĂ©position chez le maire au sujet de l'assassinat de mon pauvre mari. – Ma chĂšre amie, dit Mme Georges en se contraignant, ma fille n'a aucune dĂ©position Ă  faire ici ; plus tard, si la justice trouve bon d'invoquer son tĂ©moignage, on la fera appeler, et je l'accompagnerai
 Jusque-lĂ  personne n'a le droit de l'interroger. – Mais, madame
 je vous dis
 Mme Georges interrompit la laitiĂšre et lui rĂ©pondit sĂ©vĂšrement – Le malheur dont vous ĂȘtes victime peut Ă  peine excuser votre conduite ; un jour vous regretterez les violences que vous avez si imprudemment excitĂ©es. Mlle Marie demeure avec moi Ă  la ferme de Bouqueval, instruisez-en le juge qui a reçu votre premiĂšre dĂ©claration, nous attendrons ses ordres. La veuve ne put rien rĂ©pondre Ă  ces sages paroles ; elle s'assit sur le parapet de l'abreuvoir et se mit Ă  pleurer amĂšrement en embrassant ses enfants. Quelques minutes aprĂšs cette scĂšne, Pierre amena le cabriolet ; Mme Georges et Fleur-de-Marie y montĂšrent pour retourner Ă  Bouqueval. En passant devant la maison de la fermiĂšre d'Arnouville, la Goualeuse aperçut Clara elle pleurait, Ă  demi cachĂ©e derriĂšre une persienne entr'ouverte, et fit Ă  Fleur-de-Marie un signe d'adieu avec son mouchoir. XII. Consolations – Ah ! madame ! quelle honte pour moi ! quel chagrin pour vous ! dit Fleur-de-Marie Ă  sa mĂšre adoptive, lorsqu'elle se retrouva seule avec elle dans le petit salon de la ferme de Bouqueval. Vous ĂȘtes sans doute pour toujours fĂąchĂ©e avec Mme Dubreuil, et cela Ă  cause de moi. Oh ! mes pressentiments !
 Dieu m'a punie d'avoir ainsi trompĂ© cette dame et sa fille
 je suis un sujet de discorde entre vous et votre amie
 – Mon amie
 est une excellente femme, ma chĂšre enfant, mais une pauvre tĂȘte faible
 Du reste, comme elle a trĂšs-bon cƓur, demain elle regrettera, j'en suis sĂ»re, son fol emportement d'aujourd'hui
 – HĂ©las ! madame, ne croyez pas que je veuille la justifier en vous accusant, mon Dieu !
 Mais votre bontĂ© pour moi vous a peut-ĂȘtre aveuglĂ©e
 Mettez-vous Ă  la place de Mme Dubreuil
 Apprendre que la compagne de sa fille chĂ©rie
 Ă©tait
 ce que j'Ă©tais
 dites ? Peut-on blĂąmer son indignation maternelle ? Mme Georges ne trouva malheureusement rien Ă  rĂ©pondre Ă  cette question de Fleur-de-Marie, qui reprit avec exaltation – Cette scĂšne flĂ©trissante que j'ai subie aux yeux de tous, demain tout le pays le saura ! Ce n'est pas pour moi que je crains ; mais qui sait maintenant si la rĂ©putation de Clara
 ne sera pas Ă  tout jamais entachĂ©e
 parce qu'elle m'a appelĂ©e son amie, sa sƓur ! J'aurais dĂ» suivre mon premier mouvement
 rĂ©sister au penchant qui m'attirait vers Mlle Dubreuil
 et, au risque de lui inspirer de l'aversion, me soustraire Ă  l'amitiĂ© qu'elle m'offrait
 Mais j'ai oubliĂ© la distance qui me sĂ©parait d'elle
 Aussi, vous le voyez, j'en suis punie, oh ! cruellement punie
 car j'aurai peut-ĂȘtre causĂ© un tort irrĂ©parable Ă  cette jeune personne, si vertueuse et si bonne
 – Mon enfant, dit Mme Georges aprĂšs quelques moments de rĂ©flexion, vous avez tort de vous faire de si douloureux reproches votre passĂ© est coupable
 oui, trĂšs-coupable
 Mais n'est-ce rien que d'avoir, par votre repentir, mĂ©ritĂ© la protection de notre vĂ©nĂ©rable curĂ© ? N'est-ce pas sous ses auspices, sous les miens, que vous avez Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e Ă  Mme Dubreuil ? Vos seules qualitĂ©s ne lui ont-elles pas inspirĂ© l'attachement qu'elle vous avait librement vouĂ© ?
 N'est-ce pas elle qui vous a demandĂ© d'appeler Clara votre sƓur ? Et puis enfin, ainsi que je lui ai dit tout Ă  l'heure, car je ne voulais ni ne devais rien lui cacher, pouvais-je, certaine que j'Ă©tais de votre repentir, Ă©bruiter le passĂ©, et rendre ainsi votre rĂ©habilitation plus pĂ©nible
 impossible, peut-ĂȘtre, en vous dĂ©sespĂ©rant, en vous livrant au mĂ©pris de gens qui, aussi malheureux, aussi abandonnĂ©s que vous l'avez Ă©tĂ©, n'auraient peut-ĂȘtre pas, comme vous, conservĂ© le secret instinct de l'honneur et de la vertu ? La rĂ©vĂ©lation de cette femme est fĂącheuse, funeste ; mais devais-je, en la prĂ©venant, sacrifier votre repos futur Ă  une Ă©ventualitĂ© presque improbable ? – Ah ! madame, ce qui prouve que ma position est Ă  jamais fausse et misĂ©rable, c'est que, par affection pour moi, vous avez eu raison de cacher le passĂ©, et que la mĂšre de Clara a aussi raison de me mĂ©priser au nom de ce passĂ© ; de me mĂ©priser
 comme tout le monde me mĂ©prisera dĂ©sormais, car la scĂšne de la ferme d'Arnouville va se rĂ©pandre, tout va se savoir
 Oh ! je mourrai de honte
 je ne pourrai plus supporter les regards de personne ! – Pas mĂȘme les miens ! Pauvre enfant ! dit Mme Georges en fondant en larmes et en ouvrant ses bras Ă  Fleur-de-Marie, tu ne trouveras pourtant jamais dans mon cƓur que la tendresse, que le dĂ©vouement d'une mĂšre
 Courage donc, Marie ! Ayez la conscience de votre repentir. Vous ĂȘtes ici entourĂ©e d'amis, eh bien ! cette maison sera le monde pour vous
 Nous irons au-devant de la rĂ©vĂ©lation que vous craignez notre bon abbĂ© assemblera les gens de la ferme, qui vous aiment dĂ©jĂ  tant ; il leur dira la vĂ©ritĂ© sur le passé  Croyez-moi, mon enfant, sa parole a une telle autoritĂ© que cette rĂ©vĂ©lation vous rendra plus intĂ©ressante encore. – Je vous crois, madame, et je me rĂ©signerai ; hier, dans notre entretien, M. le curĂ© m'avait annoncĂ© les douloureuses expiations elles commencent, je ne dois pas m'Ă©tonner. Il m'a dit encore que mes souffrances me seraient un jour comptĂ©es
 Je l'espĂšre
 Soutenue dans ces Ă©preuves par vous et par lui, je ne me plaindrai pas. – Vous allez d'ailleurs le voir dans quelques moments, jamais ses conseils ne vous auront Ă©tĂ© plus salutaires
 Voici dĂ©jĂ  quatre heures et demie ; disposez-vous Ă  aller au presbytĂšre, mon enfant
 Je vais Ă©crire Ă  M. Rodolphe pour lui apprendre ce qui est arrivĂ© Ă  la ferme d'Arnouville
 Un exprĂšs lui portera ma lettre
 puis j'irai vous rejoindre chez notre bon abbé  car il est urgent que nous causions tous trois. Peu d'instants aprĂšs, la Goualeuse sortait de la ferme afin de se rendre au presbytĂšre par le chemin creux oĂč la veille le MaĂźtre d'Ă©cole et Tortillard Ă©taient convenus de se retrouver. XIII. RĂ©flexion Ainsi qu'on a pu le voir par ses entretiens avec Mme Georges et avec le curĂ© de Bouqueval, Fleur-de-Marie avait si noblement profitĂ© des conseils de ses bienfaiteurs, s'Ă©tait tellement assimilĂ© leurs principes, qu'elle se dĂ©sespĂ©rait de plus en plus en songeant Ă  son abjection passĂ©e. Malheureusement encore, son esprit s'Ă©tait dĂ©veloppĂ© Ă  mesure que ses excellents instincts grandissaient au milieu de l'atmosphĂšre d'honneur et de puretĂ© oĂč elle vivait. D'une intelligence moins Ă©levĂ©e, d'une sensibilitĂ© moins exquise, d'une imagination moins vive, Fleur-de-Marie se serait facilement consolĂ©e. Elle s'Ă©tait repentie, un vĂ©nĂ©rable prĂȘtre l'avait pardonnĂ©e, elle aurait oubliĂ© les horreurs de la CitĂ© au milieu des douceurs de la vie rustique qu'elle partageait avec Mme Georges ; elle se fĂ»t enfin livrĂ©e sans crainte Ă  l'amitiĂ© que lui tĂ©moignait Mlle Dubreuil, et cela, non par insouciance des fautes qu'elle avait commises, mais par confiance aveugle dans la parole de ceux dont elle reconnaissait l'excellence. Ils lui disaient Maintenant votre bonne conduite vous rend l'Ă©gale des honnĂȘtes gens » ; elle n'aurait vu aucune diffĂ©rence entre elle et les honnĂȘtes gens. La scĂšne douloureuse de la ferme d'Arnouville l'eĂ»t pĂ©niblement affectĂ©e, mais elle n'aurait pas, pour ainsi dire, prĂ©vu, devancĂ© cette scĂšne, en versant des larmes amĂšres, en Ă©prouvant de vagues remords Ă  la vue de Clara dormant, innocente et pure, dans la mĂȘme chambre que l'ancienne pensionnaire de l'ogresse. Pauvre fille !
 ne s'Ă©tait-elle pas bien souvent adressĂ© elle-mĂȘme, dans le silence de ses longues insomnies, des rĂ©criminations bien plus poignantes que celles dont les habitants de la ferme l'avaient accablĂ©e ? Ce qui tuait lentement Fleur-de-Marie, c'Ă©tait l'analyse, c'Ă©tait l'examen incessant de ce qu'elle se reprochait ; c'Ă©tait surtout la comparaison constante de l'avenir que l'inexorable passĂ© lui imposait, et de l'avenir qu'elle eĂ»t rĂȘvĂ© sans cela. L'esprit d'analyse, d'examen et de comparaison est presque toujours inhĂ©rent Ă  la supĂ©rioritĂ© de l'intelligence. Chez les Ăąmes altiĂšres et orgueilleuses, cet esprit amĂšne le doute et la rĂ©volte contre les autres. Chez les Ăąmes timides et dĂ©licates, cet esprit amĂšne le doute et la rĂ©volte contre soi. On condamne les premiers, ils s'absolvent. On absout les seconds, ils se condamnent. Le curĂ© de Bouqueval, malgrĂ© sa saintetĂ©, Mme Georges, malgrĂ© ses vertus, ou plutĂŽt tous deux Ă  cause de leurs vertus et de leur saintetĂ©, ne pouvaient imaginer ce que souffrait la Goualeuse depuis que son Ăąme, dĂ©gagĂ©e de ses souillures, pouvait contempler toute la profondeur de l'abĂźme oĂč on l'avait plongĂ©e. Ils ne savaient pas que les affreux souvenirs de la Goualeuse avaient presque la puissance, la force de la rĂ©alitĂ© ; ils ne savaient pas que cette jeune fille, d'une sensibilitĂ© exquise, d'une imagination rĂȘveuse et poĂ©tique, d'une finesse d'impression douloureuse Ă  force de susceptibilitĂ© ; ils ne savaient pas que cette jeune fille ne passait pas un jour sans se rappeler, mais aussi sans ressentir, avec une souffrance mĂȘlĂ©e de dĂ©goĂ»t et d'Ă©pouvante, les honteuses misĂšres de son existence d'autrefois. Qu'on se figure une enfant de seize ans, candide et pure, ayant la conscience de sa candeur et de sa puretĂ©, jetĂ©e par quelque pouvoir infernal dans l'infĂąme taverne de l'ogresse et invinciblement soumise au pouvoir de cette mĂ©gĂšre !
 Telle Ă©tait pour Fleur-de-Marie la rĂ©action du passĂ© sur le prĂ©sent. Ferons-nous ainsi comprendre l'espĂšce de ressentiment rĂ©trospectif, ou plutĂŽt le contrecoup moral dont la Goualeuse souffrait si cruellement qu'elle regrettait, plus souvent qu'elle n'avait osĂ© l'avouer Ă  l'abbĂ©, de n'ĂȘtre pas morte Ă©touffĂ©e dans la fange ? Pour peu qu'on rĂ©flĂ©chisse et qu'on ait d'expĂ©rience de la vie, on ne prendra pas ce que nous allons dire pour un paradoxe Ce qui rendait Fleur-de-Marie digne d'intĂ©rĂȘt et de pitiĂ©, c'est que non-seulement elle n'avait jamais aimĂ©, mais que ses sens Ă©taient toujours restĂ©s endormis et glacĂ©s. Si bien souvent, chez des femmes peut-ĂȘtre moins dĂ©licatement douĂ©es que Fleur-de-Marie, de chastes rĂ©pulsions succĂšdent longtemps au mariage, s'Ă©tonnera-t-on que cette infortunĂ©e, enivrĂ©e par l'ogresse, et jetĂ©e Ă  seize ans au milieu de la horde de bĂȘtes sauvages ou fĂ©roces qui infestaient la CitĂ©, n'ait Ă©prouvĂ© qu'horreur et effroi, et soit sortie moralement pure de ce cloaque ?
 Les naĂŻves confidences de Clara Dubreuil au sujet de son candide amour pour le jeune fermier qu'elle devait Ă©pouser avaient navrĂ© Fleur-de-Marie ; elle aussi sentait qu'elle aurait aimĂ© vaillamment, qu'elle aurait Ă©prouvĂ© l'amour dans tout ce qu'il avait de dĂ©vouĂ©, de noble, de pur et de grand ; et pourtant il ne lui Ă©tait plus permis d'inspirer ou d'Ă©prouver ce sentiment ; car si elle aimait
 elle choisirait en raison de l'Ă©lĂ©vation de son Ăąme
 et plus ce choix serait digne d'elle, plus elle devrait s'en croire indigne. XIV. Le chemin creux Le soleil se couchait Ă  l'horizon ; la plaine Ă©tait dĂ©serte, silencieuse. Fleur-de-Marie approchait de l'entrĂ©e du chemin creux qu'il lui fallait traverser pour se rendre au presbytĂšre, lorsqu'elle vit sortir de la ravine un petit garçon boiteux, vĂȘtu d'une blouse grise et d'une casquette bleue ; il semblait Ă©plorĂ©, et, du plus loin qu'il aperçut la Goualeuse, il accourut prĂšs d'elle. – Oh ! ma bonne dame, ayez pitiĂ© de moi, s'il vous plaĂźt ! s'Ă©cria-t-il en joignant les mains d'un air suppliant. – Que voulez-vous ? Qu'avez-vous, mon enfant ? lui demanda la Goualeuse avec intĂ©rĂȘt. – HĂ©las ! ma bonne dame, ma pauvre grand'mĂšre, qui est bien vieille, bien vieille, est tombĂ©e lĂ -bas, en descendant le ravin ; elle s'est fait beaucoup de mal
 j'ai peur qu'elle se soit cassĂ© la jambe
 Je suis trop faible pour l'aider Ă  se relever
 Mon Dieu, comment faire, si vous ne venez pas Ă  mon secours ? Pauvre grand'mĂšre ! elle va mourir peut-ĂȘtre ! La Goualeuse, touchĂ©e de la douleur du petit boiteux, s'Ă©cria – Je ne suis pas trĂšs-forte non plus, mon enfant, mais je pourrai peut-ĂȘtre vous aider Ă  secourir votre grand'mĂšre
 Allons vite prĂšs d'elle
 Je demeure Ă  cette ferme lĂ -bas
 si la pauvre vieille ne peut s'y transporter avec nous, je l'enverrai chercher. – Oh ! ma bonne dame, le bon Dieu vous bĂ©nira, bien sĂ»r
 C'est par ici
 Ă  deux pas, dans le chemin creux, comme je vous le disais ; c'est en descendant la berge qu'elle a tombĂ©. – Vous n'ĂȘtes donc pas du pays ? demanda la Goualeuse en suivant Tortillard, que l'on a sans doute dĂ©jĂ  reconnu. – Non, ma bonne dame, nous venons d'Écouen. – Et oĂč alliez-vous ? – Chez un bon curĂ© qui demeure sur la colline lĂ -bas
, dit le fils de Bras-Rouge, pour augmenter la confiance de Fleur-de-Marie. – Chez M. l'abbĂ© Laporte, peut-ĂȘtre ? – Oui, ma bonne dame, chez M. l'abbĂ© Laporte, ma pauvre grand'mĂšre le connaĂźt beaucoup, beaucoup
 – J'allais justement chez lui ; quelle rencontre ! dit Fleur-de-Marie en s'enfonçant de plus en plus dans le chemin creux. – Grand'maman ! me voilĂ , me voilĂ  !
 Prends patience, je t'amĂšne du secours ! cria Tortillard pour prĂ©venir le MaĂźtre d'Ă©cole et la Chouette de se tenir prĂȘts Ă  saisir leur victime. – Votre grand'mĂšre n'est donc pas tombĂ©e loin d'ici ? demanda la Goualeuse. – Non, ma bonne dame, derriĂšre ce gros arbre lĂ -bas, oĂč le chemin tourne, Ă  vingt pas d'ici. Tout Ă  coup Tortillard s'arrĂȘta. Le bruit du galop d'un cheval retentit dans le silence de la plaine. – Tout est encore perdu, se dit Tortillard. Le chemin faisait un coude trĂšs-prononcĂ© Ă  quelques toises de l'endroit oĂč le fils de Bras-Rouge se trouvait avec la Goualeuse. Un cavalier parut Ă  ce dĂ©tour ; lorsqu'il fut auprĂšs de la jeune fille, il s'arrĂȘta. On entendit alors le trot d'un autre cheval, et quelques moments aprĂšs survint un domestique vĂȘtu d'une redingote brune Ă  boutons d'argent, d'une culotte de peau blanche et de bottes Ă  revers. Une Ă©troite ceinture de cuir fauve serrait derriĂšre sa taille le mackintosh de son maĂźtre. Le maĂźtre, vĂȘtu simplement d'une Ă©paisse redingote bronze et d'un pantalon gris clair, montait avec une grĂące parfaite un cheval bai, de pur sang, d'une beautĂ© singuliĂšre ; malgrĂ© la longue course qu'il venait de faire, le lustre Ă©clatant de sa robe Ă  reflets dorĂ©s ne se ternissait pas mĂȘme d'une lĂ©gĂšre moiteur. Le cheval du groom, qui resta immobile Ă  quelques pas de son maĂźtre, Ă©tait aussi plein de race et de distinction. Dans ce cavalier, d'une figure brune et charmante, Tortillard reconnut M. le vicomte de Saint-Remy, que l'on supposait ĂȘtre l'amant de Mme la duchesse de Lucenay. – Ma jolie fille, dit le vicomte Ă  la Goualeuse, dont la beautĂ© le frappa, auriez-vous l'obligeance de m'indiquer la route du village d'Arnouville ? Marie, baissant les yeux devant le regard profond et hardi de ce jeune homme, rĂ©pondit – En sortant du chemin creux, monsieur, vous prendrez le premier sentier Ă  main droite ce sentier vous conduira Ă  une avenue de cerisiers qui mĂšne directement Ă  Arnouville. – Mille grĂąces, ma belle enfant
 Vous me renseignez mieux qu'une vieille femme que j'ai trouvĂ©e Ă  deux pas d'ici, Ă©tendue au pied d'un arbre ; je n'ai pu en tirer d'elle autre chose que des gĂ©missements. – Ma pauvre grand'mĂšre !
 murmura Tortillard d'une voix dolente. – Maintenant, encore un mot, reprit M. de Saint-Remy en s'adressant Ă  la Goualeuse, pouvez-vous me dire si je trouverai facilement, Ă  Arnouville, la ferme de M. Dubreuil ? La Goualeuse ne put s'empĂȘcher de tressaillir Ă  ces mots qui lui rappelaient la pĂ©nible scĂšne de la matinĂ©e ; elle rĂ©pondit – Les bĂątiments de la ferme bordent l'avenue que vous allez suivre pour vous rendre Ă  Arnouville, monsieur. – Encore une fois, merci, ma belle enfant ! dit M. de Saint-Remy. Et il partit au galop, suivi de son groom. Les traits charmants du vicomte s'Ă©taient quelque peu dĂ©ridĂ©s pendant qu'il parlait Ă  Fleur-de-Marie ; dĂšs qu'il fut seul, ils redevinrent sombres et contractĂ©s par une inquiĂ©tude profonde. Fleur-de-Marie, se souvenant de la personne inconnue pour qui l'on prĂ©parait Ă  la hĂąte un pavillon de la ferme d'Arnouville par les ordres de Mme de Lucenay, ne douta pas qu'il ne s'agĂźt de ce jeune et beau cavalier. Le galop des chevaux Ă©branla quelque temps encore la terre durcie par la gelĂ©e ; il s'amoindrit, cessa
 Tout redevint silencieux. Tortillard respira. Voulant rassurer et avertir ses complices, dont l'un, le MaĂźtre d'Ă©cole, s'Ă©tait dĂ©robĂ© Ă  la vue des cavaliers, le fils de Bras-Rouge s'Ă©cria – Grand'mĂšre !
 me voilà
 avec une bonne dame qui vient Ă  ton secours !
 – Vite, vite, mon enfant ! Ce monsieur Ă  cheval nous a fait perdre quelques minutes, dit la Goualeuse en hĂątant le pas, afin d'atteindre le tournant du chemin creux. À peine y arriva-t-elle que la Chouette, qui s'y tenait embusquĂ©e, dit Ă  voix basse – À moi, Fourline ! Puis, sautant sur la Goualeuse, la borgnesse la saisit au cou d'une main, et de l'autre lui comprima les lĂšvres, pendant que Tortillard, se jetant aux pieds de la jeune fille, se cramponnait Ă  ses jambes pour l'empĂȘcher de faire un pas. Ceci s'Ă©tait passĂ© si rapidement que la Chouette n'avait pas eu le temps d'examiner les traits de la Goualeuse ; mais dans le peu d'instants qu'il fallut au MaĂźtre d'Ă©cole pour sortir du trou oĂč il s'Ă©tait tapi et pour venir Ă  tĂątons avec son manteau, la vieille reconnut son ancienne victime. – La PĂ©griotte !
 s'Ă©cria-t-elle d'abord stupĂ©faite ; puis elle ajouta avec une joie fĂ©roce C'est encore toi ?
 Ah ! c'est le boulanger qui t'envoie
 C'est ton sort de retomber toujours sous ma griffe !
 J'ai mon vitriol dans le fiacre
 cette fois, ta jolie frimousse y passera
 car tu m'enrhumes avec ta figure de vierge
 À toi, mon homme ! prends garde qu'elle ne te morde, et tiens-la bien pendant que nous allons l'embaluchonner
 De ses deux mains puissantes, le MaĂźtre d'Ă©cole saisit la Goualeuse ; et, avant qu'elle eĂ»t pu pousser un cri, la Chouette lui jeta le manteau sur la tĂȘte et l'enveloppa Ă©troitement. En un instant, Fleur-de-Marie, liĂ©e, bĂąillonnĂ©e, fut mise dans l'impossibilitĂ© de faire un mouvement ou d'appeler Ă  son secours. – Maintenant, Ă  toi le paquet, Fourline
, dit la Chouette. Eh ! eh ! eh !
 c'est seulement pas si lourd que la nĂ©gresse de la femme noyĂ©e du canal Saint-Martin
 n'est-ce pas, mon homme ? Et comme le brigand tressaillait Ă  ces mots qui lui rappelaient son Ă©pouvantable rĂȘve de la nuit, la borgnesse reprit – Ah çà ! qu'est-ce que tu as donc, Fourline ?
 On dirait que tu grelottes ?
 Depuis ce matin, par instants, les dents te claquent comme si tu avais la fiĂšvre, et alors tu regardes en l'air comme si tu cherchais quelque chose. – Gros feignant !
 il regarde les mouches voler, dit Tortillard. – Allons, vite, filons, mon homme ! Emballe-moi la PĂ©griotte
 À la bonne heure ! ajouta la Chouette en voyant le brigand prendre Fleur-de-Marie entre ses bras comme on prend un enfant endormi. Vite, au fiacre, vite !
 – Mais qui est-ce qui va me conduire, moi ?
 demanda le MaĂźtre d'Ă©cole d'une voix sourde, en Ă©treignant son souple et lĂ©ger fardeau dans ses bras d'Hercule. – Vieux tĂȘtard ! il pense Ă  tout, dit la Chouette. Et, Ă©cartant son chĂąle, elle dĂ©noua un foulard rouge qui couvrait son cou dĂ©charnĂ©, tordit Ă  moitiĂ© ce mouchoir dans sa longueur et dit au MaĂźtre d'Ă©cole – Ouvre la gargoine, prends le bout de ce foulard dans tes quenottes, serre bien
 Tortillard prendra l'autre bout Ă  la main, tu n'auras qu'Ă  le suivre
 À bon aveugle bon chien. Ici, moutard ! Le petit boiteux fit une gambade, murmura Ă  voix basse un jappement imitatif et grotesque, prit dans sa main l'autre bout du mouchoir et conduisit ainsi le MaĂźtre d'Ă©cole, pendant que la Chouette hĂątait le pas pour prĂ©venir Barbillon. Nous avons renoncĂ© Ă  peindre la terreur de Fleur-de-Marie, lorsqu'elle s'Ă©tait vue au pouvoir de la Chouette et du MaĂźtre d'Ă©cole. Elle se sentit dĂ©faillir et ne put opposer la moindre rĂ©sistance. Quelques minutes aprĂšs, la Goualeuse Ă©tait transportĂ©e dans le fiacre conduit par Barbillon ; quoiqu'il fĂźt nuit, les stores de cette voiture Ă©taient soigneusement fermĂ©s, et les trois complices se dirigĂšrent, avec leur victime presque expirante, vers la plaine Saint-Denis, oĂč Tom les attendait. XV. ClĂ©mence d'Harville Le lecteur nous excusera d'abandonner une de nos hĂ©roĂŻnes dans une situation si critique, situation dont nous dirons plus tard le dĂ©noĂ»ment. Les exigences de ce rĂ©cit multiple, malheureusement trop variĂ© dans son unitĂ©, nous forcent de passer incessamment d'un personnage Ă  un autre, afin de faire, autant qu'il est en nous, marcher et progresser l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de l'Ɠuvre si toutefois il y a de l'intĂ©rĂȘt dans cette Ɠuvre, aussi difficile que consciencieuse et impartiale. Nous avons encore Ă  suivre quelques-uns des acteurs de ce rĂ©cit dans ces mansardes oĂč frissonne de froid et de faim une misĂšre timide, rĂ©signĂ©e, probe et laborieuse
 Dans ces prisons d'hommes et de femmes, prisons souvent coquettes et fleuries, souvent noires et funĂšbres, mais toujours vastes Ă©coles de perdition, atmosphĂšre nausĂ©abonde et viciĂ©e, oĂč l'innocence s'Ă©tiole et se flĂ©trit
 sombres pandĂ©moniums oĂč un prĂ©venu peut entrer pur, mais d'oĂč il sort presque toujours corrompu
 Dans ces hĂŽpitaux oĂč le pauvre, traitĂ© parfois avec une touchante humanitĂ©, regrette aussi parfois le grabat solitaire qu'il trempait de la sueur glacĂ©e de la fiĂšvre
 Dans ces mystĂ©rieux asiles oĂč la fille sĂ©duite et dĂ©laissĂ©e met au jour, en l'arrosant de larmes amĂšres, l'enfant qu'elle ne doit plus revoir
 Dans ces lieux terribles oĂč la folie, touchante, grotesque, stupide, hideuse ou fĂ©roce, se montre sous des aspects toujours effrayants
 depuis l'insensĂ© paisible qui rit tristement de ce rire qui fait pleurer
 jusqu'au frĂ©nĂ©tique qui rugit comme une bĂȘte fĂ©roce en s'accrochant aux grilles de son cabanon. Nous avons enfin Ă  explorer
 Mais Ă  quoi bon cette trop longue Ă©numĂ©ration ? Ne devons-nous pas craindre d'effrayer le lecteur ? Il a dĂ©jĂ  bien voulu nous faire la grĂące de nous suivre en des lieux assez Ă©tranges, il hĂ©siterait peut-ĂȘtre Ă  nous accompagner dans de nouvelles pĂ©rĂ©grinations. Cela dit, passons. On se souvient que, la veille du jour oĂč s'accomplissaient les Ă©vĂ©nements que nous venons de raconter l'enlĂšvement de la Goualeuse par la Chouette, Rodolphe avait sauvĂ© Mme d'Harville d'un danger imminent, danger suscitĂ© par la jalousie de Sarah, qui avait prĂ©venu M. d'Harville du rendez-vous si imprudemment accordĂ© par la marquise Ă  M. Charles Robert. Rodolphe, profondĂ©ment Ă©mu de cette scĂšne, Ă©tait rentrĂ© chez lui en sortant de la maison de la rue du Temple, remettant au lendemain la visite qu'il comptait faire Ă  Mlle Rigolette et Ă  la famille de malheureux artisans dont nous avons parlĂ© ; car il les croyait Ă  l'abri du besoin, grĂące Ă  l'argent qu'il avait remis pour eux Ă  la marquise, afin de rendre sa prĂ©tendue visite de charitĂ© plus vraisemblable aux yeux de M. d'Harville. Malheureusement Rodolphe ignorait que Tortillard s'Ă©tait emparĂ© de cette bourse, et l'on sait comment le petit boiteux avait commis ce vol audacieux. Vers les quatre heures, le prince reçut la lettre suivante
 Une femme ĂągĂ©e l'avait apportĂ©e et s'en Ă©tait allĂ©e sans attendre la rĂ©ponse. Monseigneur, Je vous dois plus que la vie ; je voudrais vous exprimer aujourd'hui mĂȘme ma profonde reconnaissance. Demain peut-ĂȘtre la honte me rendrait muette
 Si vous pouviez me faire l'honneur de venir chez moi ce soir, vous finirez cette journĂ©e comme vous l'avez commencĂ©e, monseigneur, par une gĂ©nĂ©reuse action. D'ORBIGNY-D'HARVILLE. » P. S. Ne prenez pas la peine de me rĂ©pondre, monseigneur, je serai chez moi toute la soirĂ©e. » Rodolphe, heureux d'avoir rendu Ă  Mme d'Harville un service Ă©minent, regrettait pourtant l'espĂšce d'intimitĂ© forcĂ©e que cette circonstance Ă©tablissait tout Ă  coup entre lui et la marquise. Incapable de trahir l'amitiĂ© de M. d'Harville, mais profondĂ©ment touchĂ© de la grĂące spirituelle et de l'attrayante beautĂ© de ClĂ©mence, Rodolphe, s'apercevant de son goĂ»t trop vif pour elle, avait presque renoncĂ© Ă  la voir aprĂšs un mois d'assiduitĂ©s. Aussi se rappelait-il avec Ă©motion l'entretien qu'il avait surpris Ă  l'ambassade de *** entre Tom et Sarah
 Celle-ci, pour motiver sa haine et sa jalousie, avait affirmĂ©, non sans raison, que Mme d'Harville ressentait toujours, presque Ă  son insu, une sĂ©rieuse affection pour Rodolphe. Sarah Ă©tait trop sagace, trop fine, trop initiĂ©e Ă  la connaissance du cƓur humain pour n'avoir pas compris que ClĂ©mence, se croyant nĂ©gligĂ©e, dĂ©daignĂ©e peut-ĂȘtre par un homme qui avait fait sur elle une impression profonde ; que ClĂ©mence, dans son dĂ©pit, cĂ©dant aux obsessions d'une amie perfide, avait pu s'intĂ©resser, presque par surprise, aux malheurs imaginaires de M. Charles Robert, sans pour cela oublier complĂštement Rodolphe. D'autres femmes, fidĂšles au souvenir de l'homme qu'elles avaient d'abord distinguĂ©, seraient restĂ©es indiffĂ©rentes aux regards du commandant. ClĂ©mence d'Harville fut donc doublement coupable, quoiqu'elle n'eĂ»t cĂ©dĂ© qu'Ă  la sĂ©duction du malheur, et qu'un vif sentiment du devoir, joint peut-ĂȘtre au souvenir du prince, souvenir salutaire qui veillait au fond de son cƓur, l'eĂ»t prĂ©servĂ©e d'une faute irrĂ©parable. Rodolphe, en songeant Ă  son entrevue avec Mme d'Harville, Ă©tait en proie Ă  mille contradictions. Bien rĂ©solu de rĂ©sister au penchant qui l'entraĂźnait vers elle, tantĂŽt il s'estimait heureux de pouvoir la dĂ©saimer, en lui reprochant un choix aussi fĂącheux que celui de M. Charles Robert ; tantĂŽt, au contraire, il regrettait amĂšrement de voir tomber le prestige dont il l'avait jusqu'alors entourĂ©e. ClĂ©mence d'Harville attendait aussi cette entrevue avec anxiĂ©tĂ© ; les deux sentiments qui prĂ©dominaient en elle Ă©taient une douloureuse confusion lorsqu'elle pensait Ă  Rodolphe
 une aversion profonde lorsqu'elle pensait Ă  M. Charles Robert. Beaucoup de raisons motivaient cette aversion, cette haine. Une femme risquera son repos, son honneur pour un homme ; mais elle ne lui pardonnera jamais de l'avoir mise dans une position humiliante ou ridicule. Or, Mme d'Harville, en butte aux sarcasmes et aux insultants regards de Mme Pipelet, avait failli mourir de honte. Ce n'Ă©tait pas tout. Recevant de Rodolphe l'avis du danger qu'elle courait, ClĂ©mence avait montĂ© prĂ©cipitamment au cinquiĂšme ; la direction de l'escalier Ă©tait telle qu'en le gravissant elle aperçut M. Charles Robert vĂȘtu de son Ă©blouissante robe de chambre, au moment oĂč reconnaissant le pas lĂ©ger de la femme qu'il attendait, il entrebĂąillait sa porte d'un air souriant, confiant et conquĂ©rant
 L'insolente fatuitĂ© du costume significatif du commandant apprit Ă  la marquise combien elle s'Ă©tait grossiĂšrement trompĂ©e sur cet homme. EntraĂźnĂ©e par la bontĂ© de son cƓur, par la gĂ©nĂ©rositĂ© de son caractĂšre Ă  une dĂ©marche qui pouvait la perdre, elle lui avait accordĂ© ce rendez-vous, non par amour, mais seulement par commisĂ©ration, afin de le consoler du rĂŽle ridicule que le mauvais goĂ»t de M. le duc de Lucenay lui avait fait jouer devant elle Ă  l'ambassade de ***. Qu'on juge de la dĂ©convenue, du dĂ©goĂ»t de Mme d'Harville, Ă  l'aspect de M. Charles Robert
 vĂȘtu en triomphateur !
 Neuf heures venaient de sonner Ă  la pendule du petit salon oĂč Mme d'Harville se tenait habituellement. Les modistes et les cabaretiers ont tellement abusĂ© du style Louis XV et du style Renaissance que la marquise, femme de beaucoup de goĂ»t, avait prohibĂ© de son appartement cette espĂšce de luxe devenu si vulgaire, le relĂ©guant dans la partie de l'hĂŽtel d'Harville destinĂ©e aux grandes rĂ©ceptions. Rien de plus Ă©lĂ©gant et de plus distinguĂ© que l'ameublement du salon oĂč la marquise attendait Rodolphe. La tenture et les rideaux, sans pentes ni draperies, Ă©taient d'une Ă©toffe de l'Inde couleur paille ; sur ce fond brillant se dessinaient, brodĂ©es en soie mate de mĂȘme nuance, des arabesques du goĂ»t le plus charmant et le plus capricieux. De doubles rideaux de point d'Alençon cachaient entiĂšrement les vitres. Les portes, en bois de rose, Ă©taient rehaussĂ©es de moulures d'argent dorĂ© trĂšs-dĂ©licatement ciselĂ©es qui encadraient dans chaque panneau un mĂ©daillon ovale en porcelaine de SĂšvres de prĂšs d'un pied de diamĂštre, reprĂ©sentant des oiseaux et des fleurs d'un fini, d'un Ă©clat admirables. Les bordures des glaces et les baguettes de la tenture Ă©taient aussi de bois de rose relevĂ© des mĂȘmes ornements d'argent dorĂ©. La frise de la cheminĂ©e, de marbre blanc, et ses deux cariatides d'une beautĂ© antique et d'une grĂące exquise Ă©taient dues au ciseau magistral de Marochetti, cet artiste Ă©minent ayant consenti Ă  sculpter ce dĂ©licieux chef-d'Ɠuvre, se souvenant sans doute que Benvenuto ne dĂ©daignait pas de modeler des aiguiĂšres et des armures. Deux candĂ©labres et deux flambeaux de vermeil, prĂ©cieusement travaillĂ©s par GouthiĂšre, accompagnaient la pendule, bloc carrĂ© de lapis-lazuli, Ă©levĂ© sur un socle de jaspe oriental et surmontĂ© d'une large et magnifique coupe d'or Ă©maillĂ©e, enrichie de perles et de rubis, et appartenant au plus beau temps de la Renaissance florentine. Plusieurs excellents tableaux de l'Ă©cole vĂ©nitienne, de moyenne grandeur, complĂ©taient un ensemble d'une haute magnificence. GrĂące Ă  une innovation charmante, ce joli salon Ă©tait doucement Ă©clairĂ© par une lampe dont le globe de cristal dĂ©poli disparaissait Ă  demi au milieu d'une touffe de fleurs naturelles contenues dans une profonde et immense coupe de japon bleue, pourpre et or, suspendue au plafond, comme un lustre, par trois grosses chaĂźnes de vermeil, auxquelles s'enroulaient les tiges vertes de plusieurs plantes grimpantes ; quelques-uns de leurs rameaux flexibles et chargĂ©s de fleurs, dĂ©bordant la coupe, retombaient gracieusement, comme une frange de fraĂźche verdure, sur la porcelaine Ă©maillĂ©e d'or, de pourpre et d'azur. Nous insistons sur ces dĂ©tails, sans doute puĂ©rils, pour donner une idĂ©e du bon goĂ»t naturel de Mme d'Harville symptĂŽme presque toujours sĂ»r d'un bon esprit, et parce que certaines misĂšres ignorĂ©es, certains mystĂ©rieux malheurs semblent encore plus poignants lorsqu'ils contrastent avec les apparences de ce qui fait aux yeux de tous la vie heureuse et enviĂ©e. PlongĂ©e dans un grand fauteuil totalement recouvert d'Ă©toffe couleur paille, comme les autres siĂšges, ClĂ©mence d'Harville, coiffĂ©e en cheveux, portait une robe de velours noir montante, sur laquelle se dĂ©coupait le merveilleux travail de son large col et de ses manchettes plates en point d'Angleterre, qui empĂȘchaient le noir du velours de trancher trop crĂ»ment sur l'Ă©blouissante blancheur de ses mains et de son cou. À mesure qu'approchait le moment de son entrevue avec Rodolphe, l'Ă©motion de la marquise redoublait. Pourtant sa confusion fit place Ă  des pensĂ©es plus rĂ©solues aprĂšs de longues rĂ©flexions, elle prit le parti de confier Ă  Rodolphe un grand
 un cruel secret, espĂ©rant que son extrĂȘme franchise lui concilierait peut-ĂȘtre une estime dont elle se montrait si jalouse. RavivĂ© par la reconnaissance, son premier penchant pour Rodolphe se rĂ©veillait avec une nouvelle force. Un de ces pressentiments qui trompent rarement les cƓurs aimants lui disait que le hasard seul n'avait pas amenĂ© le prince si Ă  point pour la sauver et qu'en cessant depuis quelques mois de la voir il avait cĂ©dĂ© Ă  un sentiment tout autre que celui de l'aversion. Un vague instinct Ă©levait aussi dans l'esprit de ClĂ©mence des doutes sur la sincĂ©ritĂ© de l'affection de Sarah. Au bout de quelques minutes, un valet de chambre, aprĂšs avoir discrĂštement frappĂ©, entra et dit Ă  ClĂ©mence – Madame la marquise veut-elle recevoir Mme Asthon et mademoiselle ? – Mais sans doute, comme toujours
, rĂ©pondit Mme d'Harville. Et sa fille entra lentement dans le salon. C'Ă©tait une enfant de quatre ans, qui eĂ»t Ă©tĂ© d'une charmante figure sans sa pĂąleur maladive et sa maigreur extrĂȘme. Mme Asthon, sa gouvernante, la tenait par la main ; Claire c'Ă©tait le nom de l'enfant, malgrĂ© sa faiblesse, se hĂąta d'accourir vers sa mĂšre en lui tendant les bras. Deux nƓuds de rubans cerise rattachaient au-dessus de chaque tempe ses cheveux bruns, nattĂ©s et roulĂ©s de chaque cĂŽtĂ© de son front ; sa santĂ© Ă©tait si frĂȘle qu'elle portait une petite douillette de soie brune ouatĂ©e au lieu d'une de ces jolies robes de mousseline blanche, garnies de rubans pareils Ă  la coiffure, et bien dĂ©colletĂ©es, afin qu'on puisse voir ces bras roses, ces Ă©paules fraĂźches et satinĂ©es, si charmants chez les enfants bien portants. Les grands yeux noirs de cette enfant semblaient Ă©normes, tant ses joues Ă©taient creuses. MalgrĂ© cette apparence dĂ©bile, un sourire plein de gentillesse et de grĂące Ă©panouit les traits de Claire lorsqu'elle fut placĂ©e sur les genoux de sa mĂšre, qui l'embrassait avec une sorte de tendresse triste et passionnĂ©e. – Comment a-t-elle Ă©tĂ© depuis tantĂŽt, madame Asthon ? demanda Mme d'Harville Ă  la gouvernante. – Assez bien, madame la marquise, quoiqu'un moment j'aie craint
 – Encore ! s'Ă©cria ClĂ©mence en serrant sa fille contre son cƓur avec un mouvement d'effroi involontaire. – Heureusement, madame, je m'Ă©tais trompĂ©e, dit la gouvernante ; l'accĂšs n'a pas eu lieu, Mlle Claire s'est calmĂ©e ; elle n'a Ă©prouvĂ© qu'un moment de faiblesse
 Elle a peu dormi cette aprĂšs-dĂźnĂ©e ; mais elle n'a pas voulu se coucher sans venir embrasser Mme la marquise. – Pauvre petit ange aimĂ© ! dit Mme d'Harville en couvrant sa fille de baisers. Celle-ci lui rendait ses caresses avec une joie enfantine, lorsque le valet de chambre ouvrit les deux battants de la porte du salon et annonça – Son Altesse SĂ©rĂ©nissime monseigneur le grand-duc de Gerolstein ! Claire, montĂ©e sur les genoux de sa mĂšre, lui avait jetĂ© ses deux bras autour du cou et l'embrassait Ă©troitement. À l'aspect de Rodolphe, ClĂ©mence rougit, posa doucement sa fille sur le tapis, fit signe Ă  Mme Asthon d'emmener l'enfant et se leva. – Vous me permettrez, madame, dit Rodolphe en souriant aprĂšs avoir saluĂ© respectueusement la marquise, de renouveler connaissance avec mon ancienne petite amie, qui, je le crains bien, m'aura oubliĂ©. Et se courbant un peu, il tendit la main Ă  Claire. Celle-ci attacha d'abord curieusement sur lui ses deux grands yeux noirs ; puis, le reconnaissant, elle fit un gentil signe de tĂȘte et lui envoya un baiser du bout de ses doigts amaigris. – Vous reconnaissez monseigneur, mon enfant ? demanda ClĂ©mence Ă  Claire. Celle-ci baissa la tĂȘte affirmativement et envoya un nouveau baiser Ă  Rodolphe. – Sa santĂ© paraĂźt s'ĂȘtre amĂ©liorĂ©e depuis que je ne l'ai vue, dit-il avec intĂ©rĂȘt en s'adressant Ă  ClĂ©mence. – Monseigneur, elle va un peu mieux, quoique toujours souffrante. La marquise et le prince, aussi embarrassĂ©s l'un que l'autre en songeant Ă  leur prochain entretien, Ă©taient presque satisfaits de le voir reculĂ© de quelques minutes par la prĂ©sence de Claire ; mais la gouvernante ayant discrĂštement emmenĂ© l'enfant, Rodolphe et ClĂ©mence se trouvĂšrent seuls. XVI. Les aveux Le fauteuil de Mme d'Harville Ă©tait placĂ© Ă  droite de la cheminĂ©e, oĂč Rodolphe, restĂ© debout, s'accoudait lĂ©gĂšrement. Jamais ClĂ©mence n'avait Ă©tĂ© plus frappĂ©e du noble et gracieux ensemble des traits du prince ; jamais sa voix ne lui avait semblĂ© plus douce et plus vibrante. Sentant combien il Ă©tait pĂ©nible pour la marquise de commencer cette conversation, Rodolphe lui dit – Vous avez Ă©tĂ©, madame, victime d'une trahison indigne une lĂąche dĂ©lation de la comtesse Sarah Mac-Gregor a failli vous perdre. – Il serait vrai, monseigneur ? s'Ă©cria ClĂ©mence. Mes pressentiments ne me trompaient donc pas
 Et comment Votre Altesse a-t-elle pu savoir ?
 – Hier, par hasard, au bal de la comtesse ***, j'ai dĂ©couvert le secret de cette infamie. J'Ă©tais assis dans un endroit Ă©cartĂ© du jardin d'hiver. Ignorant qu'un massif de verdure me sĂ©parait d'eux et me permettait de les entendre, la comtesse Sarah et son frĂšre vinrent s'entretenir prĂšs de moi de leurs projets et du piĂšge qu'ils vous tendaient. Voulant vous prĂ©venir du pĂ©ril dont vous Ă©tiez menacĂ©e, je me rendis Ă  la hĂąte au bal de Mme de Nerval, croyant vous y trouver vous n'y aviez pas paru. Vous Ă©crire ici ce matin, c'Ă©tait exposer ma lettre Ă  tomber entre les mains du marquis, dont les soupçons devaient ĂȘtre Ă©veillĂ©s. J'ai prĂ©fĂ©rĂ© aller vous attendre rue du Temple, pour dĂ©jouer la trahison de la comtesse Sarah. Vous me pardonnez, n'est-ce pas, de vous entretenir si longtemps d'un sujet qui doit vous ĂȘtre dĂ©sagrĂ©able ? Sans la lettre que vous avez eu la bontĂ© de m'Ă©crire
 de ma vie je ne vous eusse parlĂ© de tout ceci
 AprĂšs un moment de silence, Mme d'Harville dit Ă  Rodolphe – Je n'ai qu'une maniĂšre, monseigneur, de vous prouver ma reconnaissance
 c'est de vous faire un aveu que je n'ai fait Ă  personne. Cet aveu ne me justifiera pas Ă  vos yeux, mais il vous fera peut-ĂȘtre trouver ma conduite moins coupable. – Franchement, madame, dit Rodolphe en souriant, ma position envers vous est trĂšs-embarrassante
 ClĂ©mence, Ă©tonnĂ©e de ce ton presque lĂ©ger, regarda Rodolphe avec surprise. – Comment, monseigneur ? – GrĂące Ă  une circonstance que vous devinerez sans doute, je suis obligĂ© de faire
 un peu le grand-parent, Ă  propos d'une aventure qui, dĂšs que vous aviez Ă©chappĂ© au piĂšge odieux de la comtesse Sarah, ne mĂ©ritait pas d'ĂȘtre prise si gravement
 Mais, ajouta Rodolphe avec une nuance de gravitĂ© douce et affectueuse, votre mari est pour moi presque un frĂšre ; mon pĂšre avait vouĂ© Ă  son pĂšre la plus affectueuse gratitude. C'est donc trĂšs-sĂ©rieusement que je vous fĂ©licite d'avoir rendu Ă  votre mari le repos et la sĂ©curitĂ©. – Et c'est aussi parce que vous honorez M. d'Harville de votre amitiĂ©, monseigneur, que je tiens Ă  vous apprendre la vĂ©ritĂ© tout entiĂšre
 et sur un choix qui doit vous sembler aussi malheureux qu'il l'est rĂ©ellement
 et sur ma conduite, qui offense celui que Votre Altesse appelle presque son frĂšre. – Je serai toujours, madame, heureux et fier de la moindre preuve de votre confiance. Cependant, permettez-moi de vous dire, Ă  propos du choix dont vous parlez, que je sais que vous avez cĂ©dĂ© autant Ă  un sentiment de pitiĂ© sincĂšre qu'Ă  l'obsession de la comtesse Sarah Mac-Gregor, qui avait ses raisons pour vouloir vous perdre
 Je sais encore que vous avez hĂ©sitĂ© longtemps avant de vous rĂ©soudre Ă  la dĂ©marche que vous regrettez tant Ă  cette heure. ClĂ©mence regarda le prince avec surprise. – Cela vous Ă©tonne ! Je vous dirai mon secret un autre jour, afin de ne pas passer Ă  vos yeux pour sorcier, reprit Rodolphe en souriant. Mais votre mari est-il complĂštement rassurĂ© ? – Oui, monseigneur, dit ClĂ©mence en baissant les yeux avec confusion ; et, je vous l'avoue, il m'est pĂ©nible de l'entendre me demander pardon de m'avoir soupçonnĂ©e, et s'extasier sur mon modeste silence Ă  propos de mes bonnes Ɠuvres. – Il est heureux de son illusion, ne vous la reprochez pas, maintenez-le toujours, au contraire, dans sa douce erreur
 S'il ne m'Ă©tait interdit de parler lĂ©gĂšrement de cette aventure, et s'il ne s'agissait pas de vous, madame
 je dirais que jamais une femme n'est plus charmante pour son mari que lorsqu'elle a quelque tort Ă  dissimuler. On n'a pas idĂ©e de toutes les sĂ©duisantes cĂąlineries qu'une mauvaise conscience inspire, on n'imagine pas toutes les fleurs ravissantes que fait souvent Ă©clore une perfidie
 Quand j'Ă©tais jeune, ajouta Rodolphe, en souriant, j'Ă©prouvais toujours, malgrĂ© moi, une vague dĂ©fiance lors de certains redoublements de tendresse ; et comme de mon cĂŽtĂ© je ne me sentais jamais plus Ă  mon avantage que lorsque j'avais quelque chose Ă  me faire pardonner, dĂšs qu'on se montrait pour moi aussi perfidement aimable que je voulais le paraĂźtre, j'Ă©tais bien sĂ»r que ce charmant accord
 cachait une infidĂ©litĂ© mutuelle. Mme d'Harville s'Ă©tonnait de plus en plus d'entendre Rodolphe parler en raillant d'une aventure qui aurait pu avoir pour elle des suites si terribles ; mais devinant bientĂŽt que le prince, par cette affectation de lĂ©gĂšretĂ©, tĂąchait d'amoindrir l'importance du service qu'il lui avait rendu, elle lui dit, profondĂ©ment touchĂ©e de cette dĂ©licatesse – Je comprends votre gĂ©nĂ©rositĂ©, monseigneur
 Permis Ă  vous maintenant de plaisanter et d'oublier le pĂ©ril auquel vous m'avez arrachĂ©e
 Mais ce que j'ai Ă  vous dire, moi, est si grave, si triste, cela a tant de rapport avec les Ă©vĂ©nements de ce matin, vos conseils peuvent m'ĂȘtre si utiles, que je vous supplie de vous rappeler que vous m'avez sauvĂ© l'honneur et la vie
 oui, monseigneur, la vie
 Mon mari Ă©tait armĂ© ; il me l'a avouĂ© dans l'excĂšs de son repentir ; il voulait me tuer !
 – Grand Dieu ! s'Ă©cria Rodolphe avec une vive Ă©motion. – C'Ă©tait son droit, reprit amĂšrement Mme d'Harville. – Je vous en conjure, madame, rĂ©pondit Rodolphe trĂšs-sĂ©rieusement cette fois, croyez-moi, je suis incapable de rester indiffĂ©rent Ă  ce qui vous intĂ©resse ; si tout Ă  l'heure j'ai plaisantĂ©, c'est que je ne voulais pas appesantir tristement votre pensĂ©e sur cette matinĂ©e, qui a dĂ» vous causer une si terrible Ă©motion. Maintenant, madame, je vous Ă©coute religieusement, puisque vous me faites la grĂące de me dire que mes conseils peuvent vous ĂȘtre bons Ă  quelque chose. – Oh ! bien utiles, monseigneur ! Mais, avant de vous les demander, permettez-moi de vous dire quelques mots d'un passĂ© que vous ignorez
 des annĂ©es qui ont prĂ©cĂ©dĂ© mon mariage avec M. d'Harville. Rodolphe s'inclina, ClĂ©mence continua – À seize ans je perdis ma mĂšre, dit-elle sans pouvoir retenir une larme. Je ne vous dirai pas combien je l'adorai ; figurez-vous, monseigneur, l'idĂ©al de la bontĂ© sur la terre ; sa tendresse pour moi Ă©tait extrĂȘme, elle y trouvait une consolation profonde Ă  d'amers chagrins
 Aimant peu le monde, d'une santĂ© dĂ©licate, naturellement trĂšs-sĂ©dentaire, son plus grand plaisir avait Ă©tĂ© de se charger seule de mon instruction car ses connaissances solides, variĂ©es, lui permettaient de remplir mieux que personne la tĂąche qu'elle s'Ă©tait imposĂ©e. Jugez, monseigneur, de son Ă©tonnement, du mien, lorsque Ă  seize ans, au moment oĂč mon Ă©ducation Ă©tait presque terminĂ©e, mon pĂšre, prĂ©textant la faiblesse de la santĂ© de ma mĂšre, nous annonça qu'une jeune veuve fort distinguĂ©e, que de grands malheurs rendaient trĂšs-intĂ©ressante, se chargerait d'achever ce que ma mĂšre avait commencé  Ma mĂšre se refusa d'abord au dĂ©sir de mon pĂšre. Moi-mĂȘme je le suppliai de ne pas mettre entre elle et moi une Ă©trangĂšre ; il fut inexorable, malgrĂ© nos larmes. Mme Roland, veuve d'un colonel mort dans l'Inde, disait-elle, vint habiter avec nous et fut chargĂ©e de remplir auprĂšs de moi les fonctions d'institutrice. – Comment ! c'est cette Mme Roland que monsieur votre pĂšre a Ă©pousĂ©e presque aussitĂŽt aprĂšs votre mariage ? – Oui, monseigneur. – Elle Ă©tait donc trĂšs-belle ? – MĂ©diocrement jolie, monseigneur. – TrĂšs-spirituelle, alors ? – De la dissimulation, de la ruse, rien de plus. Elle avait vingt-cinq ans environ, des cheveux blonds trĂšs-pĂąles, des cils presque blancs, de grands yeux ronds d'un bleu clair ; sa physionomie Ă©tait humble et doucereuse ; son caractĂšre, perfide jusqu'Ă  la cruautĂ©, Ă©tait en apparence prĂ©venant jusqu'Ă  la bassesse. – Et son instruction ? – ComplĂštement nulle, monseigneur ; et je ne puis comprendre comment mon pĂšre, jusqu'alors si esclave des convenances, n'avait pas songĂ© que l'incapacitĂ© de cette femme trahirait scandaleusement le vĂ©ritable motif de sa prĂ©sence chez lui. Ma mĂšre lui fit observer que Mme Roland Ă©tait d'une ignorance profonde ; il lui rĂ©pondit, avec un accent qui n'admettait pas de rĂ©plique, que, savante ou non, cette jeune et intĂ©ressante veuve garderait chez lui la position qu'il lui avait faite. Je l'ai su plus tard dĂšs ce moment ma pauvre mĂšre comprit tout et s'affecta profondĂ©ment, dĂ©plorant moins, je pense, l'infidĂ©litĂ© de mon pĂšre que les dĂ©sordres intĂ©rieurs que cette liaison devait amener et dont le bruit pouvait parvenir jusqu'Ă  moi. – Mais, en effet, mĂȘme au point de vue de sa folle passion, monsieur votre pĂšre faisait, ce me semble, un mauvais calcul, en introduisant cette femme chez lui. – Votre Ă©tonnement redoublerait encore, monseigneur, si vous saviez que mon pĂšre est l'homme du caractĂšre le plus formaliste et le plus entier que je connaisse ; il fallait, pour l'amener Ă  un pareil oubli de toute convenance, l'influence excessive de Mme Roland, influence d'autant plus certaine qu'elle la dissimulait sous les dehors d'une violente passion pour lui. – Mais quel Ăąge avait donc alors monsieur votre pĂšre ? – Soixante ans environ. – Et il croyait Ă  l'amour de cette jeune femme ? – Mon pĂšre a Ă©tĂ© un des hommes les plus Ă  la mode de son temps ; Mme Roland, obĂ©issant Ă  son instinct ou Ă  d'habiles conseils
 – Des conseils ! Et qui pouvait la conseiller ? – Je vous le dirai tout Ă  l'heure, monseigneur. Devinant qu'un homme Ă  bonnes fortunes, lorsqu'il atteint la vieillesse, aime d'autant plus Ă  ĂȘtre flattĂ© sur ses agrĂ©ments extĂ©rieurs que ces louanges lui rappellent le plus beau temps de sa vie, cette femme, le croiriez-vous, monseigneur ? flatta mon pĂšre sur la grĂące et sur le charme de ses traits, sur l'Ă©lĂ©gance inimitable de sa taille et de sa tournure ; et il avait soixante ans
 Tout le monde apprĂ©cie sa haute intelligence, et il a donnĂ© aveuglĂ©ment dans ce piĂšge grossier. Telle a Ă©tĂ©, telle est encore, je n'en doute pas, la cause de l'influence de cette femme sur lui. Tenez, monseigneur, malgrĂ© mes tristes prĂ©occupations, je ne puis m'empĂȘcher de sourire en me rappelant avoir, avant mon mariage, souvent entendu dire et soutenir par Mme Roland que ce qu'elle appelait la maturitĂ© rĂ©elle » Ă©tait le plus bel Ăąge de la vie. Cette maturitĂ© rĂ©elle » ne commençait guĂšre, il est vrai, que vers cinquante-cinq ou soixante ans. – L'Ăąge de monsieur votre pĂšre ? – Oui, monseigneur. Alors seulement, disait Mme Roland, l'esprit et l'expĂ©rience avaient acquis leur dernier dĂ©veloppement ; alors seulement un homme Ă©minemment placĂ© dans le monde jouissait de toute la considĂ©ration Ă  laquelle il pouvait prĂ©tendre ; alors seulement aussi l'ensemble de ses traits, la bonne grĂące de ses maniĂšres atteignaient leur perfection, la physionomie offrant Ă  cette Ă©poque de la vie un rare et divin mĂ©lange de gracieuse sĂ©rĂ©nitĂ© et de douce gravitĂ©. Enfin, une lĂ©gĂšre teinte de mĂ©lancolie, causĂ©e par les dĂ©ceptions qu'amĂšne toujours l'expĂ©rience, complĂ©tait le charme irrĂ©sistible de la maturitĂ© rĂ©elle » ; charme seulement apprĂ©ciable, se hĂątait d'ajouter Mme Roland, pour les femmes d'esprit et de cƓur qui ont le bon goĂ»t de hausser les Ă©paules aux Ă©clats de la jeunesse effarĂ©e de ces petits Ă©tourdis de quarante ans, dont le caractĂšre n'offre aucune sĂ»retĂ© et dont les traits d'une insignifiante juvĂ©nilitĂ© ne sont pas encore poĂ©tisĂ©s par cette majestueuse expression qui dĂ©cĂšle la science profonde de la vie. Rodolphe ne put s'empĂȘcher de sourire de la verve ironique avec laquelle Mme d'Harville traçait le portrait de sa belle-mĂšre. – Il est une chose que je ne pardonne jamais aux gens ridicules, dit-il Ă  la marquise. – Quoi donc, monseigneur ? – C'est d'ĂȘtre mĂ©chants
 cela empĂȘche de rire d'eux tout Ă  son aise. – C'est peut-ĂȘtre un calcul de leur part, dit ClĂ©mence. – Je le croirais assez, et c'est dommage ; car, par exemple, si je pouvais oublier que cette Mme Roland vous a nĂ©cessairement fait beaucoup de mal, je m'amuserais fort de cette invention de maturitĂ© rĂ©elle » opposĂ©e Ă  la folle jeunesse de ces Ă©tourneaux de quarante ans, qui, selon cette femme, semblent Ă  peine sortir de page », comme auraient dit nos grands-parents. – Du moins, mon pĂšre est, je crois, heureux des illusions dont, Ă  cette heure, ma belle-mĂšre l'entoure. – Et sans doute, dĂšs Ă  prĂ©sent, punie de sa faussetĂ©, elle subit les consĂ©quences de son semblant d'amour passionnĂ© ; monsieur votre pĂšre l'a prise au mot, il l'entoure de solitude et d'amour. Or, permettez-moi de vous le dire, la vie de votre belle-mĂšre doit ĂȘtre aussi insupportable que celle de son mari doit ĂȘtre heureuse figurez-vous l'orgueilleuse joie d'un homme de soixante ans, habituĂ© au succĂšs, qui se croit encore assez passionnĂ©ment aimĂ© d'une jeune femme pour lui inspirer le dĂ©sir de s'enfermer avec lui dans un complet isolement. – Aussi, monseigneur, puisque mon pĂšre se trouve heureux, je n'aurais peut-ĂȘtre pas Ă  me plaindre de Mme Roland ; mais son odieuse conduite envers ma mĂšre
 mais la part malheureusement trop active qu'elle a prise Ă  mon mariage causent mon aversion pour elle, dit Mme d'Harville aprĂšs un moment d'hĂ©sitation. Rodolphe la regarda avec surprise. – M. d'Harville est votre ami, monseigneur, reprit ClĂ©mence d'une voix ferme. Je sais la gravitĂ© des paroles que je viens de prononcer
 Tout Ă  l'heure vous me direz si elles sont justes. Mais je reviens Ă  Mme Roland, Ă©tablie auprĂšs de moi comme institutrice, malgrĂ© son incapacitĂ© reconnue. Ma mĂšre eut Ă  ce sujet une explication pĂ©nible avec mon pĂšre, et lui signifia que, voulant au moins protester contre l'intolĂ©rable position de cette femme, elle ne paraĂźtrait plus dĂ©sormais Ă  table si Mme Roland ne quittait pas Ă  l'instant la maison. Ma mĂšre Ă©tait la douceur, la bontĂ© mĂȘme ; mais elle devenait d'une indomptable fermetĂ© lorsqu'il s'agissait de sa dignitĂ© personnelle. Mon pĂšre fut inflexible, elle tint sa promesse ; de ce moment, nous vĂ©cĂ»mes complĂštement retirĂ©es dans son appartement. Mon pĂšre me tĂ©moigna dĂšs lors autant de froideur qu'Ă  ma mĂšre, pendant que Mme Roland faisait presque publiquement les honneurs de notre maison, toujours en qualitĂ© de mon institutrice. – À quelles extrĂ©mitĂ©s une folle passion ne porte-t-elle pas les esprits les plus Ă©minents ! Et puis on nous enorgueillit bien plus en nous louant des qualitĂ©s ou des avantages que nous ne possĂ©dons pas ou que nous ne possĂ©dons plus, qu'en nous louant de ceux que nous avons. Prouver Ă  un homme de soixante ans qu'il n'en a que trente, c'est l'a b c de la flatterie
 et plus une flatterie est grossiĂšre, plus elle a de succĂšs
 HĂ©las nous autres princes, nous savons cela. – On fait Ă  ce sujet tant d'expĂ©riences sur vous ; monseigneur
 – Sous ce rapport, monsieur votre pĂšre a Ă©tĂ© traitĂ© en roi
 Mais votre mĂšre devait horriblement souffrir. – Plus encore pour moi que pour elle, monseigneur, car elle songeait Ă  l'avenir
 Sa santĂ©, dĂ©jĂ  trĂšs-dĂ©licate, s'affaiblit encore ; elle tomba gravement malade ; la fatalitĂ© voulut que le mĂ©decin de la maison, M. Sorbier, mourĂ»t ; ma mĂšre avait toute confiance en lui, elle le regretta vivement. Mme Roland avait pour mĂ©decin et pour ami un docteur italien d'un grand mĂ©rite, disait-elle ; mon pĂšre, circonvenu, le consulta quelquefois, s'en trouva bien, et le proposa Ă  ma mĂšre, qui le prit, hĂ©las ! et ce fut lui qui la soigna pendant sa derniĂšre maladie
 À ces mots, les yeux de Mme d'Harville se remplirent de larmes. J'ai honte de vous avouer cette faiblesse, monseigneur, ajouta-t-elle, mais, par cela seulement que ce mĂ©decin avait Ă©tĂ© donnĂ© Ă  mon pĂšre par Mme Roland, il m'inspirait alors sans aucune raison un Ă©loignement involontaire ; je vis avec une sorte de crainte ma mĂšre lui accorder sa confiance ; pourtant, sous le rapport de la science, le docteur Polidori
 – Que dites-vous, madame ? s'Ă©cria Rodolphe. – Qu'avez-vous, monseigneur ? dit ClĂ©mence stupĂ©faite de l'expression des traits de Rodolphe. Mais non, se dit le prince en se parlant Ă  lui-mĂȘme, je me trompe sans doute
 il y a cinq ou six ans de cela, tandis que l'on m'a dit que Polidori n'Ă©tait Ă  Paris que depuis deux ans environ, cachĂ© sous un faux nom
 c'est bien lui que j'ai vu hier
 ce charlatan Bradamanti
 Pourtant
 deux mĂ©decins de ce nom
 quelle singuliĂšre rencontre !
 » – Madame, quelques mots sur ce docteur Polidori, dit Rodolphe Ă  Mme d'Harville, qui le regardait avec une surprise croissante ; quel Ăąge avait cet Italien ? – Mais cinquante ans environ. – Et sa figure
 sa physionomie ? – Sinistre
 Je n'oublierai jamais ses yeux d'un vert clair
 son nez recourbĂ© comme le bec d'un aigle. – C'est lui !
 c'est bien lui !
 s'Ă©cria Rodolphe. Et croyez-vous, madame, que le docteur Polidori habite encore Paris ? demanda Rodolphe Ă  Mme d'Harville. – Je ne sais, monseigneur. Environ un an aprĂšs le mariage de mon pĂšre, il a quittĂ© Paris ; une femme de mes amies, dont cet Italien Ă©tait aussi le mĂ©decin Ă  cette Ă©poque, Mme de Lucenay
 – La duchesse de Lucenay ! s'Ă©cria Rodolphe. – Oui, monseigneur
 Pourquoi cet Ă©tonnement ? – Permettez-moi de vous en taire la cause
 Mais, Ă  cette Ă©poque, que vous disait Mme de Lucenay sur cet homme ? – Qu'il lui Ă©crivait souvent, depuis son dĂ©part de Paris, des lettres fort spirituelles sur les pays qu'il visitait ; car il voyageait beaucoup
 Maintenant
 je me rappelle qu'il y a un mois environ, demandant Ă  Mme de Lucenay si elle recevait toujours des nouvelles de M. Polidori, elle me rĂ©pondit d'un air embarrassĂ© que depuis longtemps on n'en entendait plus parler, qu'on ignorait ce qu'il Ă©tait devenu, que quelques personnes mĂȘme le croyaient mort. – C'est singulier, dit Rodolphe, se souvenant de la visite de Mme de Lucenay au charlatan Bradamanti. – Vous connaissez donc cet homme, monseigneur ? – Oui, malheureusement pour moi
 Mais, de grĂące, continuez votre rĂ©cit ; plus tard je vous dirai ce que c'est que ce Polidori
 – Comment ? Ce mĂ©decin
 – Dites plutĂŽt cet homme souillĂ© des crimes les plus odieux. – Des crimes !
 s'Ă©cria Mme d'Harville avec effroi ; il a commis des crimes, cet homme
 l'ami de Mme Roland et le mĂ©decin de ma mĂšre ! Ma mĂšre est morte entre ses mains aprĂšs quelques jours de maladie !
 Ah ! monseigneur, vous m'Ă©pouvantez !
 vous m'en dites trop ou pas assez !
 – Sans accuser cet homme d'un crime de plus, sans accuser votre belle-mĂšre d'une effroyable complicitĂ©, je dis que vous devez peut-ĂȘtre remercier Dieu de ce que votre pĂšre, aprĂšs son mariage avec Mme Roland, n'ait pas eu besoin des soins de Polidori
 – Ô mon Dieu ! s'Ă©cria Mme d'Harville avec une expression dĂ©chirante, mes pressentiments ne me trompaient donc pas ! – Vos pressentiments ! – Oui
 tout Ă  l'heure, je vous parlais de l'Ă©loignement que m'inspirait ce mĂ©decin, parce qu'il avait Ă©tĂ© introduit chez nous par Mme Roland ; je ne vous ai pas tout dit, monseigneur
 – Comment ? – Je craignais d'accuser un innocent, de trop Ă©couter l'amertume de mes regrets. Mais je vais tout vous dire, monseigneur. La maladie de ma mĂšre durait depuis cinq jours ; je l'avais toujours veillĂ©e. Un soir j'allai respirer l'air du jardin sur la terrasse de notre maison. Au bout d'un quart d'heure, je rentrai par un long corridor obscur. À la faible clartĂ© d'une lumiĂšre qui s'Ă©chappait de la porte de l'appartement de Mme Roland, je vis sortir M. Polidori. Cette femme l'accompagnait. J'Ă©tais dans l'ombre ; ils ne m'apercevaient pas. Mme Roland lui dit Ă  voix trĂšs-basse quelques paroles que je ne pus entendre. Le mĂ©decin rĂ©pondit d'un ton plus haut ces seuls mots AprĂšs-demain. » Et comme Mme Roland lui parlait encore Ă  voix basse, il reprit avec un accent singulier AprĂšs-demain, vous dis-je, aprĂšs-demain
 » – Que signifiaient ces paroles ? – Ce que cela signifiait, monseigneur ? Le mercredi soir, M. Polidori disait AprĂšs-demain
 Le vendredi
 ma mĂšre Ă©tait morte !
 – Oh ! c'est affreux !
 – Lorsque je pus rĂ©flĂ©chir et me souvenir, ce mot aprĂšs-demain », qui semblait avoir prĂ©dit l'Ă©poque de la mort de ma mĂšre, me revint Ă  la pensĂ©e ; je crus que M. Polidori, instruit par la science du peu de temps que ma mĂšre avait encore Ă  vivre, s'Ă©tait hĂątĂ© d'en aller instruire Mme Roland
 Mme Roland, qui avait tant de raisons de se rĂ©jouir de cette mort. Cela seul m'avait fait prendre cet homme et cet femme en horreur
 Mais jamais je n'aurais osĂ© supposer
 Oh ! non, non, encore Ă  cette heure, je ne puis croire Ă  un pareil crime ! – Polidori est le seul mĂ©decin qui ait donnĂ© ses soins Ă  votre malheureuse mĂšre ? – La veille du jour oĂč je l'ai perdue, cet homme avait amenĂ© en consultation un de ses confrĂšres. Selon ce que m'apprit ensuite mon pĂšre, ce mĂ©decin avait trouvĂ© ma mĂšre dans un Ă©tat trĂšs-dangereux
 AprĂšs ce funeste Ă©vĂ©nement, on me conduisit chez une de nos parentes. Elle avait tendrement aimĂ© ma mĂšre. Oubliant la rĂ©serve que mon Ăąge lui commandait, cette parente m'apprit sans mĂ©nagement combien j'avais de raisons de haĂŻr Mme Roland. Elle m'Ă©claira sur les ambitieuses espĂ©rances que cette femme devait dĂšs lors concevoir. Cette rĂ©vĂ©lation m'accabla ; je compris enfin tout ce que ma mĂšre avait dĂ» souffrir. Lorsque je revis mon pĂšre, mon cƓur se brisa il venait me chercher pour m'emmener en Normandie ; nous devions y passer les premiers temps de notre deuil. Pendant la route, il pleura beaucoup et me dit qu'il n'avait que moi pour l'aider Ă  supporter ce coup affreux. Je lui rĂ©pondis avec expansion qu'il ne me restait non plus que lui depuis la perte de la plus adorĂ©e des mĂšres. AprĂšs quelques mots sur l'embarras oĂč il se trouverait s'il Ă©tait forcĂ© de me laisser seule pendant les absences que ses affaires le forçaient de faire de temps Ă  autre, il m'apprit sans transition, et comme la chose la plus naturelle du monde, que, par bonheur pour lui et pour moi, Mme Roland consentait Ă  prendre la direction de sa maison et Ă  me servir de guide et d'amie. L'Ă©tonnement, la douleur, l'indignation me rendirent muette ; je pleurai en silence. Mon pĂšre me demanda la cause de mes larmes ; je m'Ă©criai, avec trop d'amertume sans doute, que jamais je n'habiterais la mĂȘme maison que Mme Roland ; car je mĂ©prisais cette femme autant que je la haĂŻssais Ă  cause des chagrins qu'elle avait causĂ©s Ă  ma mĂšre. Il resta calme, combattit ce qu'il appelait mon enfantillage et me dit froidement que sa rĂ©solution Ă©tait inĂ©branlable, et que je m'y soumettrais. Je le suppliai de me permettre de me retirer au SacrĂ©-CƓur, oĂč j'avais quelques amies j'y resterais jusqu'au moment oĂč il jugerait Ă  propos de me marier. Il me fit observer que le temps Ă©tait passĂ© oĂč l'on se mariait Ă  la grille d'un couvent ; que mon empressement Ă  le quitter lui serait trĂšs-sensible, s'il ne voyait dans mes paroles une exaltation excusable, mais peu sensĂ©e, qui se calmerait nĂ©cessairement ; puis il m'embrassa au front en m'appelant mauvaise tĂȘte. HĂ©las ! en effet, il fallait me soumettre. Jugez, monseigneur, de ma douleur ! Vivre de la vie de chaque jour avec une femme Ă  qui je reprochais presque la mort de ma mĂšre
 Je prĂ©voyais les scĂšnes les plus cruelles entre mon pĂšre et moi, aucune considĂ©ration ne pouvant m'empĂȘcher de tĂ©moigner mon aversion pour Mme Roland. Il me semblait qu'ainsi je vengerais ma mĂšre, tandis que la moindre parole d'affection dite Ă  cette femme m'eĂ»t paru une lĂąchetĂ© sacrilĂšge. – Mon Dieu, que cette existence dut vous ĂȘtre pĂ©nible
 que j'Ă©tais loin de penser que vous eussiez dĂ©jĂ  tant souffert lorsque j'avais le plaisir de vous voir davantage ! Jamais un mot de vous ne m'avait fait soupçonner
 – C'est qu'alors, monseigneur, je n'avais pas Ă  m'excuser Ă  vos yeux d'une faiblesse impardonnable
 Si je vous parle si longuement de cette Ă©poque de ma vie, c'est pour vous faire comprendre dans quelle position j'Ă©tais lorsque je me suis mariĂ©e
 et pourquoi, malgrĂ© un avertissement qui aurait dĂ» m'Ă©clairer, j'ai Ă©pousĂ© M. d'Harville. En arrivant aux Aubiers c'est le nom de la terre de mon pĂšre, la premiĂšre personne qui vint Ă  notre rencontre fut Mme Roland. Elle avait Ă©tĂ© s'Ă©tablir dans cette terre le jour de la mort de ma mĂšre. MalgrĂ© son air humble et doucereux, elle laissait dĂ©jĂ  percer une joie triomphante mal dissimulĂ©e. Je n'oublierai jamais le regard Ă  la fois ironique et mĂ©chant qu'elle me jeta lors de mon arrivĂ©e ; elle semblait me dire Je suis ici chez moi, c'est vous qui ĂȘtes l'Ă©trangĂšre. » Un nouveau chagrin m'Ă©tait rĂ©servĂ© soit manque de tact impardonnable, soit impudence Ă©hontĂ©e, cette femme occupait l'appartement de ma mĂšre. Dans mon indignation, je me plaignis Ă  mon pĂšre d'une pareille inconvenance ; il me rĂ©pondit sĂ©vĂšrement que cela devait d'autant moins m'Ă©tonner qu'il fallait m'habituer Ă  considĂ©rer et Ă  respecter Mme Roland comme une seconde mĂšre. Je lui dis que ce serait profaner ce nom sacrĂ©, et Ă  son grand courroux je ne manquai aucune occasion de tĂ©moigner mon aversion Ă  Mme Roland ; plusieurs fois il s'emporta et me rĂ©primanda durement devant cette femme. Il me reprochait mon ingratitude, ma froideur envers l'ange de consolation que la Providence nous avait envoyĂ©. Je vous en prie, mon pĂšre, parlez pour vous », lui dis-je un jour. Il me traita cruellement. Mme Roland, de sa voix mielleuse, intercĂ©da pour moi avec une profonde hypocrisie. Soyez indulgent pour ClĂ©mence, disait-elle les regrets que lui inspire l'excellente personne que nous pleurons tous sont si naturels, si louables, qu'il faut avoir Ă©gard Ă  sa douleur, et la plaindre mĂȘme dans ses emportements. – Eh bien ! me disait mon pĂšre en me montrant Mme Roland avec admiration, vous l'entendez ! Est-elle assez bonne, assez gĂ©nĂ©reuse ? C'est en vous jetant dans ses bras que vous devriez lui rĂ©pondre. – Cela est inutile, mon pĂšre ; madame me hait
 et je la hais. – Ah ! ClĂ©mence ! vous me faites bien du mal, mais je vous pardonne, ajouta Mme Roland en levant les yeux au ciel. – Mon amie ! ma noble amie ! s'Ă©cria mon pĂšre d'une voix Ă©mue, calmez-vous, je vous en conjure par Ă©gard pour moi, ayez pitiĂ© d'une folle assez Ă  plaindre pour vous mĂ©connaĂźtre ainsi ! Puis, me lançant des regards irritĂ©s – Tremblez, s'Ă©cria-t-il, si vous osez encore outrager l'Ăąme la plus belle qu'il y ait au monde ; faites-lui Ă  l'instant vos excuses. – Ma mĂšre me voit et m'entend
 elle ne me pardonnerait pas cette lĂąchetĂ© », dis-je Ă  mon pĂšre ; et je sortis, le laissant occupĂ© de consoler Mme Roland et d'essuyer ses larmes menteuses
 Pardon, monseigneur, de m'appesantir sur ces puĂ©rilitĂ©s, mais elles peuvent seules vous donner une idĂ©e de la vie que je menais alors. – Je crois assister Ă  ces scĂšnes intĂ©rieures si tristement et si humainement vraies
 Dans combien de familles elles ont dĂ» se renouveler, et combien de fois elles se renouvelleront encore !
 Rien de plus vulgaire, et partant rien de plus habile que la conduite de Mme Roland ; cette simplicitĂ© de moyens dans la perfidie la met Ă  la portĂ©e de tant d'intelligences mĂ©diocres
 Et encore ce n'est pas cette femme qui Ă©tait habile, c'est votre pĂšre qui Ă©tait aveugle ; mais en quelle qualitĂ© prĂ©sentait-il Mme Roland au voisinage ? – Comme mon institutrice et son amie
 et on l'acceptait ainsi. – Je n'ai pas besoin de vous demander s'il vivait dans le mĂȘme isolement ? – À l'exception de quelques rares visites, forcĂ©es par des relations de voisinage et d'affaires, nous ne voyions personne ; mon pĂšre, complĂštement dominĂ© par sa passion et cĂ©dant sans doute aux instances de Mme Roland, quitta au bout de trois mois Ă  peine le deuil de ma mĂšre, sous prĂ©texte que le deuil
 se portait dans le cƓur
 Sa froideur pour moi augmenta de plus en plus, son indiffĂ©rence allait Ă  ce point qu'il me laissait une libertĂ© incroyable pour une jeune personne de mon Ăąge. Je le voyais Ă  l'heure du dĂ©jeuner il rentrait ensuite chez lui avec Mme Roland, qui lui servait de secrĂ©taire pour sa correspondance d'affaires ; puis il sortait avec elle en voiture ou Ă  pied et ne rentrait qu'une heure avant le dĂźner
 Mme Roland faisait une fraĂźche et charmante toilette ; mon pĂšre s'habillait avec une recherche Ă©trange Ă  son Ăąge ; quelquefois, aprĂšs dĂźner, il recevait les gens qu'il ne pouvait s'empĂȘcher de voir ; il faisait ensuite, jusqu'Ă  dix heures, une partie de trictrac avec Mme Roland, puis il lui offrait le bras pour la conduire Ă  la chambre de ma mĂšre, lui baisait respectueusement la main et se retirait. Quant Ă  moi, je pouvais disposer de ma journĂ©e, monter Ă  cheval suivie d'un domestique, ou faire Ă  ma guise de longues promenades dans les bois qui environnaient le chĂąteau ; quelquefois, accablĂ©e de tristesse, je ne parus pas au dĂ©jeuner, mon pĂšre ne s'en inquiĂ©ta mĂȘme pas
 – Quel singulier oubli !
 quel abandon !
 – Ayant plusieurs fois de suite rencontrĂ© un de nos voisins dans les bois oĂč je montais ordinairement Ă  cheval, je renonçai Ă  ces promenades et je ne sortis plus du parc. – Mais quelle Ă©tait la conduite de cette femme envers vous lorsque vous Ă©tiez seule avec elle ? – Ainsi que moi, elle Ă©vitait autant que possible ces rencontres. Une seule fois, faisant allusion Ă  quelques paroles dures que je lui avais adressĂ©es la veille, elle me dit froidement Prenez garde, vous voulez lutter avec moi
 vous serez brisĂ©e. – Comme ma mĂšre ? lui dis-je ; il est fĂącheux, madame, que M. Polidori ne soit pas lĂ  pour vous affirmer que ce sera
 aprĂšs-demain. » Ces mots firent sur Mme Roland une impression profonde qu'elle surmonta bientĂŽt. Maintenant que je sais, grĂące Ă  vous, monseigneur, ce que c'est que le docteur Polidori, et de quoi il est capable, l'espĂšce d'effroi que tĂ©moigna Mme Roland en m'entendant lui rappeler ces mystĂ©rieuses paroles confirmerait peut-ĂȘtre d'horribles soupçons
 Mais non
 non, je ne veux pas croire cela
 Je serais trop Ă©pouvantĂ©e en songeant que mon pĂšre est Ă  cette heure presque Ă  la merci de cette femme. – Et que vous rĂ©pondit-elle lorsque vous lui avez rappelĂ© ces mots de Polidori ? – Elle rougit d'abord ; puis, surmontant son Ă©motion, elle me demanda froidement ce que je voulais dire. Quand vous serez seule, madame, interrogez-vous Ă  ce sujet, vous vous rĂ©pondrez. » À peu de temps de lĂ  eut lieu une scĂšne qui dĂ©cida pour ainsi dire de mon sort. Parmi un grand nombre de tableaux de famille ornant un salon oĂč nous nous rassemblions le soir, se trouvait le portrait de ma mĂšre. Un jour je m'aperçus de sa disparition. Deux de nos voisins avaient dĂźnĂ© avec nous l'un d'eux, M. Dorval, notaire du pays, avait toujours tĂ©moignĂ© Ă  ma mĂšre la plus profonde vĂ©nĂ©ration. En arrivant dans le salon OĂč est donc le portrait de ma mĂšre ? dis-je Ă  mon pĂšre. – La vue de ce tableau me causait trop de regrets, me rĂ©pondit mon pĂšre d'un air embarrassĂ©, en me montrant d'un coup d'Ɠil les Ă©trangers tĂ©moins de cet entretien. – Et oĂč est ce portrait maintenant, mon pĂšre ? » Se tournant vers Mme Roland et l'interrogeant du regard avec un mouvement d'impatience – OĂč a-t-on mis le portrait ? lui demanda-t-il. – Au garde-meuble, rĂ©pondit-elle en me jetant cette fois un coup d'Ɠil de dĂ©fi, croyant que la prĂ©sence de nos voisins m'empĂȘcherait de lui rĂ©pondre. – Je conçois, madame, lui dis-je froidement, que le regard de ma mĂšre devait vous peser beaucoup ; mais ce n'Ă©tait pas une raison pour relĂ©guer au grenier le portrait d'une femme qui, lorsque vous Ă©tiez misĂ©rable, vous a charitablement permis de vivre dans sa maison. » – TrĂšs-bien ! s'Ă©cria Rodolphe. Ce dĂ©dain glacial Ă©tait Ă©crasant. – Mademoiselle ! s'Ă©cria mon pĂšre. – Vous avouerez pourtant, lui dis-je en l'interrompant, qu'une personne qui insulte lĂąchement Ă  la mĂ©moire d'une femme qui lui a fait l'aumĂŽne ne mĂ©rite que dĂ©dain et aversion. » Mon pĂšre resta un moment stupĂ©fait Mme Roland devint pourpre de honte et de colĂšre ; les voisins trĂšs-embarrassĂ©s baissĂšrent les yeux et gardĂšrent le silence. – Mademoiselle, reprit mon pĂšre, vous oubliez que madame Ă©tait l'amie de votre mĂšre ; vous oubliez que madame a veillĂ© et veille encore sur votre Ă©ducation avec une sollicitude maternelle
 vous oubliez enfin que je professe pour elle la plus respectueuse estime
 Et puisque vous vous permettez une si inconvenante sortie devant ces messieurs, je vous dirai, moi, que les ingrats et les lĂąches sont ceux qui, oubliant les soins les plus tendres, osent reprocher une noble infortune Ă  une personne qui mĂ©rite l'intĂ©rĂȘt et le respect. – Je ne me permettrai pas de discuter cette question avec vous, mon pĂšre, dis-je d'une voix soumise. – Peut-ĂȘtre, mademoiselle, serai-je plus heureuse, moi ! s'Ă©cria Mme Roland, emportĂ©e cette fois par la colĂšre au delĂ  des bornes de sa prudence habituelle. Peut-ĂȘtre me ferez-vous la grĂące, non de discuter, reprit-elle, mais d'avouer que, loin de devoir la moindre reconnaissance Ă  votre mĂšre, je n'ai Ă  me souvenir que de l'Ă©loignement qu'elle m'a toujours tĂ©moignĂ© ; car c'est bien contre sa volontĂ© que j'ai
 – Ah ! madame, lui dis-je, en l'interrompant, par respect pour mon pĂšre, par pudeur pour vous-mĂȘme, dispensez-vous de ces honteuses rĂ©vĂ©lations, vous me feriez regretter de vous avoir exposĂ©e Ă  de si humiliants aveux. – Comment ! mademoiselle !
 s'Ă©cria-t-elle presque insensĂ©e de colĂšre, vous osez dire
 – Je dis, madame, repris-je en l'interrompant encore, je dis que ma mĂšre, en daignant vous permettre de vivre chez elle au lieu de vous en faire chasser selon son droit, a dĂ» vous prouver, par son mĂ©pris, que sa tolĂ©rance Ă  votre Ă©gard lui Ă©tait imposĂ©e. » – De mieux en mieux, s'Ă©cria Rodolphe, c'Ă©tait une exĂ©cution complĂšte. Et cette femme ?
 – Mme Roland, par un moyen fort vulgaire, mais fort commode, termina cet entretien ; elle s'Ă©cria Mon Dieu ! mon Dieu ! » et se trouva mal. GrĂące Ă  cet incident, les deux tĂ©moins de cette scĂšne sortirent sous le prĂ©texte d'aller chercher des secours ; je les imitai, pendant que mon pĂšre prodiguait Ă  Mme Roland les soins les plus empressĂ©s. – Quel dut ĂȘtre le courroux de votre pĂšre lorsque ensuite vous l'avez revu
 – Il vint chez moi le lendemain matin, et me dit Afin qu'Ă  l'avenir des scĂšnes pareilles Ă  celle d'hier ne se renouvellent plus, je vous dĂ©clare que, dĂšs que le temps rigoureux de mon deuil et du vĂŽtre sera expirĂ©, j'Ă©pouserai Mme Roland. Vous aurez donc dĂ©sormais Ă  la traiter avec le respect et les Ă©gards que mĂ©rite
 ma femme
 Pour des raisons particuliĂšres, il est nĂ©cessaire que vous vous mariiez avant moi ; la fortune de votre mĂšre s'Ă©lĂšve Ă  plus d'un million ; c'est votre dot. DĂšs ce jour je m'occuperai activement de vous assurer une union convenable en donnant suite Ă  quelques propositions qui m'ont Ă©tĂ© faites Ă  votre sujet. La persistance avec laquelle vous attaquez, malgrĂ© mes priĂšres, une personne qui m'est si chĂšre me donne la mesure de votre attachement pour moi. Mme Roland dĂ©daigne ces attaques ; mais je ne souffrirai pas que de telles inconvenances se renouvellent devant des Ă©trangers dans ma propre maison. DĂ©sormais, vous n'entrerez ou ne resterez dans le salon que lorsque Mme Roland ou moi, nous y serons seuls. » AprĂšs ce dernier entretien, je vĂ©cus encore plus isolĂ©e. Je ne voyais mon pĂšre qu'aux heures de repas, qui se passaient dans un morne silence. Ma vie Ă©tait si triste que j'attendais avec impatience le moment oĂč mon pĂšre me proposerait un mariage quelconque pour accepter. Mme Roland, ayant renoncĂ© Ă  mal parler de ma mĂšre, se vengeait en me faisant souffrir un supplice de tous les instants elle affectait, pour m'exaspĂ©rer, de se servir de mille choses qui avaient appartenu Ă  ma mĂšre son fauteuil, son mĂ©tier Ă  tapisserie, les livres de sa bibliothĂšque particuliĂšre, jusqu'Ă  un Ă©cran Ă  tablette que j'avais brodĂ© pour elle et au milieu duquel se voyait son chiffre. Cette femme profanait tout
 – Oh ! je conçois l'horreur que ces profanations devaient vous causer. – Et puis l'isolement rend les chagrins plus douloureux encore
 – Et vous n'aviez personne
 personne Ă  qui vous confier ? – Personne
 Pourtant je reçus une preuve d'intĂ©rĂȘt qui me toucha, et qui aurait dĂ» m'Ă©clairer sur l'avenir un des deux tĂ©moins de cette scĂšne oĂč j'avais si durement traitĂ© Mme Roland Ă©tait M. Dorval, vieux et honnĂȘte notaire, Ă  qui ma mĂšre avait rendu quelques services en s'intĂ©ressant Ă  une de ses piĂšces. D'aprĂšs la dĂ©fense de mon pĂšre, je ne descendais jamais au salon lorsque des Ă©trangers s'y trouvaient
 je n'avais donc pas revu M. Dorval, lorsque, Ă  ma grande surprise, il vint un jour, d'un air mystĂ©rieux, me trouver dans une allĂ©e du parc, lieu habituel de ma promenade. Mademoiselle, me dit-il, je crains d'ĂȘtre surpris par M. le comte ; lisez cette lettre, brĂ»lez-la ensuite, il s'agit d'une chose trĂšs-importante pour vous. » Et il disparut. Dans cette lettre, il me disait qu'il s'agissait de me marier Ă  M. le marquis d'Harville ; ce parti semblait convenable de tout point ; on me rĂ©pondait des bonnes qualitĂ©s de M. d'Harville il Ă©tait jeune, fort riche, d'un esprit distinguĂ©, d'une figure agrĂ©able ; et pourtant les familles des deux jeunes personnes que M. d'Harville avait dĂ» Ă©pouser successivement avaient brusquement rompu le mariage projetĂ©. Le notaire ne pouvait me dire la raison de cette rupture, mais il croyait de son devoir de m'en prĂ©venir, sans toutefois prĂ©tendre que la cause de ces ruptures fĂ»t prĂ©judiciable Ă  M. d'Harville. Les deux jeunes personnes dont il s'agissait Ă©taient filles, l'une de M. de Beauregard, pair de France ; l'autre, de lord Boltrop. M. Dorval me faisait cette confidence, parce que mon pĂšre, trĂšs-impatient de conclure mon mariage, ne paraissait pas attacher assez d'importance aux circonstances qu'on me signalait. – En effet, dit Rodolphe, aprĂšs quelques moments de rĂ©flexion, je me souviens maintenant que votre mari, Ă  une annĂ©e d'intervalle, me fit successivement part de deux mariages projetĂ©s qui, prĂšs de se conclure, avaient Ă©tĂ© brusquement rompus, m'Ă©crivait-il, pour quelques discussions d'intĂ©rĂȘt. Mme d'Harville sourit avec amertume et rĂ©pondit – Vous saurez la vĂ©ritĂ© tout Ă  l'heure, monseigneur
 AprĂšs avoir lu la lettre du vieux notaire, je ressentis autant de curiositĂ© que d'inquiĂ©tude. Qui Ă©tait M. d'Harville ? Mon pĂšre ne m'en avait jamais parlĂ©. J'interrogeais en vain mes souvenirs ; je ne me rappelais pas ce nom. BientĂŽt Mme Roland, Ă  mon grand Ă©tonnement, partit pour Paris. Son voyage devait durer huit jours au plus ; pourtant mon pĂšre ressentit un profond chagrin de cette sĂ©paration passagĂšre ; son caractĂšre s'aigrit ; il redoubla de froideur envers moi. Il lui Ă©chappa mĂȘme de me rĂ©pondre un jour que je lui demandais comment il se portait – Je suis souffrant, et c'est de votre faute. – De ma faute, mon pĂšre ? – Certes. Vous savez combien je suis habituĂ© Ă  Mme Roland, et cette admirable femme que vous avez outragĂ©e fait dans votre seul intĂ©rĂȘt ce voyage, qui la retient loin de moi. » Cette marque d'intĂ©rĂȘt de Mme Roland m'effraya ; j'eus vaguement l'instinct qu'il s'agissait de mon mariage. Je vous laisse Ă  penser, monseigneur, la joie de mon pĂšre au retour de ma future belle-mĂšre. Le lendemain, il me fit prier de passer chez lui ; il Ă©tait seul avec elle. – J'ai, me dit-il, depuis longtemps songĂ© Ă  votre Ă©tablissement. Votre deuil finit dans un mois. Demain arrivera ici M. le marquis d'Harville, jeune homme extrĂȘmement distinguĂ©, fort riche, et en tout capable d'assurer votre bonheur. Il vous a vue dans le monde ; il dĂ©sire vivement cette union ; toutes les affaires d'intĂ©rĂȘt sont rĂ©glĂ©es. Il dĂ©pendra donc absolument de vous d'ĂȘtre mariĂ©e avant six semaines. Si, au contraire, par un caprice, que je ne veux pas prĂ©voir, vous refusiez ce parti presque inespĂ©rĂ©, je me marierais toujours, selon mon intention, dĂšs que le temps de mon deuil serait expirĂ©. Dans ce dernier cas, je dois vous le dĂ©clarer
 votre prĂ©sence chez moi ne me serait agrĂ©able que si vous me promettiez de tĂ©moigner Ă  ma femme la tendresse et le respect qu'elle mĂ©rite. – Je vous comprends, mon pĂšre. Si je n'Ă©pouse pas M. d'Harville, vous vous marierez ; et alors, pour vous et pour
 madame, il n'y a plus aucun inconvĂ©nient Ă  ce que je me retire au SacrĂ©-CƓur. – Aucun », me rĂ©pondit-il froidement. – Ah ! ce n'est plus de la faiblesse, c'est de la cruautĂ© !
 s'Ă©cria Rodolphe. – Savez-vous, monseigneur, ce qui m'a toujours empĂȘchĂ©e de garder contre mon pĂšre le moindre ressentiment ? C'est qu'une sorte de prĂ©vision m'avertissait qu'un jour il payerait, hĂ©las ! bien cher son aveugle passion pour Mme Roland
 Et, Dieu merci, ce jour est encore Ă  venir. – Et ne lui dites-vous rien de ce que vous avait appris le vieux notaire sur les deux mariages si brusquement rompus par les familles auxquelles M. d'Harville devait s'allier ? – Si, monseigneur
 Ce jour-lĂ  mĂȘme je priai mon pĂšre de m'accorder un moment d'entretien particulier. Je n'ai pas de secret pour Mme Roland, vous pouvez parler devant elle », me rĂ©pondit-il. Je gardai le silence. Il reprit sĂ©vĂšrement Encore une fois, je n'ai pas de secret pour Mme Roland
 Expliquez-vous donc clairement. – Si vous le permettez, mon pĂšre, j'attendrai que vous soyez seul. » Mme Roland se leva brusquement et sortit. Vous voilĂ  satisfaite
 me dit-il. Eh bien ! parlez. – Je n'Ă©prouve aucun Ă©loignement pour l'union que vous me proposez, mon pĂšre ; seulement j'ai appris que M. d'Harville ayant Ă©tĂ© deux fois sur le point d'Ă©pouser
 – Bien, bien, reprit-il en m'interrompant ; je sais ce que c'est. Ces ruptures ont eu lieu en suite de discussions d'intĂ©rĂȘt dans lesquelles d'ailleurs la dĂ©licatesse de M. d'Harville a Ă©tĂ© complĂštement Ă  couvert. Si vous n'avez pas d'autre objection que celle-lĂ , vous pouvez vous regarder comme mariĂ©e
 et heureusement mariĂ©e, car je ne veux que votre bonheur. » – Sans doute Mme Roland fut ravie de cette union ? – Ravie ? Oui, monseigneur, dit amĂšrement ClĂ©mence. Oh ! bien ravie !
 car cette union Ă©tait son Ɠuvre. Elle en avait donnĂ© la premiĂšre idĂ©e Ă  mon pĂšre
 Elle savait la vĂ©ritable cause de la rupture des deux premiers mariages de M. d'Harville
 voilĂ  pourquoi elle tenait tant Ă  me le faire Ă©pouser. – Mais dans quel but ? – Elle voulait se venger de moi en me vouant ainsi Ă  un sort affreux. – Mais votre pĂšre
 – TrompĂ© par Mme Roland, il crut qu'en effet des discussions d'intĂ©rĂȘt avaient seules fait manquer les projets de M. d'Harville. – Quelle horrible trame !
 Mais cette raison mystĂ©rieuse ? – Tout Ă  l'heure je vous la dirai, monseigneur. M. d'Harville arriva aux Aubiers ; ses maniĂšres, son esprit, sa figure me plurent il avait l'air bon ; son caractĂšre Ă©tait doux, un peu triste. Je remarquai en lui un contraste qui m'Ă©tonnait et qui m'agrĂ©ait Ă  la fois son esprit Ă©tait cultivĂ©, sa fortune trĂšs-enviable, sa naissance illustre ; et pourtant quelquefois sa physionomie, ordinairement Ă©nergique et rĂ©solue, exprimait une sorte de timiditĂ© presque craintive, d'abattement et de dĂ©fiance de soi, qui me touchait beaucoup. J'aimais aussi Ă  le voir tĂ©moigner une bontĂ© charmante Ă  un vieux valet de chambre qui l'avait Ă©levĂ©, et duquel seul il voulait recevoir des soins. Quelque temps aprĂšs son arrivĂ©e, M. d'Harville resta deux jours renfermĂ© chez lui ; mon pĂšre dĂ©sira le voir
 Le vieux domestique s'y opposa, prĂ©textant que son maĂźtre avait une migraine si violente qu'il ne pouvait recevoir absolument personne. Lorsque M. d'Harville reparut, je le trouvai trĂšs-pĂąle, trĂšs-changé  Plus tard il Ă©prouvait toujours une sorte d'impatience presque chagrine lorsqu'on lui parlait de cette indisposition passagĂšre
 À mesure que je connaissais M. d'Harville, je dĂ©couvrais en lui des qualitĂ©s qui m'Ă©taient sympathiques. Il avait tant de raisons d'ĂȘtre heureux que je lui savais grĂ© de sa modestie dans le bonheur
 L'Ă©poque de notre mariage convenue, il alla toujours au-devant de mes moindres volontĂ©s dans nos projets d'avenir. Si quelquefois je lui demandais la cause de sa mĂ©lancolie, il me parlait de sa mĂšre, de son pĂšre, qui eussent Ă©tĂ© fiers et ravis de le voir mariĂ© selon son cƓur et son goĂ»t. J'aurais eu mauvaise grĂące Ă  ne pas admettre des raisons si flatteuses pour moi
 M. d'Harville devina les rapports dans lesquels j'avais d'abord vĂ©cu avec Mme Roland et avec mon pĂšre, quoique celui-ci, heureux de mon mariage, qui hĂątait le sien, fĂ»t redevenu pour moi d'une grande tendresse. Dans plusieurs entretiens, M. d'Harville me fit sentir avec beaucoup de tact et de rĂ©serve qu'il m'aimait peut-ĂȘtre encore davantage en raison de mes chagrins passĂ©s
 Je crus devoir, Ă  ce sujet, le prĂ©venir que mon pĂšre songeait Ă  se remarier ; et comme je lui parlais du changement que cette union apporterait dans ma fortune, il ne me laissa pas achever et fit preuve du plus noble dĂ©sintĂ©ressement ; les familles auxquelles il avait Ă©tĂ© sur le point de s'allier devaient ĂȘtre bien sordides, pensai-je alors, pour avoir eu de graves difficultĂ©s d'intĂ©rĂȘt avec lui. – Le voilĂ  bien tel que je l'ai toujours connu, dit Rodolphe, rempli de cƓur, de dĂ©vouement, de dĂ©licatesse
 Mais ne lui avez-vous jamais parlĂ© de ces deux mariages rompus ? – Je vous l'avoue, monseigneur, le voyant si loyal, si bon, plusieurs fois cette question me vint aux lĂšvres
 mais bientĂŽt, de crainte mĂȘme de blesser cette loyautĂ©, cette bontĂ©, je n'osai aborder un tel sujet. Plus le jour fixĂ© pour notre mariage approchait, plus M. d'Harville se disait heureux
 Cependant deux ou trois fois je le vis accablĂ© d'une morne tristesse
 Un jour, entre autres, il attacha sur moi ses yeux, oĂč roulait une larme il semblait oppressĂ©, on eĂ»t dit qu'il voulait et qu'il n'osait me confier un secret important
 Le souvenir de la rupture de ces deux mariages me revint Ă  la pensĂ©e
 Je l'avoue, j'eus peur
 Un secret pressentiment m'avertit qu'il s'agissait peut-ĂȘtre du malheur de ma vie entiĂšre
 mais j'Ă©tais si torturĂ©e chez mon pĂšre que je surmontai mes craintes
 – Et M. d'Harville ne vous confia rien ? – Rien
 Quand je lui demandais la cause de sa mĂ©lancolie, il me rĂ©pondait Pardonnez-moi, mais j'ai le bonheur triste
 » Ces mots, prononcĂ©s d'une voix touchante, me rassurĂšrent un peu
 Et puis, comment oser
 Ă  ce moment mĂȘme, oĂč ses yeux Ă©taient baignĂ©s de larmes, lui tĂ©moigner une dĂ©fiance outrageante Ă  propos du passĂ© ? Les tĂ©moins de M. d'Harville, M. de Lucenay et M. de Saint-Remy, arrivĂšrent aux Aubiers quelques jours avant mon mariage ; mes plus proches parents y furent seuls invitĂ©s. Nous devions, aussitĂŽt aprĂšs la messe, partir pour Paris
 Je n'Ă©prouvais pas d'amour pour M. d'Harville, mais je ressentais pour lui de l'intĂ©rĂȘt son caractĂšre m'inspirait de l'estime. Sans les Ă©vĂ©nements qui suivirent cette fatale union, un sentiment plus tendre m'aurait sans doute attachĂ©e Ă  lui. Nous fĂ»mes mariĂ©s. À ces mots, Mme d'Harville pĂąlit lĂ©gĂšrement, sa rĂ©solution parut l'abandonner. Puis elle reprit – AussitĂŽt aprĂšs mon mariage, mon pĂšre me serra tendrement dans ses bras. Mme Roland aussi m'embrassa, je ne pouvais devant tout le monde me dĂ©rober Ă  cette nouvelle hypocrisie ; de sa main sĂšche et blanche elle me serra la main Ă  me faire mal et me dit Ă  l'oreille d'une voix doucereusement perfide ces paroles que je n'oublierai jamais Songez quelquefois Ă  moi au milieu de votre bonheur, car c'est moi qui fais votre mariage. » HĂ©las ! j'Ă©tais loin de comprendre alors le vĂ©ritable sens de ses paroles. Notre mariage avait eu lieu Ă  onze heures ; aussitĂŽt aprĂšs nous montĂąmes en voiture
 suivis d'une femme Ă  moi et du vieux valet de chambre de M. d'Harville ; nous voyagions si rapidement que nous devions ĂȘtre Ă  Paris avant dix heures du soir. J'aurais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©e du silence et de la mĂ©lancolie de M. d'Harville, si je n'avais su qu'il avait, comme il disait, le bonheur triste. J'Ă©tais moi-mĂȘme pĂ©niblement Ă©mue, je revenais Ă  Paris pour la premiĂšre fois depuis la mort de ma mĂšre ; et puis, quoique je n'eusse guĂšre de raison de regretter la maison paternelle, j'y Ă©tais chez moi
 et je la quittais pour une maison oĂč tout me serait nouveau, inconnu ; oĂč j'allais arriver seule avec mon mari, que je connaissais Ă  peine depuis six semaines, et qui la veille encore ne m'eĂ»t pas dit un mot qui ne fĂ»t empreint d'une formalitĂ© respectueuse. Peut-ĂȘtre ne tient-on pas assez compte de la crainte que nous cause ce brusque changement de ton et de maniĂšres auquel les hommes bien Ă©levĂ©s sont mĂȘme sujets dĂšs que nous leur appartenons
 On ne songe pas que la jeune femme ne peut en quelques heures oublier sa timiditĂ©, ses scrupules de jeune fille. – Rien ne m'a toujours paru plus barbare et plus sauvage que cette coutume d'emporter brutalement une jeune femme comme une proie, tandis que le mariage ne devrait ĂȘtre que la consĂ©cration du droit d'employer toutes les ressources de l'amour, toutes les sĂ©ductions de la tendresse passionnĂ©e pour se faire aimer. – Vous comprenez alors, monseigneur, le brisement de cƓur et la vague frayeur avec lesquels je revenais Ă  Paris, dans cette ville oĂč ma mĂšre Ă©tait morte il y avait un an Ă  peine. Nous arrivons Ă  l'hĂŽtel d'Harville. L'Ă©motion de la jeune femme redoubla, ses joues se couvrirent d'une rougeur brĂ»lante, et elle ajouta d'une voix dĂ©chirante – Il faut pourtant que vous sachiez tout
 sans cela
 je vous paraĂźtrais trop mĂ©prisable
 Eh bien !
 reprit-elle avec une rĂ©solution dĂ©sespĂ©rĂ©e, on me conduisit dans l'appartement qui m'Ă©tait destiné  on m'y laissa seule
 M. d'Harville vint m'y rejoindre
 MalgrĂ© ses protestations de tendresse, je me mourais d'effroi
 les sanglots me suffoquaient
 j'Ă©tais Ă  lui
 il fallut me rĂ©signer
 Mais bientĂŽt mon mari, poussant un cri terrible, me saisit le bras Ă  me le briser
 je veux en vain me dĂ©livrer de cette Ă©treinte de fer
 implorer sa pitié  il ne m'entend plus
 son visage est contractĂ© par d'effrayantes convulsions
 ses yeux roulent dans leurs orbites avec une rapiditĂ© qui me fascine
 sa bouche contournĂ©e est remplie d'une Ă©cume sanglante
 sa main m'Ă©treint toujours
 Je fais un effort dĂ©sespĂ©ré  ses doigts roidis abandonnent enfin mon bras
 et je m'Ă©vanouis au moment oĂč M. d'Harville se dĂ©bat dans le paroxysme de cette horrible attaque
 VoilĂ  ma nuit de noces, monseigneur
 VoilĂ  la vengeance de Mme Roland !
 – Malheureuse femme ! dit Rodolphe avec accablement, je comprends 
 Ă©pileptique ! Ah ! c'est affreux !
 – Et ce n'est pas tout
, ajouta ClĂ©mence d'une voix dĂ©chirante. Oh ! que cette nuit fatale
 soit Ă  jamais maudite !
 Ma fille
 ce pauvre petit ange a hĂ©ritĂ© de cette Ă©pouvantable maladie !
 – Votre fille
 aussi ? Comment ! sa pĂąleur
 sa faiblesse ? – C'est cela
 mon Dieu ! C'est cela, et les mĂ©decins pensent que le mal est incurable !
 parce qu'il est hĂ©rĂ©ditaire
 Mme d'Harville cacha sa tĂȘte dans ses mains ; accablĂ©e par cette douloureuse rĂ©vĂ©lation, elle n'avait plus le courage de dire une parole. Rodolphe aussi resta muet. Sa pensĂ©e reculait effrayĂ©e devant les terribles mystĂšres de cette premiĂšre nuit de noces
 Il se figurait cette jeune fille, dĂ©jĂ  si attristĂ©e par son retour dans la ville oĂč sa mĂšre Ă©tait morte, arrivant dans cette maison inconnue, seule avec un homme pour qui elle ressentait de l'intĂ©rĂȘt, de l'estime, mais pas d'amour, mais rien de ce qui trouble dĂ©licieusement, rien de ce qui enivre, rien de ce qui fait qu'une femme oublie son chaste effroi dans le ravissement d'une passion lĂ©gitime et partagĂ©e. Non, non ; tremblante d'une crainte pudique, ClĂ©mence arrivait là
 triste, froide, le cƓur brisĂ©, le front pourpre de honte, les yeux remplis de larmes
 Elle se rĂ©signe
 et puis, au lieu d'entendre des paroles remplies de reconnaissance, d'amour et de tendresse, qui la consolent du bonheur qu'elle a donné  elle voit rouler Ă  ses pieds un homme Ă©garĂ©, qui se tord, Ă©cume, rugit, dans les affreuses convulsions d'une des plus effrayantes infirmitĂ©s dont l'homme soit incurablement frappĂ© ! Et ce n'est pas tout
 Sa fille
 pauvre petit ange innocent, est aussi flĂ©trie en naissant
 Ces douloureux et tristes aveux faisaient naĂźtre chez Rodolphe des rĂ©flexions amĂšres. Telle est la loi de ce pays, se disait-il une jeune fille belle et pure, loyale et confiante, victime d'une funeste dissimulation, unit sa destinĂ©e Ă  celle d'un homme atteint d'une Ă©pouvantable maladie, hĂ©ritage fatal qu'il doit transmettre Ă  ses enfants ; la malheureuse femme dĂ©couvre cet horrible mystĂšre que peut-elle ? Rien
 Rien que souffrir et pleurer, rien que tĂącher de surmonter son dĂ©goĂ»t et son effroi
 rien que passer ses jours dans des angoisses, dans des terreurs infinies
 rien que chercher peut-ĂȘtre des consolations coupables en dehors de l'existence dĂ©solĂ©e qu'on lui a faite. Encore une fois, disait Rodolphe, ces lois Ă©tranges forcent quelquefois Ă  des rapprochements honteux, Ă©crasants pour l'humanité  Dans ces lois, les animaux semblent toujours supĂ©rieurs Ă  l'homme par les soins qu'on leur donne, par les amĂ©liorations dont on les poursuit, par la protection dont on les entoure, par les garanties dont on les couvre
 Ainsi achetez un animal quelconque qu'une infirmitĂ© prĂ©vue par la loi se dĂ©clare chez lui aprĂšs l'emplette
 la vente est nulle
 C'est qu'aussi, voyez donc, quelle indignitĂ©, quel crime de lĂšse-sociĂ©tĂ© ! condamner un homme Ă  conserver un animal qui parfois tousse, corne ou boite ! Mais c'est un scandale, mais c'est un crime, mais c'est une monstruositĂ© sans pareille ! Jugez donc, ĂȘtre forcĂ© de garder, mais de garder toujours, toute leur vie durant, un mulet qui tousse, un cheval qui corne, un Ăąne qui boite ! Quelles effroyables consĂ©quences cela ne peut-il pas entraĂźner pour le salut de l'humanitĂ© tout entiĂšre !
 Aussi il n'y a pas lĂ  de marchĂ© qui tienne, de parole qui fasse, de contrat qui engage
 La loi toute-puissante vient dĂ©lier tout ce qui Ă©tait liĂ©. Mais qu'il s'agisse d'une crĂ©ature faite Ă  l'image de Dieu, mais qu'il s'agisse d'une jeune fille qui, dans son innocente foi Ă  la loyautĂ© d'un homme, s'est unie Ă  lui, et qui se rĂ©veille la compagne d'un Ă©pileptique, d'un malheureux que frappe une maladie terrible, dont les consĂ©quences morales et physiques sont effroyables ; une maladie qui peut jeter le dĂ©sordre et l'aversion dans la famille, perpĂ©tuer un mal horrible ; vicier des gĂ©nĂ©rations
 Oh ! cette loi si inexorable Ă  l'endroit des animaux boitants, cornants ou toussants ; cette loi, si admirablement prĂ©voyante, qui ne veut pas qu'un cheval tarĂ© soit apte Ă  la reproduction
 cette loi se gardera bien de dĂ©livrer la victime d'une pareille union
 Ces liens sont sacrĂ©s
 indissolubles ; c'est offenser les hommes et Dieu que de les briser. En vĂ©ritĂ©, disait Rodolphe, l'homme est quelquefois d'une humilitĂ© bien honteuse et d'un Ă©goĂŻsme d'orgueil bien exĂ©crable
 Il se ravale au-dessous de la bĂȘte en la couvrant de garanties qu'il se refuse ; et il impose, consacre, perpĂ©tue ses plus redoutables infirmitĂ©s en les mettant sous la sauvegarde de l'immutabilitĂ© des lois divines et humaines. » XVII. La charitĂ© Rodolphe blĂąmait beaucoup M. d'Harville, mais il se promit de l'excuser aux yeux de ClĂ©mence, quoique bien convaincu, d'aprĂšs les tristes rĂ©vĂ©lations de celle-ci, que le marquis s'Ă©tait Ă  jamais aliĂ©nĂ© son cƓur. De pensĂ©e en pensĂ©e, Rodolphe se dit Par devoir, je me suis Ă©loignĂ© d'une femme que j'aimais
 et qui dĂ©jĂ  peut-ĂȘtre ressentait pour moi un secret penchant. Soit dĂ©sƓuvrement de cƓur, soit commisĂ©ration, elle a failli perdre l'honneur, la vie, pour un sot qu'elle croyait malheureux. Si, au lieu de m'Ă©loigner d'elle, je l'avais entourĂ©e de soins, d'amour et de respects, ma rĂ©serve eĂ»t Ă©tĂ© telle que sa rĂ©putation n'aurait pas reçu la plus lĂ©gĂšre atteinte, les soupçons de son mari n'eussent jamais Ă©tĂ© Ă©veillĂ©s ; tandis qu'Ă  cette heure elle est presque Ă  la merci de la fatuitĂ© de M. Charles Robert, et il sera, je le crains, d'autant plus indiscret qu'il a moins de raisons de l'ĂȘtre. Et puis encore, qui sait maintenant si, malgrĂ© les pĂ©rils qu'elle a courus, le cƓur de Mme d'Harville restera toujours inoccupĂ© ? Tout retour vers son mari est dĂ©sormais impossible
 Jeune, belle, entourĂ©e, d'un caractĂšre sympathique Ă  tout ce qui souffre
 pour elle, que de dangers ! que d'Ă©cueils ! Pour M. d'Harville, que d'angoisses, que de chagrins ! À la fois jaloux et amoureux de sa femme, qui ne peut vaincre l'Ă©loignement, la frayeur qu'il lui inspire depuis la premiĂšre et funeste nuit de son mariage
 quel sort est le sien ! » ClĂ©mence, le front appuyĂ© sur sa main, les yeux humides, la joue brĂ»lante de confusion, Ă©vitait le regard de Rodolphe, tant cette rĂ©vĂ©lation lui avait coĂ»tĂ©. – Ah ! maintenant, reprit Rodolphe aprĂšs un long silence, je comprends la cause de la tristesse de M. d'Harville, tristesse que je ne pouvais pĂ©nĂ©trer
 je comprends ses regrets
 – Ses regrets ! s'Ă©cria ClĂ©mence, dites donc ses remords, monseigneur
 s'il en Ă©prouve
 car jamais crime pareil n'a Ă©tĂ© plus froidement mĂ©dité  – Un crime
 madame ? – Et qu'est-ce donc, monseigneur, que d'enchaĂźner Ă  soi, par des liens indissolubles, une jeune fille qui se fie Ă  votre honneur, lorsqu'on se sait fatalement frappĂ© d'une maladie qui inspire l'Ă©pouvante et l'horreur ? Qu'est-ce donc que de vouer sĂ»rement un malheureux enfant aux mĂȘmes misĂšres ?
 Qui forçait M. d'Harville Ă  faire deux victimes ? Une passion aveugle et insensĂ©e ?
 Non, il trouvait Ă  son grĂ© ma naissance, ma fortune et ma personne
 il a voulu faire un mariage convenable, parce que la vie de garçon l'ennuyait sans doute. – Madame
 de la pitiĂ© au moins
 – De la pitiĂ© !
 Savez-vous qui la mĂ©rite, ma pitiĂ© ? c'est ma fille
 Pauvre victime de cette odieuse union, que de nuits, que de jours j'ai passĂ©s prĂšs d'elle ! que de larmes amĂšres m'ont arrachĂ©es ses douleurs !
 – Mais son pĂšre
 souffrait des mĂȘmes douleurs immĂ©ritĂ©es ! – Mais c'est son pĂšre qui l'a condamnĂ©e Ă  une enfance maladive, Ă  une jeunesse flĂ©trie, et, si elle vit, Ă  une vie d'isolement et de chagrins car elle ne se mariera pas. Oh ! non, je l'aime trop pour l'exposer un jour Ă  pleurer sur son enfant fatalement frappĂ©, comme je pleure sur elle
 J'ai trop souffert de cette trahison pour me rendre coupable ou complice d'une trahison pareille ! – Oh ! vous aviez raison
 la vengeance de votre belle-mĂšre est horrible
 Patience
 Peut-ĂȘtre, Ă  votre tour, serez-vous vengĂ©e
, dit Rodolphe aprĂšs un moment de rĂ©flexion. – Que voulez-vous dire, monseigneur ? lui demanda ClĂ©mence Ă©tonnĂ©e de l'inflexion de sa voix. – J'ai presque toujours eu
 le bonheur de voir punir, oh ! cruellement punir les mĂ©chants que je connaissais, ajouta-t-il avec un accent qui fit tressaillir ClĂ©mence. Mais, le lendemain de cette malheureuse nuit, que vous dit votre mari ? – Il m'avoua, avec une Ă©trange naĂŻvetĂ©, que les familles auxquelles il devait s'allier avaient dĂ©couvert le secret de sa maladie et rompu les unions projetĂ©es
 Ainsi, aprĂšs avoir Ă©tĂ© repoussĂ© deux fois
 il a encore
 oh ! cela est infĂąme !
 Et voilĂ  pourtant ce qu'on appelle dans le monde un gentilhomme de cƓur et d'honneur ! – Vous toujours si bonne, vous ĂȘtes cruelle !
 – Je suis cruelle, parce que j'ai Ă©tĂ© indignement trompĂ©e. M. d'Harville me savait bonne ; que ne s'adressait-il loyalement Ă  ma bontĂ©, en me disant toute la vĂ©ritĂ© ! – Vous l'eussiez refusé  – Ce mot le condamne, monseigneur ; sa conduite Ă©tait une trahison indigne s'il avait cette crainte. – Mais il vous aimait ! – S'il m'aimait, devait-il me sacrifier Ă  son Ă©goĂŻsme ?
 Mon Dieu ! j'Ă©tais si tourmentĂ©e, j'avais tant de hĂąte de quitter la maison de mon pĂšre, que, s'il eĂ»t Ă©tĂ© franc, peut-ĂȘtre m'aurait-il touchĂ©e, Ă©mue par le tableau de l'espĂšce de rĂ©probation dont il Ă©tait frappĂ©, de l'isolement auquel le vouait un sort affreux et fatal
 Oui, le voyant Ă  la fois si loyal, si malheureux, peut-ĂȘtre n'aurais-je pas eu le courage de le refuser ; et, si j'avais pris ainsi l'engagement sacrĂ© de subir les consĂ©quences de mon dĂ©vouement, j'aurais vaillamment tenu ma promesse. Mais vouloir forcer mon intĂ©rĂȘt et ma pitiĂ© en me mettant d'abord dans sa dĂ©pendance ; mais exiger cet intĂ©rĂȘt, cette pitiĂ©, au nom de mes devoirs de femme, lui qui a trahi ses devoirs d'honnĂȘte homme, c'est Ă  la fois une folie et une lĂąchetĂ© !
 Maintenant, monseigneur, jugez de ma vie ! jugez de mes cruelles dĂ©ceptions ! J'avais foi dans la loyautĂ© de M. d'Harville, et il m'a indignement trompĂ©e
 Sa mĂ©lancolie douce et timide m'avait intĂ©ressĂ©e ; et cette mĂ©lancolie, qu'il disait causĂ©e par de pieux souvenirs, n'Ă©tait que la conscience de son incurable infirmité  – Mais enfin, vous fĂ»t-il Ă©tranger, ennemi, la vue de ses souffrances doit vous apitoyer votre cƓur est noble et gĂ©nĂ©reux ! – Mais, puis-je les calmer, ces souffrances ? Si encore ma voix Ă©tait entendue, si un regard reconnaissant rĂ©pondait Ă  mon regard attendri !
 Mais non
 Oh ! vous ne savez pas, monseigneur, ce qu'il y a d'affreux dans ces crises oĂč l'homme se dĂ©bat dans une furie sauvage, ne voit rien, n'entend rien, ne sent rien, et ne sort de cette frĂ©nĂ©sie que pour tomber dans une sorte d'accablement farouche. Quand ma fille succombe Ă  une de ces attaques, je ne puis que me dĂ©soler ; mon cƓur se dĂ©chire, je baise en pleurant ces pauvres petits bras roidis par les convulsions qui la tuent
 Mais c'est ma fille
 c'est ma fille !
 et quand je la vois souffrir ainsi, je maudis mille fois plus encore son pĂšre. Si les douleurs de mon enfant se calment, mon irritation contre mon mari se calme aussi ; alors
 oui, alors je le plains, parce que je suis bonne ; Ă  mon aversion succĂšde un sentiment de pitiĂ© douloureuse
 Mais enfin, me suis-je mariĂ©e Ă  dix-sept ans pour n'Ă©prouver jamais que ces alternatives de haine et de commisĂ©ration pĂ©nible, pour pleurer sur un malheureux enfant que je ne conserverai peut-ĂȘtre pas ? Et Ă  propos de ma fille, monseigneur, permettez-moi d'aller au-devant d'un reproche que je mĂ©rite sans doute, et que peut-ĂȘtre vous n'osez pas me faire. Elle est si intĂ©ressante qu'elle aurait dĂ» suffire Ă  occuper mon cƓur, car je l'aime passionnĂ©ment ; mais cette affection navrante est mĂȘlĂ©e de tant d'amertumes prĂ©sentes, de tant de craintes pour l'avenir, que ma tendresse pour ma fille se rĂ©sout toujours par des larmes. AuprĂšs d'elle, mon cƓur est continuellement brisĂ©, torturĂ©, dĂ©sespĂ©rĂ© ; car je suis impuissante Ă  conjurer ses maux, que l'on dit incurables. Eh bien ! pour sortir de cette atmosphĂšre accablante et sinistre, j'avais rĂȘvĂ© un attachement dans la douceur duquel je me serais rĂ©fugiĂ©e, reposĂ©e
 HĂ©las ! je me suis abusĂ©e, indignement abusĂ©e, je l'avoue, et je retombe dans l'existence douloureuse que mon mari m'a faite. Dites, monseigneur, Ă©tait-ce cette vie que j'avais le droit d'attendre ? Suis-je donc seule coupable des torts que M. d'Harville voulait ce matin me faire payer de ma vie ? Ces torts sont grands, je le sais, d'autant plus grands que j'ai Ă  rougir de mon choix. Heureusement pour moi, monseigneur, ce que vous avez surpris de l'entretien de la comtesse Sarah et de son frĂšre au sujet de M. Charles Robert m'Ă©pargnera la honte de ce nouvel aveu
 Mais j'espĂšre au moins que maintenant je vous semble mĂ©riter autant de pitiĂ© que de blĂąme, et que vous voudrez bien me conseiller dans la cruelle position oĂč je me trouve. – Je ne puis vous exprimer, madame, combien votre rĂ©cit m'a Ă©mu ; depuis la mort de votre mĂšre jusqu'Ă  la naissance de votre fille, que de chagrins dĂ©vorĂ©s, que de tristesses cachĂ©es !
 Vous si brillante, si admirĂ©e, si enviĂ©e !
 – Oh ! croyez-moi, monseigneur, lorsqu'on souffre de certains malheurs, il est affreux de s'entendre dire Est-elle heureuse !
 » – N'est-ce pas, rien n'est plus puĂ©ril ? Eh bien vous n'ĂȘtes pas seule Ă  souffrir de ce cruel contraste entre ce qui est et ce qui paraĂźt. – Comment, monseigneur ? – Aux yeux de tous, votre mari doit sembler encore plus heureux que vous, puisqu'il vous possĂšde
 Et pourtant, n'est-il pas aussi bien Ă  plaindre ? Est-il au monde une vie plus atroce que la sienne ? Ses torts envers vous sont grands
 Mais il en est affreusement puni ! Il vous aime comme vous mĂ©ritez d'ĂȘtre aimĂ©e
 et il sait que vous ne pouvez avoir pour lui qu'un insurmontable Ă©loignement
 Dans sa fille souffrante, maladive, il voit un reproche incessant. Ce n'est pas tout, la jalousie vient encore le torturer
 – Et que puis-je Ă  cela, monseigneur ? ne pas lui donner le droit d'ĂȘtre jaloux ? soit. Mais parce que mon cƓur n'appartiendra Ă  personne, lui appartiendra-t-il davantage ? Il sait que non. Depuis l'affreuse scĂšne que je vous ai racontĂ©e, nous vivons sĂ©parĂ©s ; mais, aux yeux du monde, j'ai pour lui les Ă©gards que les convenances commandent
 et je n'ai dit Ă  personne, si ce n'est Ă  vous, monseigneur, un mot de ce fatal secret. – Et je vous assure, madame, que si le service que je vous ai rendu mĂ©ritait une rĂ©compense, je me croirais mille fois payĂ© par votre confiance. Mais, puisque vous voulez bien me demander mes conseils et que vous me permettez de vous parler franchement
 – Oh ! je vous en supplie, monseigneur
 – Laissez-moi vous dire que, faute de bien employer une de vos plus prĂ©cieuses qualitĂ©s, vous perdez de grandes jouissances qui non-seulement satisferaient aux grands besoins de votre cƓur, mais vous distrairaient de vos chagrins domestiques, et rĂ©pondraient encore Ă  ce besoin d'Ă©motions vives, poignantes, et j'oserais presque ajouter pardonnez-moi ma mauvaise opinion des femmes Ă  ce goĂ»t naturel pour le mystĂšre et pour l'intrigue qui a tant d'empire sur elles. – Que voulez-vous dire, monseigneur ? – Je veux dire que si vous vouliez vous amuser Ă  faire le bien, rien ne vous plairait, rien ne vous intĂ©resserait davantage. Mme d'Harville regarda Rodolphe avec Ă©tonnement. – Et vous comprenez, reprit-il, que je ne vous parle pas d'envoyer avec insouciance, presque avec dĂ©dain, une riche aumĂŽne Ă  des malheureux que vous ne connaissez pas, et qui souvent ne mĂ©ritent pas vos bienfaits. Mais si vous vous amusiez comme moi Ă  jouer de temps Ă  autre Ă  la Providence, vous avoueriez que certaines bonnes Ɠuvres ont quelquefois tout le piquant d'un roman. – Je n'avais pas songĂ©, monseigneur, Ă  cette maniĂšre d'envisager la charitĂ© sous le point de vue amusant, dit ClĂ©mence en souriant Ă  son tour. – C'est une dĂ©couverte que j'ai due Ă  mon horreur de tout ce qui est ennuyeux ; horreur qui m'a Ă©tĂ© surtout inspirĂ©e par mes confĂ©rences politiques avec mes ministres. Mais pour en revenir Ă  notre bienfaisance amusante, je n'ai pas, hĂ©las ! la vertu de ces gens dĂ©sintĂ©ressĂ©s qui confient Ă  d'autres le soin de placer leurs aumĂŽnes. S'il s'agissait simplement d'envoyer un de mes chambellans porter quelques centaines de louis Ă  chaque arrondissement de Paris, j'avoue Ă  ma honte que je ne prendrais pas grand goĂ»t Ă  la chose ; tandis que faire le bien comme je l'entends, c'est ce qu'il y a au monde de plus amusant. Je tiens Ă  ce mot, parce que pour moi il dit
 tout ce qui plaĂźt, tout ce qui charme, tout ce qui attache
 Et vraiment, madame, si vous vouliez devenir ma complice dans quelques tĂ©nĂ©breuses intrigues de ce genre, vous verriez, je vous le rĂ©pĂšte, qu'Ă  part mĂȘme la noblesse de l'action, rien n'est souvent plus curieux, plus attachant, plus attrayant
 quelquefois mĂȘme plus divertissant que ces aventures charitables
 Et puis, que de mystĂšres pour cacher son bienfait !
 que de prĂ©cautions Ă  prendre pour n'ĂȘtre pas connu !
 que d'Ă©motions diverses et puissantes, Ă  la vue de pauvres et bonnes gens qui pleurent de joie en vous voyant !
 Mon Dieu ! cela vaut autant quelquefois que la figure maussade d'un amant jaloux, infidĂšle, car ils ne sont guĂšre que cela tour Ă  tour
 Tenez ! les Ă©motions dont je vous parle sont Ă  peu prĂšs celles que vous avez ressenties ce matin en allant rue du Temple
 VĂȘtue bien simplement pour n'ĂȘtre pas remarquĂ©e, vous sortiriez aussi de chez vous le cƓur palpitant, vous monteriez aussi tout inquiĂšte dans un modeste fiacre dont vous baisseriez les stores pour ne pas ĂȘtre vue, et puis, jetant aussi les yeux de cĂŽtĂ© et d'autre de peur d'ĂȘtre surprise, vous entreriez furtivement dans quelque maison de misĂ©rable apparence
 tout comme ce matin, vous dis-je
 La seule diffĂ©rence, c'est que vous vous disiez Si l'on me dĂ©couvre, je suis perdue » ; et que vous vous diriez Si l'on me dĂ©couvre, je serai bĂ©nie ! » Mais comme vous avez la modestie de vos adorables qualitĂ©s, vous emploierez les ruses les plus perfides, les plus diaboliques pour n'ĂȘtre pas bĂ©nie. – Ah ! monseigneur, s'Ă©cria Mme d'Harville avec attendrissement, vous m'avez sauvĂ©e ! Je ne puis vous exprimer les nouvelles idĂ©es, les consolantes espĂ©rances que vos paroles Ă©veillent en moi. Vous dites bien vrai, occuper son cƓur et son esprit Ă  se faire adorer de ceux qui souffrent, c'est presque aimer
 Que dis-je
 c'est mieux qu'aimer
 Quand je compare l'existence que j'entrevois Ă  celle qu'une honteuse erreur m'aurait faite, les reproches que je m'adresse sont plus amers encore
 – J'en serais dĂ©solĂ©, reprit Rodolphe en souriant, car tout mon dĂ©sir serait de vous aider Ă  oublier le passĂ© et de vous prouver seulement que le choix des distractions de cƓur est nombreux
 Les moyens du bien et du mal sont souvent Ă  peu prĂšs les mĂȘmes
 la fin seule diffĂšre
 En un mot, si le bien est aussi attrayant, aussi amusant que le mal, pourquoi prĂ©fĂ©rer celui-ci ? Tenez, je vais faire une comparaison bien vulgaire. Pourquoi beaucoup de femmes prennent-elles pour amants des hommes qui ne valent pas leurs maris ? Parce que le plus grand charme de l'amour est l'attrait affriandant du fruit dĂ©fendu
 Avouez que, si on retranchait de cet amour les craintes, les angoisses, les difficultĂ©s, les dangers, il ne resterait rien, ou peu de chose, c'est-Ă -dire l'amant dans sa simplicitĂ© premiĂšre ; en un mot, ce serait toujours plus ou moins l'aventure de cet homme Ă  qui l'on disait Pourquoi n'Ă©pousez-vous pas cette veuve, votre maĂźtresse ? – HĂ©las ! j'y ai bien pensĂ©, rĂ©pondait-il, mais c'est qu'alors je ne saurais plus oĂč aller passer mes soirĂ©es. » – C'est un peu trop vrai, monseigneur, dit Mme d'Harville en souriant. – Eh bien ! si je trouve le moyen de vous faire ressentir ces craintes, ces angoisses, ces inquiĂ©tudes qui vous affriandent, si j'utilise votre goĂ»t naturel pour le mystĂšre et pour les aventures, votre penchant Ă  la dissimulation et Ă  la ruse toujours mon exĂ©crable opinion des femmes, vous voyez, qui perce malgrĂ© moi !, ajouta gaiement Rodolphe, ne changerai-je pas en qualitĂ©s gĂ©nĂ©reuses des instincts impĂ©rieux, inexorables, excellents si on les emploie bien, funestes si on les emploie mal ?
 Voyons, dites, voulez-vous que nous ourdissions Ă  nous deux toutes sortes de machinations bienfaisantes, de roueries charitables dont seront victimes, comme toujours, de trĂšs-bonnes gens ? Nous aurions nos rendez-vous, notre correspondance, nos secrets
 et surtout nous nous cacherions bien du marquis ; car votre visite de ce matin chez les Morel l'aura mis en Ă©veil. Enfin, si vous le vouliez, nous serions
 en intrigue rĂ©glĂ©e. – J'accepte avec joie, avec reconnaissance cette association tĂ©nĂ©breuse, monseigneur, dit gaiement ClĂ©mence. Et, pour commencer notre roman, je retournerai dĂšs demain chez ces infortunĂ©s, auxquels ce matin je n'ai pu malheureusement apporter que quelques paroles de consolation ; car, profitant de mon trouble et de mon effroi, un petit garçon boiteux m'a volĂ© la bourse que vous m'aviez remise. Ah ! monseigneur, ajouta ClĂ©mence, et sa physionomie perdit l'expression de douce gaietĂ© qui l'avait un moment animĂ©e, si vous saviez quelle misĂšre !
 quel horrible tableau ! Non, non
 je ne croyais pas qu'il pĂ»t exister de telles infortunes !
 Et je me plains !
 et j'accuse ma destinĂ©e ! Rodolphe, ne voulant pas laisser voir Ă  Mme d'Harville combien il Ă©tait touchĂ© de ce retour sur elle-mĂȘme, qui prouvait la beautĂ© de son Ăąme, reprit gaiement – Si vous le permettez, j'excepterai les Morel de notre communautĂ© ; vous me laisserez me charger de ces pauvres gens, et vous me promettrez surtout de ne pas retourner dans cette triste maison
 car j'y demeure
 – Vous, monseigneur ?
 Quelle plaisanterie !
 – Rien de plus sĂ©rieux
 un logement modeste, il est vrai
 deux cents francs par an de plus, six francs pour mon mĂ©nage libĂ©ralement accordĂ©s chaque mois Ă  la portiĂšre, Mme Pipelet, cette horrible vieille que vous savez. Ajoutez Ă  cela que j'ai pour voisine la plus jolie grisette du quartier du Temple, Mlle Rigolette ; et vous conviendrez que, pour un commis marchand qui gagne dix-huit cents francs je passe pour un commis, c'est assez sortable. – Votre prĂ©sence
 si inespĂ©rĂ©e dans cette fatale maison, me prouve que vous parlez sĂ©rieusement, monseigneur
 quelque gĂ©nĂ©reuse action vous attire lĂ  sans doute. Mais pour quelle bonne Ɠuvre me rĂ©servez-vous donc ? quel sera le rĂŽle que vous me destinez ? – Celui d'un ange de consolation, et, passez-moi ce vilain mot, d'un dĂ©mon de finesse et de ruse
 car il y a certaines blessures dĂ©licates et douloureuses que la main d'une femme peut seule soigner et guĂ©rir ; il est aussi des infortunes si fiĂšres, si ombrageuses, si cachĂ©es, qu'il faut une rare pĂ©nĂ©tration pour les dĂ©couvrir et un charme irrĂ©sistible pour attirer leur confiance. – Et quand pourrai-je dĂ©ployer cette pĂ©nĂ©tration, cette habiletĂ© que vous me supposez ? demanda impatiemment Mme d'Harville. – BientĂŽt, je l'espĂšre, vous aurez Ă  faire une conquĂȘte digne de vous ; mais il faudra employer vos ressources les plus machiavĂ©liques. – Et quel jour, monseigneur, me confierez-vous ce grand secret ? – Voyez
 nous voilĂ  dĂ©jĂ  au rendez-vous
 Pouvez-vous me faire la grĂące de me recevoir dans quatre jours ? – Si tard !
 dit naĂŻvement ClĂ©mence. – Et le mystĂšre ? Et les convenances ? Jugez donc ! si l'on nous croyait complices, on se dĂ©fierait de nous ; mais j'aurai peut-ĂȘtre Ă  vous Ă©crire. Quelle est cette femme ĂągĂ©e qui m'a apportĂ© ce soir votre lettre ? – Une ancienne femme de chambre de ma mĂšre la sĂ»retĂ©, la discrĂ©tion mĂȘme. – C'est donc Ă  elle que j'adresserai mes lettres, elle vous les remettra. Si vous avez la bontĂ© de me rĂ©pondre, Ă©crivez À M. Rodolphe, rue Plumet ». Votre femme de chambre mettra vos lettres Ă  la poste. – Je les mettrai moi-mĂȘme, monseigneur, en faisant comme d'habitude ma promenade Ă  pied
 – Vous sortez souvent seule et Ă  pied ? – Quand il fait beau, presque chaque jour. – À merveille ! C'est une habitude que toutes les femmes devraient prendre dĂšs les premiers mois de leur mariage
 Dans de bonnes
 ou de mauvaises prĂ©visions l'usage existe
 C'est un prĂ©cĂ©dent, comme disent les procureurs ; et plus tard ces promenades habituelles ne donnent jamais lieu Ă  des interprĂ©tations dangereuses
 Si j'avais Ă©tĂ© femme et, entre nous, j'aurais Ă©tĂ©, je le crains, Ă  la fois trĂšs-charitable et trĂšs-lĂ©gĂšre, le lendemain de mon mariage, j'aurais pris le plus innocemment du monde les allures les plus mystĂ©rieuses
 Je me serais ingĂ©nument enveloppĂ©e des apparences les plus compromettantes
 toujours pour Ă©tablir ce prĂ©cĂ©dent que j'ai dit, afin de pouvoir un jour rendre visite Ă  mes pauvres
 ou Ă  mon amant. – Mais voilĂ  qui est une affreuse perfidie, monseigneur ! dit en souriant Mme d'Harville. – Heureusement pour vous, madame, vous n'avez jamais Ă©tĂ© Ă  mĂȘme de comprendre la sagesse et l'humilitĂ© de ces prĂ©voyances-là
 Mme d'Harville ne sourit plus ; elle baissa les yeux, rougit et dit tristement – Vous n'ĂȘtes pas gĂ©nĂ©reux, monseigneur !
 D'abord Rodolphe regarda la marquise avec Ă©tonnement, puis reprit – Je vous comprends, madame
 Mais, une fois pour toutes, posons bien nettement votre position Ă  l'Ă©gard de M. Charles Robert. Un jour, une femme de vos amies vous montre un de ces mendiants piteux qui roulent des yeux languissants et jouent de la clarinette d'un ton dĂ©sespĂ©rĂ© pour apitoyer les passants. C'est un bon pauvre, vous dit votre amie, il a au moins sept enfants et une femme aveugle, sourde, muette, etc., etc. – Ah ! le malheureux ! » dites-vous en lui faisant charitablement l'aumĂŽne ; et chaque fois que vous rencontrez le mendiant, du plus loin qu'il vous aperçoit ses yeux implorent, sa clarinette rend des sons lamentables, et votre aumĂŽne tombe dans son bissac. Un jour, de plus en plus apitoyĂ©e sur ce bon pauvre par votre amie, qui mĂ©chamment abusait de votre cƓur, vous vous rĂ©signez Ă  aller charitablement visiter votre infortunĂ© au milieu de ses misĂšres
 Vous arrivez hĂ©las ! plus de clarinette mĂ©lancolique, plus de regard piteux et implorant, mais un drĂŽle alerte, jovial et dispos, qui entonne une chanson de cabaret
 AussitĂŽt le mĂ©pris succĂšde Ă  la pitié  car vous avez pris un mauvais pauvre pour un bon pauvre, rien de plus, rien de moins. Est-ce vrai ?
 Mme d'Harville ne put s'empĂȘcher de sourire de ce singulier apologue et rĂ©pondit Ă  Rodolphe – Si acceptable que soit cette justification, monseigneur, elle me semble trop facile. – Ce n'est pourtant, aprĂšs tout, qu'une noble et gĂ©nĂ©reuse imprudence que vous avez commise
 Il vous reste trop de moyens de la rĂ©parer pour la regretter
 Mais ne verrai-je pas ce soir M. d'Harville ? – Non, monseigneur
 la scĂšne de ce matin l'a si fort affectĂ© qu'il est
 souffrant, dit la marquise Ă  voix basse. – Ah ! je comprends
, rĂ©pondit tristement Rodolphe. Allons, du courage ! Il manquait un but Ă  votre envie, une distraction Ă  vos chagrins, comme vous disiez
 Laissez-moi croire que vous trouverez cette distraction dans l'avenir dont je vous ai parlé  Alors votre Ăąme sera si remplie de douces consolations que votre ressentiment contre votre mari n'y trouvera peut-ĂȘtre plus de place. Vous Ă©prouverez pour lui quelque chose de l'intĂ©rĂȘt que vous portez Ă  votre pauvre enfant
 Et quant Ă  ce petit ange, maintenant que je sais la cause de son Ă©tat maladif, j'oserai presque vous dire d'espĂ©rer un peu
 – Il serait possible
 monseigneur ? Et comment ? s'Ă©cria ClĂ©mence en joignant les mains avec reconnaissance. – J'ai pour mĂ©decin ordinaire un homme trĂšs-inconnu et fort savant il est restĂ© longtemps en AmĂ©rique ; je me souviens qu'il m'a parlĂ© de deux ou trois cures presque merveilleuses faites par lui sur des esclaves atteints de cette effrayante maladie. – Ah ! monseigneur, il serait possible
 – Gardez-vous bien de trop espĂ©rer la dĂ©ception serait trop cruelle
 Seulement ne dĂ©sespĂ©rons pas tout Ă  fait. ClĂ©mence d'Harville jetait sur les nobles traits de Rodolphe un regard de reconnaissance ineffable. C'Ă©tait presque un roi
 qui la consolait avec tant d'intelligence, de grĂące et de bontĂ©. Elle se demanda comment elle avait pu s'intĂ©resser Ă  M. Charles Robert. Cette idĂ©e lui fut horrible. – Que ne vous dois-je pas, monseigneur ! dit-elle d'une voix Ă©mue. Vous me rassurez, vous me faites malgrĂ© moi espĂ©rer pour ma fille, entrevoir un nouvel avenir qui serait Ă  la fois une consolation, un plaisir et un mĂ©rite
 N'avais-je pas raison de vous Ă©crire que, si vous vouliez bien venir ici ce soir, vous finiriez la journĂ©e comme vous l'avez commencĂ©e
 par une bonne action ?
 – Et ajoutez au moins, madame, une de ces bonnes actions comme je les aime dans mon Ă©goĂŻsme, pleines d'attrait, de plaisir et de charme, dit Rodolphe en se levant, car onze heures et demie venaient de sonner Ă  la pendule du salon. – Adieu, monseigneur, n'oubliez pas de me donner bientĂŽt des nouvelles de ces pauvres gens de la rue du Temple. – Je les verrai demain matin
 car j'ignorais malheureusement que ce petit boiteux vous eĂ»t volĂ© cette bourse, et ces malheureux sont peut-ĂȘtre dans une extrĂ©mitĂ© terrible. Dans quatre jours, daignez ne pas l'oublier, je viendrai vous mettre au courant du rĂŽle que vous voulez bien accepter. Seulement je dois vous prĂ©venir qu'un dĂ©guisement vous sera peut-ĂȘtre indispensable. – Un dĂ©guisement ! Oh ! quel bonheur ! Et lequel, monseigneur ? – Je ne puis vous le dire encore
 Je vous laisserai le choix. En revenant chez lui, le prince s'applaudissait assez de l'effet gĂ©nĂ©ral de son entretien avec Mme d'Harville. Ces propositions Ă©tant donnĂ©es Occuper gĂ©nĂ©reusement l'esprit et le cƓur de cette jeune femme, qu'un Ă©loignement insurmontable sĂ©parait de son mari ; Ă©veiller en elle assez de curiositĂ© romanesque, assez d'intĂ©rĂȘt mystĂ©rieux en dehors de l'amour, pour satisfaire aux besoins de son imagination, de son Ăąme, et la sauvegarder ainsi d'un nouvel amour. Ou bien encore Inspirer Ă  ClĂ©mence d'Harville une passion si profonde, si incurable, et Ă  la fois si pure et si noble, que cette jeune femme, dĂ©sormais incapable d'Ă©prouver un amour moins Ă©levĂ©, ne compromĂźt plus jamais le repos de M. d'Harville, que Rodolphe aimait comme un frĂšre. XVIII. MisĂšre On n'a peut-ĂȘtre pas oubliĂ© qu'une famille malheureuse dont le chef, ouvrier lapidaire, se nommait Morel, occupait la mansarde de la maison de la rue du Temple. Nous conduirons le lecteur dans ce triste logis. Il est cinq heures du matin. Au-dehors le silence est profond, la nuit noire, glaciale ; il neige. Une chandelle, soutenue par deux brins de bois sur une petite planche carrĂ©e, perce Ă  peine de sa lueur jaune et blafarde les tĂ©nĂšbres de la mansarde ; rĂ©duit Ă©troit, bas, aux deux tiers lambrissĂ© par la pente rapide du toit qui forme avec le plancher un angle trĂšs-aigu. Partout on voit le dessous des tuiles verdĂątres. Les cloisons recrĂ©pies de plĂątre noirci par le temps, et crevassĂ©es de nombreuses lĂ©zardes, laissent apercevoir les lattes vermoulues qui forment ces minces parois ; dans l'une d'elles, une porte disjointe s'ouvre sur l'escalier. Le sol, d'une couleur sans nom, infect, gluant, est semĂ© çà et lĂ  de brins de paille pourrie, de haillons sordides, et de ces gros os que le pauvre achĂšte aux plus infimes revendeurs de viande corrompue pour ronger les cartilages qui y adhĂšrent encore
 Une si effroyable incurie annonce toujours ou l'inconduite, ou une misĂšre honnĂȘte, mais si Ă©crasante, si dĂ©sespĂ©rĂ©e, que l'homme anĂ©anti, dĂ©gradĂ©, ne sent plus ni la volontĂ©, ni la force, ni le besoin de sortir de sa fange il y croupit comme une bĂȘte dans sa taniĂšre. Durant le jour, ce taudis est Ă©clairĂ© par une lucarne Ă©troite, oblongue, pratiquĂ©e dans la partie dĂ©clive de la toiture, et garnie d'un chĂąssis vitrĂ© qui s'ouvre et se ferme au moyen d'une crĂ©maillĂšre. À l'heure dont nous parlons, une couche Ă©paisse de neige recouvrait cette lucarne. La chandelle, posĂ©e Ă  peu prĂšs au centre de la mansarde, sur l'Ă©tabli du lapidaire, projette en cet endroit une sorte de zone de pĂąle lumiĂšre qui, se dĂ©gradant peu Ă  peu, se perd dans l'ombre oĂč reste enseveli le galetas, ombre au milieu de laquelle se dessinent vaguement quelques formes blanchĂątres. Sur l'Ă©tabli, lourde table carrĂ©e en chĂȘne brut grossiĂšrement Ă©quarri, tachĂ©e de graisse et de suif, fourmillent, Ă©tincellent, scintillent une poignĂ©e de diamants et de rubis d'une grosseur et d'un Ă©clat admirables. Morel Ă©tait lapidaire en fin, et non pas lapidaire en faux, comme il le disait, et comme on le pensait dans la maison de la rue du Temple
 GrĂące Ă  cet innocent mensonge, les pierreries qu'on lui confiait semblaient de si peu de valeur qu'il pouvait les garder chez lui sans crainte d'ĂȘtre volĂ©. Tant de richesses, mises Ă  la merci de tant de misĂšre, nous dispensent de parler de la probitĂ© de Morel
 Assis sur un escabeau sans dossier, vaincu par la fatigue, par le froid, par le sommeil, aprĂšs une longue nuit d'hiver passĂ©e Ă  travailler, le lapidaire a laissĂ© tomber sur son Ă©tabli sa tĂȘte appesantie, ses bras engourdis ; son front s'appuie Ă  une large meule, placĂ©e horizontalement sur la table, et ordinairement mise en mouvement par une petite roue Ă  main ; une scie de fin acier, quelques autres outils sont Ă©pars Ă  cĂŽtĂ© ; l'artisan, dont on ne voit que le crĂąne chauve, entourĂ© de cheveux gris, est vĂȘtu d'une vieille veste de tricot brun qu'il porte Ă  nu sur la peau, et d'un mauvais pantalon de toile ; ses chaussons de lisiĂšre en lambeaux cachent Ă  peine ses pieds bleuis posĂ©s sur le carreau. Il fait dans cette mansarde un froid si glacial, si pĂ©nĂ©trant, que l'artisan, malgrĂ© l'espĂšce de somnolence oĂč le plonge l'Ă©puisement de ses forces, frissonne parfois de tout son corps. La longueur et la carbonisation de la mĂšche de la chandelle annoncent que Morel sommeille depuis quelque temps ; on n'entend que sa respiration oppressĂ©e ; car les six autres habitants de cette mansarde ne dorment pas
 Oui, dans cette Ă©troite mansarde vivent sept personnes
 Cinq enfants, dont le plus jeune a quatre ans, le plus ĂągĂ© douze ans Ă  peine. Et puis leur mĂšre infirme. Et puis une octogĂ©naire idiote, la mĂšre de leur mĂšre. La froidure est bien Ăąpre, puisque la chaleur naturelle de sept personnes entassĂ©es dans un si petit espace n'attiĂ©dit pas cette atmosphĂšre glacĂ©e ; c'est qu'aussi ces sept corps grĂȘles, chĂ©tifs, grelottants, Ă©puisĂ©s, depuis le petit enfant jusqu'Ă  l'aĂŻeule, dĂ©gagent peu de calorique, comme dirait un savant. ExceptĂ© le pĂšre de famille, un moment assoupi, parce que ses forces sont Ă  bout, personne ne dort ; non, parce que le froid, la faim, la maladie tiennent les yeux ouverts, bien ouverts. On ne sait pas combien est rare et prĂ©cieux pour le pauvre le sommeil profond, salutaire, dans lequel il rĂ©pare ses forces et oublie ses maux. Il s'Ă©veille si allĂšgre, si dispos, si vaillant au plus rude labeur, aprĂšs une de ces nuits bienfaisantes, que les moins religieux, dans le sens catholique du mot, Ă©prouvent un vague sentiment de gratitude, sinon envers Dieu, du moins envers
 le sommeil, et qui bĂ©nit l'effet bĂ©nit la cause. À l'aspect de l'effrayante misĂšre de cet artisan, comparĂ©e Ă  la valeur des pierreries qu'on lui confie, on est frappĂ© d'un de ces contrastes qui tout Ă  la fois dĂ©solent et Ă©lĂšvent l'Ăąme. Incessamment cet homme a sous les yeux le dĂ©chirant spectacle des douleurs des siens ; tout les accable, depuis la faim jusqu'Ă  la folie, et il respecte ces pierreries, dont une seule arracherait sa femme, ses enfants, aux privations qui les tuent lentement. Sans doute il fait son devoir, simplement son devoir d'honnĂȘte homme ; mais, parce que ce devoir est simple, son accomplissement est-il moins grand, moins beau ? Ces conditions dans lesquelles s'exerce le devoir ne peuvent-elles pas d'ailleurs en rendre la pratique plus mĂ©ritoire encore ? Et puis cet artisan, restant si malheureux et si probe auprĂšs de ce trĂ©sor, ne reprĂ©sente-t-il pas l'immense et formidable majoritĂ© des hommes qui, vouĂ©s Ă  jamais aux privations, mais paisibles, laborieux, rĂ©signĂ©s, voient chaque jour sans haine et sans envie amĂšre resplendir Ă  leurs yeux la magnificence des riches ! N'est-il pas enfin noble, consolant, de songer que ce n'est pas la force, que ce n'est pas la terreur, mais le bon sens moral qui seul contient ce redoutable ocĂ©an populaire dont le dĂ©bordement pourrait engloutir la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre, se jouant de ses lois de sa puissance, comme la mer en furie se joue des digues et des remparts ! Ne sympathise-t-on pas alors de toutes les forces de son Ăąme et de son esprit avec ces gĂ©nĂ©reuses intelligences qui demandent un peu de place au soleil pour tant d'infortune, tant de courage, tant de rĂ©signation ! Revenons Ă  ce spĂ©cimen, hĂ©las ! trop rĂ©el, d'Ă©pouvantable misĂšre que nous essaierons de peindre dans son effrayante nuditĂ©. Le lapidaire ne possĂšde plus qu'un mince matelas et un morceau de couverture dĂ©volus Ă  la grand'mĂšre idiote, qui, dans son stupide et farouche Ă©goĂŻsme, ne voulait partager son grabat avec personne. Au commencement de l'hiver, elle Ă©tait devenue furieuse et avait presque Ă©touffĂ© le plus jeune des enfants qu'on avait voulu placer Ă  cĂŽtĂ© d'elle, une petite fille de quatre ans, depuis quelque temps phtisique, et qui souffrait trop du froid dans la paillasse oĂč elle couchait avec ses frĂšres et sƓurs. Tout Ă  l'heure nous expliquerons ce mode de couchage, frĂ©quemment usitĂ© chez les pauvres. AuprĂšs d'eux, les animaux sont traitĂ©s en sybarites on change leur litiĂšre. Tel est le tableau complet que prĂ©sente la mansarde de l'artisan, lorsque l'Ɠil perce la pĂ©nombre oĂč viennent mourir les faibles lueurs de la chandelle. Le long du mur d'appui, moins humide que les autres cloisons, est placĂ© sur le carreau le matelas oĂč repose la vieille idiote. Comme elle ne peut rien supporter sur sa tĂȘte, ses cheveux blancs, coupĂ©s trĂšs-ras, dessinent la forme de son crĂąne, au front aplati ; ses Ă©pais sourcils gris ombragent ses orbites profondes oĂč luit un regard d'un Ă©clat sauvage, ses joues caves, livides, plissĂ©es de mille rides, se collent Ă  ses pommettes et aux angles saillants de sa mĂąchoire ; couchĂ©e sur le cĂŽtĂ©, repliĂ©e sur elle-mĂȘme, son menton touchant presque ses genoux, elle tremble sous une couverture de laine grise, trop petite pour l'envelopper entiĂšrement, et qui laisse apercevoir ses jambes dĂ©charnĂ©es et le bas d'un vieux jupon en lambeaux dont elle est vĂȘtue. Ce grabat exhale une odeur fĂ©tide. À peu de distance du chevet de la grand'mĂšre s'Ă©tend aussi, parallĂšlement au mur, la paillasse qui sert de lit aux cinq enfants. Et voici comment On a fait une incision Ă  chaque bout de la toile dans le sens de sa longueur, puis on a glissĂ© les enfants dans une paille humide et nausĂ©abonde ; la toile d'enveloppe leur sert ainsi de drap et de couverture. Deux petites filles, dont l'une est gravement malade, grelottent d'un cĂŽtĂ©, trois petits garçons de l'autre. Ceux-ci et celles-lĂ  couchĂ©s tout vĂȘtus, si quelques misĂ©rables haillons peuvent s'appeler vĂȘtements. D'Ă©paisses chevelures blondes, ternes, emmĂȘlĂ©es, hĂ©rissĂ©es, que leur mĂšre laisse croĂźtre parce que cela les garantit toujours un peu du froid, couvrent Ă  demi leurs figures pĂąles, Ă©tiolĂ©es, souffrantes. L'un des garçons, de ses doigts roidis, tire Ă  soi jusqu'Ă  son menton l'enveloppe de sa paillasse pour se mieux couvrir ; l'autre, de crainte d'exposer ses mains au froid, tient la toile entre ses dents qui se choquent ; le troisiĂšme se serre contre ses deux frĂšres. La seconde des deux filles, minĂ©e par la phtisie, appuie languissamment sa pauvre petite figure, dĂ©jĂ  d'une lividitĂ© bleuĂątre et morbide, sur la poitrine glacĂ©e de sa sƓur, ĂągĂ©e de cinq ans, qui tĂąche en vain de la rĂ©chauffer entre ses bras et la veille avec une sollicitude inquiĂšte. Sur une autre paillasse, placĂ©e au fond du taudis et en retour de celle des enfants, la femme de l'artisan est Ă©tendue gisante, Ă©puisĂ©e par une fiĂšvre lente et par une infirmitĂ© douloureuse qui ne lui permet pas de se lever depuis plusieurs mois. Madeleine Morel a trente-six ans. Un vieux mouchoir de cotonnade bleue, serrĂ© autour de son front dĂ©primĂ©, fait ressortir davantage encore la pĂąleur bilieuse de son visage osseux. Un cercle brun cerne ses yeux caves, Ă©teints ; des gerçures saignantes fendent ses lĂšvres blafardes. Sa physionomie chagrine, abattue, ses traits insignifiants, dĂ©cĂšlent un de ces caractĂšres doux, mais sans ressort, sans Ă©nergie, qui ne luttent pas contre la mauvaise fortune, mais qui se courbent, s'affaissent et se lamentent. Faible, inerte, bornĂ©e, elle Ă©tait restĂ©e honnĂȘte parce que son mari Ă©tait honnĂȘte ; livrĂ©e Ă  elle-mĂȘme, le malheur aurait pu la dĂ©praver et la pousser au mal. Elle aimait ses enfants, son mari ; mais elle n'avait ni le courage ni la force de retenir ses plaintes amĂšres sur leur commune infortune. Souvent le lapidaire, dont le labeur opiniĂątre soutenait seul cette famille, Ă©tait forcĂ© d'interrompre son travail pour venir consoler, apaiser la pauvre valĂ©tudinaire. Par-dessus un mĂ©chant drap de grosse toile bise trouĂ©e qui recouvrait sa femme, Morel, pour la rĂ©chauffer, avait Ă©tendu quelques hardes si vieilles, si rapetassĂ©es, que le prĂȘteur sur gages n'avait pas voulu les prendre. Un fourneau, un poĂȘlon et une marmite de terre Ă©gueulĂ©e, deux ou trois tasses fĂȘlĂ©es Ă©parses çà et lĂ  sur le carreau, un baquet, une planche Ă  savonner et une grande cruche de grĂšs placĂ©e sous l'angle du toit, prĂšs de la porte disjointe, que le vent Ă©branle Ă  chaque instant, voilĂ  ce que possĂšde cette famille. Ce tableau dĂ©solant est Ă©clairĂ© par la chandelle, dont la flamme, agitĂ©e par la bise qui siffle Ă  travers les interstices des tuiles, jette tantĂŽt sur ces misĂšres ses lueurs pĂąles et vacillantes, tantĂŽt fait scintiller de mille feux, pĂ©tiller de mille Ă©tincelles prismatiques l'Ă©blouissant fouillis de diamants et de rubis exposĂ©s sur l'Ă©tabli oĂč sommeille le lapidaire. Par un mouvement d'attention machinal, les yeux de ces infortunĂ©s, tous silencieux, tous Ă©veillĂ©s, depuis l'aĂŻeule jusqu'au plus petit enfant, s'attachaient instinctivement sur le lapidaire, leur seul espoir, leur seule ressource. Dans leur naĂŻf Ă©goĂŻsme, ils s'inquiĂ©taient de le voir inactif et affaissĂ© sous le poids du travail. La mĂšre songeait Ă  ses enfants. Les enfants songeaient Ă  eux. L'idiote paraissait ne songer Ă  rien. Pourtant tout Ă  coup elle se dressa sur son sĂ©ant, croisa sur sa poitrine de squelette ses longs bras secs et jaunes comme du buis, regarda la lumiĂšre en clignotant, puis se leva lentement, entraĂźnant aprĂšs elle, comme un suaire, son lambeau de couverture. Elle Ă©tait de trĂšs-grande taille, sa tĂȘte rasĂ©e paraissait dĂ©mesurĂ©ment petite, un mouvement spasmodique agitait sa lĂšvre infĂ©rieure, Ă©paisse et pendante ce masque hideux offrait le type d'un hĂ©bĂ©tement farouche. L'idiote s'avança sournoisement prĂšs de l'Ă©tabli, comme un enfant qui va commettre un mĂ©fait. Quand elle fut Ă  la portĂ©e de la chandelle, elle approcha de la flamme ses deux mains tremblantes ; leur maigreur Ă©tait telle que la lumiĂšre qu'elles abritaient leur donnait une sorte de transparence livide. Madeleine Morel suivait de son grabat les moindres mouvements de la vieille ; celle-ci, en continuant de se rĂ©chauffer Ă  la flamme de la chandelle, baissait la tĂȘte et considĂ©rait avec une curiositĂ© imbĂ©cile le chatoiement des rubis et des diamants qui scintillaient sur la table. AbsorbĂ©e par cette contemplation, l'idiote ne maintint pas ses mains Ă  une distance suffisante de la flamme, elle se brĂ»la et poussa un cri rauque. À ce bruit, Morel se rĂ©veilla en sursaut et releva vivement la tĂȘte. Il avait quarante ans, une physionomie ouverte, intelligente et douce, mais flĂ©trie, mais creusĂ©e par la misĂšre ; une barbe grise de plusieurs semaines couvrait le bas de son visage couturĂ© par la petite vĂ©role ; des rides prĂ©coces sillonnaient son front dĂ©jĂ  chauve ; ses paupiĂšres enflammĂ©es Ă©taient rougies par l'abus des veilles. Un de ces phĂ©nomĂšnes frĂ©quents chez les ouvriers d'une constitution dĂ©bile, et vouĂ©s Ă  un travail sĂ©dentaire qui les contraint Ă  demeurer tout le jour dans une position presque invariable, avait dĂ©formĂ© sa taille chĂ©tive. Continuellement forcĂ© de se tenir courbĂ© sur son Ă©tabli et de se pencher du cĂŽtĂ© droit, afin de mettre sa meule en mouvement, le lapidaire, pour ainsi dire, pĂ©trifiĂ©, ossifiĂ© dans cette position qu'il gardait douze Ă  quinze heures par jour, s'Ă©tait voĂ»tĂ© et dĂ©jetĂ© tout d'un cĂŽtĂ©. Puis son bras droit, incessamment exercĂ© par le pĂ©nible maniement de la meule, avait acquis un dĂ©veloppement musculaire considĂ©rable, tandis que le bras et la main gauches, toujours inertes et appuyĂ©s sur l'Ă©tabli pour prĂ©senter les facettes des diamants Ă  l'action de la meule, Ă©taient rĂ©duits Ă  un Ă©tat de maigreur et de marasme effrayant ; les jambes grĂȘles, presque annihilĂ©es par le manque complet d'exercice, pouvaient Ă  peine soutenir ce corps Ă©puisĂ©, dont toute la substance, toute la vitalitĂ©, toute la force semblaient s'ĂȘtre concentrĂ©es dans la seule partie que le travail exerce continuellement. Et, comme disait Morel avec une poignante rĂ©signation – C'est moins pour moi que je tiens Ă  manger que pour renforcer le bras qui tourne la meule. RĂ©veillĂ© en sursaut, le lapidaire se trouva face Ă  face avec l'idiote. – Qu'avez-vous ? Que voulez-vous, la mĂšre ? lui dit Morel ; puis il ajouta d'une voix plus basse, craignant d'Ă©veiller sa famille qu'il croyait endormie Allez vous coucher, la mĂšre. Ne faites pas de bruit, Madeleine et les enfants dorment. – Je ne dors pas, je tĂąche de rĂ©chauffer AdĂšle, dit l'aĂźnĂ©e des petites filles. – J'ai trop faim pour dormir, reprit un des garçons ; ça n'Ă©tait pas mon tour d'aller souper hier comme mes frĂšres chez Mlle Rigolette. – Pauvres enfants ! dit Morel avec accablement, je croyais que vous dormiez, au moins. – J'avais peur de t'Ă©veiller, Morel, dit la femme ; sans cela, je t'aurais demandĂ© de l'eau ; j'ai bien soif, je suis dans mon accĂšs de fiĂšvre. – Tout de suite, rĂ©pondit l'ouvrier ; seulement il faut que je fasse d'abord recoucher ta mĂšre. Voyons, laissez donc mes pierres tranquilles, dit-il Ă  la vieille qui voulait s'emparer d'un gros rubis dont le scintillement fixait son attention. Allez donc vous coucher, la mĂšre ! rĂ©pĂ©ta-t-il. – Ça, ça, rĂ©pondit l'idiote en montrant la pierre prĂ©cieuse qu'elle convoitait. – Nous allons nous fĂącher, dit Morel en grossissant sa voix, pour effrayer sa belle-mĂšre dont il repoussa doucement la main. – Mon Dieu ! mon Dieu ! Morel, que j'ai donc soif, murmura Madeleine. Viens donc me donner Ă  boire ! – Mais comment veux-tu que je fasse, aussi ? Je ne puis pas laisser ta mĂšre toucher Ă  mes pierres, pour qu'elle me perde encore un diamant, comme il y a un an ; et Dieu sait
 Dieu sait ce qu'il nous coĂ»te, ce diamant, et ce qu'il nous coĂ»tera peut-ĂȘtre encore. Et le lapidaire porta sa main Ă  son front d'un air sombre ; puis il ajouta, en s'adressant Ă  un de ses enfants – FĂ©lix, va donner Ă  boire Ă  ta mĂšre, puisque tu ne dors pas. – Non, non, j'attendrai, il va prendre froid, reprit Madeleine. – Je n'aurai pas plus froid dehors que dans la paillasse, dit l'enfant en se levant. – À çà, voyons, allez-vous finir ! s'Ă©cria Morel d'une voix menaçante pour chasser l'idiote, qui ne voulait pas s'Ă©loigner de l'Ă©tabli et s'obstinait Ă  s'emparer d'une des pierres. – Maman, l'eau de la cruche est gelĂ©e, cria FĂ©lix. – Casse la glace alors, dit Madeleine. – Elle est trop Ă©paisse, je ne peux pas. – Morel, casse donc la glace de la cruche, dit Madeleine d'une voix dolente et impatiente ; puisque je n'ai pas autre chose Ă  boire que de l'eau, que j'en puisse boire au moins. Tu me laisses mourir de soif. – Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! quelle patience ! Mais comment veux-tu que je fasse ? J'ai ta mĂšre sur les bras, s'Ă©cria le malheureux lapidaire. Il ne pouvait parvenir Ă  se dĂ©barrasser de l'idiote, qui, commençant Ă  s'irriter de la rĂ©sistance qu'elle rencontrait, faisait entendre une sorte de grondement courroucĂ©. – Appelle-la donc, dit Morel Ă  sa femme ; elle t'Ă©coute quelquefois, toi. – Ma mĂšre, allez vous coucher ; si vous ĂȘtes sage, je vous donnerai du cafĂ© que vous aimez bien. – Ça, ça, reprit l'idiote en cherchant cette fois Ă  s'emparer violemment du rubis qu'elle convoitait. Morel la repoussa avec mĂ©nagement, mais en vain. – Mon Dieu ! tu sais bien que tu n'en finiras pas avec elle, si tu ne lui fais pas peur avec le fouet, s'Ă©cria Madeleine ; il n'y a que ce moyen-lĂ  de la faire rester tranquille. – Il le faut bien ; mais, quoiqu'elle soit folle, menacer une vieille femme de coups de fouet, ça me rĂ©pugne toujours, dit Morel. Puis, s'adressant Ă  la vieille qui tĂąchait de le mordre, et qu'il contenait d'une main, il s'Ă©cria de sa voix la plus terrible – Gare au fouet ! si vous n'allez pas vous coucher tout de suite ! Ces menaces furent encore vaines. Il prit le fouet sous son Ă©tabli, le fit claquer violemment et en menaça l'idiote, lui disant – Couchez-vous tout de suite, couchez-vous ! Au bruit retentissant du fouet, la vieille s'Ă©loigna d'abord brusquement de l'Ă©tabli, puis s'arrĂȘta, gronda entre ses dents et jeta des regards irritĂ©s sur son gendre. – Au lit ! Au lit ! rĂ©pĂ©ta celui-ci en s'avançant et en faisant de nouveau claquer son fouet. Alors l'idiote regagna lentement sa couche Ă  reculons, en montrant le poing au lapidaire. Celui-ci, dĂ©sirant terminer cette scĂšne cruelle pour aller donner Ă  boire Ă  sa femme, s'avança trĂšs-prĂšs de l'idiote, fit une derniĂšre fois brusquement rĂ©sonner son fouet, sans la toucher nĂ©anmoins, et rĂ©pĂ©ta d'une voix menaçante – Au lit, tout de suite ! La vieille, dans son effroi, se mit Ă  pousser des hurlements affreux, se jeta sur sa couche et s'y blottit comme un chien dans son chenil, sans cesser de hurler. Les enfants Ă©pouvantĂ©s, croyant que leur pĂšre avait frappĂ© la vieille, lui criĂšrent en pleurant – Ne bats pas grand'mĂšre, ne la bats pas ! Il est impossible de rendre l'effet sinistre de cette scĂšne nocturne, accompagnĂ©e des cris suppliants des enfants, des hurlements furieux de l'idiote et des plaintes douloureuses de la femme du lapidaire. XIX. La dette Morel le lapidaire avait souvent assistĂ© Ă  des scĂšnes aussi tristes que celles que nous venons de raconter ; pourtant il s'Ă©cria, dans un accĂšs de dĂ©sespoir, en jetant son fouet sur son Ă©tabli – Oh ! Quelle vie ! quelle vie ! – Est-ce ma faute, Ă  moi, si ma mĂšre est idiote ? dit Madeleine en pleurant. – Est-ce la mienne ? dit Morel. Qu'est-ce que je demande ? de me tuer de travail pour vous tous. Jour et nuit je suis Ă  l'ouvrage ; je ne me plains pas, tant que j'en aurai la force, j'irai ; mais je ne peux pas non plus faire mon Ă©tat et ĂȘtre en mĂȘme temps gardien de fou, de malade et d'enfants ! Non, le ciel n'est pas juste Ă  la fin ! Non, il n'est pas juste ! C'est trop de misĂšre pour un seul homme ! dit le lapidaire avec un accent dĂ©chirant. Et, accablĂ©, il retomba sur son escabeau, la tĂȘte cachĂ©e dans ses mains. – Puisqu'on n'a pas voulu prendre ma mĂšre Ă  l'hospice, parce qu'elle n'Ă©tait pas assez folle, qu'est-ce que tu veux que j'y fasse, moi, lĂ  ? dit Madeleine de sa voix traĂźnante, dolente et plaintive. Quand tu te tourmenteras de ce que tu ne peux pas empĂȘcher, Ă  quoi ça t'avancera-t-il ? – À rien, dit l'artisan ; et il essuya ses yeux qu'une larme avait mouillĂ©s ; Ă  rien
 tu as raison. Mais quand tout vous accable, on n'est quelquefois pas maĂźtre de soi. – Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! que j'ai soif ! Je frissonne, et la fiĂšvre me brĂ»le, dit Madeleine. – Attends, je vais te donner Ă  boire. Morel alla prendre la cruche sous le toit. AprĂšs avoir difficilement brisĂ© la glace qui recouvrait l'eau, il remplit une tasse de ce liquide gelĂ© et s'approcha du grabat de sa femme, qui Ă©tendait vers lui ses mains impatientes. Mais, aprĂšs un moment de rĂ©flexion, il lui dit – Non, ça serait trop froid ; dans un accĂšs de fiĂšvre, ça te ferait du mal. – Ça me fera du mal ? Tant mieux, donne vite alors, reprit Madeleine avec amertume ; ça sera plus tĂŽt fini, ça te dĂ©barrassera de moi, tu n'auras plus qu'Ă  ĂȘtre gardien de fou et d'enfants. La malade sera de moins. – Pourquoi me parler comme cela, Madeleine ? je ne le mĂ©rite pas, dit tristement Morel. Tiens, ne me fais pas de chagrin, c'est tout juste s'il me reste assez de raison et de force pour travailler ; je n'ai pas la tĂȘte bien solide, elle n'y rĂ©sisterait pas ; et alors qu'est-ce que vous deviendriez tous ? C'est pour vous que je parle ; s'il ne s'agissait que de moi, je ne m'embarrasserais guĂšre de demain. Dieu merci ! la riviĂšre coule pour tout le monde. – Pauvre Morel ! dit Madeleine attendrie ; c'est vrai, j'ai eu tort de te dire d'un air fĂąchĂ© que je voudrais te dĂ©barrasser de moi. Ne m'en veux pas, mon intention Ă©tait bonne ; oui, car enfin je vous suis inutile Ă  toi et Ă  nos enfants. Depuis seize mois que je suis alitĂ©e
 Oh ! mon Dieu ! que j'ai soif ! Je t'en prie, donne-moi Ă  boire. – Tout Ă  l'heure ; je tĂąche de rĂ©chauffer la tasse entre mes mains. – Es-tu bon ! Et moi qui te dis des choses dures, encore ! – Pauvre femme, tu souffres ! Ça aigrit le caractĂšre. Dis-moi tout ce que tu voudras, mais ne me dis pas que tu voudrais me dĂ©barrasser de toi. – Mais Ă  quoi te suis-je bonne ? – À quoi nous sont bons nos enfants ? – À te surcharger de travail. – Sans doute ! aussi, grĂące Ă  vous autres, je trouve la force d'ĂȘtre Ă  l'ouvrage quelquefois vingt heures par jour, Ă  ce point que j'en suis devenu difforme et estropiĂ©. Est-ce que tu crois que sans cela je ferais pour l'amour de moi tout seul le mĂ©tier que je fais ? Oh ! non, la vie n'est pas assez belle, j'en finirais avec elle. – C'est comme moi, reprit Madeleine ; sans les enfants, il y a longtemps que je t'aurais dit Morel, tu en as assez, moi aussi ; le temps d'allumer un rĂ©chaud de charbon, on se moque de la misĂšre
 » Mais ces enfants
 ces enfants
 – Tu vois donc bien qu'ils sont bons Ă  quelque chose, dit Morel avec une admirable naĂŻvetĂ©. Allons, tiens, bois, mais par petites gorgĂ©es, car c'est encore bien froid. – Oh ! merci, Morel, dit Madeleine en buvant avec aviditĂ©. – Assez, assez
 – C'Ă©tait trop froid ; mon frisson redouble, dit Madeleine en lui rendant la tasse. – Mon Dieu, mon Dieu ! je te l'avais bien dit, tu souffres
 – Je n'ai plus la force de trembler. Il me semble que je suis saisie de tous les cĂŽtĂ©s dans un gros glaçon, voilĂ  tout
 Morel ĂŽta sa veste, la mit sur les pieds de sa femme, et resta le torse nu. Le malheureux n'avait pas de chemise. – Mais tu vas geler, Morel ! – Tout Ă  l'heure, si j'ai trop froid, je reprendrai ma veste un moment. – Pauvre homme !
 ah ! tu as bien raison, le ciel n'est pas juste. Qu'est-ce que nous avons fait pour ĂȘtre si malheureux, tandis que d'autres
 ? – Chacun a ses peines, les grands comme les petits. – Oui, mais les grands ont des peines qui ne leur creusent pas l'estomac et qui ne les font pas grelotter. Tiens, quand je pense qu'avec le prix d'un de ces diamants que tu polis nous aurions de quoi vivre dans l'aisance, nous et nos enfants, ça rĂ©volte. Et Ă  quoi ça leur sert-il, ces diamants ? – S'il n'y avait qu'Ă  dire Ă  quoi ça sert-il aux autres ? on irait loin. C'est comme si tu disais Ă  quoi ça sert-il Ă  ce monsieur, que Mme Pipelet appelle le commandant, d'avoir louĂ© et meublĂ© le premier Ă©tage de cette maison, oĂč il ne vient jamais ? À quoi ça lui sert-il d'avoir lĂ  de bons matelas, de bonnes couvertures, puisqu'il loge ailleurs ? – C'est bien vrai. Il y aurait lĂ  de quoi nipper pour longtemps plus d'un pauvre mĂ©nage comme le nĂŽtre
 sans compter que tous les jours Mme Pipelet fait du feu pour empĂȘcher ses meubles d'ĂȘtre abĂźmĂ©s par l'humiditĂ©. Tant de bonne chaleur perdue, tandis que nous et nos enfants nous gelons ! Mais tu me diras Ă  ça nous ne sommes pas des meubles. Oh ! ces riches, c'est si dur ! – Pas plus durs que d'autres, Madeleine. Mais ils ne savent pas, vois-tu, ce que c'est que la misĂšre. Ça naĂźt heureux, ça vit heureux, ça meurt heureux Ă  propos de quoi veux-tu que ça pense Ă  nous ? Et puis, je te dis
 ils ne savent pas
 Comment se feraient-ils une idĂ©e des privations des autres ? Ont-ils grand-faim, grande est leur joie, ils n'en dĂźnent que mieux. Fait-il grand froid, tant mieux, ils appellent ça une belle gelĂ©e c'est tout simple ; s'ils sortent Ă  pied, ils rentrent ensuite au coin d'un bon foyer, et la froidure leur fait trouver le feu meilleur ; ils ne peuvent donc pas nous plaindre beaucoup, puisqu'Ă  eux la faim et le froid leur tournent Ă  plaisir. Ils ne savent pas, vois-tu, ils ne savent pas !
 À leur place nous ferions comme eux. – Les pauvres gens sont donc meilleurs qu'eux tous, puisqu'ils s'entraident ! Cette bonne petite Mlle Rigolette, qui nous a si souvent veillĂ©s, moi ou les enfants, pendant nos maladies, a emmenĂ© hier JĂ©rĂŽme et Pierre pour partager son souper. Et son souper, ça n'est guĂšre ; une tasse de lait et du pain. À son Ăąge on a bon appĂ©tit ; bien sĂ»r elle se sera privĂ©e. – Pauvre fille ! Oui, elle est bien bonne. Et pourquoi ? parce qu'elle connaĂźt la peine. Et, comme je dis toujours si les riches savaient ! Si les riches savaient ! – Et cette petite dame qui est venue avant-hier, d'un air effarĂ©, nous demander si nous avions besoin de quelque chose, maintenant elle sait, celle-lĂ , ce que c'est que des malheureux
 eh bien ! elle n'est pas revenue. – Elle reviendra peut-ĂȘtre ; car, malgrĂ© sa figure effrayĂ©e, elle avait l'air bien doux et bien comme il faut. – Oh ! avec toi, dĂšs qu'on est riche, on a toujours raison. On dirait que les riches sont faits d'une autre pĂąte que nous. – Je ne dis pas cela, reprit doucement Morel ; je dis au contraire qu'ils ont leurs dĂ©fauts ; nous avons, nous, les nĂŽtres. Le malheur est qu'ils ne savent pas
 Le malheur est qu'il y a, par exemple, beaucoup d'agents pour dĂ©couvrir les gueux qui ont commis des crimes, et qu'il n'y a pas d'agents pour dĂ©couvrir les honnĂȘtes ouvriers accablĂ©s de famille qui sont dans la derniĂšre des misĂšres et qui, faute d'un peu de secours donnĂ© Ă  point, se laissent quelquefois tenter. C'est bon de punir le mal, ça serait peut-ĂȘtre meilleur de l'empĂȘcher. Vous ĂȘtes restĂ© probe jusqu'Ă  cinquante ans ; mais l'extrĂȘme misĂšre, la faim vous poussent au mal, et voilĂ  un coquin de plus ; tandis que si on avait su
 Mais Ă  quoi bon penser Ă  cela ?
 Le monde est comme il est. Je suis pauvre et dĂ©sespĂ©rĂ©, je parle ainsi ; je serais riche, je parlerais de fĂȘtes et de plaisirs. Eh bien ! pauvre femme, comment vas-tu ? – Toujours la mĂȘme chose
 Je ne sens plus mes jambes. Mais toi, tu trembles ; reprends donc ta veste, et souffle cette chandelle qui brĂ»le pour rien ; voilĂ  le jour. En effet, une lueur blafarde, glissant pĂ©niblement Ă  travers la neige dont Ă©tait obstruĂ© le carreau de la lucarne, commençait Ă  jeter une triste clartĂ© dans l'intĂ©rieur de ce rĂ©duit et rendait son aspect plus affreux encore. L'ombre de la nuit voilait au moins une partie de ces misĂšres. – Je vais attendre qu'il fasse assez clair pour me remettre Ă  travailler, dit le lapidaire en s'asseyant sur le bord de la paillasse de sa femme et en appuyant son front dans ses deux mains. AprĂšs quelques moments de silence, Madeleine lui dit – Quand Mme Mathieu doit-elle revenir chercher les pierres auxquelles tu travailles ? – Ce matin. Je n'ai plus qu'une facette d'un diamant faux Ă  polir. – Un diamant faux !
 toi qui ne tailles que des pierres fines, malgrĂ© ce qu'on croit dans la maison ! – Comment ! tu ne sais pas !
 Mais c'est juste, quand l'autre jour Mme Mathieu est venue, tu dormais. Elle m'a donnĂ© dix diamants faux, dix cailloux du Rhin Ă  tailler, juste de la mĂȘme grosseur et de la mĂȘme maniĂšre que le mĂȘme nombre de pierres fines qu'elle m'apportait, celles qui sont lĂ  avec des rubis. Je n'ai jamais vu des diamants d'une plus belle eau ; ces dix pierres-lĂ  valent certainement plus de soixante mille francs. – Et pourquoi te les fait-elle imiter en faux ? – Une grande dame Ă  qui ils appartiennent, une duchesse, je crois, a chargĂ© M. Baudoin le joaillier de vendre sa parure et de lui faire faire Ă  la place une parure en pierres fausses. Mme Mathieu, la courtiĂšre en pierreries de M. Baudoin, m'a appris cela en m'apportant les pierres vraies, afin que je donne aux fausses la mĂȘme coupe et la mĂȘme forme ; Mme Mathieu a chargĂ© de la mĂȘme besogne quatre autres lapidaires, car il y a quarante ou cinquante pierres Ă  tailler. Je ne pouvais pas tout faire, cela devait ĂȘtre prĂȘt ce matin ; il faut Ă  M. Baudoin le temps de remonter des pierres fausses. Mme Mathieu dit que souvent des dames font ainsi en cachette remplacer leurs diamants par des cailloux du Rhin. – Tu vois bien, les fausses pierres font le mĂȘme effet que les vraies, et les grandes dames, qui mettent seulement ça pour se parer, n'auraient jamais l'idĂ©e de sacrifier un diamant au soulagement de malheureux comme nous ! – Pauvre femme ! Sois donc raisonnable, le chagrin te rend injuste. Qui est-ce qui sait que nous, les Morel, sommes malheureux ? – Oh ! quel homme, quel homme ! On te couperait en morceaux, toi, que tu dirais merci. Morel haussa les Ă©paules avec compassion. – Combien te devra ce matin Mme Mathieu ? reprit Madeleine. – Rien, puisque je suis en avance avec elle de cent vingt francs. – Rien ! Mais nous avons fini hier nos derniers vingt sous. – Oui, dit Morel d'un air abattu. – Et comment allons-nous faire ? – Je ne sais pas. – Et le boulanger ne veut plus nous fournir Ă  crĂ©dit
 – Non, puisque hier j'ai empruntĂ© le quart d'un pain Ă  Mme Pipelet. – La mĂšre Burette ne nous prĂȘterait rien ? – Nous prĂȘter !
 Maintenant qu'elle a tous nos effets en gage, sur quoi nous prĂȘterait-elle ?
 sur nos enfants ? dit Morel avec un sourire amer. – Mais ma mĂšre, les enfants et toi, vous n'avez mangĂ© hier qu'une livre et demie de pain Ă  vous tous ! Vous ne pouvez pas mourir de faim non plus. Aussi c'est ta faute ; tu n'a pas voulu te faire inscrire cette annĂ©e au bureau de charitĂ©. – On n'inscrit que les pauvres qui ont des meubles, et nous n'en avons plus ; on nous regarde comme en garni. C'est comme pour ĂȘtre admis aux salles d'asile, il faut que les enfants aient au moins une blouse, et les nĂŽtres n'ont que des haillons ; et puis, pour le bureau de charitĂ©, il aurait fallu, pour me faire inscrire, aller, retourner peut-ĂȘtre vingt fois au bureau, puisque nous n'avons pas de protections. Ça me ferait perdre plus de temps que ça ne vaudrait. – Mais comment faire alors ? – Peut-ĂȘtre cette petite dame qui est venue hier ne nous oubliera pas. – Oui, comptes-y. Mais Mme Mathieu te prĂȘtera bien cent sous ; tu travailles pour elle depuis dix ans, elle ne peut pas laisser dans une pareille peine un honnĂȘte ouvrier chargĂ© de famille. – Je ne crois pas qu'elle puisse nous prĂȘter quelque chose. Elle a fait tout ce qu'elle a pu en m'avançant petit Ă  petit cent vingt francs ; c'est une grosse somme pour elle. Parce qu'elle est courtiĂšre de diamants et qu'elle en a quelquefois pour cinquante mille francs dans son cabas, elle n'en est pas plus riche. Quand elle gagne cent francs par mois, elle est bien contente, car elle a des charges, deux niĂšces Ă  Ă©lever. Cent sous pour elle, vois-tu, c'est comme cent sous pour nous, et il y a des moments oĂč on ne les a pas, tu le sais bien. Étant dĂ©jĂ  de beaucoup en avance avec moi, elle ne peut s'ĂŽter le pain de la bouche Ă  elle et aux siens. – VoilĂ  ce que c'est que de travailler pour des courtiers au lieu de travailler pour les forts joailliers ; ils sont moins regardants quelquefois. Mais tu te laisses toujours manger la laine sur le dos, c'est ta faute. – C'est ma faute ! s'Ă©cria ce malheureux, exaspĂ©rĂ© par cet absurde reproche ; est-ce ta mĂšre ou non qui est cause de toutes nos misĂšres ? S'il n'avait pas fallu payer le diamant qu'elle a perdu, ta mĂšre, nous serions en avance, nous aurions le prix de mes journĂ©es, nous aurions les onze cents francs que nous avons retirĂ©s de la caisse d'Ă©pargne pour les joindre aux treize cents francs que nous a prĂȘtĂ©s ce M. Jacques Ferrand, que Dieu maudisse ! – Tu t'obstines encore Ă  ne lui rien demander, Ă  celui-lĂ . AprĂšs ça, il est si avare que ça ne servirait peut-ĂȘtre Ă  rien ; mais enfin on essaie toujours. – À lui ! À lui ! M'adresser Ă  lui ! s'Ă©cria Morel ; j'aimerais mieux me laisser brĂ»ler Ă  petit feu. Tiens, ne me parle pas de cet homme-lĂ , tu me rendrais fou. En disant ces mots, la physionomie du lapidaire, ordinairement douce et rĂ©signĂ©e, prit une expression de sombre Ă©nergie, son pĂąle visage se colora lĂ©gĂšrement ; il se leva brusquement du grabat oĂč il Ă©tait assis et marcha dans la mansarde avec agitation. MalgrĂ© son apparence grĂȘle, difforme, l'attitude et les traits de cet homme respiraient alors une gĂ©nĂ©reuse indignation. – Je ne suis pas mĂ©chant, s'Ă©cria-t-il ; de ma vie, je n'ai fait de mal Ă  personne, mais, vois-tu, ce notaire !
 Oh ! je lui souhaite autant de mal qu'il m'en a fait. Puis, mettant ses deux mains sur son front, il murmura d'une voix douloureuse Mon Dieu ! pourquoi donc faut-il qu'un mauvais sort que je n'ai pas mĂ©ritĂ© me livre, moi et les miens, pieds et poings liĂ©s, Ă  cet hypocrite ! Aura-t-il donc le droit d'user de sa richesse pour perdre, corrompre et dĂ©soler ceux qu'il veut perdre, corrompre et dĂ©soler ? – C'est ça, c'est ça, dit Madeleine, dĂ©chaĂźne-toi contre lui ; tu seras bien avancĂ© quand il t'aura fait mettre en prison, comme il peut le faire d'un jour Ă  l'autre pour cette lettre de change de treize cents francs, pour laquelle il a obtenu jugement contre toi. Il te tient comme un oiseau au bout d'un fil. Je le dĂ©teste autant que toi, ce notaire ; mais, puisque nous sommes dans sa dĂ©pendance, il faut bien
 – Laisser dĂ©shonorer notre fille, n'est-ce pas ? s'Ă©cria le lapidaire d'une voix foudroyante. – Mon Dieu ! tais-toi donc, ces enfants sont Ă©veillĂ©s
 ils t'entendent. – Bah ! bah ! tant mieux ! reprit Morel avec une effrayante ironie, ça sera d'un bon exemple pour nos deux petites filles ; ça les prĂ©parera ; il n'a qu'un jour Ă  en avoir aussi la fantaisie, le notaire ! Ne sommes-nous pas dans sa dĂ©pendance ? comme tu dis toujours. Voyons, rĂ©pĂšte donc encore qu'il peut me faire mettre en prison ; voyons, parle franchement
 il faut lui abandonner notre fille, n'est-ce pas ? Puis ce malheureux termina son imprĂ©cation en Ă©clatant en sanglots ; car cette honnĂȘte et bonne nature ne pouvait longtemps soutenir ce ton de douloureux sarcasme. – Ô mes enfants ! s'Ă©cria-t-il en fondant en larmes ; mes pauvres enfants ! ma Louise, ma bonne et belle Louise !
 trop belle, trop belle !
 c'est aussi de lĂ  que viennent tous nos malheurs. Si elle n'avait pas Ă©tĂ© si belle, cet homme ne m'aurait pas proposĂ© de me prĂȘter cet argent. Je suis laborieux et honnĂȘte, le joaillier m'aurait donnĂ© du temps, je n'aurais pas d'obligation Ă  ce vieux monstre, et il n'abuserait pas du service qu'il nous a rendu pour tĂącher de dĂ©shonorer ma fille, je ne l'aurais pas laissĂ©e un jour chez lui. Mais il le faut, il le faut ; il me tient dans sa dĂ©pendance. Oh ! la misĂšre, la misĂšre, que d'outrages elle fait dĂ©vorer ! – Mais, comment faire aussi ? Il a dit Ă  Louise Si tu t'en vas de chez moi, je fais mettre ton pĂšre en prison. » – Oui, il la tutoie comme la derniĂšre des crĂ©atures. – Si ce n'Ă©tait que cela, on se ferait une raison ; mais si elle quitte le notaire il te fera prendre, et alors, pendant que tu seras en prison, que veux-tu que je devienne toute seule, moi, avec nos enfants et ma mĂšre ? Quand Louise gagnerait vingt francs par mois dans une autre place, est-ce que nous pourrions vivre six personnes lĂ -dessus ? – Oui, c'est pour vivre que nous laissons peut-ĂȘtre dĂ©shonorer Louise. – Tu exagĂšres toujours ; le notaire la poursuit, c'est vrai
 elle nous l'a dit, mais elle est honnĂȘte, tu le sais bien. – Oh ! oui, elle est honnĂȘte, et active, et bonne !
 Quand, nous voyant dans la gĂȘne Ă  cause de ta maladie, elle a voulu entrer en place pour ne pas nous ĂȘtre Ă  charge, je ne t'ai pas dit, va, ce que ça m'a coĂ»tĂ© !
 Elle, servante
 maltraitĂ©e, humiliĂ©e !
 elle si fiĂšre naturellement qu'en riant
 te souviens-tu ? nous riions alors, nous l'appelions la Princesse, parce qu'elle disait toujours qu'Ă  force de propretĂ© elle rendrait notre pauvre rĂ©duit comme un petit palais
 ChĂšre enfant, ç'aurait Ă©tĂ© mon luxe de la garder prĂšs de nous, quand j'aurais dĂ» passer les nuits au travail
 C'est qu'aussi, quand je voyais sa bonne figure rose et ses jolis yeux bruns devant moi, lĂ , prĂšs de mon Ă©tabli, et que je l'Ă©coutais chanter, ma tĂąche ne me paraissait pas lourde ! Pauvre Louise, si laborieuse et avec ça si gaie
 Jusqu'Ă  ta mĂšre dont elle faisait ce qu'elle voulait !
 Mais, dame ! aussi quand elle vous parlait, quand elle vous regardait, il n'y avait pas moyen de ne pas dire comme elle
 Et toi, comme elle te soignait ! comme elle t'amusait ! Et ses frĂšres et ses sƓurs, s'en occupait-elle assez !
 Elle trouvait le temps de tout faire. Aussi, avec Louise, tout notre bonheur
 tout s'en est allĂ©. – Tiens, Morel, ne me rappelle pas ça
 tu me fends le cƓur, dit Madeleine en pleurant Ă  chaudes larmes. – Et quand je pense que peut-ĂȘtre ce vieux monstre
 Tiens, vois-tu
 Ă  cette pensĂ©e la tĂȘte me tourne
 Il me prend des envies d'aller le tuer et de me tuer aprĂšs
 – Et nous ! qu'est-ce que nous deviendrions ? Et puis, encore une fois, tu t'exagĂšres. Le notaire aura peut-ĂȘtre dit cela Ă  Louise comme
 en plaisantant
 D'ailleurs il va Ă  la messe tous les dimanches ; il frĂ©quente beaucoup de prĂȘtres
 Il y a beaucoup de gens qui disent qu'il est plus sĂ»r de placer de l'argent chez lui qu'Ă  la caisse d'Ă©pargne. – Qu'est-ce que cela prouve ? Qu'il est riche et hypocrite
 je connais bien Louise
 elle est honnĂȘte
 Oui, mais elle nous aime comme on n'aime pas ; son cƓur saigne de notre misĂšre. Elle sait que sans moi vous mourriez tout Ă  fait de faim ; et si le notaire l'a menacĂ©e de me faire mettre en prison
 la malheureuse a Ă©tĂ© peut-ĂȘtre capable
 Oh ! ma tĂȘte !
 c'est Ă  en devenir fou ! – Mon Dieu ! si cela Ă©tait arrivĂ©, le notaire lui aurait donnĂ© de l'argent, des cadeaux, et, bien sĂ»r, elle n'aurait rien gardĂ© pour elle ; elle nous en aurait fait profiter. – Tais-toi
 je ne comprends pas seulement que tu aies des idĂ©es pareilles
 Louise accepter
 Louise
 – Mais pas pour elle
 pour nous
 – Tais-toi
 encore une fois, tais-toi !
 tu me fais frĂ©mir
 Sans moi
 je ne sais pas ce que tu serais devenue
 et mes enfants aussi avec des raisons pareilles. – Quel mal est-ce que je dis ? – Aucun
 – Eh bien ! pourquoi crains-tu que ?
 Le lapidaire interrompit impatiemment sa femme – Je crains, parce que je remarque que depuis trois mois
 chaque fois que Louise vient ici et qu'elle m'embrasse
 elle rougit. – Du plaisir de te voir. – Ou de honte
 elle est de plus en plus triste
 – Parce qu'elle nous voit de plus en plus malheureux. Et puis, quand je lui parle du notaire, elle dit que maintenant il ne la menace plus de la prison pour toi. – Oui, mais Ă  quel prix ne la menace-t-il plus ? elle ne le dit pas, et elle rougit en m'embrassant
 Oh ! mon Dieu ! ça serait dĂ©jĂ  pourtant bien mal Ă  un maĂźtre de dire Ă  une pauvre fille honnĂȘte, dont le pain dĂ©pend de lui CĂšde, ou je te chasse et si l'on vient s'informer de toi, je rĂ©pondrai que tu es un mauvais sujet, pour t'empĂȘcher de te placer ailleurs
 » Mais lui dire CĂšde, ou je fais mettre ton pĂšre en prison ! » lui dire cela lorsqu'on sait que toute une famille vit du travail de ce pĂšre, oh ! c'est mille fois plus criminel encore ! – Et quand on pense qu'avec un des diamants qui sont lĂ  sur ton Ă©tabli tu pourrais avoir de quoi rembourser le notaire, faire sortir notre fille de chez lui et la garder chez nous
, dit lentement Madeleine. – Quand tu me rĂ©pĂ©teras cent fois la mĂȘme chose, Ă  quoi bon ?
 Certainement que, si j'Ă©tais riche, je ne serais pas pauvre, reprit Morel avec une douloureuse impatience. La probitĂ© Ă©tait tellement naturelle et pour ainsi dire tellement organique chez cet homme, qu'il ne lui venait pas Ă  l'esprit que sa femme abattue, aigrie par le malheur, pĂ»t concevoir quelque arriĂšre-pensĂ©e mauvaise et voulĂ»t tenter son irrĂ©prochable honnĂȘtetĂ©. Il reprit amĂšrement – Il faut se rĂ©signer. Heureux ceux qui peuvent avoir leurs enfants auprĂšs d'eux et les dĂ©fendre des piĂšges ; mais une fille du peuple, qui la garantit ? personne
 Est-elle en Ăąge de gagner quelque chose, elle part le matin pour son atelier, rentre le soir ; pendant ce temps-lĂ  la mĂšre travaille de son cĂŽtĂ©, le pĂšre du sien. Le temps, c'est notre fortune, et le pain est si cher qu'il ne nous reste pas le loisir de veiller sur nos enfants ; et puis on crie Ă  l'inconduite des filles pauvres
 comme si leurs parents avaient le moyen de les garder chez eux, ou le temps de les surveiller quand elles sont dehors
 Les privations ne nous sont rien auprĂšs du chagrin de quitter notre femme, notre enfant, notre pĂšre
 C'est surtout Ă  nous, pauvres gens, que la vie de famille serait salutaire et consolante
 Et, dĂšs que nos enfants sont en Ăąge de raison, nous sommes forcĂ©s de nous en sĂ©parer ! À ce moment on frappa bruyamment Ă  la porte de la mansarde. XX. Le jugement ÉtonnĂ©, le lapidaire se leva et alla ouvrir
 Deux hommes entrĂšrent dans la mansarde. L'un, maigre, grand, la figure ignoble et bourgeonnĂ©e, encadrĂ©e d'Ă©pais favoris noirs grisonnants, tenait Ă  la main une grosse canne plombĂ©e, portait un chapeau dĂ©formĂ© et une longue redingote verte crottĂ©e, Ă©troitement boutonnĂ©e. Son col de velours noir rĂąpĂ© laissait voir un cou long, rouge, pelĂ© comme celui d'un vautour
 Cet homme s'appelait Malicorne. L'autre plus petit, et de mine aussi basse, rouge, gros et trapu, Ă©tait vĂȘtu avec une sorte de somptuositĂ© grotesque. Des boutons de brillants attachaient les plis de sa chemise d'une propretĂ© douteuse, et une longue chaĂźne d'or serpentait sur un gilet Ă©cossais d'Ă©toffe passĂ©e, que laissait voir un paletot de panne d'un gris jaunĂątre
 Cet homme s'appelait Bourdin. – Oh ! que ça pue la misĂšre et la mort ici ! dit Malicorne en s'arrĂȘtant au seuil. – Le fait est que ça ne sent pas le musc ! Quelles pratiques ! reprit Bourdin en faisant un geste de dĂ©goĂ»t et de mĂ©pris ; puis il s'avança vers l'artisan qui le regardait avec autant de surprise que d'indignation. À travers la porte laissĂ©e entrebĂąillĂ©e, on vit apparaĂźtre la figure mĂ©chante, attentive et rusĂ©e de Tortillard, qui, ayant suivi ces inconnus Ă  leur insu, regardait, Ă©piait, Ă©coutait. – Que voulez-vous ? dit brusquement le lapidaire, rĂ©voltĂ© de la grossiĂšretĂ© des deux hommes. – JĂ©rĂŽme Morel ? lui rĂ©pondit Bourdin. – C'est moi
 – Ouvrier lapidaire ? – C'est moi. – Bien sĂ»r ? – Encore une fois, c'est moi
 Vous m'impatientez
 que voulez-vous ?
 expliquez-vous ou sortez ! – Que ça d'honnĂȘtetĂ© ?
 merci !
 dis donc, Malicorne, reprit l'homme en se retournant vers son camarade, il n'y a pas gras
 ici
 c'est pas comme chez le vicomte de Saint-Remy ? – Oui
 mais quand il y a gras, on trouve visage de bois
 comme nous l'avons trouvĂ© rue de Chaillot. Le moineau avait filĂ© la veille
 et roide encore, tandis que des vermines pareilles ça reste collĂ© Ă  son chenil. – Je crois bien ; ça ne demande qu'Ă  ĂȘtre serrĂ© pour avoir la pĂątĂ©e. – Faut encore que le loup soit bon enfant ; ça lui coĂ»tera plus que ça ne vaut
 mais ça le regarde. – Tenez, dit Morel avec indignation, si vous n'Ă©tiez pas ivres comme vous en avez l'air, on se mettrait en colĂšre
 Sortez de chez moi Ă  l'instant ! – Ah ! ah ! il est fameux, le dĂ©jetĂ© ! s'Ă©cria Bourdin en faisant une allusion insultante Ă  la dĂ©viation de la taille du lapidaire. Dis donc, Malicorne, il a le toupet d'appeler ça un chez soi
 un bouge oĂč je ne voudrais pas mettre mon chien
 – Mon Dieu ! mon Dieu ! s'Ă©cria Madeleine, si effrayĂ©e qu'elle n'avait pas jusqu'alors pu dire une parole, appelle donc au secours
 c'est peut-ĂȘtre des malfaiteurs
 Prends garde Ă  tes diamants
 En effet, voyant ces deux inconnus de mauvaise mine s'approcher de plus en plus de l'Ă©tabli oĂč Ă©taient encore exposĂ©es les pierreries, Morel craignit quelque mauvais dessein, courut Ă  sa table et, de ses deux mains, couvrit les pierres prĂ©cieuses. Tortillard, toujours aux Ă©coutes et aux aguets, retint les paroles de Madeleine, remarqua le mouvement de l'artisan et se dit – Tiens
 tiens
 tiens
 on le disait lapidaire en faux ; si les pierres Ă©taient fausses, il n'aurait pas peur d'ĂȘtre volé  Bon Ă  savoir alors la mĂšre Mathieu, qui vient souvent ici, est donc aussi courtiĂšre en vrai
 C'est donc de vrais diamants qu'elle a dans son cabas
 Bon Ă  savoir ; je dirai ça Ă  la Chouette, Ă  la Chouette, dit le fils de Bras-Rouge en chantonnant. – Si vous ne sortez pas de chez moi, je crie Ă  la garde, dit Morel. Les enfants, effrayĂ©s de cette scĂšne, commencĂšrent Ă  pleurer, et la vieille idiote se dressa sur son sĂ©ant
 – S'il y a quelqu'un qui ait le droit de crier Ă  la garde
 c'est nous
 entendez-vous, monsieur le dĂ©jetĂ© ? dit Bourdin. – Vu que la garde doit nous prĂȘter main-forte pour vous conduire si vous regimbez, ajouta Malicorne. Nous n'avons pas de juge de paix avec nous, c'est vrai ; mais si vous tenez Ă  jouir de sa sociĂ©tĂ©, on va vous en servir un sortant de son lit, tout chaud, tout bouillant
 Bourdin va aller le chercher. – En prison
 moi ? s'Ă©cria Morel frappĂ© de stupeur. – Oui
 Ă  Clichy
 – À Clichy ? rĂ©pĂ©ta l'artisan d'un air hagard. – A-t-il la boule dure, celui-lĂ  ! dit Malicorne. – À la prison pour dettes
 aimez-vous mieux ça ? reprit Bourdin. – Vous
 vous
 seriez
 comment
 le notaire
 Ah ! mon Dieu !
 Et l'ouvrier, pĂąle comme la mort, retomba sur son escabeau, sans pouvoir ajouter une parole. – Nous sommes gardes du commerce pour vous pincer, si nous en Ă©tions capables
 Y ĂȘtes-vous, pays ? – Morel
 le billet du maĂźtre de Louise !
 Nous sommes perdus ! s'Ă©cria Madeleine d'une voix dĂ©chirante. – VoilĂ  le jugement, dit Malicorne en tirant de son portefeuille un acte timbrĂ©. AprĂšs avoir psalmodiĂ©, comme d'habitude, une partie de cette requĂȘte d'une voix presque inintelligible, il articula nettement les derniers mots, malheureusement trop significatifs pour l'artisan – Jugeant en dernier ressort, le tribunal condamne le sieur JĂ©rĂŽme Morel Ă  payer au sieur Pierre Petit-Jean, nĂ©gociant, par toutes voies de droit, et mĂȘme par corps, la somme de treize cents francs avec l'intĂ©rĂȘt Ă  dater du jour du protĂȘt, et le condamne en outre aux dĂ©pens. Fait et jugĂ© Ă  Paris, le 13 septembre 1838. » – Et Louise, alors ? Et Louise ? s'Ă©cria Morel presque Ă©garĂ© sans paraĂźtre entendre ce grimoire, oĂč est-elle ? Elle est donc sortie de chez le notaire, puisqu'il me fait emprisonner ?
 Louise
 mon Dieu ! qu'est-elle devenue ? – Qui ça, Louise ? dit Bourdin. – Laisse-le donc, reprit brutalement Malicorne, est-ce que tu ne vois pas qu'il bat la breloque ? Allons, et il s'approcha de Morel, allons, par file Ă  gauche
 en avant, marche, dĂ©canillons ; j'ai besoin de prendre l'air, ça empoisonne ici. – Morel, n'y va pas. DĂ©fends-toi ! s'Ă©cria Madeleine avec Ă©garement. Tue-les, ces gueux-lĂ . Oh ! es-tu poltron !
 Tu te laisseras emmener ? Tu nous abandonneras ? – Faites comme chez vous, madame, dit Bourdin d'un air sardonique. Mais si votre homme lĂšve la main sur moi, je l'Ă©tourdis. Seulement prĂ©occupĂ© de Louise, Morel n'entendait rien de ce qu'on disait autour de lui. Tout Ă  coup une expression de joie amĂšre Ă©claira son visage, il s'Ă©cria – Louise a quittĂ© la maison du notaire
 j'irai en prison de bon cƓur
 Mais, jetant un regard autour de lui, il s'Ă©cria Et ma femme et sa mĂšre
 et mes autres enfants
 qui les nourrira ? On ne voudra pas me confier des pierres pour travailler en prison
 on croira que c'est mon inconduite qui m'y envoie
 Mais c'est donc la mort des miens, notre mort Ă  tous, qu'il veut, le notaire ? – Une fois ! deux fois ! finirons-nous ? dit Bourdin, ça nous embĂȘte, Ă  la fin
 Habillez-vous, et filons. – Mes bons messieurs, pardon de ce que je vous ai dit tout Ă  l'heure ! s'Ă©cria Madeleine toujours couchĂ©e. Vous n'aurez pas le cƓur d'emmener Morel
 Qu'est-ce que vous voulez que je devienne avec mes cinq enfants et ma mĂšre qui est folle ? Tenez, la voyez-vous ?
 lĂ , accroupie sur son matelas ? elle est folle, mes bons messieurs !
 elle est folle
 – La vieille tondue ? – Tiens ! c'est vrai, elle est tondue, dit Malicorne ; moi, je croyais qu'elle avait un serre-tĂȘte blanc
 – Mes enfants, jetez-vous aux genoux de ces bons messieurs, s'Ă©cria Madeleine, voulant, par un dernier effort, attendrir les recors ; priez-les de ne pas emmener votre pauvre pĂšre
 notre seul gagne-pain
 MalgrĂ© les ordres de leur mĂšre, les enfants pleuraient effrayĂ©s, n'osant pas sortir de leur grabat. À ce bruit inaccoutumĂ©, Ă  l'aspect des deux recors qu'elle ne connaissait pas, l'idiote commença Ă  jeter des hurlements sourds en se rencognant contre la muraille. Morel semblait Ă©tranger Ă  ce qui se passait autour de lui ; ce coup Ă©tait si affreux, si inattendu, les consĂ©quences de cette arrestation lui paraissaient si Ă©pouvantables, qu'il ne pouvait y croire
 DĂ©jĂ  affaibli par des privations de toutes sortes, les forces lui manquaient ; il restait pĂąle, hagard, assis sur son escabeau, affaissĂ© sur lui-mĂȘme, les bras pendants, la tĂȘte baissĂ©e sur sa poitrine
 – Ah çà ! mille tonnerres !
 ça finira-t-il ? s'Ă©cria Malicorne. Est-ce que vous croyez qu'on est Ă  la noce ici ? Marchons, ou je vous empoigne. Le recors mit sa main sur l'Ă©paule de l'artisan et le secoua rudement. Ces menaces, ce geste inspirĂšrent une grande frayeur aux enfants ; les trois petits garçons sortirent de leur paillasse Ă  moitiĂ© nus, et vinrent, Ă©plorĂ©s, se jeter aux pieds des gardes du commerce, joignant les mains et criant d'une voix dĂ©chirante – GrĂące ! Ne tuez pas notre pĂšre !
 À la vue de ces malheureux enfants frissonnant de froid et d'Ă©pouvante, Bourdin, malgrĂ© sa duretĂ© naturelle et son habitude de pareilles scĂšnes, se sentit presque Ă©mu. Son camarade, impitoyable, dĂ©gagea brutalement sa jambe des Ă©treintes des enfants qui s'y cramponnaient suppliants. – Eh ! hue donc, les moutards !
 Quel chien de mĂ©tier, si on avait toujours affaire Ă  des mendiants pareils !
 Un Ă©pisode horrible rendit cette scĂšne plus affreuse encore. L'aĂźnĂ©e des petites filles, restĂ©e couchĂ©e dans la paillasse avec sa sƓur malade, s'Ă©cria tout Ă  coup – Maman, maman, je ne sais pas ce qu'elle a
 AdĂšle
 Elle est toute froide ! Elle me regarde toujours
 et elle ne respire plus
 La pauvre enfant phtisique venait d'expirer doucement sans une plainte, son regard toujours attachĂ© sur celui de sa sƓur qu'elle aimait tendrement
 Il est impossible de rendre le cri que jeta la femme du lapidaire Ă  cette affreuse rĂ©vĂ©lation, car elle comprit tout. Ce fut un de ces cris pantelants, convulsifs, arrachĂ©s du plus profond des entrailles d'une mĂšre. – Ma sƓur a l'air d'ĂȘtre morte ! Mon Dieu ! mon Dieu ! j'en ai peur ! s'Ă©cria l'enfant en se prĂ©cipitant hors de la paillasse et courant Ă©pouvantĂ©e se jeter dans les bras de sa mĂšre. Celle-ci, oubliant que ses jambes presque paralysĂ©es ne pouvaient la soutenir, fit un violent effort pour se lever et courir auprĂšs de sa fille morte ; mais les forces lui manquĂšrent, elle tomba sur le carreau en poussant un dernier cri de dĂ©sespoir. Ce cri trouva un Ă©cho dans le cƓur de Morel ; il sortit de sa stupeur, d'un bond fut Ă  la paillasse, y saisit sa fille ĂągĂ©e de quatre ans
 Il la trouva morte. Le froid, le besoin avaient hĂątĂ© sa fin
 quoique sa maladie, fruit de la misĂšre, fĂ»t mortelle. Ses pauvres petits membres Ă©taient dĂ©jĂ  roidis et glacĂ©s
 Fin de la troisiĂšme partie Source WikisourceCet enregistrement est mis Ă  disposition sous un contrat Art enregistrement est mis Ă  disposition sous un contrat Creative Commons. Faceaux nuisances rĂ©pĂ©tĂ©es causĂ©es par l’installation nocturne des Ă©tourneaux dans son centre, la Ville de Saint-Brieuc a dĂ©cidĂ© d’innover cet Et pour finir d'Ă©voquer cette JournĂ©e si folle qui vient de s'achever, une petite thĂšme de cette annĂ©e 2016 Ă©tait la Nature, et partout les oiseaux Ă©taient Ă  l'honneur. On avait pu entendre chanter les Coucous bĂ©nĂ©voles, Les fauvettes plaintives, le Rossignol vainqueur et la linotte effarouchĂ©e, et mĂȘme l'Oiseau prophĂšte, dans les Murmures de la forĂȘt et les Vergers fleuris. On avait tout particuliĂšrement admirĂ© Johnny Rasse et Jean Boucault, les deux imitateurs d'oiseaux spĂ©cialement invitĂ©s, Papagenos siffleurs et dĂ©licats ornithologues. Quand nous sommes sortis, le soir, avant le grand concert final, nous sommes passĂ©s, tout prĂšs des portes qu'on allait clore bientĂŽt, devant les jeunes magnolias qui bordent le quai du canal Saint-FĂ©lix. Ils rĂ©sonnaient de voix d'oiseaux si authentiques que bien sĂ»r nous avons tout d'abord cru Ă  une animation, Ă  des enregistrements que les organisateurs auraient fait installer pour parfaire l'illusion non, c'Ă©taient de vrais oiseaux, toute une bande d'Ă©tourneaux, qui s'Ă©taient posĂ©s lĂ , sur les branches, et pĂ©piaient dans la nuit. Les arbres en Ă©taient tout blanchis de fientes tandis que, derriĂšre nous, on continuait Ă  les imiter et Ă  les Ă©voquer, provoquant de longues salves d'applaudissements, ils Ă©taient lĂ , eux, les oiseaux, donnant leur grand personne, personne n'Ă©tait venu les personne, ne songeait plus Ă  la rĂ©alitĂ©, quand l'art ne nous la montre pas, nous ne savons, si souvent, ni la voir ni l'entendre. 1Utiliser les techniques de suspension et sonores. 1.1 Suspendre des objets mobiles. 1.2 Faire du bruit. 2 Se servir de produits ou d’objets repoussant les pies. 2.1 RĂ©pulsif fait-maison. 2.2 RĂ©pulsif sur le commerce. 2.3 Appareil Ă©lectronique Ă  vibration sonore. 3 Éloigner les nourritures du potager. Savoir reconnaĂźtre le chant des oiseaux des jardins RĂ©ussir Ă  identifier une espĂšce d’oiseau Ă  partir de son chant n’est pas chose facile. En effet, ils ne se comportent pas de la mĂȘme façon en fonction de la saison. Pendant la saison de reproduction avril Ă  juillet, ils ont tendance Ă  Ă©mettre leurs Ă©missions vocales et durant le reste de l’annĂ©e les oiseaux ne sont quasiment identifiables qu’à leurs cris de contact, d’alerte etc
. Ainsi voici quelques critĂšres simples afin de vous aider Ă  dĂ©terminer de quel oiseau il s’agit Ă  partir de son chant. Les chants d’oiseaux simples et constituĂ©s d’un seul type de son Le Bouvreuil pivoine Photo Flickr pete beard Le Bouvreuil pivoine, fringille grand et charpentĂ© Ă©met un cri de contact bref et sifflĂ© de type pi uy » lĂ©gĂšrement mĂ©lancolique et son chant reprend cette syllabe afin d’obtenir un chant doux, hachĂ© et descendant. La Cisticole des joncs Son chant se compose d’un bref son aigu et mĂ©tallique qu’elle rĂ©pĂšte sans relĂąche tsit
tsit
.tsit
 ». Le Bruant zizi Ce passereau se fait remarquer pendant la pĂ©riode de reproduction grĂące Ă  une brĂšve trille 10 Ă  20 rĂ©pĂ©titions sĂšche et monotone assez mĂ©tallique qu’il rĂ©pĂšte Ă  un rythme constant. C’est de cette caractĂ©ristique qu’il tire son nom de zizi ». Le Pouillot de Bonelli Ce pouillot se distingue de ses autres cousins par son chant trĂšs simple et facilement reconnaissable. Il est trĂšs communĂ©ment entendu grĂące Ă  sa nette dissyllabe sifflĂ©e et remontante de type pu-ie » rĂ©pĂ©tĂ©e de façon rapide. Le Hibou Petit-duc scops Photo Flickr Imran Shah Le Hibou Petit-duc scops est un petit rapace nocturne de la taille d’un poing et qui possĂšde un chant sifflant bref qui se rĂ©pĂšte toutes les 2 Ă  3 secondes de type kiou ». On peut l’entendre Ă  une longue distance c’est-Ă -dire environ 1 km. Il arrive parfois qu’on le confonde avec un petit amphibien appelĂ© l’alyte accoucheur. La Huppe fasciĂ©e Photo Flickr Imran Shah La Huppe fasciĂ©e est l’un des oiseaux les plus caractĂ©ristiques de la rĂ©gion mĂ©diterranĂ©enne, elle fait partie de la famille des upupidĂšs qui ne comprend que 4 espĂšces dont une a totalement disparue. Son chant typique est sourd et doux mais peut porter Ă  de grandes distances. Le woup woup woup » de la huppe constitue une phrase qui se rĂ©pĂšte Ă  quelques secondes d’intervalle. Les chants d’oiseaux simples et constituĂ©s de 2 types de son Le Verdier d’Europe Photo Flickr Tony Morris Le Verdier d’Europe, passereau verdĂątre, chante son tu tu tu tu tu 
djiit djiit djiiit» selon une vibration rapide rĂ©pĂ©tĂ©e avec de longues pauses entre chaque rĂ©pĂ©tition. Le Pouillot vĂ©loce Le chant du pouillot vĂ©loce se compose d’une alternance rĂ©guliĂšre et monotone de deux syllabes tsip tsap tsip tsap
. » Ă  connotation mĂ©tallique, c’est de lĂ  que lui vient son surnom de compteur d’écus ». Le mĂąle chante souvent du sommet d’un arbre. La MĂ©sange bleue Photo Flickr pete beard La mĂ©sange bleue appartient Ă  la famille des paridĂšs qui sont des passereaux corpulents de taille petite Ă  moyenne. Elle possĂšde un rĂ©pertoire vocal trĂšs variĂ© mais on la reconnait facilement Ă  l’écoute de son caractĂ©ristique psi psi – du du du du du » trĂšs cristallin. La Sittelle torchepot Photo Flickr Le poidesans EspĂšce principalement forestiĂšre, la Sittelle torchepot se repĂšre grĂące Ă  son sifflement trĂšs clair et plutĂŽt lent montant ou descendant vuih vuih vuih vuih vuih vuih vuih ». Le Bruant jaune Photo Flickr Sergey Yeliseev Le chant mĂ©tallique et monotone du Bruant jaune ressemble Ă  celui du Bruant zizi. Toutefois, contrairement Ă  son cousin, il se finit avec une note longue et trainante, lui donnant une connotation mĂ©lancolique. On peut le rĂ©sumer en un tsi tsi tsi tsi tsi tsi – tiiu ». Le Coucou gris Photo Flickr James West Le fameux ku koo » caractĂ©ristique du Coucou gris qui a Ă©tĂ© repris pour rappeler l’heure sur les anciennes horloges vient de cet oiseau qui porte bien son nom. La Tourterelle turque Photo Flickr Koshy Koshy Le chant de la Tourterelle turque se rapproche de celui du Coucou gris mais se prĂ©sente sur trois syllabes dont la deuxiĂšme est plus accentuĂ©e afin d’obtenir un koo – kooh – ku » nassillard. La MĂ©sange charbonniĂšre Photo Flickr La mĂ©sange charbonniĂšre est trĂšs active vocalement durant toute l’annĂ©e, elle possĂšde un chant assez constant qui se prĂ©sente selon deux variantes Tsi tu tsi tu tsi tu tsi tu » ou encore tsi tsi tu tsi tsi tu tsi tsi tu ». Les chants d’oiseaux spĂ©cifiques et caractĂ©ristiques Le Pinson des arbres Le Pinson des arbres, passereau commun, est facile Ă  reconnaitre aussi bien de par son plumage que par son chant. Ce dernier trĂšs stĂ©rĂ©otypĂ© est une phrase sonore que l’on pourrait retranscrire comme tji tji tji tji tiup tjiup tjiup tjiup tu tu tu ui tu ». Elle commence avec trois ou quatre sons aigus puis enchaine avec une sĂ©rie similaire descendante pour enfin terminer par une fioriture enjouĂ©e. Le Rougequeue noir Photo Flickr Imran Shah Le Rougequeue noir a l’habitude de chanter au lever du jour d’un lieu Ă©levĂ© souvent sur les toits des maisons. On le reconnait aisĂ©ment au son de papier froissĂ© qui termine son chant. Le Loriot d’Europe Photo Flickr Imran Shah Le chant du Loriot d’Europe s’apparente communĂ©ment au sifflement des garçons qui croisent une jolie fille, ainsi il s’agit d’un beau sifflement flĂ»tĂ© trĂšs typique de cette espĂšce. Le Grimpereau des jardins Photo Flickr Un bon moyen mĂ©motechnique pour retenir le chant trĂšs singulier du Grimpereau des jardins est de se remĂ©morer la phrase suivante Tip – si si je suis ici ». Le Pipit des arbres Photo Flickr JĂŒrgen Mangelsdorf Alors que de nombreuses espĂšces se font discrĂštes aux heures les moins favorables, lui se manifeste avec insistance mĂȘme en pleine journĂ©e. Son chant est lĂ©gĂšrement similaire Ă  celui du pinson des arbres mais plus long. Le Troglodyte mignon Son chant est plutĂŽt puissant pour un oiseau si petit, il se compose d’une rĂ©pĂ©tition de sons mĂ©talliques et de trilles. En hiver, il est facilement identifiable de par son cri d’inquiĂ©tude caractĂ©ristique drrrrr » roulĂ© et dur. L’Accenteur mouchet Photo Flickr pete beard La phrase que l’Accenteur mouchet gazouille est brodĂ©e sans motifs dĂ©finis mais selon une mĂ©lodie plutĂŽt aiguĂ«. Le timbre rappelle celui du troglodyte sans les trilles. Le Pouillot fitis Photo Flickr Dave Curtis Son chant est constituĂ© d’une strophe sifflante et plaintive rĂ©pĂ©tĂ©e de façon assidue de type fit fit fit sisisisi tutudoideda ». Les chants d’oiseaux spĂ©cifiques et caractĂ©ristiques La Fauvette des jardins Photo Flickr Kentish Plumber La mĂ©lodie de la Fauvette des jardins comporte d’abord une gamme de notes graves et rapides crescendo et descrescendo de façon alĂ©atoire. La Fauvette Ă  tĂȘte noire Le chant de la Fauvette Ă  tĂȘte noire compte parmi les plus beaux des espĂšces de fauvettes, c’est aussi une espĂšce imitatrice trĂšs douĂ©e. Elle commence par une strophe gazouillante similaire Ă  celle de la fauvette des jardins pour terminer ensuite par des notes flutĂ©es qui la caractĂ©risent. Le Rossignol PhilomĂšle Photo Flickr Rob Zweers Le Rossignol PhilomĂšle est un passereau qui est plus souvent entendu que vu, ainsi il est primordial de connaĂźtre son chant pour le dĂ©tecter. Peu difficile puisqu’il reste un des plus puissants ! Il est toutefois mĂ©lodieux et se compose de strophes variĂ©es alternant des trilles, des sifflements et des sons gloussants entre plusieurs pauses. On le reconnait notamment Ă  l’insertion de sifflements crescendo avant ses motifs vigoureux telle une mitraillette. Chanteur invĂ©tĂ©rĂ©, s’il se trouve Ă  proximitĂ© de votre chambre, il est parfois impossible de trouver le sommeil

 Le Rougegorge familier Photo Flickr pete beard La tonalitĂ© du chant est pour cette espĂšce trĂšs haute et le timbre est perlĂ©. Il alterne les rythmes lents et accĂ©lĂ©rĂ©s pour en gĂ©nĂ©ral reprendre une phrase que l’on peut dĂ©finir comme ti bidi bidiiii
ti bidi bidiiiiii » mais les strophes sont rarement les mĂȘmes. Le Rougegorge familier possĂšde la caractĂ©ristique de chanter en automne dans le but de marquer son territoire alimentaire. Le Merle noir Photo Flickr Bernard Ruelle Le Merle noir chante de façon flĂ»tĂ©e et mĂ©lodieuse selon un rythme assez calme. Les strophes sont courtes et rĂ©pĂ©tĂ©es toutes les 3 Ă  5 secondes mais la mĂ©lodie est trĂšs variĂ©e. Chaque mĂąle possĂšde son propre rĂ©pertoire. La Grive musicienne Photo Flickr Kentish Plumber La Grive musicienne, appartenant Ă  la mĂȘme famille que le merle, il semble logique de noter des ressemblances entre leurs chants, notamment par l’aspect flĂ»tĂ© et mĂ©lodieux. La grosse diffĂ©rence rĂ©side dans la cascade de sons qui sont rĂ©pĂ©tĂ©s deux ou trois fois avec une brĂšve pause. Les chants d’oiseaux spĂ©cifiques et caractĂ©ristiques L’Etourneau sansonnet Photo Flickr L’Etourneau sansonnet chante Ă  proximitĂ© du nid, au printemps mais aussi en hiver quand le temps est ensoleillĂ©. Il nous chantonne une longue phrase de sifflements et de grincements tout en Ă©bouriffant les plumes de sa gorge. Afin d’impressionner ses prĂ©tendantes et concurrents, il a l’habitude d’imiter les autres oiseaux. L’oiseau peut imiter le Milan noir et le Loriot d’Europe. Il lui arrive aussi souvent d’imiter la Buse variable. Le Geai des chĂȘnes Photo Flickr Martha de Jong-Lantink Comme l’Etourneau sansonnet, le Geai des chĂȘnes peut imiter la Buse variable mais la confusion est peu probable car la Buse crie toujours en vol alors que le cri du Geai est toujours audible d’un arbre ou d’un buisson. Comme pour tous les corvidĂ©s, on ne peut pas rĂ©ellement parler de chants mais il possĂšde un grand rĂ©pertoire de cris dont le plus commun est un kchÚÚch » sonore ! L’HypolaĂŻs polyglotte Photo Flickr Frank Vassen Avec cette petite fauvette, il est trĂšs important d’écouter pendant un long moment le chant afin de l’identifier car il est constituĂ© de fragments des chants de plusieurs espĂšces telles que les fauvettes phrase nerveuse et variĂ©e, les merles sons flĂ»tĂ©s, les hirondelles grincements, les rousseroles, etc. C’est ce qui lui vaut son nom de polyglotte ». GUIDES ET CONSEILS AUTOUR DES OISEAUX DES JARDINS Suivez-nous sur les rĂ©seaux sociaux !
Faceaux nuisances engendrĂ©es par la prĂ©sence de plusieurs centaines d’étourneaux dans le quartier du Port du Rhin, la Ville, en collaboration avec la Aller vers. Sections de cette Page. Aide accessibilitĂ©. Facebook. Adresse e-mail ou mobile: Mot de passe: Informations de compte oubliĂ©es ? S’inscrire. Strasbourg : des rapaces pour Ă©loigner les Ă©tourneaux. DNA Strasbourg. 3
[Photos] [PrĂ©sentation] [Classification] [Noms] [Étymologie] [Identification] [Chant] [Fientes] [Empreinte] [Vol] [Habitudes] [Cycle de vie] [Nourriture] [Habitats] [RĂ©partition] [Migration] [Culture] [Statut] [VidĂ©os] [Autres sujets][Taxon prĂ©cĂ©dant] [Monde animal] [Taxon ascendant] [Via Gallica]Photos PrĂ©sentationGĂ©nĂ©ralitĂ©sRedoutable chasseur d’oiseau, l’épervier d’Europe est un rapace diurne des rĂ©gions d’identification ailes courtes et arrondies, longue queuedessous blanchĂątre, fortement barrĂ© d’orangelongues pattes jaunesmĂąle plus petit que la femelle ClassificationRĂšgne animaux AnimaliaSous-rĂšgne mĂ©tazoaires MetazoaDivision triploblastiques BilateraliaSous-division deutĂ©rostomes DeuterostomiaSuper-embranchement chordĂ©s ChordataEmbranchement vertĂ©brĂ©s VertebrataSous-embranchement vertĂ©brĂ©s Ă  mĂąchoires GnathostomataClasse oiseaux AvesSous-classe nĂ©ornithes NeornithesSuper-ordre nĂ©ognathes NeognathaeGroupe rapacesSous-groupe rapaces diurnesOrdre accipitriformes AccipitriformesSous-ordre Famille accipitridĂ©s AccipitridaeSous-famille accipitrinĂ©s AccipitrinaeGenre autours et Ă©perviers AccipiterSous-genre EspĂšce Accipiter nisus [LinnĂ©, 1758]Sous-espĂšce Nom commun Ă©pervierNom populaire tiercelet, Ă©mouchet, Ă©mouchet gris, mouchetNoms europĂ©ensgjeraqina e shkurtĂ«sSperbersparrowhawkgabiraiĐżĐ”Ń€Đ°ĐżĐ”Đ»Đ°Ń‡ĐœŃ–Đșsparfell c’hlasĐŒĐ°Đ»ŃŠĐș ŃŃŃ‚Ń€Đ”Đ±esparver vulgar, esparver comĂșkobacspurvehĂžgspeireaggavilĂĄn comĂșnraudkullspurvaheykurvarpushaukkaĂ©pervier d’EuropesparwergabiĂĄngwalch glasΟΔφέρÎčkarvalyspiorĂłg, naile, speirsheabhacsparrhaukursparvierozvirbuÄŒu vanagspaukĆĄtvanagisjастрДб ĐČрапчарsparvierspurvehaukesparviĂšrsperwerkrogulecgaviĂŁo da Europauliu pasararŃŃŃ‚Ń€Đ”Đ±-ĐżĐ”Ń€Đ”ĐżĐ”Đ»ŃŃ‚ĐœĐžĐșĐșĐŸĐ±Đ°Ń†jastrab krahulecskobecsparvhökkrahujec obecnĂœŃŃŃ‚Ń€ŃƒĐ± ĐŒĐ°Đ»ĐžĐč, ĐżĐ”Ń€Đ”ĐżĐ”Đ»ŃŃ‚ĐœĐžĐșAccipiter nisusOrigine du nom IdentificationGĂ©nĂ©ralitĂ©s1 - MĂąle petite taille. Dessus gris ardoisĂ©, rayĂ© de - Femelle plus grande que le mĂąle. Plumage brun grisĂątre, dessous barrĂ© de brun et - Bec court mais crochu et - Serres doigts fins et longs, ongles trĂšs - ƒufs de 4 Ă  6 blanc bleutĂ© tachĂ© de brun. CouvĂ©s 33 Ă  35 jours par la Vol excellent voilier. Surgit Ă  l’improviste en surprenant ses d’Europe s’identifie d’abord Ă  son comportement et Ă  sa silhouette typique en vol, lorsque ses ailes courtes et arrondies et sa longue queue bien visible le distinguent du faucon taille de ce rapace est plus faible qu’on ne l’imagine gĂ©nĂ©ralement. C’est un rapace de petite taille, voire de trĂšs petite taille pour le mĂąle, l’épervier possĂšde des ailes courtes, larges et arrondies, et une longue queue, ce qui lui confĂšre une silhouette trĂšs chez beaucoup d’oiseaux de proie, le mĂąle est plus petit que la femelle et a un plumage plus Ă©clatant. Ce dimorphisme sexuel est marquĂ© le mĂąle environ 130 Ă  180 g est un tiers plus petit que la femelle environ 230 Ă  300 g, d’oĂč son nom de avec le dessus gris-bleu et le dessous blanchĂątre, fortement barrĂ© d’orange roussĂątre sur le corps et les couvertures l’exception d’une petite zone blanchĂątre Ă  la nuque et au-dessus des yeux, le dessus du corps est gris ardoisĂ©, bleutĂ©, la gorge blanchĂątre finement striĂ©e longitudinalement de brun, le dessous blanc rayĂ© transversalement de brun blanches et queue pattes l’épervier d’Europe donne l’impression gĂ©nĂ©rale d’un rapace Ă©lancĂ©, avec une queue trĂšs longue et une petite tĂȘte. La queue dĂ©passe largement des ailes. Le bec est petit. Les pattes et les tarses sont fins et longues. petite tĂȘte avec bec trĂšs courttrĂšs longue queue dĂ©passant trĂšs nettement des ailestarses et pattes fines et longuesLe dos du mĂąle et le dessus de ses ailes sont gris bleu sombre, gris ardoise vers le haut, blanc cassĂ©, roussĂątre vers le porte une tache blanchĂątre sur la sourcil du mĂąle est blanche avec du une taille de 30 cm de longueur en moyenne - guĂšre plus grand qu’un merle - il est nettement plus petit que la femelle, quelque 7 cm plus mĂąle d’épervier, toujours plus difficile Ă  observer que les femelles et les jeunes, se reconnaĂźt Ă  sa poitrine blanche finement striĂ©e de rouge-orangĂ©, roux vif, Ă  son dos et au dessus de ses ailes bleu 30 Ă  40 du mĂąle 140 de 59 Ă  65 de 100 Ă  200 jaune se recourbant dĂšs la jaune Ă  pointe noire visible chez les deux de 13 mm de longueur, moins long que la moitiĂ© de la se fait surtout remarquer du grand public par ses incursions de chasse aux environs des habitations ; mais la rapiditĂ© de ses attaques permet rarement de distinguer les caractĂ©ristiques de son plumage le plumage du dos et des ailes est gris ardoise,la gorge blanchĂątre striĂ©e de brun,les flancs finement barrĂ©s sur les parties infĂ©rieures,le dessous blanc rayĂ© transversalement de brun queue est barrĂ©e de sombre pour les deux pattes jaunes. Cire jaune verdĂątre ; tarses et doigts et doigts grĂȘles, assez femelle est plutĂŽt dans des tons de bruns, tirant un peu sur le gris. Le haut est brun foncĂ©, plus pĂąle vers le dessous est blanchĂątre striĂ© de foncĂ© autour des blanchĂątres, plus marquĂ©s que chez le de la femelle femelle est un peu plus grosse que le mĂąle, d’une corpulence voisine de celle d’un ressemble Ă  l’autour des palombes en plus petit, avec une silhouette plus Ă©lancĂ©e, une queue plus longue et carrĂ©e au bout, le dos brun-gris foncĂ©, des sous-caudales blanc teintes de la femelles sont moins rousses le dessus et les barres du dessous sont le plus souvent queue est barrĂ©e de sombre comme chez le de 14 mm chez la pattes femelle 170 68 - 80 180-350 silhouette du juvĂ©nile proche de celle de la femelle, le plumage dans des tons de bruns, mais plus brun roussĂątre que celui de la gris oisillons d’épervier ont un premier duvet blanc pur, seules les paupiĂšres sont foncĂ©es. Le deuxiĂšme duvet blanc est teintĂ© de gris brunĂątre sur le dos et les ailes, plus long et plus laineux que le plumage juvĂ©nile diffĂšre de celui de la femelle par le dessus brun foncĂ© avec des liserĂ©s roussĂątres notamment sus-caudales, les Ă©paules et le dessus du cou ; dessous crĂšme ou blanchĂątre avec des taches foncĂ©es bec des oisillons est gris bleu Ă  pointe noire et base gris jaunĂątre. Cire jaune verdĂątre.PatteLes oisillons ont les pattes jaune de 13 Ă  14 semblablesEn vol, la longue queue de l’épervier, trĂšs nettement barrĂ©e de gris et de brun foncĂ©, et ses courtes ailes arrondies le diffĂ©rencient des faucons et du se diffĂ©rencie du faucon crĂ©cerelle, de taille analogue, par ses ailes courtes et arrondies, son plumage Ă  dominante ardoisĂ©e barrĂ© de blanc, lavĂ© de roux vif chez le mĂąle, plus brun chez les juvĂ©niles. L’épervier n’a pas non plus l’habitude de voler sur place comme le fait le faucon Ă©vitera, en rase campagne, de confondre, en automne et hiver, l’épervier avec un autre rapace ornithophage, le faucon Ă©merillon, assez rare, plus petit et aux ailes plus pointues. Il se distingue de l’émerillon par des ailes courtes et proies plus grosses sont laissĂ©es Ă  son grand cousin, l’autour. L’autour des palombes, plus gros est plus infĂ©odĂ© aux milieux boisĂ©s. La silhouette caractĂ©ristique en vol planĂ© permet d’identifier l’épervier ailes courtes et larges et queue longue et Ă©troite ne se retrouvent que chez l’autour des palombes avec lequel il peut ĂȘtre confondu bien que ce dernier soit plus gros et ait l’extrĂ©mitĂ© de la queue arrondie et non pas Ă  angle droit. Cri et chantVolDescriptionLe vol de l’épervier est caractĂ©ristique, onduleux, composĂ© de battements d’ailes rapides entrecoupĂ©s de courts vols planĂ©s en arc de cercle, les ailes Ă  demi chasse, il vole au ras du sol, avec des battements intercalĂ©s, Ă©pousant le moindre relief, utilisant la moindre haie ou les lisiĂšres pour surprendre les qualitĂ©s de vol, au dĂ©marrage fulgurant et aux brusques changements de direction, lui sont facilitĂ©es par des ailes larges, courtes et arrondies, ainsi que par sa longue vitesse et l’acharnement que ce rapace met Ă  poursuivre ses proies lui sont souvent fatals l’oiseau se heurte violemment et souvent mortellement Ă  un obstacle inattendu verriĂšre, vĂ©hicule,
.Le faucon Ă©merillon, hĂŽte uniquement hivernal dans nos rĂ©gions, a le mĂȘme comportement mais ses ailes extrĂȘmement pointues permettent de le en vol de l’épervier d’EuropeLongueur de 28 Ă  38 cm - Envergure de 60 Ă  75 d’Europe est un petit rapace la femelle est plus grande que le mĂąle lĂ©ger et agile. En vol, il montre des ailes courtes larges et arrondies avec une grande main », un bras » aile interne court et une longue queue prĂ©sente une base Ă©troite et est relativement carrĂ©e au bout. En gĂ©nĂ©ral, la longueur de la queue est supĂ©rieure Ă  la celle de l’aile Ă  sa profil latĂ©ral du corps est Ă©lancĂ© avec une petite tĂȘte et un cou d’Europe tient les ailes horizontales parfois lĂ©gĂšrement arquĂ©es en vol a un vol actif lĂ©gĂšrement ondulĂ©, avec de rapides battements alaires peu amples suivis de brĂšves glissades avec une lĂ©gĂšre perte d’altitudeLes barres alaires infĂ©rieures des rĂ©miges sont bien relativement courtesqueue Ă  base Ă©troitelargeur de l’aile Ă  la base plus courte que la longueur de la queuelongueur de la queue supĂ©rieure Ă  celle de l’aile Ă  la baselongue queue Ă  bout carrĂ©longue mainbras courtpetite tĂȘtedessous trĂšs finement rayĂ©rĂ©miges fortement marquĂ©esHabitudesDescriptionOiseau furtif et discret, souvent vu que briĂšvement, volant trĂšs vite Ă  faible hauteur, l’épervier d’Europe ne fait pas partie des rapaces faciles Ă  le voit survoler les lisiĂšres de forĂȘts d’un vol caractĂ©risĂ© par des battements d’ailes rapides, entrecoupĂ©s de courts vols planĂ©s en arc de cercle. Il vole avec une trajectoire lĂ©gĂšrement onduleuse trĂšs souvent prĂšs du sol pour surprendre ses ailes pointues, une longue queue et des serres puissantes font de l’épervier d’Europe un chasseur impitoyable, tournant et se faufilant dans le feuillage Ă  la recherche de ses proies, les oiseaux vol est gĂ©nĂ©ralement bas et lent, alternant battements d’ailes et courts glissements, avant de plonger dans un fourrĂ© ou un arbre. Par beau temps, il va monter trĂšs haut dans le ciel, Ă  coup de battements d’ailes assez chasse toujours par surprise. la rapiditĂ© de son vol lui permet de fondre sur ses proies Ă  une vitesse incroyable, parfois il attaque ses proies par dessous en les renversant totalement. L’épervier poursuit Ă  toute vitesse les petits oiseaux le long des haies, entre les maisons ou mĂȘme entre se perche pour dĂ©pecer sa proie, qu’il dĂ©plume avant de la manger. Les victimes sont rarement plus grosses qu’un merle, encore qu’on ait vu des femelles d’éperviers capturer des ramiers, voire des jeunes d’Europe est un chasseur Ă©mĂ©rite au ras du sol, tĂ©mĂ©raire et agile, poursuivant ses proies dans la vĂ©gĂ©tation dense jusqu’aux portes des maisons, surtout lorsque le nourrissage hivernal attire bon nombre de petits oiseaux prĂšs des habitations. La mangeoire hivernale est en effet un superbe site d’observation de ce rapace ornithophage. Le rassemblement de plusieurs dizaines de mĂ©sanges, pinsons, verdiers et merles ne passe gĂ©nĂ©ralement pas longtemps inaperçu et, une fois qu’il a compris le manĂšge de ces petits passereaux, il risque de venir tous les jours prĂ©lever sa dĂźme. Ses prĂ©lĂšvements concernent avant tout les oiseaux malades et cette prĂ©dation permet d’éviter les Ă©pidĂ©mies chez les petits oiseaux. Cycle de vieSystĂšme reproductifEspĂšce visible toute l’annĂ©e dans nos rĂ©gions d’Europe de l’Ouest, l’épervier entame sa pĂ©riode de reproduction relativement tard pour un oiseau en majoritĂ© sĂ©dentaire puisque les couples ne se forment qu’en couples resteront alors liĂ©s souvent toute leur mĂąle est territorial et effectue des vols nuptiaux se dĂ©roulant bien au-dessus des arbres et font rapidement varier les vols Ă  voile et les nidificationMaturitĂ© sexuelle Ă  2 de nidificationLa nidification Ă  lieu au printemps et au dĂ©but de l’étĂ©, de mi-mai Ă  dĂ©but aoĂ»t, lorsque les passereaux sont nuptialeLes parades nuptiales dĂ©butent en printemps, on peut avoir la chance d’apercevoir un mĂąle en vol nuptial au-dessus des bois. Ses qualitĂ©s exceptionnelles en vol font merveille lors des parades nuptiales. Des larges cercles nonchalants et des vol planĂ©s alternent avec leurs folles chutes en piquĂ© et leurs montĂ©es en silencieux, l’épervier glapit lors des parades nuptiales. Il se fait alors remarquer par de sonores kikikikiki » rapidement couples se forment en mars ou de nidificationLe nid est bĂąti prĂšs du tronc d’un conifĂšre ou d’un feuillu, parfois dans les buissons Ă©pais, surtout des conifĂšres, principalement dans les nid est placĂ© sur la fourche d’un arbre, Ă  une hauteur variant entre 4 et 12 mĂštres, bien cachĂ© mais d’accĂšs peut ĂȘtre installĂ©e ou sur l’ancien nid d’une autre site est trĂšs souvent rĂ©occupĂ© d’une annĂ©e Ă  l’ construit un nid de branchages, assez lĂąche, Ă  l’enfourchure d’un arbre ou d’un buisson. Il le garnit de branchettes, de fines brindilles et d’ une assise en forme de coupe peu structurĂ©e, faite de brindilles cassĂ©es sur les arbres par les 2 nid est construit par les deux parents en mars-dĂ©but avril, mais c’est principalement la femelle qui construit l’ est gĂ©nĂ©ralement rĂ©utilisĂ©e d’une annĂ©e Ă  l’ Ă©perviers utilisent parfois de vieux nids de pigeons Ă  la fourche d’un pas de de couvĂ©esUne couvĂ©e par femelle pond 4-6 Ɠufs Ă  2-3 jours d’intervalle en femelle commence la couvaison au milieu de la pĂ©riode de par la femelle dure 33 Ă  35 jeunes naissent au bout de 5 semaines, soit au mois de des Ɠufs est Ă©chelonnĂ©e et non simultanĂ©e. Les plus jeunes oisillons pĂ©rissent s’il n’y a pas assez de a lieu aprĂšs 26 - 30 jours, entre le 20 juin et le 10 jeunes sont trĂšs bruyants lorsqu’ils vagabondent aux abords du parents les surveillent pendant encore un sevrage dure un petit la fin de l’étĂ©, les jeunes s’ juvĂ©nile a lieu Ă  la fin de l’ juvĂ©nileLes jeunes acquiĂšrent leur plumage dĂ©finitif au milieu de l’étĂ©, au bout de 4 Ă  5 semaines et s’ de mueMaladiesTuberculose aviaire, des adultes60 %.Une pluviomĂ©trie abondante est trĂšs nĂ©faste aux nichĂ©es. NourritureDescriptionL’épervier d’Europe est un petit rapace ornithophage dont le rĂ©gime alimentaire est composĂ© quasi-exclusivement de petits oiseaux jusqu’à la taille du geai, et occasionnellement Ă  de grands oiseaux et Ă  de petits Ă©perviers s’attaquent presque uniquement aux petits oiseaux comme les mĂ©sanges, les moineaux, les pinsons, moins souvent les Ă©tourneaux, les grives, les merles, qu’il chasse avec une grande oiseaux reprĂ©sentent plus de 90 % de l’alimentation de l’épervier et le passereau est sa proie de prĂ©dilection. Les petits oiseaux tels que les pinsons, les moineaux et les Ă©tourneaux constituent les deux tiers de leur rĂ©gime alimentaire dĂ©pend du sexe le mĂąle 150 g environ, plus petit que la femelle, ne se nourrit que de petits passereaux jusqu’à la taille des grives, par exemple des linottes, des femelle 250 g environ peut s’attaquer Ă  des oiseaux de la taille d’un geai, d’une grive litorne, d’un pigeon colombin ou d’un pigeon ramier. AprĂšs avoir prĂ©cipitĂ© au sol une de ces grandes proies, la femelle la maĂźtrise puis la tue de ses puissantes serres et de son mode de chasse est d’ailleurs diffĂ©rent pour les deux sexes le mĂąle est un partisan de l’attaque surprise et Ă  l’intĂ©rieur des bois et jardins, tandis que la femelle pourchasse ses proies en vol et en terrain forĂȘt, il se dissimule dans un arbre ou un buisson puis fonce sur sa cible ; il la percute de ses serres, l’impact seul suffisant souvent, Ă  tuer sa la campagne bocagĂšre, l’épervier Ă©pouse les contours du terrain, vole prĂšs du sol frĂŽle les haies et les clĂŽtures, fonce sur une troupe de passereaux et plonge sur les proies, qu’il attrape en volant trĂšs rapidement. Il poursuit sa victime Ă  vive allure, ce qui le conduit parfois Ă  s’écraser sur un de ses attaques, l’épervier poursuit sa victime jusqu’au bout et il n’est pas rare de le retrouver assommĂ© contre une baie vitrĂ©e ou plus rarement empalĂ© sur une branche au cƓur d’un buisson qu’il a pĂ©nĂ©trĂ© Ă  trop vive plume toujours en partie ses proies avant de les manger. Il le fait Ă  terre pour les grosses proies mais emporte souvent les petits oiseaux sur un perchoir retirĂ© pour accomplir cette mammifĂšres, petits rongeurs, sont consommĂ©s en trĂšs petit nombre, rarement des souris, exceptionnellement des chauves-souris, des lĂ©zards et de gros des villages, il a Ă©tĂ© observĂ© capturant des moineaux et des mĂ©sanges sur les mangeoires Ă  deux mĂštres d’une fenĂȘtre. TrĂšs hardi mais Ă©galement trĂšs discret, il n’hĂ©site pas Ă  chasser dans les jardins oĂč son apparition provoque des cris de panique chez ses proies tient une place indispensable dans l’équilibre des espĂšces, ses proies sont choisies parmi les espĂšces les plus ne vient aux mangeoires que pour chasser les petits oiseaux. HabitatsMilieuxL’épervier d’Europe habite les bois mixtes, les forĂȘts et les bosquets, plantations, taillis, boqueteaux isolĂ©s, mĂȘme prĂšs des habitations il chasse aux lisiĂšres, frĂŽle les buissons, rase les talus et change promptement de direction grĂące a sa longue queue et ses courtes forĂȘt, milieu trop fermĂ©, est Ă©vitĂ©e sauf Ă  l’abord des grandes coupes forestiĂšres et des landes ; seules ses lisiĂšres peuvent abriter son aire. Dans toutes les rĂ©gions, les petits bois de conifĂšres ont nettement sa prĂ©fĂ©rence pour le dĂ©roulement de sa est aussi le rapace du bocage, davantage que la buse variable ou le milan de prairies, de pĂątures, de champs cultivĂ©s et de petits bois entremaillĂ©s par un rĂ©seau de haies touffues et de boqueteaux lui convient Ă  merveille. C’est dans ce type de milieux qu’il peut chasser les passereaux en longeant les haies et en fondant Ă  l’improviste sur une troupe de linottes ou de bruants jaunes occupĂ©s Ă  picorer au milieu d’un le rencontre parfois dans les grands parcs et aux abords des villages oĂč il trouve Ă©galement des concentrations de moineaux domestiques et autres est en augmentation dans les zones associĂ©eRĂ©partitionMigrationLes adultes sont remarquablement sĂ©dentaires en Europe de l’Ouest. En France, les adultes sont sĂ©dentaires mais les populations de montagne et du Nord-Est du pays peuvent Ă©galement jeunes, par contre, s’émancipent loin de leur lieu de naissance dĂšs automne, les migrations amĂšnent en France des hivernants de l’Est et du Nord de l’Europe, pour hiverner dans l’Europe de l’Ouest de septembre Ă  partir de 1960, les effectifs ont fortement diminuĂ©. La cause principale sont les pesticides. Depuis l’interdiction de certains produits et les efforts fournis par les agriculteurs suisses, les populations se reconstituent trĂšs commun dans nos pays, l’épervier d’Europe a subi une profonde diminution de ses effectifs jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 1970 avant de retrouver au bout de 20 ans une population en bonne santĂ© dĂ©but des annĂ©es 1990, l’ensemble du territoire français Ă©tait occupĂ©, Corse comprise. Ainsi les rĂ©gions du quart Nord-Ouest, pratiquement dĂ©sertĂ©es en 1970, ont Ă©tĂ© recolonisĂ©es en moins d’un quart de siĂšcle. Il en est de mĂȘme en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg oĂč les effectifs sont Ă  la il est de plus en plus commun, particuliĂšrement dans les jardins offrant une vĂ©gĂ©tation trĂšs dense, qui lui offre un d’Europe a failli disparaĂźtre d’Europe occidentale par les effets dĂ©sastreux de certains pesticides agricoles organochlorĂ©s Ă  prĂ©sent interdits. Depuis, les effectifs se sont avoir Ă©tĂ© pendant des dizaines d’annĂ©es pourchassĂ© et dĂ©truit par l’homme, l’épervier d’Europe a eu Ă  subir dĂšs 1950 les consĂ©quences du dĂ©veloppement de l’agriculture intensive. La destruction des haies et des boqueteaux a supprimĂ© de nombreux biotopes favorables pour lui. L’épandage massif de pesticides a Ă©galement entraĂźnĂ© une stĂ©rilitĂ© de nombreux adultes, contaminĂ©s, en tant que prĂ©dateurs situĂ©s Ă  l’extrĂ©mitĂ© de la chaĂźne alimentaire, par les oiseaux granivores qui avaient eux-mĂȘmes ingĂ©rĂ© des graines derniĂšres annĂ©es, sa population a connu une forte augmentation, grĂące Ă  l’interdiction d’utiliser des produits chimiques toxiques dans l’agriculture, comme le Les Ă©perviers sont des oiseaux des bois et de la campagne, mais on en voit de plus en plus dans les jardins. Ils sont impopulaires, surtout lorsqu’ils viennent prĂšs des mangeoires, mais les populations saines de leurs proies ne sont pas vraiment affectĂ©es. Il n’existe aucune preuve que leur activitĂ© fasse baisser les populations d’oiseaux. Pour mettre les petits oiseaux Ă  l’abri, on peut placer les mangeoires prĂšs de buissons ou Ă©riger des treillages pour qu’ils puissent s’échapper sans que l’épervier les poursuive. Les Ă©perviers sont farouches de ce fait, ils nichent rarement dans un qu’intĂ©gralement protĂ©gĂ© aujourd’hui, l’épervier est encore victime de la rage de certains colombophiles et autres amateurs de protĂ©gĂ©e en qu’il est entiĂšrement protĂ©gĂ© par la loi comme tous les rapaces et depuis l’interdiction de l’utilisation en agriculture de pesticides hautement rĂ©manents comme les organochlorĂ©s, l’épervier va beaucoup mieux et fait Ă  nouveau partie du trio de tĂȘte des rapaces les plus communs de nos pays, en compagnie de la buse variable et du faucon crĂ©cerelle. Autres sujets G47R.
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